37. Candeon

« Darling...
I am a nightmare
Dressed like a daydream»

Il y a quelques années

Le mur rêche sur lequel mon dos était appuyé provoquait de longs frissonnements sur mon épiderme nu qui, à son touché, ressentait les herbes et les pointes des roches dont la terre en était imprégnée. Je patientais calmement dans ce passage sombre, à l'abri des foyers qui brûlaient dans l'espoir de faire fuir les bêtes féroces. Le village était bien silencieux, trop calme à mon goût.

Le visage crispé, j'observais furtivement les alentours sans apercevoir la moindre silhouette. J'étais à deux jours de la frontière avec le grand continent, mais restais hors territoire sûr. La guerre meurtrière faisait rage aux alentours, tétanisant les environs. Ils se tapissaient dans l'ombre sans le moindre espoir qu'un être vienne les sauver, et bien que je sois au nord, j'étais bien trop au sud pour eux. Mon royaume effleurait à peine ce territoire si proche de la barbarie, qu'il en était délaissé. Les invasions changeraient le cours de l'histoire si la Grèce ne s'empressait pas de construire ses forteresses palatiales.

Les étoiles brillaient dans le ciel, lumineuses dans cette cape limpide des nuages de la mer. Les hululements étaient à peine perceptibles. La cime des arbres se confondait secrètement avec la voûte d'un bleu abyssal qui, si les yeux s'y attardaient, nous envoûtait au point de perdre toute notion de l'espace et du temps. De cette touche traîtresse, nous étions emportés à travers le cosmos dangereux de l'inadvertance, nous nous perdrions.

La folie qu'était la mienne m'était incompréhensible. J'avais imposé mon domaine, défié les chasseurs qui s'appropriaient sauvagement les terres sans la moindre forme de respect ou scrupule. J'abattais tous ceux qui osaient s'opposer à mes règles, qui malmenaient la nature, qui ne révéraient pas les lois anciennes des forêts et de la chasse. Autrefois, ils priaient les esprits. J'espérais les mener à dédier leurs offrandes à Artemis, les mener sous une même tutelle jusqu'à ce que mon nom soit connu par toutes les lèvres dans des murmures respectueux, sans insultes.

Aujourd'hui, dans cette nuit noire, après avoir vaincu la guerre qui menaçait la Grèce entrant dans sa nouvelle ère, dans son histoire propre à son territoire, je décidai de quitter enfin les vents devenus paisibles après des années de combats pour un repos que j'espérais durable. J'aspirais à si haut, que je me devais d'avoir moi aussi, mon armure que je désirais sortir d'Asgard. Un empire à la dérive suite à leurs conflits ignorés et inconnus à nos yeux et dont mon simple souffle n'était pas le bienvenu.

Un regard jeté à la ruelle qui de la pénombre se mêlait aux ténèbres sans la moindre étoile pour éclairer le chemin. Les temps restaient dangereux, incertains. J'étais consciente de plonger une fois de plus ma main dans le feu, provoquant ses blessures. Je n'y ressentais que le plaisir à mettre ma vie en danger, à jouer avec la désolation de la mort.

J'étais désormais reine, je siégeais à l'Olympe et doucement, comme un murmure bruyant qui chantait d'oreille à oreille, traversant les plaines et les montagnes, je me faisais connaître. Les traits de ma personne, la chasseresse vierge au croissant de lune, n'étaient plus aussi inconnus qu'autrefois et certains me voyaient. Le combat n'était pas fini, et bien que j'appartienne à l'empyrée, les dieux m'étaient parfois étrangers. Je vivais entre mortels et immortels, tapis dans l'obscurité des forêts, vivant ma propre liberté sans me plier aux règles de l'Olympe. Sans jamais dépasser cette limite qui pourrait me condamner au Tartare, mais pour l'instant, cela m'était suffisant.

D'un geste silencieux, je rabattis ma capuche sur mes épaules, révélant mes cheveux aux mouvements d'une mer au vent léger, mais sauvage qui tombaient le long de mes épaules, assemblés dans une tresse ouverte avec gaucherie. Quelques mèches tombaient toutefois sur mon visage, révélant uniquement mes yeux hazels, brillant dans l'air nocturne et glacial.

