29. Danger
« It's not a crime
To love what you
Cannot explain»
Le silence de la forêt envahissait nos esprits, empêtrant le désordre de mes pensées au point de l'éclaircir. Le soleil éclairait la clairière des roses, entamant sa route vers la terre. La chaleur douce annonçait un jour idéal pour le repos, excepté pour Hippolyte et moi.
Nous nous toisions avec des yeux fermes, le visage limpide de toute expression. Tels des loups, nous nous défions sans nous affronter. J'enserrai plus fermement le bout de bâton tandis qu'un vent léger soulevait mes cheveux sans me forcer à ciller. Ni lui ni moi ne semblions vouloir lancer l'attaque, et je refusais de le faire.
L'une des règles était de ne jamais attaquer si nous n'en étions pas obligés, car les plus grandes défaites venaient des petites erreurs. Et quand bien même nous aspirions à l'éternité, l'oublie était une force.
Le moment devait être propice et démuni d'incertitudes et de doutes. Une règle noble qui aurait pu empêcher tant de combats vains, malheureusement mortels à l'image des dieux, passant outre, et nos jeux égoïstes rebondissaient sur les innocents.
Le bruissement des feuillages, nos souffles qui comblaient le vide, puis il s'élança à une vitesse étonnante. Par réflexe, mon bâton fendit l'air dans le but de parer le coup. Le virement du bois se répandit à travers mes bras, me menaçant d'ouvrir mes doigts. La brutalité dans le choc me sonna moins d'une seconde, mais un temps suffisant pour qu'il en profite.
Une violente poussée, et je tombai à terre, sans y rester bien longtemps. À peine touchai-je le sol que je roulai en arrière avec la grâce d'un fauve pour me remettre sur pieds, tout en m'éloignant ce qu'il fallait. Sans lui laisser le répit pour sourire, je l'attaquai à mon tour.
Il ne s'était pas attendu à ma réaction soudaine, mais il fut suffisamment prêt pour arrêter les coups que j'assenais sans forme de pitié.
Une danse sur l'herbe au rythme des rencontres bestiales entre nos armes de bois se répandit dans la clairière de sa mélodie tumultueuse. Je ne voyais que lui, ou du moins son corps et ses mouvements, me concentrant et oubliant le monde autour.
Cette force en moi que je commençais à dompter se libérait doucement sans l'être totalement. Je le ressentais dans la puissance de mes coups sauvages, mais maîtrisés. Je le savais. La plus grande partie de l'iceberg dormait dans mon âme comme le serpent du monde, et le jour où elle serait entièrement libre... J'espérais pouvoir la contrôler, et ni même cette fameuse source des réponses ne pourrait m'aider.
J'avais rapidement fait le lien. Elle était celle qui m'offrait ce plaisir lorsque je tuais et sans qu'il le dise, Hippolyte ne m'entraînait pas uniquement dans le but que je sache me défendre si un jour mes pouvoirs divins m'étaient ôtés. Je lui avais promis de résister, et il m'offrait des armes.
Je ne souhaitais pas être emportée par la lune comme ces jeunes enfants du nord, Bil et Hjuki. Du moins eux, pouvaient en échapper. Moi, tout n'était qu'image et une énergie sombre dans mon être. Pourtant, il m'avait promis que je pourrais la contrôler, la dompter, et m'en servir à ma faveur. Il me préparait à résister à l'appel de cette forêt, comme connaissant ce noyau meurtrier.
J'aperçus un tort ignoré de mon rival, une once d'erreur, celle qui pouvait faire flancher son arme et d'un mouvement souple du poignet, je le désarmai. Le bâton vola dans les airs et tomba à terre dans un silence meurtri. Fière, je le regardai droit dans les yeux, des lueurs de défis brillant dans mes pupilles.
Un sourire empli de malice se dessina sur son visage et je fus trop lente à comprendre. En un battement d'ailes, il m'arracha mon arme, me provoquant un gémissement de douleur qui m'était presque devenu familier, et je vis avec effroi mon bâton partir au loin. Nous n'avions désormais plus que nos mains pour combattre, et nous en étions délectés. Je ne me laissai pas prier, sachant qu'aucun autre choix n'était possible et que tout était permis.
Les heurts pleuvaient et je me défendais comme je pouvais. Il arrêta l'un de mes coups de pieds et tenta de me jeter au loin, mais j'empoignai son bras pour le lui tordre sans oser m'enrouler autour de lui pour l'étrangler. Les souvenirs de sa vie entre mes doigts restaient trop frais.
