30. Apollon
« Ne te laisse pas influencer
Par tes Problèmes
Laisse toi guider
Par tes Rèves»
Il était rare que j'appréhende une joute avec mon frère, mais j'en connaissais les raisons et me savais en partie coupable. Une meurtrière. Pourtant, nous n'étions plus des enfants pour que nous soyons en colère l'un envers l'autre pour une absurdité avant de nous réconcilier. Les dimensions étaient celles des titans désormais, et mes doléances des années passés n'étaient que cendres.
Les yeux du dieu de la lumière me lançaient des éclairs, son aura était pure colère et lorsque ce sentiment émanait de son être, je savais qu'il était mieux de ne pas être dans les parages. Tout comme ma fureur destructrice. Je n'avais été que spectatrice de ses irritations jusqu'alors, mais désormais, j'en étais la cible.
Il n'était pas simplement fâché envers moi, il était furieux, et le regard qu'il me lançait, je l'avais déjà aperçu une seule fois dans ma vie. Pour me préserver tout comme je l'avais fait pour lui, il l'avait caché, conscient que je ressentais tout ce qui lui sentait. Et nous continuions à travers notre lien, nous brisant chaque jour. Mes sentiments n'étaient pas uniquement nés des miens, mais bien des nôtres. Nous n'étions qu'un, mais séparés depuis des années.
Il entra sans émettre le moindre mot, mais sur le point d'exploser, le visage crispé. Il se plaça à moins d'un pas, attendant que je parle la première, serrant les poings. Je sus à cet instant que si je n'étais pas sa sœur, je ne serais plus de ce monde.
– Apollon, que fais-tu ici ? questionnai-je avec calme et étonnement.
Les cheveux couleur de l'astre du jour, très légèrement bouclé, plutôt ondulés, et au volume semblable aux miens. Les yeux aussi bleus que le ciel et la mer qui faisait tomber tant de pauvres êtres. Vêtu d'un vêtement bien plus sophistiqué que le mien aux bordures d'or, il ne portait pas son arc au dos. Seul son pouvoir l'illuminait.
– Puis-je savoir ce qu'il t'a pris ! m'aboya-t-il, croisant les bras sur sa poitrine.
– Ne me parle pas ainsi ! Je suis née avant toi, tu me dois le respect, répondis-je, montant d'un ton. La moindre chose serait de me saluer, après tout ce temps, ajoutai-je, mais il m'ignora.
Comme si la raison de notre éloignement préférait rester encore tapissée dans l'ombre de l'interdit. Un secret qui nous entourait, creusant le fossé. Les tâches de mes mains n'étaient jamais parties malgré les visites aux sources, ni ses blessures à lui.
– Je suis ton frère. Les rumeurs sont-elles vraies ?
– Quelles rumeurs ?
– La Grèce murmure que la déesse vierge de la chasse, Artemis, a accepté dans ses rangs un prince et chasseur au nom d'Orion. Dis-moi que tout est sans fondements.
Je me raidis sans répondre tout de suite, les lèvres prêtent à répliquer, mais prise au piège par ce danger qu'il fût mieux ne pas révéler. Je refusais de lui mentir. Je cachais bien des choses, mais à mon jumeau, qu'importe le passé, je refusais de tomber aussi bas. Il était le dernier de mon sang.
– Tout est vrai, et il préfère répondre au nom d'Hippolyte, prononçai-je avec garde.
– Qu'importe son nom ! Et même ainsi, Hippolyte semble être connu pour ne te prier que toi tout en chassant, reniant tous les dieux, en particulier Aphrodite. Mais il semblerait que ce soit bien plus que cela puisque Orion a finalement su gagner les faveurs d'une déesse qui ne faisait que protéger de loin les enfants, les jeunes femmes et les chasseurs. Que t'est-il passé par la tête pour que tu acceptes qu'un homme chasse à tes côtés ! me hurla-t-il, perdant à nouveau son calme empli d'espérance que je nie.
La déception abyssale qui teintait ses iris me serra le cœur, mais je ne pouvais que me défendre. Argumentant, avançant les faits qui m'avaient obligé à l'accepter. Lorsque moi-même, au plus profond de mon cœur, j'ignorais les raisons de mon acte aussi traître qu'une rose, symbole sanguinaire.
