36. Aphrodite

« Walls have ears
Doors have eyes
Trees have voices
Beasts tell lies
Beware the rain
Beware the snow
Beware the man
You think you know»

Le soleil se levait à peine dans le ciel, calme et resplendissant dans l'azur rougeâtre. Il éveillait les oiseaux qui s'envolaient, les chiens des rues qui courraient, l'aigle qui parcourait nos têtes de ses yeux perçants, mais pas les humains qui s'écrasaient devant la structure de bois en ce deuxième jour de combats. Espérant assister à des jeux qu'ils avaient rarement occasion de voir, semblable à ceux de Crête et ses taureaux, en moins sophistiqués, tout en étant beau et prenant au sein du peuple criant.

Des guerriers scythes ainsi que des amazones, les guerrières des tribus, attendaient leur tour pour les luttes brutales. Hommes comme femmes s'impatientaient, déterminés à remporter leur prix, majoritairement du grain. Et surtout, la gloire.

Cette effervescence qui émanait des cœurs me procurait un sentiment exaltant qui ne se terrissait pas, bouillonnant mon sang qui n'appelait qu'à ça. Les mortels n'étaient pas à mon niveau, mais autrefois, j'aimais défier les chasseresses et amazones aux tirs, tout comme mon jumeau.

Phoebe et Skotia étaient les seules à ne pas se réjouir des épreuves, qu'importe leur forme, pour cause d'un incident qui avait eu lieu il y a quelques années. Confiantes, elles souhaitaient montrer à Athéna qu'elles pouvaient être aussi douées qu'elle, la déesse qui venait de remporter par sa sagesse et intelligence, critiquant la magie. Elles avaient demandé des adversaires et tout allait pour le mieux jusqu'à ce que Phoebe soit frappée. Sous la surprise, elle avait utilisé la magie sylvestre et, incontrôlable malgré ses excuses, l'avait ligoté.

Croyant à des démons du désert, ils s'étaient attaqués à elles sous les yeux d'Athéna et moi qui n'avions qu'assisté à la scène du massacre le plus pathétique. Finalement, nous étions intervenues, moi pour mes amies, Athéna pour ses chers mortels et pour la stratégie qui n'appelait pas aux coups. Après tout, elles allaient être lapidées. Ce fut ce jour-là que Corinthe sut que les divinités assistaient à leurs festivités.

– Quel souvenir te fait sourire ?

– Remémore toi, Phoebe, le jour où vous avez voulu montrer à Athéna que la magie servait et n'était pas tout, que vous pouviez survivre sans ?

– Je t'en prie, ce fut une erreur, et de mauvais souvenirs.

– Pas pour tous, Skotia, ris-je.

– L'attente est longue, se plaignit-elle. Nous n'allons pas assister à l'arrivée de rois consanguins tout de même ! Hé, nous sommes impatientes ici !

– L'entrée est également cher, nous ne vivons que de la chasse, ajouta Phoebe, faisant germer une idée.

– L'entrée pourrait être gratuite, et rapide, si une personne participait, Hippolyte ? lui proposai-je.

– Ai-je le choix ? demanda-t-il sourire au coin.

– Non, tranchai-je, croisant les bras.

– Je veux bien, si tu m'accompagnes.

– Et si je refuse ?

– Refuses-tu ?

– Oui.

– Aurais-tu peur, princesse ? me provoqua-t-il, pensant m'atteindre pour que je craque, mais j'avais appris à connaître son jeu.

– Hippolyte, je suis reine et par conséquent, je ne me plie pas à des marchés, affirmai-je, tout en le toisant, mais il ne détourna pas les yeux, rictus toujours présent.

– Je pensais qu'une reine faisait le travail par soi-même ?

– Une reine le fait lorsqu'elle en a envie, répondis-je, affichant en miroir un sourire.

– Préfères-tu rester dans ton trône et ne pas entrer dans le vif du sujet ? railla-t-il.