Je ne faisais plus que parer ses attaques, mais en donnais une lorsqu'une brèche se présentait. Il était plus doué que moi, uniquement pour le moment. Je finirais par l'abattre, ce n'était qu'une question de temps, et cette pensée fut accompagnée d'une goutte de sueur salée qui caressa ma lèvre.
La fatigue et la douleur étaient insensibles et les frappes fusaient bien trop vite pour que nous les suivions toutes, bien trop puissantes. Je me donnais corps et âme et lui n'utilisait pas toutes ses capacités. J'avais de plus amples possibilités de perdre que de gagner, pourtant, une chance, une issue victorieuse et fatale se présenta.
Une contraction de son muscle attira mon attention, il s'apprêtait à me donner un coup de poing et ce fut ce qu'il fit. À l'aide d'une des premières ruses qu'il m'avait enseignées, la barbare comme je l'appelais, je jouai. Sa poigne autrefois malicieuse se plaça de son plein gré dans le piège qu'était ma paume. Mes doigts se refermèrent et, utilisant toute l'énergie qu'il y avait mise, je la retournai contre lui. Tordant d'une manière particulière son bras, je l'envoyai à terre sans la moindre goutte de sueur.
Les yeux brillants d'admiration à mon égard me firent rougir, me faisant réaliser que je venais de gagner. Il se releva rapidement et m'offrit un sourire exprimant sa fierté que je lui rendis, abaissant ma garde. Je savais que le combat était fini, et il n'y aurait pas de leçon de la vie. Il ne tenterait pas, cette fois, de me pousser dans mes retranchements pour que je n'aie pas peur de ma puissance comme autrefois.
Il n'était pas un menteur, il déformait juste la réalité. Je l'avais appris et savais lorsque ses mots chantaient autre chose, ou ses gestes. Là, il était détendu, du moins, suffisamment pour me critiquer désormais.
– Je te félicite, commença-t-il ébahi par ma prestation. Tu apprends à une telle vitesse, c'est impressionnant. Tu es douée, je pourrais croire que tu es née pour celle que tu es entrain devenir et non celle que tu étais. Et je suis heureux de constater que tu as fini par ouvrir les yeux, m'avoua-t-il avec sincérité, gonflant mon cœur d'un égo surdimensionné. Une très bonne idée d'utiliser le coup barbare comme tu aimes l'appeler, se moqua-t-il.
– Elle n'est pas grecque, comment veux-tu que je l'appelle ? répliquai-je, et il attrapa ce que je venais de lui lancer.
– La technique de l'illustre prince... Hippolyte ? me proposa-t-il, sourire mutin au coin.
– Suffisamment égocentrique pour un prince, répliquai-je sur le même ton taquin. Même mon oncle Hadès trouverait cette idée excellente sans oublier Héphaïstos qui l'approuverait et Hermès, n'en parlons même pas ! Il l'adopterait, m'exclamai-je avec un rire, et espérant qu'il sache que je venais de citer les divinités pour lesquels j'avais une once de considération.
– En étant sincère, tu as du talent. Je me demande comment personne ne l'a vu avant et bien que nul ne t'y ait poussé d'une manière plus ou moins brutale ! Tu es une femme forte, avec des qualités, qui apprend vite avec de la volonté sans jamais abandonner. Tu es une déesse combattante qui sais se défendre, la preuve aujourd'hui ! s'extasia-t-il, me faisant rougir jusqu'aux oreilles qui devinrent plus cramoisis que les roses qui nous entouraient, car ses paroles venaient du cœur, et étaient accompagnées d'excuses pour la louve enfermée sur l'Olympe qui avait combattu pour une liberté, l'épée toujours au creux du cou.