– Il me l'a supplié. Je l'ai accepté. Il est prince, mon frère, d'Athènes, précisai-je, mais il secoua la tête tout en passant la main sur son visage pour tenter encore une fois de baisser la tension qui l'engloutissait.
– Inexistant, car moi-même ne le connaissais pas, ni même Athéna. Orion n'existe pas, il ment.
– Tu te trompes Apollon, Thésée le connait. Lui as-tu parlé au moins ?
– Non, mais je lui toucherai mot, avoua-t-il. Qu'importe, Orion ne peut pas chasser avec toi, je le refuse. Maintenant, je t'ordonne de le faire partir.
Un rire jaillit de ma gorge sans que je puisse le retenir. Mon jumeau refaisait surface après ces cinq dernières années pour me parler face à face pour la première fois dans le but de me donner un ordre lorsque j'étais une femme libre ? J'avais cessé d'être sa petite sœur comme lui mon petit frère ce jour maudit. Nous n'avions plus de comptes à nous rendre, plus de balance à équilibrer, chacun partit de son côté et ses horizons sans se soucier de la protection de l'autre. La colère s'empara de moi et ce fut à mon tour de lui faire comprendre qu'il n'était pas le seul à se retenir de hurler en vain, et toutes nos promesses disparurent de mon esprit.
– Tu n'as pas à me donner d'ordres ! criai-je, atteignant enfin la même portée que mon jumeau.
– J'ai le droit, je suis ton unique frère restant et cet homme doit partir. Il est un danger pour ce quoi tu as combattu.
– Il n'est pas un danger, il porte un nom, Hippolyte, ou Orion, à tes préférences, tonnai-je tout en mouvant mes mains. Il est bon, il m'apprend à me battre, il est aimable, il est bien plus. Hippolyte est différent des autres chasseurs et c'est pour cela que, comme tu le dis, il a reçu mes faveurs de déesse. Il est mon ami et il a obtenu ma protection. Tu ne peux pas m'obliger à le faire partir, il n'est pas un danger. Entre nous, tu sais qui l'est réellement.
Il ne répondit pas, me découvrant comme pour la première fois, abasourdi par mes paroles, les lèvres s'entrouvrant sans cesse, cherchant ses mots tout en se serrant la tête de ses mains blanchissantes, avant de relâcher les bras. Désemparé, et un vent semblait être tombé par son visage livide.
– Par les divinités anciennes, je ne peux pas le croire, souffla-t-il.
– Croire quoi, Apollon ? m'agaçai-je.
– Tu t'es éprise d'Orion, de ce chasseur, répondit-il, se reprenant, fronçant ses sourcils et je vis sa belle chevelure dorée commencer à s'obscurcir pour atteindre un châtain proche du mien lorsque le soleil les éclairait, effaçant l'écorce brune des forêts.
– Quoi ? Non !
Je cherchai renfort auprès de mes sœurs pour qu'elles tentent d'appuyer mes dires lancés si hâtivement qu'il ne me croyait pas. Je vis dans leurs yeux que, pour la première fois, elles appuyaient mon frère, me trahissant, m'abandonnant face à son courroux, et je ne pouvais pas le haïr.
– C'est ce que nous ne cessons de lui répéter, je suis heureuse de constater que tu es de notre avis, se prononça enfin Skotia d'une voix détachée.
– Tu te tais la sorcière, c'est entre Artemis et moi.
– Ne leur parle pas ainsi, elles n'ont rien à voir.
– Tu as raison, se reprit-il. Qu'elles disparaissent.
En un claquement de doigt, elles furent emportées par un nuage de poudre dorée sous mes yeux égarés, me retrouvant seule à affronter mon frère. Un jumeau sur le point d'exploser tel un volcan, sans connaître le chemin que j'avais emprunté depuis que j'avais croisé ses yeux pers.
– Apollon, ce n'est pas ce que tu crois. C'est un ami, et je te l'accorde, je l'ai gardé, car il a besoin d'aide. C'est peut-être un nouveau pas pour moi et, voulus-je m'expliquer, mais il me coupa.