– Ces combats sont réservés aux mortels comme toi, pas à une déesse telle qu'Artemis. Je préfère une véritable guerre à ma hauteur, précisai-je, hautaine, et impériale.

– Combative, c'est bien.

– N'est-ce pas ? Je ne fléchirai pas avec tes louanges, je ne suis pas dupe, prince caché.

Un sourire illumina nos visages, cherchant une réplique à nous piquer sans hostilités. J'avais cessé de ressentir une blessure à des paroles sans mauvaises attentions, du moins, avec lui. Il était bien trop tentant d'entrer dans son jeu, et j'adorais jouer avec ce feu. Un plaisir étrange, mais digne des forêts nocturnes.

– Avez-vous fini ? nous coupa Skotia.

– Oui, il s'inscrira, allons-y, ordonnai-je, dépassant les concurrents qui attendaient patiemment.

Nous détournâmes les passants, contournant la construction de bois et de pierre pour atteindre l'opposé où une table avait été disposée, inscrivant les périlleux. Je saluai une amazone qui recevait sa perle de cuir avec un hiéroglyphe inscrit dessus, puis ce fut notre tour.

Quelques instants plus tard, une lanière avait rejoint le collier d'Hippolyte. L'enfant qui aidait l'homme nous tendit une plaque d'argile prouvant notre libre entrée tout en nous indiquant le chemin. Silencieux, nous pénétrâmes dans les sous-sols de cet hippodrome de bois emprunté aux Crétois qui les faisaient de pierre.

Nous étions seuls, du moins, dans l'obscurité, telle était la sensation que nous avions. Mais étant celle qui menait, je sentis une autre présence qui de sa sueur fétide soulevait celle des crottins d'animaux qui rendaient l'atmosphère pesante du lieu. Il ne tarda pas à se manifester, empoignant mon bras pour me pousser dans un différent chemin, tentant de s'enfuir avec moi.

– Une autre amazone, tu es plus frêle que ta consœur, je saurai te garder, me fit part l'un de ces hommes qui patientaient au détour de ces fortifications.

Je ne pris pas la peine de répliquer, libérant mon aura qui le fit frémir et fléchir suffisamment pour que j'use du poignard que je saisis d'un mouvement rapide pour le lui enfoncer dans le ventre. La chair se laissa transpercer avant que d'un coup sec, je retire ma lame, me libérant de son emprise pour lui faire face. Il se tenait sa peau déchirée, saignant sur ses vêtements sales de boue, gémissant comme une proie. Ce me fut plaisant de le voir à ma merci, cet homme attendant dans l'ombre les arrivées.

Il me jeta un regard noir, sans exécuter un geste, comprenant qu'il ne fallait pas jouer avec moi. Ses pieds l'obligèrent à faire demi-tour et je le vis s'enfuir. Un soupir las d'en croiser encore lorsque je ne voulais que m'amuser s'échappa. Mon arc apparut entre mes mains, une flèche encochée, puis lancée. Il tomba au sol à l'instant que mes armes disparurent dans les airs.

Je tournai les talons, prête à continuer ma route, mais tombai sur le regard indéchiffrable d'Hippolyte, libéré de l'emprise de mes sœurs qui l'avaient empêché de faire le moindre mouvement. Il était encore fixé sur mes lèvres, dont les traces de mon sourire carnassier que je n'avais remarqué, persistaient.

– Ne me regarde pas ainsi, ce n'est qu'une habitude de croiser lors de mes voyages de tels hommes. Tu ne sais pas ce que j'ai accompli pour obtenir mon royaume et ma place au sein du conseil. C'était la guerre et mes ennemis sont tombés un par un, ainsi que ceux qui me firent affront, à moi, à ma mère, ou à mon frère. N'as-tu jamais entendu parler de Niobé ?

