32. Indices

«Vous êtes maître de votre vie
Et qu'importe votre prison
Vous en avez les clefs»

Emportée dans les tréfonds de mes pensées désordonnées, j'étais partie loin, écoutant à peine la conversation d'Aphrodite et d'Athéna qui me savaient absente. Observant ces lieux dans lesquels j'avais grandi autrefois, vivant dans une illusion. L'empyrée de notre empire de divinités créées pour aider les Grecques qui s'éveillaient à leur tour, emportés par cette vague civilisatrice.

L'Olympe dans toute sa splendeur, naissant à la chute des titans et à l'invasion des Achéens, Ioniens et Éoliens sur le bras de terre, il y a à peine quelques siècles, détruisant une partie de la Crête qui renaquit, pour périr dans un siècle.

Assises sur des coussins d'un rouge sanglant, l'intelligence ou le romantisme, aux contours d'or et dont la paille faisait notre confort, nous nous trouvions dans l'une des nombreuses chambres du palais si vaste qu'il en devenait la ville. Jardins, ruisseaux, lagunes, étangs et passe-temps.

Les murs de ce mont dissimulé dans les nuages n'étaient que le leurre d'une prison qui enfermait celles et ceux qui n'avaient pas reçu le pouvoir suffisant pour être pleinement des divinités. Et dont la chance de vivre simplement sur terre ne leur avait pas été offerte. Pourtant, ils se contentaient avec joie d'être mineurs sans sentir librement les caresses du jour et de la nuit dans un espace vaste et écarté de divinités qui s'empêtraient à travers les fêtes et les bâtiments.

Je promenai mon regard sur la salle colorée de peintures représentant les colonnes de pierre touchant les cieux du nord, aussi grandes que des géants qui contrastaient avec un paysage plat et sans fin.

Uniquement les météores, royaume des lapites et des centaures qui se déchiraient jusqu'à ce que Thésée mette fin à la guerre lors d'un mariage, se dessinaient sur le fond blanc. Entouré de lignes noires, rappelant les nuages en haut et en bas, encerclant les quatre murs soutenus par quatre colonnes à chaque coin qui se mariaient aux coussins. Des céramiques abritaient divers fruits exotiques, mais depuis le matin, je n'y avais pas touché.

Muée dans mon mutisme, enfermée en moi-même tout comme lorsque je me retrouvais à l'Olympe, lieu dans lequel où, dans une lune, j'y étais convoquée pour des raisons qui m'étaient dissimulées. Et dont le tracas provoqué dans mon cœur avait le don de tendre mes muscles, et d'une humeur mauvaise qu'il ne fallait pas titiller.

Mon cœur battait au rythme des sentiments que j'avais ressentis la journée précédente. Celle qui m'avait paru interminable, sous l'emballement de mon cœur, puis les sanglots. Elle était encore des échos dans mon âme qui se forçait à les oublier, en vain. Je ne parvenais pas, je ne pouvais plus l'ignorer, et le souhait remplaçait le dégout.

Le marbre aussi blanc que la neige tâchée par le sang de la trahison dessinait les gouttes qui pourraient couler ce soir. La traque de ce loup, l'un de mes plus puissants symboles, me liant à ma mère qui possédait le même, en plus du pouvoir de métamorphose. Faisant d'elle une louve.

Je secouai la tête, me torturant incessamment sur ma manière de réagir, et je me demandai si je n'aurais pas dû tenter de renouer le contact une dernière fois avec mon frère que je venais de croiser en venant ici.

Il n'était pas étonnant de rencontrer un dieu, mais lui après les paroles échangées hier n'était pas un simple carrefour de route. J'étais passée, la tête haute, retenant ma tristesse, mais le coup d'œil que je lui avais jeté me révéla un visage peiné, conscient qu'il venait de perdre sa jumelle tout comme moi j'étais consciente que je venais de perdre mon jumeau.

La moitié l'un de l'autre, l'unique personne qui restait à chacun, puis aujourd'hui, la vie avait réduit en poussières nos liens qui étaient présents bien avant notre naissance. L'amour inconditionnel d'une famille brûlée à petit feu dans l'incendie qu'avait été notre existence. Nous marchions sur les cendres qui brûlaient encore de flammes survivantes sans que nous sachions si le phœnix renaîtrait. Un lien brisé, des souvenirs communs.