Je me décollai du mur pour faire quelques pas en direction de la lumière, lasse et inquiète d'attendre sur mon guide. Ou plutôt un mercenaire grassement payé pour me mener en toute sécurité à travers le continent dont les recoins m'étaient inconnus. Je connaissais les risques de m'y rendre seule, ce n'était pas mon terrain de chasse, et dans ces terres barbares, j'étais l'ennemie la plus prisée. L'ennemie la plus haïe. L'ennemie qui pour des raisons qui m'échappaient, était désirée. Un mouvement furtif attira mon attention.

– Qui est là ?

Je ne reçus pas la moindre réponse, ni même le souffle du vent qui s'engouffrait entre les bâtisses. Une pensée, et je me décidai à tourner les talons pour revenir vers les ténèbres à pas lents, plongeant dans la noirceur qui avait englouti cette impasse. Un souffle chaud caressa mon cou, il était derrière moi. Je glissai mes doigts fins jusqu'à l'un de mes poignards, décidée à le lui planter en plein cœur, mais il fut plus rapide.

Un torse se colla à mon dos, encerclant mon corps qui se mariait au sien telle une vague qui emprisonnait la silhouette à son insu. Une lame vint se glisser sur ma gorge nue, me faisant déglutir faiblement lorsque le métal froid caressa mon épiderme brûlant de crainte émise par mes sens qui s'imprégnaient de son aura. Je sentis qu'il souriait d'un rictus dangereux, et l'odeur du sang frais qui émanait de lui m'empêcha de tenter tout geste brusque, préférant me comporter comme devant une bête sauvage et dangereuse. La patience, une qualité qui m'était inconnue si ce n'était pour la chasse des prédateurs.

– Cesse tout mouvement, ou je n'hésiterai pas à te l'enfoncer, me susurra mon agresseur d'une intonation grave et animale qui me fit frémir.

– Qui êtes-vous ? questionnai-je tout en tournant la tête, mais à l'instant où je sentis son appui plus ferme et son bassin soutenir avec plus de fermeté le bas de mon dos, me mettant en garde, je remis ma tête à sa place initiale, craignant qu'il n'en vienne aux bras.

– Toi, qui es-tu ? Une jeune femme dissimulée par une cape, tapie dans une ruelle d'une ville entre deux empires, est anodin, suspect et étrange. Et je connaissais suffisamment les êtres qui se tâchent les mains.

– Je me nomme, hésitai-je à lui donner mon véritable nom avant de me raviser. Diane. J'attends mon guide pour qu'il me mène à travers le continent jusqu'à Asgard, l'un des royaumes de l'arbre d'Yggdrasil.

Un ricanement s'échappa de sa gorge déployée au ciel avant que son emprise ne se resserre à l'aide de ses bras musclés qui enserrèrent ma poitrine avec hargne.

– Tiens donc, la célèbre chasseresse du nord, la déesse mineure, Diane ! s'exclama-t-il avec sarcasme et malice. J'ai une excellente nouvelle pour toi, ma belle, commença-t-il relâchant sa prise sur la lame, me permettant de respirer à nouveau. Je suis le mercenaire que tu as demandé.

– Vous n'avez donc aucune raison de m'agresser, tranchai-je sans pour autant révéler ma véritable puissance divine, patientant le bon instant, me servant de la légende d'une déesse sans importance qui m'agaçait.

– Vois-tu ? reprit-il plaçant à nouveau la lame. Tu es Diane, sais-tu qui je suis ? me murmura-t-il à l'oreille d'une voix amusée et cruelle.

– Comment le saurais-je si vous ne me l'avez pas dit ? Je suis passée par d'autres.

– Je vois que tu parles courageusement ! s'amusa-t-il. Calme-toi si tu ne veux pas que je plante la lame dans ton tendre cou, me menaça-t-il tout en déposant un baiser brûlant au creux de mes omoplates dévoilées qui me révulsa, et le geste s'apparentait aux crocs d'une bête pour briser la nuque.

Mais nul pouvoir ne parvenait à s'échapper pour une raison bien précise qui s'écarta de celle de ne pas me trahir, car désormais cela aurait pu être le moment pour l'abattre. J'étais effrayée pour la première fois de mon existence, son aura de noirceur m'enveloppant. Dangereuse, cruelle, et d'une puissance monstrueuse. Certains êtres effrayaient les immortels, dont moi.