Je n'attendis pas sa réponse que je disparaissais déjà dans l'ombre de mes ténèbres. Il ne m'était pas difficile de deviner le tréfonds de ses pensées, je lui avais toujours démontré que le poids de la culpabilité pesait sur mes épaules à chaque mort, que je voulais être écoutée et peut-être aidée. Mais j'avais omis le fait que les mâles qui le méritaient n'étaient qu'un coup de vent passager. J'appréciais mettre fin à leur jour, je m'en délectais même.

À un croisement plus lumineux, nous nous séparâmes et d'une voix encore rêche par l'évènement qui avait eu lieu, sans réussir à feindre la normalité après ce plaisir d'avoir abattu un méprisable, nous nous souhaitâmes un bon spectacle.

Il s'éclipsa dans un couloir à l'opposé des escaliers que nous gravissions pour atteindre les gradins. Skotia ne tarda pas à nous trouver des places possédant une vue dont je ne pouvais pas me plaindre, toujours dans une absence de son aussi lourde que les plumes enflammées.

Ni l'une ni l'autre n'évoqua le cadavre qui devait encore gésir sous nos pieds, habituées par ces meurtres qui ne provoquaient rien chez moi si ce n'était une plaisance malsaine dictée par mon aberrance. Le silence ne fut pas long, je ne tardai pas à le briser, toujours tendue.

– Skotia, je veux que tu me répondes clairement. Que s'est-il passé avec Hippolyte ? questionnai-je d'une voix étrangement venimeuse.

– Rien.

D'habitude franche, elle détourna le regard, observant les compétiteurs qui s'entraînaient sur l'herbe sèche mêlée au sable apporté par les vents chauds.

– Skotia, insistai-je, mais elle m'ignora, jouant avec ses cheveux tout en déviant son regard sur un jeune homme qui ne la quittait pas de vue, se délectant de la vue de son corps plus découvert qu'à l'accoutumée de certaines chasseresses dont le but n'était pas celui de la sorcière.

– Phoebe, que sais-tu ? tentai-je, me tournant dans sa direction.

– Après l'arrivée d'Apollon, nous sommes allées parler à Hippolyte et Skotia a tenté de lire en lui. Elle a ressenti quelque chose, mais elle n'a rien voulut rien dire, m'éclaira-t-elle d'une voix basse, bien que cristalline, s'attirant les foudres de la sorcière.

– Phoebe !

Exaspérée et en colère, j'avais su attirer l'attention de Skotia dont les traits désormais déformés perdaient leur sensualité accrue après avoir échangé des coups d'œil avec le corinthien. Je saisis ma chance.

– Qu'as-tu vu ? persistai-je.

Tendue, les dents serrées, elle finit par relâcher ses bras, un sourire grimaçant et ses yeux violets brillant de rage, désemparée de toute échappatoire. Elle se vit obligée de me répondre dans un soupir agacé, rejetant ses cheveux en arrière, crispée.

– Je n'ai pas vu, mais ressenti les sensations et nos avertissements sont confirmés. Derrière ses beaux yeux clairs, il dissimule une brume noire. Rien d'important. Cesse donc de chercher à savoir, la nuit de notre arrivée n'a pas été claire ?

– Puis-je au moins savoir, moi ?

– Non, Phoebe, la coupa-t-elle, l'outrant.

– Je suis lasse d'être mise de côté, je suis une nymphe, se fâcha-t-elle serrant les poings et les lèvres, nous étonnant toutes les deux.

– Je ne veux pas te mettre en danger, lui avoua Skotia, mais déçue, elle se détourna de nous.

– Tu n'es pas la seule dans l'ignorance, la rassurai-je d'une voix douce avant de foudroyer la source de nos confusions. Je t'ordonne de me dire la vérité.

Elle ricana.

– Tu me questionnes, tu ne me donnes pas d'ordre tout comme je ne t'en donne pas.

– Nous n'allons pas nous disputer, répliquai-je sous cette attaque coléreuse émanent de part et d'autre de mes épaules.