Je ne pouvais penser à cet accablement ni aux autres. Les fêtes approchaient et la tempête ne s'était pas encore abattue sur les bois, éclairant la nuit de ses éclairs fracassants et de ses larmes nourrissant la terre sèche.

– Artemis, dis-nous tout.

Ôtée de mes pensées, je relevai la tête pour fixer Athéna et Aphrodite qui possédaient un visage préoccupé par le mien chagriné que je n'avais pas pu dissimuler.

Étrange trilogie que nous formions. La déesse de l'amour et de la beauté à la chevelure resplendissante et aux pupilles aussi voluptueuse que ses paroles suaves qu'elle murmurait sans retenue, variant sa voix pour réchauffer les cœurs souhaités. La déesse de la sagesse et de la guerre aux yeux aussi gris que son cœur et aux cheveux d'un brun aussi raide que son dos et ses paroles démunies de ton. La déesse de la chasse et des fauves, reine des forêts dont le cœur si sensible devenait pierre aux lueurs tranchantes des iris hazels.

Aphrodite, plusieurs amants dont sa moitié, Arès, qui devrait être mon demi-frère, appartenant pourtant à la lignée d'Héra contrairement à moi qui était celle de Zeus et avec qui je ne possédais par conséquent aucun lien, ni même dans mon cœur. Athéna, ni mari ni amant, qui n'avait rien déclaré, mais dont la décision n'était que plus claire. Elle en était incapable et ne souhaitait pas s'attarder sur ces frivolités inutiles à ces yeux, entravant toute pensée. Puis venait moi, celle qui avait fait vœu de rester vierge, mais qui un baiser avait enflammé ses joues, apprécié.

Nous étions bien différentes, mais une chose nous reliait, nous étions importantes, nous appartenions au conseil, nous étions des déesses combattantes, chacune à sa façon. Rebelles, celles qui n'avaient pas respecté les nouvelles coutumes, hurlant leur liberté divine qu'elles poussaient aux limites sans se soucier des avancées du demain.

Contrairement à elles, j'étais la seule dont personne n'avait avalé la gorgée de mon choix. Je restais méconnue aux yeux des hommes, le nom était à peine murmuré et rares étaient ceux qui me priaient, dans l'ombre.

Athéna elle-même possédait une stature, sans oublier qu'elle était la préférée de mon père. Quant à Aphrodite, tous l'aimaient. J'étais la déesse sans alliés, ni au sein des hommes, ni au sein des dieux. Et aujourd'hui, encore plus seule avec un unique croyant qui dénigrait les autres divinités si les légendes devaient s'écrire, mais les chasseresses me suffisaient.

– Artemis ? Que se passe-t-il ? insista Aphrodite de sa curiosité malsaine.

– Quoi ? questionnai-je, absente.

– J'en t'en prie ma chérie, je suis la divinité de l'amour, ne feint pas avec moi.

– Et donc ? Je ne vois pas le lien avec ma vie, tranchai-je, mais elle ne fut pas de mon avis.

– Je t'en prie, ce n'est un secret pour personne, s'exclama-t-elle, rabattant en arrière l'une de ses mèches tendrement frisées.

– La Grèce entière sait qu'un chasseur répondant au nom d'Orion a intégré tes rangs et votre lien semble fort, dans tous les cas, il n'est pas encore mort, ajouta Athéna comme si elle venait de résoudre un problème, d'une voix calme et claire qui ne transcrivait pas son avis sur la question.

– La Grèce entière ? m'étonnai-je, affolée.

Bien que sachant que mon frère m'avait fait part de simples rumeurs, il l'avait fait sans préciser qu'ils ne murmuraient pas, mais parlaient sur terre, et à l'Olympe. J'étais condamnée, mais je nous protégerais.

– Tu le sais, les bruits se répandent vite.