– Qui êtes-vous ? osai-je demander d'une voix entrecoupée par un souffle rapide, mais ferme.

– Tu es Grec, tu devrais le savoir.

– Je n'en sais rien, protestai-je sans retenue et regrettai pour un souffle d'attiser sa colère, et craignant pour ma vie.

– Candeon, ce nom ne te dit rien ? Le criminel du sud, pour raviver ta mémoire.

Tel un tremblement de terre, la terreur remplaça ma peur, et souleva mes poils déjà tendus, tétanisant mes muscles, palissant mon visage. L'effroi brûlait mes entrailles qui, d'instinct, hurlaient à mes oreilles de fuir ou de l'affronter, lui révélant la déesse olympienne que j'étais. Mais je n'y parvenais toujours pas, la sensation était bien pire encore.

Je ravalai ma salive, me mordant la lèvre pour empêcher mon corps de trembler. Il ne m'était pas inconnu, sévissant en Grèce. La pitié ne l'habitait pas, il laissait derrière lui des cadavres, pris d'une folie meurtrière dont les méfaits n'avaient jamais été aperçus précédemment. Le sang était son soûl.

– As-tu peur ma jolie ? me souffla-t-il tout en se penchant et je détournai la tête pour ne pas recevoir la vapeur de sang sur mes lèvres, évitant de croiser ses yeux effrayants.

Je restai muette, sans esquisser le moindre geste. Sous son emprise, le moindre mouvement pouvait éveiller le meurtrier en lui. Un criminel n'était pas humain, il n'était qu'un monstre déterminé à mettre fin aux vies qui se confrontaient à lui, tout comme moi, et je me connaissais suffisamment. Je préférais rester discrète.

– Vois-tu Diane, le chasseur du sud, un ami à toi si je ne me trompe pas, vociféra-t-il, soulevant un haut-le-cœur. Il était une connaissance, disons, me précisa-t-il, jouant avec la lame tout en caressant mon cou de sa main froide et plaçant ma chevelure de côté. Je le connaissais, et ce qu'il faisait m'arrangeait. Tu le sais, lorsqu'un autre attire l'attention, les regards se figent sur lui, tout comme ton corps à l'instant, et non vers toi. L'unique problème, commença-t-il tout en laissant une pause. Est que tu l'as assassiné, finit-il sèchement.

Il appuya brusquement, laissant le couteau s'enfoncer dans mon cou. Je sentis des gouttes couler le long de ma gorge doucement, se mêlant à ma robe, passant entre mes seins et baignant mes épaules.

– Tu l'as assassiné sans aucune forme de pitié. Sais-tu qu'énormément de personnes souhaitent se venger ? Dommage pour toi, ajouta-t-il sur son ton sarcastique. Tu t'es fait tellement d'ennemis, et n'oublies pas, je suis avant tout un mercenaire et tuer est mon passe-temps. Je n'hésiterai pas à ouvrir le cou d'une jeune fille comme toi, en particulier si je l'ai promis à quelqu'un. Tu ne verras pas le soleil se lever.

– Attendez ! criai-je, laissant mon désespoir résonner dans la ruelle dans l'espoir de trouver une échappatoire.

– De derniers mots avant de mourir ? questionna-t-il avec malice tout en humant ma nuque dévoilée avec avidité.

– Comment auriez-vous pu me mener à Asgard si vous n'êtes pas Grec ?

– Je suis un mercenaire, un solitaire. J'emmène les gens où ils veulent en échange d'argent, même aux enfers. Je ne suis pourtant pas suffisamment fou pour me rendre à Asgard. Je ne t'y aurais jamais mené.

– Pitié, laissai-je échapper avant de me haïr.

– Pitié ? se moqua-t-il. Je n'ai pas de pitié avec mes victimes. Estime-toi heureuse que je sois rapide, je suis conscient que tu es une divinité, et que je peux subir un courroux divin.

Je fermai ardemment les yeux, attendant le moment fatidique tout en me maudissant de ne rien tenter, mais j'étais bien trop apeurée. Il me tuerait, sans aucune forme de doute, et bien que je sois immortelle, je préférais ne pas attiser sa colère. Le ciel seul pouvait connaître ses attentions à mon égard après ma mort.

