28. Paroles de la Nature

Earth has music
For those who listen »

~ George Santayana.




Le vent caressait mon visage avec douceur, rafraichissant mes sens à vifs, sous l'arbre aux fleurs de roses. Leurs sentences effleuraient mes narines qui s'extasiaient de l'éphorie sauvage qui émanait du tronc. Entortillé par les ronces, son feuillage procurait pourtant l'ombre nécessaire au bien-être de ses feuilles aux nuances orangées par les rayons brûlants du soleil, ceux qui détruisaient le monde à son passage. Le plongeant par ce geste dans l'hiver au départ de la jeune fille aux enfers de l'île de Crête, répétant le rituel chaque année, depuis les titans jusqu'au crépuscule de l'univers.

Le chant des oiseaux résonnait entre les troncs solides de la forêt moins dense qu'elle ne le paraissait. Trompeuse par les vents qui dansaient à travers elle, amenant les airs de l'espace de la liberté. Les doigts de mes pieds caressaient l'herbe encore fraîche aux cristaux de glace qui apportaient la beauté des diamants à ses pointes. Déposant les gouttes froides à la surface de ma peau qui jouissait de cette sensation paisible. Les cheveux tombant en une tresse le long de ma poitrine semi-dénudée par le chiton détruit de mes nombreuses chasses et de la vie sauvage, la patience ne s'était pas ternie.

– Artemis ?

Je relevai la tête, et leur souris, révélant partiellement mes dents blanchies par le temps blessant, avec grâce ainsi qu'une certaine forme de respect envers ces deux divinités primitives de la nature. Ils étaient nés lors de l'époque des titans, la première nymphe, le deuxième dieu de la végétation, vénérés comme d'autres entités dont le nom avait déjà disparu. Mais peu à peu, oubliés eux aussi, laissant comme unique trace leur destin au sein des Achéens et de cette nouvelle ère qui à son tour, un jour disparaîtrait, abandonnant à son sillage ses faits devenus mythes. Des mineurs au cœur bon et sage de la nature, ses protecteurs qui liaient à mes côtés la civilisation aux forêts craintes.

Daphné se faufila entre les buissons pour me rejoindre, et son cœur de sagesse cognait contre sa poitrine solide qui ne s'agenouillerait devant aucun dieu. La chevelure brune qui aux rayons du soleil reflétant l'or restait toutefois châtains, bien plus que ses yeux qui à première vue étaient d'un beau brun qui s'approchait des noisettes éclaircies. Son demi-frère, enfant du même père, un dieu fleuve, la suivait. Les cheveux tout aussi bruns, mais les yeux légèrement plus foncés.

Ils partageaient tous deux des traits du visage similaire, ovale, nez fin, aux airs juvéniles, mais sa peau était plus olive que celle de la nymphe. Ils protégeraient la paix dans ces bois jusqu'à ce qu'ils s'éteignent, et deviennent des esprits ou génies souvent endormis.

– Daphné, la saluai-je sans dissimuler ma joie de la revoir après tant de mois durant lesquels elle avait préféré se soucier des nymphes qui souffraient des attaques barbares venues du nord que de rester et se prélasser aux bords des étangs.

Telle une reine, un titre qu'elle refusait, préférant simple guide, ou tout au plus protectrice.

– Je pense que tu te souviens de mon frère, Hya...

– Hyacinthus, évidemment que je me souviens de toi. Comment vas-tu ?

– Bien, je te remercie, Artemis, me répondit-il avec la sympathie qui lui était propre.

– Comment était-ce ? demandai-je à mon amie de toujours, celle qui m'avait présenté aux divinités mineures de la nature, et qui s'était partiellement vouée aux vœux de ma communauté, chassant quelques fois à mes côtés avec la grâce d'une biche.

Les souvenirs ressurgirent, lumineux, heureux, ceux qui rappelaient à ma mémoire enfouie que l'aide m'avait été donnée par des êtres au cœur d'or, aux valeurs qui suivaient mon chemin. Les lois de ce monde auquel j'aspirais avaient été présentées avec douceur et réflexion, et sans le moindre effort de me couronner reine de ces lieux dépourvus de tout contrôle et vivant indépendamment de chacun.

Les conflits entre divinités mineurs disparurent, se plaçant sous mes flèches, mais je leur laissais toute liberté contrairement à mes semblables comme mon oncle Poséidon qui, de son trident, menaçait tous ceux qui tentaient de mener à bien un fragment de son royaume qu'il ignorait. Le frère et la sœur restaient pourtant les troncs qui menaient d'un rêve à l'autre, de la reine à ses sujets, des messagers entre les feuillages et les pierres qui s'accumulaient aux pieds des murs. Tels des vizirs, ou des chefs de guerre pacifiques.