– Tu as raison, capitula Skotia et j'haussai un sourcil devant sa posture devenue désinvolte à l'instant où elle croisa les jambes, sourire éclatant et éternel sur ses lèvres.

Je fronçai un sourcil, pressentant qu'elle allait abattre ses pions et son jeu.

– J'ai discuté avec Athéna et Aphrodite hier soir, après la fête. J'avais rejoint le cercle et je les ai croisées. Les déesses avaient besoin d'informations venues d'une simple fille d'Hécate, se moqua-t-elle sans retenue, pourtant elle ne les insultait pas. Apollon et elles-mêmes sont derrière toi, mais je vois que depuis que tu as parlé à ton jumeau et même avant, tu ressens sa douleur comme il ressent la tienne, m'affirma-t-elle et je ne pus qu'acquiescer que nous étions toujours liés. Lui et les deux déesses sont à Corinthe, et tout comme moi, veulent des réponses.

– Je les veux aussi.

– Elles m'ont fait jurer de ne rien te dire, tant que ce n'est pas éclairci, mais qu'importe. Je ne te dirai rien, et sache que je joue seule, et ne pactiserai avec quiconque. Quelque chose se prépare, murmura-t-elle jetant des regards aux alentours. Et tu es visée. Fais-moi confiance, je sais ce que je fais. Corinthe est le décor qui convient à tous, il suffit d'être attentifs. Nous sommes sur un plateau de jeu et par chance ni Phoebe ni moi, ne sommes des pions, me glissa-t-elle d'une voix presque caverneuse.

– Ce que tu sais a donc fait changer ton opinion sur Hippolyte ? J'ai vu que tu tentais de nous séparer lorsque c'est toi qui as insisté que nous devenions amis et non simple protectrice et protégé. Je ne comprends plus rien à rien, répondis-je sur un ton ferme, mais inaudible, me penchant vers elle.

– Nous protégerons les personnes que nous aimons, souhaitant le meilleur pour elles. Il m'est impossible de vous séparer et je ne connais pas la nature de votre lien bien qu'il soit de nature divine. Un souffle ou une noyade, les deux même. Il est un chasseur, tu es la déesse de la chasse et je commence à douter qu'il te priait. Il semble être fervent d'aucun dieu, mais parallèlement, il n'honneur qu'une liberté. La tienne, celle du monde sauvage et des forêts. Ce qui amène à qu'il ne se soumette qu'à une seule divinité d'une manière différente que dans les temples. Les mortels, ils peuvent être si difficile à percer s'ils s'éloignent du chemin, souffla-t-elle agacée, mais dont le visage devenu provocateur lança un baiser au jeune homme qui la dévorait avec une certaine timidité.

– Skotia, la rappelai-je à l'ordre.

– Je vais laisser le destin décider pour vous deux, je vais vous laisser libres, tout en menant mes pièces. Je sais que vous vous êtes embrassés, me révéla-t-elle, amusée.

Le sourire sous-entendu qu'elle me lança, révélant ses dents qui s'accordèrent à son regard perçant qui coloria mes joues brûlantes. Elle gloussa à mon air embarrassé.

– Qui observes-tu, Phoebe ?

Je suivis le regard de Skotia, encore abasourdie et cramoisie, les yeux écarquillés, qui se posa sur le sourire de Phoebe destiné à la personne qu'elle couvait de ses yeux d'or. La ligne visuelle me mena à un jeune homme sur le sable, la chevelure d'un blond foncé, même châtain, droit, les yeux rivés sur nous. Les combattants en ligne étaient prêts. J'aperçus Hippolyte, trop loin pour qu'il me repère.

– – Phoebe, le connais-tu ?  insista Skotia, taquine.

– Ce n'est personne.

– N'est-ce pas ton danseur de Calydon ? continua Skotia, les yeux brillant dans le but de la mettre aussi mal à l'aise que moi.