– Il n'est pas commun que tu acceptes un homme, d'après le passé et tes vœux, mise à part, tu le sais. Bien qu'il n'entravât pas tes vœux, mais ta fin est connue et la vérité est dissimulée aux mortels. Qu'importe, l'effervescence est née au sein de cet étrange fait.

Je savais ce qu'elle voulait dire, mis à part avec Oarion, mon frère, un homme tué. Elles n'osaient en toucher mot, nul n'osait et n'évoquer ne serait-ce que son nom était aussi rare qu'un lion affrontant un loup.

Les uniques personnes avec qui je ne me sentais pas bloquée par une barrière invisible qui entravait ma voix étaient Skotia et Phoebe, mais possédant cette liberté, nous n'en parlions que très rarement.

La culpabilité me rongeait à chaque prise de parole, éclairant à chaque mot ma vue qui apercevait plus clairement la vérité que je m'étais cachée ces dernières années. Bien qu'hier, elle m'avait explosée au visage. Pleinement libérée par l'échange avec mon frère, partiellement envolée lors de ma conversation avec Hippolyte d'une douceur qui m'avait été nécessaire hier, mais qui ne me fut pas offerte. Il n'y avait pas de faux-semblants avec mon jumeau, uniquement les mots dans toutes leurs puretés.

Un frère avec qui j'avais grandi, qui avait endossé le rôle de père, que j'avais renié et enterré à l'instant de cette catastrophe qui avait englouti sous terre un passé heureux. Plein de conscience, transformé en un inconnu pour cette trahison, cette personne qu'il était devenu. Plus lui-même, je l'avais tué à deux reprises. Apollon était parvenu à raviver cette culpabilité que j'avais réussi à taire.

– Que savez-vous au sujet de Merope ? questionnai-je au souvenir de la mention de mon frère.

– Merope, la princesse Merope ? me demanda Athéna avec curiosité.

– Je ne sais plus, elle s'était présentée à Calydon, et il me semble qu'elle avait évoqué Chios. D'après Apollon, peinai-je à prononcer, c'est elle l'origine des rumeurs.

D'un air interrogateur, elles se regardèrent un instant avant de revêtir un visage empli de sous-entendus et l'autre un démuni d'expression comme si rien n'avait traversé leur esprit.

– Que se passe-t-il avec cette Merope ? m'enquis-je, fronçant les sourcils.

– Une princesse d'une île sur le continent est rare, tu le sais, les îles font du commerce avec d'autres empires, s'éloignant de la Grèce et préférant vivre dans leur monde et l'influence crétoise. Son père est par ailleurs relaté à Minos. Tu sais, notre frère, le premier roi qui a su rassembler la Crête en un royaume, avec un roi, le minos. Mais si elle est à Calydon, il se peut que ce soit pour la raison que tu aies accepté ce chasseur, m'expliqua Athéna, mais il ne me fut pas difficile de savoir qu'elle me cachait une information par son léger ton monté en hauteur lorsqu'elle dissimulait quelque chose, et mentait.

– Ce fut elle qui a proposé à la reine cette fête en mon honneur, et elle connaît Hippolyte.

– Hippolyte ? Son nom me rappelle un autre, un chasseur de Trézène qui d'après des rumeurs ne fait que te prier toi et nulle autre divinité, préférant les bois au palais, aussi sauvage qu'une bête et un affront à la délicatesse grecque naissante. Je ne l'apprécie pas, car il ne me loue pas. Qui est-il pour que tu le mentionnes ?

– C'est lui, affirmai-je. Orion, Hippolyte. Je le nomme Hippolyte, mais il semblerait que la Grèce en est restée au chasseur de Trézène et est passée à Orion pour le chasseur dans mes rangs, ironisai-je.

– Tu le sais, un homme qui possède plusieurs noms peut amener à confusion, mais Hippolyte est un beau nom, finit Aphrodite avec un clin d'œil qui fit rouler des yeux Athéna, agacée par cette tendance qu'elle avait.

– Ton frère nous a tout raconté. Merope, Hippolyte ou Orion, Calydon, sans entrer dans les détails, me révéla Athéna. Il nous a dit qu'il parlera à Merope, mais connaissant notre frère, il la mettra dans son lit.