– – Tu as dû entendre les rumeurs des jeunes filles violées et tuées, m'affirma-t-elle, calmement.

J'acquiesçai avec une certaine douleur qui traversa mes pupilles, accompagnée de la rage de ces crimes. Le souvenir du corps de la jeune chasseresse lacérée, assassinée par ces barbares des frontières qui menaçaient notre royaume. Je me mordis la lèvre avant de lui révéler ma connaissance plus profonde que ce simple bloc de glace à la dérive des côtes de Jotunheim dans l'espoir de se poser sur le sable platine de l'Hyperborée.

– Ils ont assassiné une chasseresse, elle n'avait que quinze printemps. Nous avons retrouvé son corps lacéré, presque méconnaissable, avouai-je d'une voix froide à cette image qui persistait dans mon esprit.

J'en frissonnai, revigorant les morts de la guerre des forêts que j'avais causée par de simples paroles. L'assassine, la tueuse, la sauvageonne qui tentait de garder les poteries brisées en une seule pièce.

– Je suis navrée, me fit-elle part d'une voix sincère et douce, mais je levai la main pour lui faire comprendre que les choses étaient ainsi, mais que je ne laisserais pas couler doucement cet affront et déclaration de guerre.

– Ils démontrent clairement leur manque d'humanité, et il est exclu que je les traite de sauvages, car la nature possède des lois bien plus civilisées que ces hommes qui se prennent pour des dieux, tu le sais aussi bien que moi, tonnai-je, et d'une œillade, je vis Hyacinthus écarquiller les yeux sans pour autant fuir.

– Je suis en accord avec toi, Artemis. Abuser ainsi de femmes pensant que plus de muscles font d'eux nos supérieurs, ils devraient se souvenir que le matriarcat a été maîtresse pour des siècles durant et que nous sommes leur égale, et bien qu'antan nous nous accouplions avec cette brutalité, les îles murmures leur grâce à nos oreilles. Je suis née lors des titans, mais si les temps changent, je les suivrai. Le crépuscule s'approche de l'aube. Pourtant, certains ont été maudits et ne maîtrises par leur pulsion. Ils sont comme possédés par cette soif de sang, cet appel. Ils ne peuvent pas combattre, si ce n'est suivre. Les guérir, seule Circé le peut.

– Malheureusement, divinités et mortels ne sont pas les mêmes, s'exprima Hyacinthus, coupant sa sœur au cœur d'or, mais je sus à son éclat des yeux qu'il approuvait ses dires de pardon.

Il ignorait le dégoût réel que je portais à la noblesse achéenne, et même mycénienne construite sur les prêtres qui dictaient leurs lois, priant les nouveaux et anciens dieux, mais se jouant des prêtresses. Venaient les rois dans les palais, ces riches qui dictaient leur territoire, et ignoraient les paysans, menant les prêtres sous leur couronne.

Les peuples pacifiques d'autrefois étaient morts, liés à la nature et vivant dans leurs villages. Pourtant, bien que j'avais fui ces règles de grâce qui souhaitait se rapprocher des minoens, j'étais née avec les envies guerrières qui étaient la troisième branche de notre arbre.

Le goût du sang qui coulait sur notre épiderme, nous souillait de ces sentences délictueuses, de ces envies de puissance. M'y baigner était un plaisir que je refoulais, mais que j'appréciais tout autant que la sauvagerie meurtrière qui se mêlait harmonieusement aux lois de la nature de l'âge d'or, celle des titans. Un souffle jouissant s'échappa de mes lèvres avant que je ne lui réponde d'une voix encore animale et haineuse envers ceux que j'avais fuis.

– Je te rassure qu'au sein des dieux, Zeus est celui qui aura le dernier mot, à jamais. Pourtant, tu as bien raison, nous avons une liberté que les mortelles oublient qu'autrefois, elles étaient vénérées d'une autre façon, bien plus respectueuse. Filles de la terre qui les choyait, et que bien même elles participent à certaines activités, la flèche tourne de sens. Qu'importe, avez-vous des nouvelles ? Qui est-ce ?

– Je pense que tu le sais. Lycaon est de retour et les nymphes s'efforcent de garder les frontières avec les divinités mineures, ainsi que les satyres et autres êtres. Nous avons pourtant besoin de l'aide des dieux, les frontières faiblissent. Nous ne tiendrons pas plus longtemps, la guerre se prépare.

La voix douce, mais ferme à la fois avec laquelle elle avait prononcé ces mots me fit frémir de crainte. De nature aussi pacifique que son frère, Daphné ne s'emportait jamais, mais lorsque les occasions appelaient à la force, elle offrait l'assurance de son âme persévérante.