Un grognement retentit et je rouvris les paupières. L'instant suivant, la lame s'ôta de mon cou et l'homme me lâcha brusquement. Décidée à faire face au danger, je me retournai. Trois autres hommes nous toisaient, les yeux d'un rouge brillant, des crocs jaillissaient de leur bouche saliveuse. Ils m'avaient retrouvé.

Un autre grognement tout aussi animal jaillit de la gorge de mon agresseur et de ses doigts, des griffes percèrent le bout. Un loup, je ne m'en préoccupais pas voyant le combat arriver, ma chance, mon échappatoire. Je reculai doucement, sans un bruit, ne signalant pas ma présence à ceux qui m'avaient oublié.

Estimant m'en être suffisamment éloignée, je tournai les talons pour m'enfoncer dans les ténèbres. Quelques pas à peine, le mur me barra la route. Aucune trace d'escalier, de porte ou de fenêtre. Prise au piège, des grognements féroces retentissant à l'autre bout, j'étais perdue si je ne révélai pas ma nature. Un regard par-dessus mon épaule, le criminel m'observait de ses yeux verts et bleu brillant dans la nuit. Des yeux pers, il n'appartenait pas à Lycaon, mais il était déterminé à m'avoir. Aucun différent choix ne se présentait, je devais me téléporter à Asgard, qu'importait les risques, je n'avais pas une possibilité parallèle. Les paupières closes, je pensai au lieu et dans un éclat de lumière argentée, je me volatilisai.

Mon corps percuta une masse d'énergie et je fus propulsée bien loin, atterrissant rudement au sol. Les voyages d'un seul dieu étaient uniques, bien que nous préférions utiliser le Bifrost, l'arc-en-ciel, les passages et d'autres tours pour voyager et partager avec les mortels. Exprimer notre véritable nature était rare. Seuls les grands le faisaient, car ce geste révélait notre énergie pure.

Mes yeux s'ouvrirent, la nuit noire s'étendait au-dessus de moi et les constellations mêlées aux aurores boréales dont les nuances vertes et violettes qui dansaient dans les airs hypnotisèrent mes yeux pour quelques instants. Les emmenant dans un monde plus mystique encore dont les mystères du monde m'étaient à moi-même inconnus.

Les chants d'oiseaux résonnaient à travers les arbres enneigés d'un calme hivernal et d'un froid doux. Au loin, la cime des montagnes avec leur blanc manteau se détachait de la voûte céleste. Je me remis sur pieds, observant plus attentivement les alentours. Je fis un pas en avant et sentis l'eau du lac lécher mes orteils avec une avidité dissuadant tout intrus. Le palais d'Asgard se trouvait au centre, à portée de main, uniquement peu de temps suffisait pour le rejoindre, mais je n'étais pas la bienvenue. Il était protégé des étrangers. Il contrôlait l'empire des divinités du nord, mais n'était pas le seul royaume en ces lieux.

Il y avait les elfes, Hela et d'autres qui avaient su décider d'une place au sein des mondes, ajoutant le leur de ce côté ou de l'autre. Et combattant encore les génies, les esprits, les divinités mineurs priées par tous les habitants du continent encore, et tentant de faire fuir ceux du Sidh de leurs terres pour s'imposer. 

Un craquement me fit me retourner dans un sursaut. Un sifflement, et une lance apparue dans mon champ de vision. Une esquive, elle se planta plus loin dans un éclaboussement qui vint dévier la route paisible du lac, mais je sentis les airs de son passage caresser mon bras nu. Je sortis mon poignard, et menaçante, j'observai les bois d'où jaillirent des Valkyries, lances pointées sur moi. Elles ne firent pas d'autres mouvements, me toisant avec curiosité avant de murmurer dans leur langue des paroles qui m'échappèrent.

Une femme se faufila entre elles et s'arrêta face à moi, Sif, l'épouse de Thor. Je me souvenais sans peine d'elle. La princesse s'était montrée bonne envers moi, dans mon enfance. Qu'en serait-il de maintenant ? Je ne baissai pas ma garde.

– Artemis ? questionna-t-elle, connaissant la réponse qui s'affirma lorsque je hochai la tête, encore méfiante. Venez, vous avez de la chance de nous avoir rencontrés. Une autre déesse aurait averti Odin. Vous ne pouvez pas rester ici.