– Je ne sais pas, bredouillai-je. Ils m'ont tous préservé de tout cela et une seule personne a tenté de me pousser à bout, mais je doute que ce soit pour ces attentions. Mon père n'a jamais apprécié que je m'y approche de près ou du loin. Nous sommes tout de même doués en guerre, depuis les légendes de la guerre des titans, ces temps anciens, mais cela fait bien des années que nous ne sommes pas en conflits, préférant les avancées de l'art. Mais un jour où l'autre elle éclatera, continuai-je posant mon index au coin de mes lèvres tout en réfléchissant. Nous restons avides d'exploration et de pouvoir, mais ne pouvons pas rivaliser avec l'Égypte, ou encore le nord sauvage, mais un jour notre domination s'étendra dans l'orient et l'occident. Je peux tenir cela de ma mère, elle vit en Hyperborée et y est originaire, aux côtés de Jotunheim et Vanheim, terre des Valkyries. Je n'en sais trop rien, d'où me vient tout cela, mais je te remercie des compliments, cela me touche au plus profond de mon cœur. Rares sont ceux qui me l'ont fait savoir, me confiai-je.
– Je te le dis avec toute la sincérité que je possède, sans faux semblants ni même de voiles qui déforment, tu peux en être certaine.
– Merci, murmurai-je, détournant un instant le regard de ces yeux si profonds qui brillaient d'une nouvelle lueur qui me faisait frémir, et l'étrange sensation ardente continua à naître, et elle datait de quelques jours.
– Il y a tout de même des imperfections qui peuvent mener à ta perte, reprit-il libérant mon souffle que j'avais retenu, tout comme le sien, et il sembla s'éloigner, luttant pour ne pas relever les yeux sur moi pour des raisons obscures. Tu paniques bien trop facilement lors de mes attaques, des instants de surprises qui te font perdre un temps précieux pour la victoire. Que je m'explique, tu n'es pas encore suffisamment attentive, et n'utilise pas ton instinct et tes sens. Tu démontres bien trop lorsque tu ne l'as pas vu venir, usant de l'énergie dans tes mouvements. Lorsque tu te bats avec ton arme, tu dois mieux savoir te protéger tout en étant en fluctuation, cette dernière chose tu t'en sers bien mieux. Sois souple et agile comme tu l'es. Par exemple, tourne ton bâton devant toi avec rapidité, tel un bouclier. Pour les mains nues, tu dois être plus en remous, en pleine action. Tu n'es pas loin de ta proie, mais en face et elle te voit, prête à se défendre et à te blesser. Tu peux bouger autour de ton adversaire, sans oublier de te protéger. Il faut que tu trouves le moyen d'avoir une plus grande palette de possibilités de victoires. N'oublie pas ton visage, il est trop à découvert. Je ne t'y frapperai jamais par trahison, mais les autres n'hésiteront pas un instant, c'est une partie sensible. Pour finir, observe les faits et gestes de ton adversaire. Ils t'informent sur ses futurs agissements, sur tout même, en particulier son état physique et psychique. Tes sens doivent rester en alerte, sans relâche, à chaque instant, tout le temps, sans exception. Sinon, c'est très bien.
– Merci et..., commençai-je, mais il ne me laissa pas finir.
Il me lança un coup de poing que j'interceptai avec peine, mais un croche-pied eut raison de moi. Je me retrouvai à terre, surplombée par un regard sévère qui s'adoucit, et je le maudis entre mes lèvres, ravalant les paroles de bonne foi. Cet homme était prêt à tromper.
– M'écoutes-tu parfois ? me demanda-t-il, tout en me tendant la main pour que je me relève, mais j'acceptai sa poigne avec méfiance.
– Nous n'étions pas en situation de combat.
– Nous sommes en combat constant avec le reste du monde, tu ne sais pas quand l'ennemi t'attaquera, répéta-t-il comme lors des précédents jours.
– J'ai compris la leçon, peinai-je à dire, et plutôt de lâcher sa main, je lui rendis la pareille, rancunière.
Il tomba au sol, surpris, mais je ne le laissai pas se relever. Je sautai sur lui, mon genou appuyant sur son torse, ma paume au niveau de son cou, prête pour que d'un mouvement je puisse atteindre le point sensible pour l'étouffer, ou l'égorger. Son souffle était tout aussi entrecoupé que le mien, mais son sourire provocant me fit rajuster ma prise sans le lâcher. L'une de mes mèches vint caresser son visage, mais il ne fit aucun mouvement si ce ne fut ce déviement des pupilles.
– À moi de m'exprimer, chasseur. Merci encore, je ne sais comment te remercier. Je sais que c'était notre dernier entraînement avant Corinthe et je ne sais si tu serais d'accord de reprendre après, car je le souhaiterais. Tu as gagné ma confiance, et ma protection. Sans pacte que je considère désormais sans valeur, car c'est mon choix.