Les yeux pétillants loin d'être en colères, elle n'appelait qu'au devoir et à la justice, ignorant la gloire des guerriers de nos terres qui avaient apprécié les premières attaques du continent, renforçant leurs murs. Persée en avait été le premier, mais les êtres surnaturels souffraient. Le teint livide de la nymphe, démuni des éclats rougis de ses joues, ne laissait aucun doute quant au fait que la nature peinait.

Je la reconnaissais bien et dès lors qu'elle chassait, le respect qu'elle offrait était un exemple pour les jeunes qui recevaient ses paroles strictes, mais d'une caresse telle que la nymphe était devenue un reflet de la nature. Réfléchi, elle n'hésitait pourtant pas à délier sa langue pour clamer ses vérités, et son cœur d'or n'hésitait pas à s'éprendre d'amitié ainsi qu'à apporter son aide, et aujourd'hui, elle était décidée à sauver les êtres surnaturels du nord.

Les lois du monde sauvage qui m'appelaient m'avaient été enseignées par elle, me démontrant que le calme dissimulait la tempête des mondes, que chaque être possédait la nuit et le jour, trouvant sa place dans ces instants du cycle. Proies, chasseurs, ils faisaient tourner le monde de leurs armes.

Autrefois, l'harmonie existait entre humains et nature, mais ils s'éloignaient, la craignant, préférant bâtir que cohabiter entre les clairières, mais continuaient à y chercher leur survie, à la vénérer à travers d'autres divinités naissantes à la chute de l'âge d'or. Des nouveaux conquérants, ioniens et achéens. Pourtant, la paix qui existait en Grèce était morte à leur arrivée, et nos veines vivaient de cette soif de puissance et de sang. Les entités d'antan se pliaient, et le passé était devenu cendres.

Les bras croisés, elle me détaillait avec calme, patientant ma réponse sans toutefois me presser, mais son sourire avait disparu, laissant place à une lèvre pincée par l'inquiétude. L'effroi l'habitait, et elle peinait à le dissimuler sous ses airs indomptables sans toutefois être brutaux comme l'était Cyrène. Femme que je n'avais jamais appréciée, trop proche d'Ares bien que mon frère s'était épris d'elle.

– Je suis convoquée à l'Olympe tout bientôt, ils s'en occuperont.

– Zeus dirige, c'est un homme, il s'en moque, clama une voix jaillissant des sous-bois.

Le visage crispé d'une haine éternelle, la cicatrice qui barrait sa joue se distinguait sous les rayons du soleil. D'un geste brusque, Opis rabattit l'une de ses mèches crépues qu'elle avait toujours haïes, traces de son père et de son ascendance au-delà de la mer.

– Raison pour laquelle le conseil accueille autant de femmes que d'hommes, Opis, lui fit savoir avec une certaine gentillesse Daphné.

– Ils mériteraient de mourir, s'emporta-t-elle, et je vis la nymphe froncer un sourcil sans oser s'engager, connaissant tout aussi bien que moi son passé. Hyacinthus, le salua-t-elle, se dirigeant vers lui pour le serrer dans ses bras avec une telle force que je le vis fermer les yeux par le manque de souffle.

 La chasseresse remarqua sa fragilité et s'en amusa, engageant une conversation qui, bien que mouvementée, n'était qu'une façade de leur lien fort et étroit qui unissait deux êtres bien différents, mais qui avaient su se connaître.

Les oiseaux s'envolèrent à leurs mouvements effrénés qui battaient les airs et les vents qui peinaient à danser entre les feuilles. Les vêtements de lin du dieu et ceux de peaux de l'humaine se mêlaient dans l'herbe tandis qu'ils se jouaient l'un de l'autre. Que des fleurs entouraient les flèches d'obsidienne et que la pierre noire de son collier se voyait verdir par la nature, appelant à la lumière et à la joie inconnues chez l'esprit tourmenté d'une jeune femme qui avait souffert et était devenue pierre.

– Ils auraient pu s'aimer si leur cœur n'était pas épris du même genre, fis-je remarquer dans l'espoir d'engager à nouveau la conversation avec une nymphe dont la colère effleurait l'âme, et je la vis se radoucir.

– En effet, mais je pense que c'est grâce à cela qu'ils parviennent à s'apprécier malgré qu'il soit un homme, mais je doute qu'elle en fasse autant pour Zéphyr s'il le lui présentait. Il a tout de même kidnappé au temps des titans la déesse des fleurs devenue Chloris. Je le respecte, c'était d'autres coutumes, mais de la part de la chasseresse, j'en doute.

– Ils s'étaient mariés, n'est-ce pas ?