– D'aide ? D'aide ! ironisa-t-il. Tes oreilles ne sont-elles pas devenues douloureuses à l'entente de ces mensonges ? Un prince d'Athènes, qui n'existe pas, et qui te demande d'intégrer tes rangs de chasseresses vierges lorsqu'il n'est ni l'un ni l'autre, et qu'il a besoin d'aide ? Il est un danger pour toi, cesse donc d'être aveugle. Il t'utilise, il joue avec toi d'une manière sournoise.
– Tu ne le connais pas, il n'est pas un menteur, mais il est vrai qu'il déforme la réalité pour se préserver, avouai-je sans que je ne sache pourquoi je le lui révélai. Il y a une différence entre mentir pour utiliser et mentir pour survivre, et tu sais que je mens également.
– Il porte plusieurs noms, commença-t-il à énumérer. Dont ni l'un ni l'autre ne sonnent dans mon esprit. Comment s'est-il présenté à toi ? me questionna-t-il, comme connaissant d'avance la réponse que je m'apprêtais à révéler d'une voix hésitante par ma bouche devenue aussi sèche que lors des périodes chaudes.
– En tant qu'Hippolyte, fils de Thésée.
– Son fils est Deimophon.
– Il m'a avoué que, sous l'accord du roi, Deimophon se nomme Hippolyte pour le cacher, je crois.
Ses yeux m'observèrent un court instant, ses gestuelles s'arrêtant lorsqu'il me vit hésitante, mais il ne le releva pas.
– Nous revenons aux jeux du cache-cache. Cela ne t'a pas paru étrange qu'Athènes accepte de le dissimuler, puis qu'il vienne te demander protection ?
Je ravalai ma salive, connaissant les coups qu'il s'apprêtait à abattre, mais je ne tomberais pas dans ce piège. Celui de me faire révéler de moi-même la vérité, qui n'était pas celle qu'il espérait, car mes mots ne s'accorderaient jamais aux siens pour ce cas-ci.
– Athènes est devenue un danger pour lui. Tu connais les jeux de pouvoir aussi bien que moi, tu vis dans le monde des mortels et tu as entendu celui des dieux. Seth ?
– Quels autres noms porte-t-il ? insista Apollon, ignorant mes tentatives.
– Vas-tu réellement me questionner sur tout ?
– Jusqu'à ce qu'il parte.
La détermination dans ses yeux me fit frémir. Je l'avais vu sur de meilleurs jours, tout comme moi. Cette époque aussi lointaine que lumineuse était révolue, avalée par la poussière du temps, teintée du sang des éclats d'obsidienne. Je réalisai à quel point nous avions changé, avions laissé cette part sombre enfouie, se révéler à des moments éphémères. Prenant possession de nous lorsqu'autrefois, elle était inexistante dans le jour de nos vies qui avaient sombré dans la nuit sans fin.
– Je te répondrai pour te prouver le contraire. Il est respectueux avec moi. Nous sommes partis à Calydon pour une chasse et une certaine Merope, princesse de Chios, a été celle qui m'a révélé qu'il se nomme Orion. Elle semblait le connaitre et les choses qu'elle m'a avouées ne sont pas importantes, finis-je fermement, tout en me remémorant ses paroles et la rage qu'elles avaient provoquée en moi.
– Car tu étais jalouse, ajouta-t-il, apercevant mon expression enragée que je dissipai.
– Je te le répète, je ne l'aime pas.
– Que s'est-il passé à Calydon ? se douta-t-il de quelque chose.
– Rien.
– Artemis, dis-le-moi.
– J'ai dansé avec lui, lâchai-je. Involontairement, sous la pression de Merope.
– Tu es tombée dans une bataille ?
– Ce ne sont pas tes affaires, mais les miennes, et de femmes ! De nous, de la déesse et de la reine ! Il m'a rassuré lorsque j'ai presque tué la reine ! criai-je, les yeux devenant humides et son visage s'adoucit lorsqu'il comprit.
– J'ai entendu ce qu'il s'est passé à Calydon, les rumeurs viennent de Merope. Il faudra que je lui parle à cette belle princesse, m'assurer des faits. C'est revenu, n'est-ce pas ? s'inquiéta-t-il. À cause de lui.