Un éclair qui ne me laissa pas le temps de répondre, et je me retrouvai dans l'un des couloirs du palais. Plaçant l'index devant ses lèvres, m'intimant le silence, elle me fit signe de la suivre à travers les couloirs sombres et froids.

Je rangeai doucement ma lame, écoutant mon instinct qui m'intimait la confiance envers cette femme. Elle qui me menait en lieu sûr avant que tous les Ases et certains Vanes ne s'arrachent mon cadavre.

Des torches lointaines l'une de l'autre permettaient leur frêle flamme de nous mener à travers ces nuances dénuées de couleurs malgré la lumière faiblissante. La mort régnait en ces lieux habités d'un froid glacial et éternel qui ne prenait pas fin.

Des tapisseries accrochées aux murs autrefois colorées d'un rouge pourpre et d'un vert sapin étaient désormais recouvertes d'un voile sombre qui se soulevait par moment, me fixant avec une tristesse profonde. Certainement des traces d'une civilisation qui n'avait pas de réelles fresques.

Elles représentaient les temps d'antan, les aventures des jeunes dieux, de Thor et Loki, des querelles avec les géants, des débats divins et de la nouvelle génération. J'y reconnus Fenrir, le corps amaigri, les cheveux longs et sans forme d'un noir corbeau, ses yeux globuleux, une expression espiègle, méchante et violente. Ces tracés décrivaient celui qu'il avait été dans ce palais, source de problèmes, mais désormais mort en partie par ma faute.

Il paraissait avoir été arraché de la terre des géants pour grandir au sein des dieux, mais toujours à la dérive. Je détournai le regard de ses yeux qui me fixaient, provoquant des frissons qui remontaient le long de mon dos, donnant en volume à cette bulle de culpabilité naissante, car je m'y reconnaissais désormais.

Asgard n'était plus que l'ombre de lui-même et les fantômes du passé semblaient danser dans les coins des ténèbres. Lieu inhabité, tapi dans les confins du palais, dépourvu d'une présence vivante, aspiré par les souvenirs lumineux.

Sif ouvrit une porte dans laquelle elle se faufila, laissant les guerrières dehors. Dans un claquement muet, elle se referma derrière moi.

La chambre était éclairée par la lune qui s'engouffrait à travers une fenêtre d'où des lambeaux pendaient, abandonnée depuis des années. Un lit recouvert de peaux de bêtes était resté comme il avait été laissé, abandonné à la hâte il y a bien longtemps. Promenant mon regard, mon doigt l'accompagnant sur les murs, passant sur un coffre, recueillant la poussière qui s'y colla. Des jouets pour enfants traînaient à terre ainsi que des armes en bois.

– Où sommes-nous ? demandai-je d'une voix blanche, connaissant la réponse.

– Dans sa chambre. Cette aile est condamnée depuis des années, se déshabitant depuis sa disparition et chaque membre de sa famille. Un par un, ils ont été bannis. Les dieux ont peur d'eux et de leur puissance, ils préfèrent éliminer. Son frère et sa sœur ne sont plus ici et son père a été récemment banni suite au meurtre de Baldr. Asgard ne connaît plus les mêmes affinités d'autrefois.

Je la regardai, des yeux navrés, sachant que son époux était le frère de Loki et que tous deux étaient inséparables. Les légendes m'étaient parvenues, mais dans les limbes du temps, la poussière recouvrait le passé paisible, ne filtrant plus que les ombres qui dansaient sur les murs comme de lointains souvenirs à portée d'ailes.

– Allez-vous les avertir de ma présence ? Je suis parmi les sources d'un conflit ravageur.

– Non, je vous sais innocente. La douleur a envahi les cœurs, la guerre a fini par les détruire. Les temps sont déconseillés dans notre royaume. Les heureux fourmillent à travers les couloirs, vous avez de la chance d'être tombée sur moi.  Ne vous sentez pas coupable de son départ.

Je déviai le regard, observant cette fois-ci un serpent de mer tracé au métal et accroché au mur. Je suivis ses contours de mes doigts, sentant les écailles pourtant lisses. L'art était impressionnant, et l'illusion derrière aussi réelle que frissonnante.

– Vous avez grandi, vous êtes devenue une belle jeune femme qui fait défaillir les cœurs de bien des hommes sans leur laisser la moindre chance.

– Je vous en remercie.