Je ne doutai pas sur ses derniers mots, la lueur dans ses prunelles ne m'était pas passée inaperçue lorsqu'il l'avait mentionné. Il passerait du bon temps avec cette femme. Ce qui m'étonnait plus était qu'il leur avait partagé ce qu'il savait, créant une sorte d'alliance que je craignais qu'il retourne contre moi.

Quel fourbe, le faire derrière mon dos, parlant à mes amies, pensant que j'allais les écouter, mais je n'étais plus naïve. Nul être ne me commande.

– Qu'importe ce qu'il vous dit, il ne connaît pas toute l'histoire, et l'a décrite péjorativement.

– Raconte-nous ton point des vues des faits, me provoqua Aphrodite sous le regard agacé d'Athéna.

– Rien ne peut être sujet à soulever votre attention. Il est le cousin de Thésée, je sais que tu l'ignores Athéna, et donc prince d'Athènes, bien que ces deux dernières années il a été chasseur de Trézène. Lors d'une chasse, je l'ai croisé, puis revu quinze jours plus tard, et il m'a avoué qu'il m'observait chasser. Des nuits plus tard, il m'a supplié de me rejoindre. J'ai accepté pour éviter un conflit, mais j'ai découvert qu'il n'était pas le fils de Thésée et lui ai demandé par conséquent qui il était. Il ne m'a pas tout révélé, mais les mots ont su me convaincre de le garder, même si j'ai évoqué le fait de le renvoyer, mais la réflexion l'a emporté, et je l'ai gardé. Il est dans le besoin, et un si fervent chasseur ne peut être ignoré par la déesse de la chasse. À Calydon, Merope l'a interpellé sous le nom d'Orion, ils se connaissent. La princesse de Chios n'a pas été très respectueuse envers moi, et m'a provoqué dans une danse. J'ai été contrainte de danser avec Hippolyte. La suite n'est pas importante, la reine m'a agacé et je l'ai puni, à ma manière. Blessée par ses paroles, Hippolyte a su me réconforter et m'a fait la promesse de m'apprendre à me battre. Je n'ai rien de plus à dire, car il n'y a rien à ajouter. Gentil, aimable, délicat, du moins avec moi. Un chasseur digne de porter ce titre, respectueux de la forêt et sauvage comme tu l'as dit. Nous sommes amis, finis-je et elles se jetèrent un regard avant d'affirmer à leur façon une évidence.

– Tu n'as rien développé.

Et telle avait été mon attention. L'Olympe devait ignorer certains détails, comme notre animosité, nos démons, notre relation. Et surtout cette pointe de méfiance à son encontre quant à son passé, mais l'envie de le garder auprès de moi l'emportait. Aphrodite, bien que très bonne amie, ne parviendrait pas à tenir sa langue. Et de bouche à oreille, ils l'apprendraient, et pour l'instant, ils avaient déjà trop de connaissances.

– Il n'y a rien à ajouter, répétai-je.

– Artemis, nous savons toutes deux ce que tu veux dire par là, me confia Athéna, décelant la faille.

– Quoi donc ? Je ne dirai rien, je vous le promets.

– Rien Aphrodite, la coupai-je dans son extase.

– En es-tu sûre ?

Le sourire en coin de sa bouche ne me rassura pas, j'en frémis même, le cœur serré, mais déterminé à nier.

– Que veux-tu dire par là ?

– Ce n'est pas qu'une amitié pour lui, j'en suis certaine. Je n'ai jamais vu un croyant aussi offert corps et âme à sa déesse au point de marcher sur les autres dieux.

Un rire forcé s'échappa de mes lèvres pour brouiller ma mémoire traîtresse qui amenait au voile de mes yeux les preuves qui appuyaient ses faits.

– Pardon ? répliquai-je d'une voix perdue.

– Chère Artemis, je suis la déesse de l'amour. Un homme qui se comporte ainsi n'est pas à saisir comme un oiseau qui passe tous les jours au bord de la mer.

– Peut-être, mais je suis intéressée à savoir comment la Grèce en est restée au chasseur de Trézène. Et murmure uniquement le nom d'Orion, et non d'Hippolyte pour son évolution dans le monde non commun des mortels.