– Ce n'est pas entièrement de sa faute. Tu sais que ce qui est en moi est en toi aussi. Nous le savons tous les deux. Ne le nie pas. Nous sommes maudits, condamnés.
– Nul ne doit l'apprendre, Artemis, et j'ai l'impression que tu le lui as dit, m'accusa-t-il. Cela recommence, encore. Que s'est-il passé depuis que tu l'as rencontré ? Je veux tous les détails. C'est un danger, ajouta-t-il sans que je ne sache s'il parlait du chasseur, ou de la chasseresse.
Il me regardait désormais avec des yeux emplis d'un amour fraternel. Ce lien que j'avais cru brisé persistait pourtant, vivant malgré les légendes destructrices. Nous restions jumeaux à souffrir des ressentis de l'autre depuis des années malgré notre silence. Il était conscient que j'étais plus sensible que lui à cette bête qui se tapissait en nous, et il prendrait garde à chaque étincelle.
– Je ne vais pas te raconter, mais aie confiance. Tu ne le connais pas, moi si. Il n'a aucune attention envers moi ni moi envers lui. Tu l'as dit toi-même, les rumeurs disent qu'il suit mes règles, me priant et éliminant le reste. Nous sommes alliés avant toute autre chose, pour des raisons qui nous regardent, en équilibre. Et nul n'a eu le choix, et ensuite, ce ne fut qu'un enchaînement qui nous lia.
– Tu le protèges, sans savoir ce qu'il souhaite de toi ? Je sais ce que les hommes veulent, et je ne veux pas que tu tombes dans le même piège que les femmes. Je refuse que ma sœur se fasse avoir, trancha-t-il, balayant d'une main le fait que je sortais également gagnante de cette alliance, que j'avais franchis le pas d'accepter une aide d'un être déterminé à me sortir d'un abysse qu'il avait vécu.
– Tu es bien placé pour le savoir ! Toi, qui amènes dans ton lit comme père les femmes, leur poussant à croire à l'amour lorsque l'unique acte qui t'intéresse est le plaisir. Tu ne t'attaches pas, jamais. Je m'en fiche des hommes, c'est leur problème, car ici il est question des pauvres femmes que je protège dans leur jeunesse avant qu'Héra ne reprenne le flambeau. Tu ne fais que mettre ta semence, les condamnant, sachant que le patriarcat a envahi les esprits. Je ne suis pas idiote à croire à ces sottises, car je vis au milieu des dieux. J'ai de bons exemples, et surtout, qui te dis que certaines femmes ne se comportent pas ainsi, elles, tomber dans leur piège au détriment des espoirs des autres ? Rassure-toi mon frère, j'ai fait vœu de chasteté.
– Ne te montre pas insolente. Elles sont consentantes, les regrets viennent toujours après, tout comme à moi. Quant à tes vœux, ils sont comme tous les autres. Ils disparaissent rapidement, et n'oublie pas le prix.
– La vérité blesse, mon frère, répondis-je, le regardant droit dans les yeux.
– Là n'est pas la question. Je te laisse le choix. Fais-le partir, ou je m'en charge. Choisis.
Une montée de crainte qui noua mon cœur se saisit de ma gorge, m'étouffant lorsque je lus dans les yeux de mon jumeau qu'il ne plaisantait pas. Je savais de quoi il était capable, il était tout comme moi. Cruel et sans pitié lorsqu'il se laissait emporter, et je savais que ce ne serait pas une plaie qui s'abattrait, mais la mort.
– Je ne vais pas le faire partir, me repris-je d'une voix impériale. Tu as toujours voulu mon bonheur, lui lançai-je la voix redevenant chancelante, tandis que je continuais. N'est-ce pas ? Tous les deux ! Ni l'un ni l'autre n'ont contribué à le faire. De belles promesses, oui. J'ai cru en vos belles paroles, j'ai cru que je pouvais compter sur vous deux. Au final, j'ai dû m'en sortir seule de cette impasse. Comme toujours.
– Ne dis pas n'importe quoi ! J'ai toujours été là, et lui aussi.