Ma voix ce tu à ces mots que je savais ne dire qu'une seule fois. Je tentai de m'exprimer à nouveau, sans pour autant faire preuve de royauté dans mes gestes, abandonnant depuis quelques jours ces preuves de pouvoir, depuis que j'avais baissé mes armes.
– Je serais plaisé de continuer, m'interrompit-il.
Il s'était redressé sur ses coudes, son visage désormais plus proche du mien où mes mèches s'étaient collées de sueur. Du bout des doigts il vint les écarter pour révéler mon visage, et ma poigne ne bougea pas.
– Merci, je pensais que tu allais dire cela, prince caché, le taquinai-je, tentant de baisser cette étrange sensation qui naissait lorsque les lames n'étaient plus pointées en direction de nos cœurs. Pourtant, nous ne savons jamais ce que l'avenir réserve, et Athènes. Demain je serai à l'Olympe et le lendemain nous partons à Corinthe. Je souhaitais te remercier, te dire le combien je te suis reconnaissante. Cela est difficile de le dire pour moi, mais je t'apprécie énormément. Sache que tu es un excellent ami, finis-je ne sachant comment m'exprimer.
– Je n'aime pas beaucoup ce mot, me coupa-t-il, écartant sa main qui effleurait ma joue, ne laissant qu'une sensation glaciale sur ma peau qui me fit frissonner.
Mon cœur se serra. Avais-je émis mal le fond de mes pensées ? Venais-je de le blesser ? Un regard que je ne lui connaissais pas bien, aussi profond que les abysses, me montrait des nuances de bleu aussi glacées que la neige bleutée du nord. Contrastant d'une brillance étrange avec le vert devenu encore plus vif de ses yeux qui se mélangeait partout à ces tons bleus.
Il se redressa davantage, me forçant à le libérer de mon emprise, et ses doigts sans même me toucher, me poussèrent à suivre son mouvement. Nos corps se rapprochaient à mesure que nous nous reposions sur nos genoux qui fléchirent un instant avant de se tendre.
– Je n'aime pas le terme ami, me dit-il, mettant moins de mystère dans ses propos, et rendant ses mots telle une caresse lorsqu'il remarqua mon effarement.
Je sentis mon cœur commencer à battre doucement au changement de ce ton moins léger, effleurant doucement des susurrements qui étaient issus des désirs profonds, plus sauvages. Comme si nos faux semblants de douceur tombaient en fragments.
– Comment ? questionnai-je surprise sans savoir où il voulait en venir. Hippolyte, je t'aime beaucoup, tu es un ami, je suis sincère, ajoutai-je craignant qu'il ait mal saisi le sens, et que la chasse que nous avions effleurée à nos débuts n'éclate.
– Il se trouve que je t'aime aussi, commença-t-il plongeant ses yeux encore plus profondément dans les miens, mais pas en tant que simple alliée, ou amie.
Je restai statufiée, désormais lui faisant face, sans réagir. Bloquée, répétant en boucle ses paroles qui résonnaient en moi telle une évidence que je peinais à saisir. J'avalais doucement, les joues enflammées tout comme mon cœur. Venait-il de me révéler qu'il m'aimait ? Impuissante, telle une statue de divinité dans un temple, je le vis s'approcher de moi jusqu'à ce que nos souffles se mélangent. Le serviteur de l'immortel, l'amant prêt à tout.
Il n'y avait nulle ignorance permise dans ces sentiments qui émanaient de lui, de moi. Guettant mes réactions, sa peau brûlante qui m'effleurait poussait à éveiller une chaleur en moi. Je restai pétrifiée, les yeux qui s'étaient baissés pour le fuir. Il saisit mon menton délicatement pour le relever dans le but que nos regards se mélangent.
Il saisit doucement mon visage en coupe, et mes doigts vinrent entourer ses poignets sans le repousser. Son visage s'approcha jusqu'à poser son front contre le mien, patientant un geste de ma part qui ne vint pas. Mon corps me trahissant. Il combattait tout comme moi pour nous éloigner, mais il était trop tard pour nous, nous en étions conscients.
Je fermai les paupières, le cœur battant à tout rompre contre ma poitrine, des éclats de flèches qui me transperçaient pour libérer mon cœur de sa grotte, menaçant de s'enfuir, enflammant mon sang déjà ardent d'un désir interdit. Un désir que je réfutais, le sachant délictueux, et cette simple constatation ne faisaient qu'éveiller les instincts les plus incendiaires.