– Justement, commença Athéna d'un air grave qui fit trembler ma lèvre inférieure un court instant.

– Que se passe-t-il avec le chasseur de Trézène ? Il sert une petite région, certes, mais suffisamment proche d'Athènes pour que les Grecs sachent qu'autrefois Orion, il est devenu le chasseur Hippolyte et s'il l'était depuis toujours, il s'est révélé au grand jour.

– N'as-tu jamais entendu parler de ce chasseur ?

– Jamais, je dois l'avouer.

– Qui est-ce ? questionna Aphrodite aussi désemparée que moi.

– Je comprends pourquoi tu ne saisis pas la confusion des Grecs entre le jeune homme de Trézène, figure de l'éternel jeune homme sauvage qui chasse, libérant les habitants des bêtes et les nourrissants de pure liberté. Et Orion, chasseur également, réputé même aux palais il semblerait, et qui a intégré les rangs d'Artemis, de Diane, pour chasser à ses côtés, obtenant bien plus que sa protection. Le chasseur de Trézène, tous le nomment le nouveau chasseur du sud. Apparu mystérieusement il y a deux années de cela, jaillissant du néant. Suivant ses ardeurs, il y a apporté son aide, tout comme toi, tout comme le chasseur du sud il y a cinq années, trois avant Hippolyte. Certains murmurent que c'est le chasseur du sud, revenu d'entre les disparus, revenu du royaume des morts, revenu de l'Autre Monde, revenu pour les aider, affirma-t-elle et un nœud se forma dans mon ventre. Ils disent le reconnaître, mais tu connais les mortels. Parfois leur bouche est pure, d'autres fois, elle est aussi obscure qu'une vipère noire.

Je sentis dans mon cœur l'étreinte se resserrer, s'attaquant à lui qui se meurtrit à ces simples paroles qui pourtant venaient de me confier tant de secrets que j'ignorais sur la Grèce que je protégeais. Lorsque je n'étais pas la seule à le faire. Le chasseur de Trézène, le nouveau chasseur du sud. Désormais, je comprenais les murmures de Merope. Elle l'avait comparé au chasseur du sud à travers ses mots.

– Penses-tu que c'est lui le chasseur du sud et non pas, commença Aphrodite hésitante, mais je l'encourageai d'un mouvement de la tête accompagné de mes mots.

– Cinq années se sont écoulées, je veux en savoir plus, affirmai-je, non pas uniquement pour mon deuil, mais pour savoir qui était cet homme qui m'éveillait, car en guerre, je restais méfiante au fond de mon esprit, mais elles ne le sauraient pas. Il le faut. Cela peut me permettre d'en savoir davantage, sur ce qu'il s'est passé. Il m'est nécessaire.

– En es-tu certaine ?

– Aphrodite, Artemis n'est pas en tort, il est temps de mettre un peu d'ordre dans son âme dévastée, prononça-t-elle et j'eus l'impression qu'il y avait une once de compassion. Comme vous le savez, Oarion a disparu après ta rébellion et durant ces cinq années où nul ne savait où il se trouvait, le chasseur du sud est né. Tu t'occupais du nord, lui protégeait le sud. Les chuchotements racontaient qu'il s'agissait du prince de Béotie, Oarion, et sincèrement, nous le pensons également, m'avoua-t-elle, me fixant de ses yeux gris aussi perçants que sa chouette qu'elle caressait de sa main aussi rigide que son visage.

Elle ouvrit ses ailes et les battis, tournant son visage dans ma direction, le tordant comme nul autre animal n'était capable. La chouette n'émit aucun bruit si ce n'était de continuer à m'observer tandis que sa maîtresse continuait.