– Non, pas lui. Tu le sais très bien. Il a disparu, nous abandonnant tout comme mère. Tu as été là ces années durant, m'épaulant dans mon exil, mais après tu sais quoi, nous ne nous sommes plus parlé. Ce n'est pas maintenant que tu vas t'intéresser à ce qui m'arrive ! lui criai-je, sachant que je ne pouvais plus revenir en arrière, que nos blessures devaient être mises sous la lumière du jour.
– C'est toi qui as sali son nom ! Je suis ton jumeau, je serai toujours là pour toi, depuis notre naissance, et même après nos tragédies. Ne l'oublie pas. La famille pour maintenant, et l'éternité.
Il n'y croyait plus lui-même à ces paroles qui avaient bercé un idéal imaginaire et impossible pour nous autres immortels. Nous nous le répétions, toujours, sans relâche, y croyant plus encore que le cycle des saisons. Désormais, tout semblait trop lointain pour qu'elles résonnent en moi, pourtant, j'entendais un léger écho.
– Depuis toujours, jusqu'à ce que j'apprenne que je ne pouvais compter que sur moi-même. Tu n'as pas fait que m'aider durant mon exil, j'ai dû m'assurer que tu ne fasses pas l'idiot. Donnant donnant, comme ça aurait dû l'être. Comme ça l'est avec Hippolyte.
– Le passé est le passé, fulmina-t-il pourtant.
– Tu m'en veux encore, c'est ça ? Je l'ai vu, plus besoin de me le cacher. Cela fait cinq ans que tu ne m'adresses plus la parole, te refermant sur toi-même, et trouvant la consolation dans les lits. Avoue-le.
– Veux-tu réellement le savoir ? Non. Je ne comprends pas comment as-tu pu commettre ce crime, commença-t-il utilisant ce mot qui fit remonter une boule. Il était notre frère, tu le sais. Cousins de sang, mais dans nos cœurs notre frère, un lien plus puissant que des membres plus proches. La première fois, je n'ai pas su si cela était de ta faute, m'avoua-t-il sans que je comprenne à qui il faisait allusion. La deuxième, que constatai-je ? Que tu es démunie de cœur, me lança-t-il, et je sentis le couteau déchirer cet organe que j'étais pourtant censée ne pas ressentir. Tu restes mon unique sœur, ma jumelle, mais quelque chose s'est brisé ce jour-là. Tu le sais, tout comme moi.
Je ne pouvais détacher mes yeux des siens dans l'espoir d'y déceler ne serait-ce un réconfort, une preuve qu'il s'était laissé emporter, mais il le pensait. Les larmes montèrent, je redoutais cette conversation depuis ce jour. Ce qu'il disait, bien que je souffrais de l'admettre, était vrai. Et ces vérités me tueraient. Toujours. Sans nous en rendre compte, le chemin que nous avions emprunté était de creuser notre tombe pour nous y enfouir, et je ne cessais de me demander si nous finirions par nous rejoindre pour nous sortir de nos mausolés.
– Comment en sommes-nous arrivés là ? murmurai-je, éclatant en sanglots sans retenue.
Il me prit dans ses bras malgré ses paroles blessantes et je ressentis ce lien familial, bien que fragile, entre nous. Indissoluble, le pouvoir des jumeaux. Il restait plus puissant que tout, chose à laquelle j'avais douté, et dont les preuves pouvaient crier au contraire. Ce court moment de paix était nécessaire pour nos deux âmes. Je me blottis contre lui comme autrefois sur l'Olympe, partageant nos réalités, nos véritables esprits et passions. Nous échappant quelques fragments de l'or du temps.
– Je ne sais pas, me répondit-il après un instant, reprenant une voix rassurante.
– Comment ?
– Le destin est cruel, continua-t-il d'une voix qui affirmait qu'il était le dieu des prophéties, me serrant encore contre lui, et je ressentis sa tristesse profonde qui me brisa davantage.
– Pourquoi la mort toque-t-elle toujours à notre porte, à ma porte ?
– Nous sommes maudits, Artemis. Tu le sais aussi bien que moi, me dit-il se détachant pour me regarder droit dans les brèches de mon âme.