Le visage en feu, mais accueillant sans résistance ce qu'il s'apprêtait à faire, poussée par cette passion qui nous perdrait. Nos nez se frôlèrent comme les battements d'ailes d'une colombe, nos souffles ne formaient plus qu'un nuage épuré qui hésitaient, se cherchaient, jusqu'à ce qu'il pose ses lèvres sur les miennes.
– Artemis !
J'ouvris les yeux, éveillée et surprise, ôtée de cet étrange moment. Il se décolla de moi et recula de quelques pas. Haletant, tout comme moi, nous étions emportés dans une effervescence qui avait cessé bien vite. J'entendis les feuillages derrière moi se mouvoir.
– Vous êtes là !
Je ne répondis pas, tremblante, regardant Hippolyte qui s'éloignait discrètement, et je passai le bout de mes doigts sur mes lèvres humides.
– Tout va bien ? questionna Phoebe d'une voix étonnée, posant une main sur mon épaule, ce qui me fit sursauter.
Réagissant à son geste, je tournai la tête dans sa direction sachant que la couleur qu'avaient revêtue mes joues ne passait pas inaperçue.
– Je suppose que oui, répondit Skotia, me sauvant. Hippolyte, serais-tu bien aimable de ranger le tout ? Nous avons à parler d'une urgence avec Artemis, ajouta-t-elle d'une voix plus grave qui me refroidit.
– Aucun problème, répondit-il d'une voix maîtrisée bien que ses pupilles étaient dilatées, me fuyant.
– Excellent ! Tu viens Artemis ? s'exclama-t-elle, me tirant par le bras.
– Oui, je viens, répétai-je.
Nos yeux se croisières une dernière fois, me faisant louper un battement qui m'étouffa comme si je me noyais dans la mer. Un frisson remonta tout le long de mon échine avant que Skotia ne me tire et que je me retourne. Je les suivis, en silence, le regard perdu au sol.
Le bout de mes doigts frôla une nouvelle fois mes lèvres sur lesquelles le goût des siennes ne semblait pas vouloir disparaître. Me remémorer ce moment remonta une vague de chaleur issue d'un sentiment que j'ignorais et qui m'effrayait, colorant d'une couleur plus vive mes joues déjà carmin. Il m'avait embrassé et j'avais apprécié ce court instant. Que m'arrivait-il ? Au plus profond de moi, je le savais, mais je refusais. Ce désir qui m'assaillait devait redevenir braise. Et je ne parvenais plus à nous haïr.
– Artemis, qui est donc cet homme qui hante tes pensées ? me questionna d'une voix innocente Phoebe qui avait pourtant décelé la vérité.
– Personne, pourquoi un homme se logerait dans mes pensées ? tentai-je de plaisanter en pouffant, mais mon intonation étrange me trahit.
– Voyez-vous cela ? Pas même un chasseur, un prince mystérieux aux cheveux noir corbeau, au sourire charmeur qui t'a plus d'une fois provoqué, et aux yeux clairs hypnotisant ? me provoqua Skotia d'une voix presque sensuelle pour me tirer le vers de la pomme que je tapissais dans mon cœur.
– Il n'y a rien entre nous, m'emportai-je, provoquant un rire chez elle, et ma voix sonna étrange.
– Pourquoi donc tes joues sont cramoisies ? s'amusa Phoebe.
– Je m'entraînais et vous nous avez interrompus lors de notre pause.
– Il est vrai que nous vous avons coupé à un moment intéressant, ajouta Skotia, me faisant un clin d'œil qui me mit en rage.
– C'est un ami, j'ai bien le droit de lui parler librement, n'est-ce pas ?
– Juste parlé ? répéta Skotia. Rien de physique ? Ce n'est pas ce que nous avons aperçu, tu sais qu'il y a une tente pour ça ?
Je la foudroyai du regard, et elle ne fit que rabattre ses cheveux noirs sans me lâcher des yeux, me mettant au défi de revenir sur mes paroles. Je serrai les poings, me retenant de lui crier dessus. Bien que ses petits jeux de doigts sur son bras tandis qu'elle avançait n'attendaient que ça, pour me démontrer qu'elle avait bien raison. Tout en restant calme et feignant l'idiote qui ne comprenait pas, mais pour moi, son jeu ne pouvait être plus clair.
– Cesse de te mentir à toi même, tenta Phoebe.