– Nous savons ce qu'il se passe en Grèce, même votre décision de reine et de ne jamais prendre époux. Vous devez vous donner à cœur joie avec les transformations dans la nature sauvage.

– Non, je ne l'ai jamais fait, ni même mon frère, coupai-je court à ses illusions. Notre père se change en toute chose, cela a fini par nous y dégouter. Et je ne semble avoir aucun réel pouvoir profond de métamorphose. Uniquement une certaine magie comme tous, rien de plus.

– Pourtant votre mère en a, en particulier un que serait...

Je la vis froncer les sourcils, réfléchissante, prise dans une soudaine confusion à travers laquelle elle se fraya un chemin jusqu'à ce que ses yeux sombres qui contrastaient avec sa chevelure claire ne brillent. Elle m'observa, satisfaite.

– Vous disiez ?

– Rien, ce sera à toi de le sentir. Que fais-tu ici ?

– J'avais commandé une armure au nom de Diane, le nord est bien plus avantagé que le sud, vous nous fournissiez des métaux, et l'orient reste mortel et non suffisamment divin à mon goût et puis...

– Vous êtes plus liée au monde sauvage des barbares et du nord grâce à l'Hyperborée et votre attache à la sauvagerie des Achéens liée aux Nordiques qui se transforme pour le sud, réussit-elle à formuler à ma place avec un sourire rassurant.

– En effet, j'avais fait recours à un mercenaire au nom de Candeon pour m'amener ici, précisai-je et je vis son regard se plisser. Je l'ai appris il n'y a que quelques instants qu'il était ce criminel, mais je vois que vous en savez plus que moi-même. Qu'importe, repris-je après une pause durant laquelle je tentai de déceler cette teinte d'amusement dans ses yeux qui m'échappait. Les choses se sont compliquées, et j'ai dû me téléporter, finis-je portant mes doigts à mon cou d'où le sang avait cessé de couler, mais restait frais.

– Vous êtes donc Diane. Savez-vous que vous avez pris des risques à venir ici ?

– Je le sais, mais vous êtes une Ase, vous devriez me comprendre et vous me l'avez dit vous-même. Je me sens plus liée au nord qu'au Proche-Orient, sans oublier que les Valkyries sont immortelles contrairement aux amazones qui ne sont qu'un peuple.

– Vous vous êtes aguerrie, m'avoua-t-elle avec fierté. Je reviens.

– Où allez-vous ?

– Nul besoin de vous inquiéter, je vais chercher votre commande, me rassura-t-elle, tournant à peine la tête dans ma direction.

Je hochai la tête, puis elle disparut. Un silence mystérieux revint, d'un glacial brûlant qui sous les rayons de la lune, apportait des nuances argentées à la pièce devenue paisible par cette lumière bienheureuse. Je fis quelques pas dans la chambre, observant plus attentivement, me retenant de fouiller. Pourtant, mes yeux se posèrent sur un objet qui dans son coin, avait su attirer mon attention.

Je m'approchai doucement, m'accroupis pour le saisir de mes doigts fins avant de me relever. Sous toutes les coutures je le parcourus, découvrant sous cette lumière spectrale un sachet de cuir qui tenait dans ma paume. Je jetai un regard à l'intérieur et y découvris des fleurs autrefois jaunes écrasées au fond, devenue d'une poussière fade. Les pas qui s'approchaient m'ôtèrent des effluves qui en sortaient. Avec empressement, je glissai le sachet désormais fermé dans l'un de mes fourreaux.

La porte se rouvrit, révélant Sif qui se dirigea vers moi, un habit sombre dans ses bras. Sans un mot, elle me le dévoila, sourire aux lèvres, attendant mon verdict qui tarda face à cette sublime beauté.

Une robe, une protection, la plus belle qu'il ne m'avait jamais été donné d'apercevoir. Le cuir noir ne révélait pas trop mon corps, gardant un semblant d'intimité et de pureté, tout en étant suffisamment courte pour ne pas être embarrassante dans mes larges mouvements qui se devaient précis dans la forêt, et aussi souple que le matériel qui se mariait au corps à la perfection. De l'or blanc, un mélange d'or et d'argent de lune, recouvrait par endroit l'armure, y ajoutant une touche de beauté.

– Elle est parfaite, parvins-je à articuler, toujours sans voix.

– Changez-vous, votre robe est de sang.