– Je n'ai jamais voulu tout cela. Mais... mais... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. J'ai cru qu'il m'avait tourné le dos pour de bon. J'ai cru qu'il n'était pas celui que je croyais. J'ai été aveuglée par une brume, je me suis convaincue. Il avait changé, tu le sais aussi bien que moi. Je l'ai renié malgré que nous avions grandi ensemble. Je suis désolée. Je. Je ne sais pas. C'est en nous ! Et je n'ai pas su la contrôler ! Crois-moi... Ce n'est pas ma faute... J'ai juste été victime de ce jeu, sanglotai-je, désespérée comme je l'avais tant de fois été, tâchant de taire ce que à quoi j'aspirais, m'accrochais pour fuir la noblesse d'où j'étais issue.
– Artemis, regarde-moi. Tu restes ma sœur, ne l'oublies pas. Ma jumelle, mais lui était aussi mon frère. Et tu l'as tué de sang-froid. L'espoir qu'il soit vivant s'est éteint. Tu le sais. Je n'ai aucune idée du pourquoi il est devenu ainsi ou ce qu'il a fait durant ces années, mais je suis certain qu'il ne t'a jamais tourné le dos. Il cherchait certainement une solution, et toi tu as été égoïste envers lui. Il a voulu agir en solitaire, ce qui l'a perdu, mais tu n'as pas été patiente. Artemis, tu es ma sœur, mais tu as provoqué la mort de mon frère et de mon meilleur ami. Il va me falloir du temps pour comprendre et te pardonner. Nous sommes par les circonstances restés seuls. Seuls au monde. Orphelins.
– Tu as une place à l'Olympe, contrairement à moi.
– Avoir une place ne signifie pas ne pas se sentir abandonné. Nous sommes plus semblables de ce que pensent les autres. Nous sommes maudits, nous sommes les uniques dieux qui ressentent ce plaisir bestial à tuer, plus profond que cette envie divine de diriger et contrôler, mais c'est notre secret à nous. Notre fardeau inconnu.
– C'est pour cela que tu recherches la compagnie ?
– Ce fut ma solution à moi pour survivre à tout ça comme la tienne fut de devenir reine, tapie dans les bois. Chacun à ses consolations. Chacun crée sa prison.
– Apollon... Je t'en conjure. Ne me dis pas que notre lien s'est brisé. Je t'en supplie. Tu es mon unique famille, tentai-je, m'accrochant à lui.
– Tu as ta communauté. Tu as Skotia et Phoebe. Tu as Athéna et Aphrodite.
– Apollon...Ce n'est pas la même chose. Nous sommes jumeaux. Tu es mon frère, ma dernière famille de sang que je considère comme telle. Je te demande. Ne laisse pas le passé nous séparer..., suppliai-je, le serrant à nouveau fort dans mes bras, souhaitant du plus profond de mon âme que nous redevenions inséparables comme autrefois.
– Cela est brisé depuis cinq ans. Depuis sa mort. Tu le sais aussi bien que moi.
– Je t'en supplie Apollon... J'ai besoin de toi. Cela fait trop longtemps que nous nous voyons plus. J'ai besoin de mon unique famille restante. J'ai besoin de toi, mon frère.
– Je suis désolée Artemis, mais cela va durer encore un peu si ce n'est pas pour toujours. Je ne sais pas si ce lien va se recréer, me répondit-il calmement sans délier mon étreinte.
– Apollon s'il te plaît. Ne me tourne pas le dos comme lui.
– Aucun de nous ne te l'a tourné, commença-t-il se détachant finalement de moi. C'est toi qui nous y as forcés. C'est pour cela que tu ne me laisses pas le choix. Malgré tout, je trouverai le moyen de te séparer de ton chasseur. Je n'ai aucune envie que ma sœur se retrouve le cœur brisé à cause d'un homme. Tu peux en être sûre. Je m'occuperai de lui et garderai malgré tout un œil sur toi.
– Non, Apollon, le suppliai-je.