– Laisse Artemis s'enfoncer toute seule. Je trouve cela tellement excitant ! se délecta-t-elle.
– Vous vous trompez, affirmai-je.
– C'est toi qui te mens, et il n'y a rien de mal à ressentir.
– Tu es tombée dans son charme, il fait battre ton cœur d'une manière différente... Accepte tes sentiments, ma chérie.
– Je refuse, lâchai-je soulevant les mains en l'air avant de les dépasser, mais je fus vite rattrapée, et leurs yeux amusés m'énervèrent.
– Vois-tu ? Tu te l'avoues !
– Je n'avoue rien, Skotia, tranchai-je.
– Je t'en prie, ma belle. Tu l'aimes, cela se lit dans tes yeux. Qui crois-tu tromper avec tes fausses paroles lorsque tu montres tout le contraire ?
– Je refuse de ressentir. J'ai un cœur de glace, ironisai-je, mais mes paroles sonnèrent vraies, car j'avais peur de me révéler, car j'étais noirceur, mort, sauvagerie et nul ne pouvait me ramener, car sinon je serais trahie.
– Tu ne peux en échapper ni nier. Je connais l'amour, tu le sais et moi-même j'ai tout fait pour oublier. Tu as beau le fuir, tu y tomberas toujours.
– Tu soupires pour lui, il est constamment dans ta tête et tu rougis ? Pourquoi te mentir ainsi ?
– J'ai fait vœu de rester chaste, d'interdire tout amour. Le romantisme me répugne, imitai-je une personne qui se reconnut et qui éclata dans un rire aigu.
– Le passé est le passé, et être romantique n'a rien à voir avec les sentiments. Tu ne peux échapper à un pouvoir plus grand que le tien, et crois-moi sur parole, je suis la fille d'Hécate. N'as-tu jamais entendu la légende que chacun avait une moitié ?
Si je l'avais entendu ? Elle était l'unique légende qui m'avait fait rêver en amour, car j'étais emprisonnée dans un idéal qui m'était destiné, et qu'elle était la seule issue qui serait décidée par un destin qui dépassait les autres. Et malgré tout, le soir, je la brûlais avec plaisir, car je ne voulais dépendre ni même d'amis. Tous les êtres aux penchants humains étaient liés à cette puissance, et même les dieux ne pouvaient pas y échapper. Ils pouvaient tout au plus qu'effleurer les fils.
Je m'y accrochais, la dernière légende tandis que chacune tombait, remplacée par le monde sauvage des bois, et elle-même s'était détruite lorsque je sus qu'elle n'était qu'une légende. Je préférais laisser ces mythologies amoureuses de côtés, ces soumissions qui me liaient à l'Olympe, préférant rester libre. Être enchaînée était ce que je redoutais le plus. Et j'étais prête à trancher ce fil d'une lame.
Pourtant, je ne pouvais le nier que mon destin était celui sur lequel je marchais, et non celui de l'Olympe. L'amour dépassait toute chose et toute volonté, car il ne se commandait pas, mais s'imposait. La vie n'avait cessé de m'endurcir, chaque jour, dans ce monde sauvage auquel je m'étais mariée. Mais mon cœur, je le savais fragile et empli de sentiments qui m'étaient dangereux et aujourd'hui, il battait à un autre rythme.
– Je le connais, je le redoute, je ne peux y échapper et jamais je ne l'avouerai.
– Vous passez vos journées ensemble, ton visage et plus rayonnant depuis que tu es avec lui, et j'en suis jalouse, n'est-ce pas Phoebe ?
– Tu es à nouveau heureuse, me fit-elle remarquer, et nerveusement, je passai une mèche de cheveux qui s'était échappée derrière mon oreille, haïssant cette évidence, et cherchant des yeux une flèche pour la tirer, sans en connaître sa cible.
– Je m'entraîne, évidemment que je suis heureuse ! Et nous sommes amis, tout est normal. Je vous assure, mentis-je une fois de plus.
– Je t'en prie, ma chère. Ton cœur est amoureux et il a ses raisons que la raison ignore. J'ai toujours rêvé de placer cela avec Artemis ! s'exclama-t-elle faussement émue, mais tout de même excitée.
Non pas pour mon propre bonheur, mais pour le jeu qui allait suivre, car pour elle, tout l'était.