– N'est-ce pas Athéna et Aphrodite là-bas ? esquiva Phoebe, méconnaissable.

Méfiante, je tournai toutefois la tête. Elles se tenaient bien là, me faisant des signes pressants. Je me levai à la hâte, m'excusant. Et sous les grognements des spectateurs, je me faufilai entre eux pour les rejoindre, ignorant les appels de l'homme désireux de m'interroger de ses yeux onyx, lui qui s'était épris de la beauté de Skotia. Malheureusement pour lui, la fille d'Hécate laissait derrière elle l'envie sans l'assouvir.

– Que se passe-t-il ? questionnai-je d'une voix bourrue les deux déesses.

– Par ici.

Suspicieuse, je les suivis pourtant. Elles s'enfoncèrent dans les entrailles du bâtiment obscur, une structure qui ne traversera pas les temps, faites de sièges de bois entourant un bout de terrain faiblement aménagé où, parfois, une chèvre se promenait encore, se perdant entre le bois et la pierre qui s'encoublaient sous le poids des mortels qui commençaient à hurler d'impatience. Laissant ainsi leur siège tremblant. Nous continuâmes jusqu'à trouver une porte qu'elles ouvrirent dans un grincement.

J'entrai, observant le lieu. Des murs de pierres, un sol de terre et une petite ouverture qui permettait à un rayon de soleil se faufiler pour éclairer qu'une partie, laissant les alentours dans la pénombre. La poussière dansait dans ce faisceau éclatant. La porte se referma avec fracas, me provoquant un sursaut qui fit décoller faiblement mes pieds de la poussière. Le mélange crétois avec le continent était si contrastant qu'il créait le chaos du commencement.

Elles me rejoignirent dans le silence de la pièce dépourvue de toute voix venant de l'extérieur. Les déesses me firent face, le visage creusé par l'émotion des paroles prochaines. Je me sentis me tendre, mon dos se cabra de crainte, serrant les poings, mais je gardai un visage serein, les jaugeant. Mes yeux les scrutaient, elles, comme les ombres dansantes contre les murs secs.

– Tu l'as trouvé, commença Aphrodite d'une voix venue des tréfonds de son âme, presque spectrale. La personne qui t'est destinée, la seule capable de te tuer et te sauver.

Elle l'avait prononcé d'une voix qui ne s'accordait pas avec son corps nerveux, en désaccord entre sa nature la plus profonde et la superficielle. Et je préférai le plonger dans le déni de mon esprit.

– Excuse-moi ?

– Aphrodite, doucement, la coupa Athéna se sa voix grave.

Elle ferma un instant les paupières, respirant de plus en plus profondément, puisant dans ses entrailles, appelant à elle son âme. Lorsqu'elle les ouvrit, elle n'était plus elle-même, mais bien la forme la plus pure d'une déesse dépourvue d'enveloppe, éclairant d'une blancheur éclatante et aveuglante les lieux qui ne firent que noircir. Ses lèvres charnues s'entrouvrirent pour laisser libre cours à ses paroles profondes jaillir sans qu'elle ne pèse sa contenance.

– Tu décideras si tu l'acceptes, ou pas, mais là n'est pas la question reine du monde sauvage. Je suis la déesse de l'amour, interdite d'apercevoir le futur comme mes semblables, mais comme eux, je sais ressentir le destin de chaque couple. Je n'ai eu le loisir de percevoir un cas comme le tien, si brumeux, rendant aveugle celle qui voit. Tu parcourras la route du malheur avant le bonheur, répéta-t-elle en écho à une voix qui s'engouffrait entre les fissures du sol, venue des cavernes profondes de Delphes.

La pythie faisait entendre sa voix caverneuse en harmonie à celle d'Aphrodite, brisant mes tympans qui laissèrent le son aigu remonter à ma tête. Mes oreilles souffrantes, je les protégeai de mes mains, mais les mots résonnaient en écho en moi.