Il fit demi-tour, sortant de la tente, ignorant mes prières désespérées, emplies de larmes salées, jaillissant de la brume de la nuit. Je pensais que ce ne serait qu'un coup de poignard de faire face à cette réalité, mais je n'avais pas imaginé que je serais poussée du haut d'une falaise.
– Apollon ! Non ! Je t'en supplie ! Reviens !
Mais il était trop tard, et la dernière chose que je vis à travers les pans fut un éclat de lumière. Il était parti, m'abandonnant. Je reculai de quelques pas, tremblante, et me laissai choir sur ma couche de peau et de paille.
Je m'y enveloppai, laissant les larmes couler d'abord silencieusement, mais ma peine ne pouvait être contenue. Un cri impuissant jaillit de ma gorge suivie de sanglots, de larmes et de gémissements. Elle voulait jaillir. Un autre cri. Pourquoi ? Je venais de perdre mon frère. Pourquoi ? Pourquoi venais-je de perdre ma dernière famille de sang ? Mon jumeau ? Ma moitié ?
Il était parti avec la promesse de se débarrasser d'Hippolyte, il le haïssait. Et moi, j'étais perdue. L'aimais-je ? Son baiser chaste... Je le refusais. Je perdais pied. L'amour entre mortel et divinité se finissait toujours dans le sang. Cette liaison était punie par les lois du divin, des immortels. Les amantes de mon frère, et les amants, en était la preuve morte.
Apollon, il m'avait tourné le dos, laissé tomber. Il était parti. J'avais mes deux sœurs, mes meilleures amies, mais j'avais besoin d'un meilleur ami. Quelqu'un qui pouvait lui aussi me protéger, m'éclairer.
Je ne supportais plus, n'en pouvais plus de ne compter que sur moi-même. La respiration me manquait, s'échappant par goulée, m'étouffant. Je ressentais le besoin d'avoir une épaule sur qui me reposer un moment. Hippolyte faisait battre mon cœur humainement, sans que je ne parvienne à taire ce sentiment accepté par ces journées, mais je ne le connaissais pas depuis bien longtemps. Il était différent, un jour peut-être, mais pour l'instant...
Pour la première fois depuis des années j'avais besoin qu'il soit là, j'avais besoin de lui. S'il était là, il ne se comporterait pas comme Apollon. Il revêtirait le rôle de grand frère, la figure de père, et m'aiderait. Il n'y avait pas de miracle possible, pas pour moi dans tous les cas. Je ne le méritais pas.
Je poussai un autre cri de bête blessée, et pleurai avec une puissance orageuse, serrant mes jambes contre moi.
Pourquoi ? Je ne pouvais plus que compter que sur moi-même, je n'avais pas le choix, je ne l'avais jamais eu. Une survivante à l'aube d'une ère tragique. Les paroles de mon frère étaient vraies. Je savais que je pouvais compter sur Skotia et Phoebe, mais elles semblaient concevoir d'autres plans.
Corinthe arrivait, j'aurais un moment de paix pour éclaircir mes pensées obscures et fracassantes de mon âme. Mon frère ne se préoccuperait pas de moi pour quelque temps, la tête ailleurs, mais j'aurais préféré qu'il soit là. Et Hippolyte, je devais faire un choix. Je n'y parvenais pas. Le bannir ? Céder ? Je n'en savais rien, égarée dans les méandres d'un temps inconnu. Un combat acharné avait lieu dans mon être, et je ne pouvais en parler à qui que ce soit.
Personne. J'avais besoin de quelqu'un, mais jamais je n'avais été aussi seule. J'espérais ne jamais me sentir aussi abandonnée que maintenant. Cette sensation de vide en moi était effroyable, un trou béant. Un organe arraché et la blessure saignante, envahie d'eau salée. Je fermai les yeux et psalmodiai.
Destin...
Toi tout là-haut ne fait pas comme si rien...
M'entends-tu ?
Me vois-tu ?
J'ai besoin de réponses...
Enlève de mon chemin les ronces...
Aide-moi
Je te promets je ne te décevrais pas...
Éclaire-moi sur mon chemin...
Cesse donc de t'acharner sur moi...
Montre-moi la lumière
Avant que je n'aie plus d'air
Et une dernière chose...
Fais qu'un jour je sois heureuse...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top