Je la saisis pour la déposer sur le lit, et la porte se referma. Dans un mouvement rapide, je me débarrassai de mon haillon dont le haut était devenu d'un pourpre doré. L'ichor se mêlait au sang des mortels dépendant de mon enveloppe et de mes désirs. Telle une seconde peau, ma tenue se mêla à mon corps. La forme de l'une de mes tuniques, aussi légère que le tissu, n'entravant pas mes mouvements en se collant à mon épiderme tel un cuir normal. Elle me donnait l'impression de revêtir un vêtement confortable, à mes goûts. Défiante, d'une beauté rare et dangereuse. J'attachai ma ceinture à ma taille.

Je saisis à nouveau le sachet que j'ouvris, humant à nouveau l'odeur. Une douce chaleur émanait de la plante, calmant les battements de mon cœur, me calmant moi. Elle éclairait mes pensées confuses, donnant un sens à mes ardeurs qui partaient en vrille après que je l'aie tué. Mon propre frère.

Un regard à la lame de mon poignard désormais épurée. Pour la première fois depuis des lunes je ne le voyais pas tâché de sang, je ne me sentais pas sanguinaire, ne pensant plus aux morts. J'aspirais avec avidité l'air comme un second souffle qui permettait à mon corps de respirer sans tourments. Pour la première fois, mes cauchemars, mes illusions m'avaient quitté, semblant s'être envolés. Les cernes sous mes yeux s'allégèrent, les échos de mes cris nocturnes s'étaient tus. J'étais en paix avec moi-même, laissant cette folie obscure s'enfuir.

J'espérais que cela durerait, que je ne rêverais plus de meurtres, que je ne me réveillerais plus en sursaut. Cette plante était un miracle tombée des cieux, différente de ses semblables. Je la glissai à nouveau dans mon fourreau, rejoint par mon poignard. Je sortis de la pièce, le visage plus rayonnant, laissant ma pâleur dans cette chambre. Sif m'attendait.

– Suivez-nous, ils savent qu'il y a une intruse. Il y a un portail qui vous mènera à la forêt, de là, faites ce que vous avez fait pour arriver ici. Disparaissez.

Je hâtai le pas, acquiesçant, et la suivis silencieusement, me cachant par moment lorsque des pas se faisaient entendre. Finalement, nous arrivâmes face à une plaque de métal aux nuances arc-en-ciel gardée par un homme aux yeux absents, Heimdall. Il hocha la tête dans ma direction, m'assurant de garder le secret, fidèle. Je jetai un regard à la déesse. Sif me fit signe de le traverser.

– Merci pour tout.

– Ce n'est rien, reine Artemis, mais je vous conseille de ne plus remettre les pieds ni ici ni sur le continent. La prochaine fois, vous ne tomberez peut-être pas sur une alliée.

– Vous n'avez pas à vous en faire, je ne reviendrai plus jamais à Asgard.

– Vous êtes un rose sauvage.

Le sourire suspicieux sur son visage ne dura qu'un court instant, et croyant l'avoir rêvé, je pris une grande aspiration avant de traverser le Bifrost, me retrouvant dans une forêt dense en un clignement. Le lac et le palais n'étaient pas dans les environs, et j'en fus soulagée. Je devais oublier Asgard, je devais oublier le nord à jamais, sauvage et indomptable, barbare à mes yeux. Il était temps que je le quitte, que je rejoigne ma place.

La puissance de mon aura envahie les lieux, puis l'éclat lumineux disparut, laissant place à ma tente. Je ne réfléchis pas, me laissant tomber sur une peau d'ours, émue par ces péripéties. Une main portée à mon cou encore lésé et l'autre à mon sachet. Ma cicatrice sur mon front en forme de croissant devint tiède, comme si elle avait reconnu Asgard, et mon second départ de ces lieux, mais mes doigts l'oublièrent, préférant sentir le sachet.

Je sus que je ne me séparerais jamais de lui. Un pouvoir en émanait, je l'avais certes volé, mais une sensation m'avait poussé à le prendre. L'effet apaisant de ces plantes m'était vital pour sortir de mes démons qui s'infiltraient dans mes cauchemars, menaçant ma réalité.

Magique, je m'assoupis sans le moindre rêve qui vint me tourmenter, sans larmes qui coulèrent, me baignant dans une lumière en paix.

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