– Nous sommes en temps de guerre, tu es en danger, tu le sais. Ils veulent te faire du mal, tes ennemis, pour des raisons obscures qui diffèrent. Une guerre est accompagnée de la mort, de la souffrance, des larmes, des mensonges, des secrets, de la trahison... Je suis bien placée pour le savoir, mais aussi de l'amour, car avec les conflits elles sont intimant liées. Méfie-toi de lui, ne le juge pas si vite. Il est un mystère pour nous, même pour moi.

– Aphrodite, tu m'effraies, je ne comprends pas ! lui criai-je libérant mes oreilles pour l'ôter de cet état, mais elle ne fit qu'un pas en avant, me fixant sans ciller et provoquant des tremblements qui parcoururent mon corps devenu frêle, et les roses s'éveillèrent.

– Je ne peux t'aider plus, je ne sais le sort que te réserve le destin. Suis ton cœur.

Je reculai d'un pas, mais elle me rattrapa et m'agrippa fermement par les épaules. Je sentis ses ongles poignants s'enfoncer dans ma tendre chair, laissant des filets d'ichor couler le long de mes bras, retombant sur le sol marqué par les gouttes de mon âme. Elle fut prise de convulsions tandis que ses yeux viraient au doré, les yeux de la pythie, avant de revenir au sien. Ses ongles continuaient à s'enfoncer dans mon innocent épiderme, me permettant un aperçu de son pouvoir et celui des fumées de Delphes qui se mêlaient. Mon frère n'était jamais loin.

– Le loup est de retour, reprit-elle me criant à l'oreille, et elle saigna, se mêlant à mes larmes à la commissure de mes lèvres. Ils sont de retour. Il est puissant et dangereux. Reste debout, prends les bonnes décisions, ne laisse pas ton esprit ni ton instinct choisir pour cette fois, mais bien ton cœur.

Elle grimaça, entrouvrant sa bouche d'où une buée s'échappa. Les contours de son visage tressaillirent, ses yeux humides brillaient en écho à son nez reniflant ses larmes qui baignaient son visage pris de cicatrices de peau souffrante et blanchie. 

– Tu es en danger, en danger ! répéta-t-elle, hystérique, délirante par la puissance des oracles. Nous allons t'aider, fais-nous confiance, tu le sauras au moment venu. La séparation est la meilleure des manières pour obtenir des réponses. Fille des forêts, sache que seule toi décideras de la tournure de cette guerre. Toi seule possèdes entre tes mains l'issue. Tu es la clé, tu l'as toujours été. L'un des éléments les plus puissants. Tu es reine, ne l'oublies pas. C'est à toi de faire tes choix.

– Lâche-moi, lui ordonnai-je d'une voix cassée, me libérant.

Effrayée, je reculai jusqu'à ce que mon dos touche la sensation glaciale de la pierre douloureuse. La peau brûlante de mon être se délecta de cette froideur qui ne put envahir mes muscles de son calme spectral. Je parcourus sa surface, cherchant la porte ou le loquet, cherchant la sécurité du bois, sans quitter des yeux la déesse aux mots destructeurs.

Aphrodite me fixait toujours, sans être revenue à elle, et, à ses côtés, une fumée jaillissant de la terre s'évaporait dans les airs indiquant la présence de mon frère. Ou du moins de l'un de ses objets, les prophéties de la pythie.

Le souffle rapide, je tâtonnai le mur qui me semblait infini, s'étendant au-delà du cosmos, se mêlant à Ouranos, le liant à Gaïa, jusqu'à toucher la surface de bois. La porte, l'issue, mon échappatoire. Je m'empressai de trouver le fer du loquet avec désespoir.

– Une dernière chose, Merope a susurré à ton frère qu'autrefois Hippolyte était nommé Candeon. Le criminel qui a sévi au sud se nommait ainsi.

J'entendis un petit bruit qui m'éveilla une première fois, me liant à une autre réalité plus bruyante et vive. Celle des mortels, lointainement séparée à celle du divin. J'ouvris la porte qui claqua derrière moi, me permettant de fuir définitivement, sans retenue.