– L'amour est cruel, j'ai bien vu ce qu'il sait faire. Tous m'ont prévenu. Je refuse de tomber dans ce piège comme tant d'autres. Je vous interdis de parier, ajoutai-je, les mettant en garde du bout de mon doigt.
– Au contraire, c'est le moment ! N'est-ce pas, Phoebe ?
– Cesse de te mentir, l'ignora Phoebe en s'adressant à moi.
– Laissez tomber, je ne suis pas amoureuse ! criai-je à leur égard.
– Vois-tu cela Phoebe ? Elle a tous les symptômes et refuse la vérité !
– Cessez, je vous prie. Je sais que l'Amour est cruel, la passion fait souffrir ! Et nous ne sommes qu'au début d'une nouvelle ère, celles des villes royaumes et les légendes sont déjà suffisamment nombreuses, mortelles et immortelles. N'as-tu jamais entendu parler de Nanan ? C'est toi qui me l'as raconté ! Elle vient de pénétrer à jamais dans le Helheim pour rejoindre son mari, Baldr, tué si récemment. Tout comme moi, elle est la déesse de la lune, dans l'empire nordique, précisai-je sachant que je n'avais nul besoin puisque ce fut Skotia elle-même qui me l'avait confié il y a quelques lunes.
– Tu as un combat intérieur, Artemis, cela se voit. Mais tu verras, bientôt tu accepteras et cela te rendra heureuse.
– Je ne suis pas amoureuse ! Et je suis très heureuse sans ce sentiment empli de frivolités.
Elles se jetèrent un regard complice et je soupirai. Un gloussement jaillit d'entre leurs lèvres et je les ignorai. J'accélérai dans le but de les fuir, mais sus ce qui s'ensuivrait. Je n'ai eu qu'à compter pour qu'elles piaillent à travers les bois, se tenant d'une épaule à l'autre et sautillant autour de moi comme des cabris.
– Artemis est amoureuse ! Artemis est amoureuse ! commencèrent-elles à chanter à tue-tête, et mes yeux de la pointe d'argent ne les firent pas taire.
Elles ne cessèrent pas jusqu'à arriver au campement, et continuèrent sous les regards suspicieux des chasseresses. Si l'amitié rimait à cela, je me demandais si je ne devais pas également bannir cette forme d'amour. J'entrai dans ma tente, laissant les rideaux se refermer derrière elles, et mon poing s'abattit contre un bois avant que je ne saisisse mes poignards que j'y plantais tout en m'adressant à mes sœurs.
– Vous avez fini ? questionnai-je, agacée.
– Son charme t'a envouté ! Tu es prise au piège, liée à jamais... Tu ne peux fuir et cesses ces soupirs ! finirent-elles avec des yeux sous-entendus.
– Merci pour ce sublime spectacle, les filles, pouvons-nous varier de sujet ? Quel est donc ce thème dont vous vouliez me parler ? les coupai-je rudement.
– Très bien, commença Skotia, changeant de ton comme elle changeait de vêtements, d'un claquement de doigts. Sache que tu n'es pas amusante, détends-toi. Le loup qui rôdait autour du campement... Il semble être revenu, lâcha-t-elle sans aucune pression.
– Et vous n'auriez pas pu me le dire avant ? m'emportai-je.
– Artemis. Calme-toi. Tu semblais heureuse pour la première fois depuis longtemps, nous n'osions pas t'en toucher mot.
– Comment faites-vous pour changer aussi vite de sujet ? criai-je.
– Nous ne sommes pas amoureuses comme toi, répondit calmement Skotia, me faisant rougir malgré moi. Vois-tu ? Tu rougis. Ton corps affirme nos dires, empli de désir, m'affirma-t-elle crument. Si tu veux bien revenir au sujet principal ? s'amusa-t-elle devant ma mine prise sur le fait. Bien. Comme l'a dit Phoebe, nous n'osions pas te déranger. Nous l'avions aperçu rarement, puis il semblait qu'il avait disparu et Hippolyte est arrivé ainsi que le voyage à Calydon, mais là... Chaque nuit, il rôde autour du campement.
– Chaque nuit ? répétai-je.
– Tu l'as entendu tout comme nous, Artemis.
– Oui, soufflai-je, mais je n'avais cru qu'à un loup.
– Et n'as-tu pas pensé que cela pouvait être un loup ?
– Non, Phoebe.