– Un groupe, une duologie, des murmures de mortels. Un héros, seul, un mortel qui avait grandi à l'Olympe était le chasseur du sud. Pourquoi être devenu simple chasseur et ne pas avoir demeuré dans son royaume ? Une menace, la Crête, et Oarion réapparu. Ce qu'il s'est passé sur cette île dont l'étrange s'est mêlé aux ailes d'un corbeau, tu le sais, tu le ressens encore, tu l'as vécu, m'assura-t-elle, et je pus entendre les susurrements de la voix de Crête au creux de mon oreille et son souffle chaud caresser mon tendre cou de biche. Je n'en sais pas plus que toi, mais suite à sa mort, un criminel, un assassin, le plus dangereux qu'il soit, est apparu. Aphrodite ? te souviens-tu ? demanda-t-elle et je fus étonnée qu'Athéna se range aux côtés des dieux et ignore les affaires des mortels et de cet homme qui avait découlé d'un jeu des divinités.

– Je ne sais plus, il était sanguinaire, ça, c'est certain. Je n'en sais trop rien, répondit-elle inspectant ses boucles avec attention.

– Qu'importe son nom, il se déplaçait à travers la Grèce et il semblerait même au-delà, tuant, assassinant, dérobant. Tu en est consciente, Artemis, même les dieux le craignaient, les cadavres trouvés étaient lacérés avec une violence bestiale aussi profonde que les lames d'une dague. Il était d'une dangerosité monstrueuse et animale. Puis, il a disparu, comme s'il n'avait été qu'un souffle inexistant. À la place, cet espoir divin pour le peuple apparu. Ton chasseur, celui de Trézène, lâcha-t-elle, inspectant ma réaction qui tarda à venir à l'écoulement de la goutte de sueur aussi humide que mes mains devenues moites.

Elle avait ravivé les souvenirs de ces dernières années dont les faits avaient été oubliés, elle avait précisé les actions de ce criminel dont l'existence avait balayé mon royaume d'un vent aussi obscur que son âme, mais je l'avais oublié et n'avais jamais entendu parler du chasseur de Trézène. Les mises en garde de mon frère me revinrent.

Oarion, le chasseur du sud. Ce criminel, sanguinaire. Hippolyte, le chasseur de Trézène ou Orion, un simple chasseur qui semblait connu sans avoir récolté la gloire nécessaire pour que le passé soit compté en même temps que les murmures de notre lien au sein de ma communauté.

Une seule chose les liait, ils étaient apparus et avaient disparu mystérieusement, sortis d'un brouillard avant de s'y noyer à nouveau. Je n'étais pas idiote, il y avait une suite parfaite qui pourtant ne m'éclairait pas. Hippolyte connaissait Oarion, et il n'avait pas apprécié que les filles s'en moquent, et avait même avoué que par le passé, il aurait pu me faire du mal pour se venger, mais il m'avait pardonné comme d'autres, la souffrance apaisée par les années. Était-il son exemple comme il l'avait affirmé, et raison pour laquelle tous le comparaient ? Il était le nouveau chasseur du sud, le premier étant Oarion. Tout était logique, mais dans la réalité, je n'entendais que des chuchotements jaillissant de la brume.

– Artemis m'interpella Aphrodite, m'ôtant de mes réflexions d'une voix fragile. Il faut que je te le dise, personne sur l'Olympe n'approuvait les décisions de ton père. J'ai tenté de l'en dissuader, mais, mais, bredouilla-t-elle sans trouver les mots justes.

Elle était la mariée et il y avait longtemps, elle m'avait promis de me trouver ma moitié. Une époque, d'autres visées, consciente que j'aurais pu le rejeter avec l'aide de mes frères tout en craignant l'Olympe, mais après ces années écoulées, rien ne s'était produit. Elle s'était tue jusqu'à ce que mon père se prononce.

– Tu m'avais promis il y a bien longtemps, lui fis-je remarquer.

– Je le sais.

– Pourquoi donc en suis-je là ? À avoir intégré le bannissement de l'amour, ta forme d'amour, dans mes règles ? questionnai-je, délirante des réponses. Je suis heureuse de ma vie, mais tu connais le passé et une voie moins douloureuse aurait pu être née, bien que j'aurais regretté de ne pas avoir pu me libérer de ces liens.

– J'ai essayé, j'ai cherché.

– Tu n'as pas tenté de me marier avant, tu me promettais, comme tous, et finalement, rien.

Je la fixai enfin de mes yeux devenus sombres, et elle dévia le regard, laissant planer ma question dans les airs parfumés d'encens.