J'avais quitté l'ailleurs, mais mon esprit y était toujours, perdu dans leurs murmures qui résonnaient en moi. Dans ma hâte, je courus et me cognai contre un torse. Je poussai un cri effaré en croisant ses yeux pers.

– Artemis ? Tout va bien ? me questionna-t-il tout en me retenant par les épaules.

Brusquement, le regard fou qui le scrutait comme une biche traquée, je me libérai de son emprise, sentant les sueurs couler le long de mes corps. Un souffle irrégulier s'échappait d'entre mes lèvres entrouvertes. Je me savais brûlante, mais je tremblais désespérément.

– Que se passe-t-il ? Ton oreille, elle saigne, me dit-il, tentant un geste en direction de ma tempe, mais à peine m'effleura-t-il qu'il gémit de douleur.

Je le regardai avec frayeur tandis que je m'éloignai, percevant ses doigts devenus rouges par le sang qui avait dû le brûler de mon aura. D'un mouvement saccadé, je portai ma main à mon oreille, récoltant une goutte de sang que j'admirai avant de porter ma main à mon poignard déjà tâché.

– Elle ne va pas bien, que t'ont-elles dit ? s'empressa de s'enquérir Skotia, remarquant mon geste qui s'arrêta, me tirant finalement de ma folie insinuée, et de sa main, elle obligea le chasseur à reculer.

– Rien, rien, répétai-je tremblante juste au-dessus de ma ceinture, mais la main de Skotia saisit la mienne pour que je me calme et arrête ce geste ferme si proche de mes armes.

– C'est la fête ce soir, indiqua Phoebe d'une voix chaude, m'attirant à la vie de Corinthe.

– Oui, viens Artemis, nous allons te changer les idées, s'exclama Skotia me saisissant fermement par le bras et encore inconsciente, je ne répliquai pas, docile.

Elles m'entrainèrent à travers les couloirs sombres, mais je ne le quittai pas ses yeux confus qui s'étaient attardés sur mon fourreau et les traces de mes doigts gravés dessus. Il semblait avoir deviné que sa vie était passée sous ses pupilles à une vitesse folle, car je tuais mes ennemis. Tous mes ennemis, avant que ce ne soit eux qui le fassent.

La lumière m'éblouit, et je le perdis de vue, suivant sagement mes sœurs, les pensées tourmentées dans une tempête sans fin.

Candeon, le criminel du sud. Pourquoi me l'avoir caché ? Pourquoi être devenu chasseur de Trézène ? Il m'avait avoué avoir souhaité me tuer, mais la vérité était bien plus réelle, plus vive, plus profonde. La réminiscence me revenait doucement, pâle, fade, mais aussi vive que les pétales rouges.

Il n'y avait plus aucune incertitude désormais, c'était lui, mais je refusais de confirmer les doutes de mon frère, car cela amènerait à la sentence de la mort. Et une part de moi continuait à le séparer de ce criminel, de cet assassin aussi sauvage que mes meurtres. Nous étions plus semblables que je le pensais, et ses tromperies qu'il m'avait murmurées étaient empruntes d'un passé que je pensais moins obscur, moins sanglant. Et il était devenu Hippolyte, mais avait-il réellement oublié qui il avait été ?

Je n'avais pas pu oublier sa voix rauque emplie de haine qui avait glissé sur ma peau apeurée, la marquant de son souffle chaud avant de me susurrer ses menaces. Il m'avait suffi qu'elles me montrent une hypothèse pour que les souvenirs remontent à la surface, enfouis dans les abîmes. Et je sentis ma vie filer doucement une nouvelle fois, comme si derrière, je pourrais encore sentir la lame posée sur mon épiderme. Comment avais-je pu l'oublier ? Lui, le seul qui avait su insinuer la peur en moi.

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