– Oui, elle a compris qu'il n'aimait pas les femmes, qu'il s'était découvert. Chloris l'a laissé partir vers un autre dieu de la nature qu'elle connaissait depuis bien longtemps, mais rien n'empêche les faits qui diffèrent d'aujourd'hui, et Opis laisserait l'estime qu'elle a baisser. Mais si elle est son amie, elle ne le fera pas et respectera le choix, tout comme je le fais avec toi, qu'importe ce que nous pensons en notre for intérieur.

Je soutins son regard d'un or noisetté et pailleté des éclats de lumière du Soleil, une divinité plus ancienne que Hélios. Elle paraissait calme et à l'écoute de mes paroles, et mes yeux foudroyants ne la découragèrent pas. Les doigts qui se tortillaient, mes prunelles se perdirent dans les cimes. La beauté des feuilles rougissantes qui tombaient doucement, parsemant le sol de leurs marques froissantes, nourrissant la terre de leurs cendres, m'envoûtait, hypnotisant mes sens comme les sentences de mes fleurs jaunes.

– J'ai entendu parler d'Orion, et je te laisse y goûter sans t'en empêcher.

Je gardai le silence, pinçant mes lèvres. La sagesse de la nature qui émanait d'elle ne me permettrait pas de falsifier ses propos, mais un regard reconnaissant lui fut offert à l'égard de sa compréhension. L'amour, les légendes qui deviennent mythes, Daphné y croyaient sans pour autant le faire à travers les prunelles dorées de la naïveté de Phoebe.

– Hippolyte représente un danger, mais il m'apporte un fait qui pourrait me sauver du courroux des dieux et de ce qui sommeille en moi, affirmai-je, et un léger sourire éclaira son visage.

– L'apprécies-tu ? J'ai su par certaines que ce n'était pas une amitié dès le premier regard, mais maintenant ?

Je pris un instant à répondre, et elle saisit que je commençais à l'apprécier, à accepter un mortel tel un ami, tel un chasseur au milieu de chasseresse. Et dans mon cœur, je ne l'acceptais pas encore, bien que doucement, nos journées susurraient davantage.

– Tu es tiraillée, me fit-elle remarquer. Il est normal, mais choisis bien. Tu m'as parlé, de cette autre facette.

– C'est la raison pour laquelle il reste, et ce que tu dis peut s'avérer juste, parvins-je à lui révéler, ma gorge brûlante.

– Je suis toutefois dans l'obligation de te mettre en garde. L'amour, je ne l'ai jamais connu bien que je me sois éprise autrefois, il y a bien longtemps. Mais il n'était pas celui des légendes, celui que les poètes chantent lors des fêtes riches qui remplacèrent celles des villages autour du feu de l'âge d'or. Fais attention, car tu peux t'y perdre, tout comme te retrouver. Nous sommes en guerre, accorde bien ta confiance, mais vis, pour une fois. Tu le mérites après tes combats, et ne te soucies pas du nord, mon frère et moi y sommes ancrés.

Elle se tut, et observa le jeune cerf apparu au centre de la clairière. Il broutait l'herbe sans nous quitter de ses yeux noirs. Les pattes tremblantes, il était nerveux et méfiant à la fois, craignant que la déesse de la chasse ne l'atteigne d'une flèche meurtrière.

Il ignorait que je le laisserais vivre, car malgré moi, j'avais dépassé une limite qui empêcherait ma flèche de se planter dans son cœur. Ses oreilles frémirent à l'entente des pas d'Opis et de Hyacinthus qui se cherchaient entre les bois et, lorsque leurs silhouettes se dessinèrent entre deux troncs, il disparut d'un bond, s'enfonçant dans la forêt.

Je ne le quittai pas, suivant ses mouvements fugaces. Les herbes écrasées sous ses pas possédaient les petites brindilles d'un vert obscur, marquant partiellement la terre de ses sabots comme le sang la nourrirait.

Le frère et la sœur n'étaient pas ignorants ni suppliants. Ils s'informaient et protégeaient ceux qui le méritaient, ou le demandaient, dont les habitants du nord qui subissaient les assauts, toujours dans la sagesse de la réflexion. J'aurais voulu être une souveraine comme eux, moins d'âmes en seraient mortes.

La crainte envahit mon être et mon nez inspira une goulée d'air avec aplomb. Lycaon était bien là, l'Olympe devrait leur venir en aide et ne tarderait pas. Les forêts connaissaient le danger, mais les cieux l'ignoraient-ils réellement ?

Il suffisait d'une étincelle pour que la nuit soit éclairée par la vérité des conflits futurs, et les êtres de la nature se tapiraient si le danger devenait mortel, espérant que les grands ne les sauvent. La naïveté de certains les empêchait de comprendre que l'empyrée ne se mêlait pas aux créatures de la terre, s'ils n'y étaient pas liés. Et la messagère des deux mondes, du sauvage et du civilisé se savait condamnée.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top