– Je suis désolée, je m'étais trompée, je l'avais trouvé, mais c'était une erreur.

– Qui ? ordonnai-je d'une voix tranchante, et à peine ouvrit-elle ses lèvres que je sus qu'elle dévierait la conversation.

– Hippolyte, dépêche-toi avant que Merope ne te le vol.

– Pardon ? Tu ne le connais pas ! m'exclamai-je, feignant la jeune fille qui ne l'avait pas percé dans ses manigances, et ignorant sa remarque sur Merope.

– Je me trompe rarement et tu m'en as suffisamment dit. Une erreur, il est possible, mais deux fois de suite, non.

– Phoebe et Skotia m'ont en suffisamment dit.

– Je ne vais donc pas ajouter des plumes de paon, mais tu te mens. Toutefois, je suis en accord avec ton frère, mais ce n'est qu'un détail. L'amour triomphe du reste. Les belles histoires me fascinent, dont la tienne.

– Je ne te comprends pas, explique-toi, ordonnai-je, croisant les bras, le visage ferme.

– Tu n'as pas à t'en soucier, je peux enfin m'amuser avec toi, m'affirma-t-elle et la lueur dans ses yeux joueurs et manipulateurs de l'amour qu'elle s'apprêtait à user comme si je n'étais qu'une mortelle, me déplurent.

– Reste en dehors de cela, je ne suis pas n'importe qui, Aphrodite, je ne suis pas l'une de tes cibles et je refuse l'honneur que tu t'occupes de moi et non pas Éros, la menaçai-je, tout en effleurant mon poignard inconsciemment.

– Comme tu le voudras, je ne te servirais que d'interprète, mais connais-tu la Adelfi Psykhi ?

– La moitié ?

– Oui, et la légende ?

– Les souvenirs sont trop lointains, avouai-je, méfiante.

– Plusieurs légendes existent dont celle que Zeus a séparé les être collés ou les liens rouges pour qu'ils les retrouvent. Dans toutes les cultures, le résultat est le même. Des âmes sœurs, destinées à se rencontrer et à s'aimer d'un amour sincère. Elles ressentent le besoin de se chercher et de se trouver pour être complets et je ne parle pas des âmes sœurs communes, les amitiés, mais bien du véritable amour. Les dieux eux-mêmes ne peuvent pas échapper à ce pouvoir, m'expliqua Athéna précisément avec les mots et le ton nécessaire pour que je ne sente rien de particulier, si ce n'était l'intérêt du savoir.

– Les histoires sont époustouflantes certaines fois, et délicieuses à suivre. Tu le sais tout comme moi, nous en avons parlé, rappela-t-elle avec complicité à Athéna qui n'annonça rien de bon.

– Les fils se relieront pour former le tissage bientôt, tu n'as pas à t'inquiéter, uniquement patienter. Nous te laisserons en paix, mais l'Olympe aura de grandes nouvelles. Tu as reçu la missive.

J'acquiesçai, suspicieuse par leurs paroles.

– Et donc ? Que sais-tu, Athéna ? Tu sembles égarée, lui fis-je pourtant remarquer tout en jetant une œillade à Aphrodite.

– Je suis la déesse de la sagesse, et il me faut des réponses. Je les trouverai et je t'en ferai part, avant l'audience. Malheureusement, tu fais partie de ces problèmes à résoudre. Tu as un rôle important, bien plus que tu ne le penses. Je trouverai, tu en as ma parole. Je me range aux côtés d'Apollon, je trouverai la vérité et Aphrodite m'aidera. Pour l'instant, fais-nous confiance, m'informa-t-elle déjà réfléchissante.

Je les observais désormais avec méfiance, elles savaient des choses que j'ignorais et une cherchait plus de réponses encore.

Les secrets restaient ancrés dans nos mémoires, nous rangeant de l'intérieur jusqu'à ce qu'ils soient murmurés à l'oreille de notre prochain. L'impression que je dérivais dans les flots noirs de la mer azur m'assaillit, et je n'en fus pas rassurée. Rien ne l'était dans ce monde qui s'assombrissait.


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