– Il est seul, continua-t-elle. Je m'y connais plus que Skotia sur ce sujet-là. Lorsque nous avions traversé le continent, nous avions vu un loup maudit par Lycaon. Je sais que les lycanthropes vivent en meute, et rares sont les solitaires. Ils ne sont pas comme ceux des îles ou du croissant. La plupart qui traverse les forêts seuls sont soit exclus de la meute soit en éclaireurs. Tu le sais, Lycaon est de retour et il pourrait très bien être un de ses loups. L'unique problème est...
– L'unique problème est qu'il n'est pas maudit, compléta la sorcière. Il ne semble pas appartenir à la meute de Lycaon. Phoebe a entendu les murmures des dryades à propos de ce loup, et moi j'ai ressenti l'énergie. Nous t'en avions déjà fait part, mais il vaut mieux répéter. Ce loup a comme si... comme si une magie très puissante et ancienne l'a bloqué, enchaîné, emprisonné, l'empêchant d'utiliser toute sa capacité. En humain, il est certainement très faible à cause de cela, mais ça n'empêche pas qu'il soit très puissant. Il l'est. Les chasseresses murmurent et tu ne peux pas les empêcher de savoir ce qu'il se passe réellement. Ce loup n'est pas maudit, ce qui signifie qu'il peut utiliser sa métamorphose et ses pouvoirs comme un don, comme un métamorphe et non comme les lycanthropes. Il est puissant, différent et dangereux, Artemis. La situation devient grave. En particulier qu'il n'y a plus de cadavres. C'est beaucoup trop calme.
Je passai une main dans mes cheveux pour me calmer, me questionnant sur l'acharnement du destin. Le calme avant la tempête. Et même Hippolyte avait fui sa présence.
– Demain, je serai absente. J'exige qu'aucune chasseresse ne quitte le campement. La vérité ne doit pas encore se savoir. Dans deux jours, nous partons à Corinthe. Je ne veux pas qu'elles soient préoccupées par ces problèmes. Demain soir, à mon retour, j'irai dans la forêt à la rencontre du loup, murmurai-je regrettant presque mon choix, mais il était trop tard.
– Artemis... As-tu entendu ce que nous t'avons dit ? me questionna la nymphe, inquiète.
– Je suis la déesse de la chasse et des fauves. Reine des forêts et du monde sauvage. Ils m'associent plus aux loups qu'aux lions.
– Et Lycaon celui des lycanthropes maudits, et il veut s'approprier tes titres pour les rendre sanglants en t'épousant.
– Skotia, ma décision est prise. Il ne réussira jamais, et je suis certaine que ce loup n'appartient à personne si ce n'est à lui-même.
– Mais comment cela se fait-il qu'un loup solitaire soit en Grèce alors qu'ils ont été bannis et que tous appartiennent à la meute de Lycaon ?
– Pas tous. Phoebe. Il existe différentes espèces de loups.
– Mais les lycanthropes aux alentours sont soit sur le continent soit à Chios et ils obéissent à Lycaon. D'où lycanthropes.
– Ma décision est prise. Faites ce que je vous ai dit sans poser plus de questions
– Nous sommes tes meilleures amies, tes sœurs, écoute-nous.
– Je vous écoute, mais ma décision est prise, tranchai-je, saisissant mes poignards avec lesquels je jouai un instant.
– Artemis, j'espère que tu ne fais pas d'erreur, laissa souffler Skotia avant de reprendre d'une voix grave. Dans les pires des cas, nous pouvons toujours envoyer Hippolyte te sauver héroïquement ! Comme Persée.
– Il serait plutôt Andromède, et Artemis Persée, ajouta Phoebe.
– Ne revenez pas sur ce sujet clos. Et Persée était prince, je suis reine.
Elles ouvrirent leurs lèvres pour déblatérer des absurdités, mais elles n'en eurent pas l'occasion. Une puissante lumière envahit l'espace avant de s'éteindre, propageant une onde qui fit vibrer la tente. Mes poignards en furent glissés dans leurs fourreaux à la reconnaissance de ce pouvoir.
– Artemis ! s'écria quelqu'un, autoritaire, à l'extérieur
Je restai pétrifiée à l'instant où je reconnus cette voix qui n'annonçait rien de bon, vibrant d'un ton semblable au mien lorsque je me laissais emporter et nul ne pouvait m'arrêter. Les rideaux s'ouvrirent sur mon jumeau qui semblait hors de lui.
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