24. Déesse, Reine, Pion
«I don't follow the rules
I make them
And when necessary
I break them»
Il y a des années
Mes talons claquaient le sol, coléreux, fissurant à chaque pas le marbre. La cité des dieux, l'Olympe, s'étendait autour de moi. Sans que je n'accorde un seul regard à ce paysage divin, aussi doré que l'ichor. Je le parcourais avec rapidité, l'arc en main, les cheveux volant au grès du vent sans toucher mon dos. Ils l'effleuraient pourtant, piquant ma peau devenue blafarde d'une sensation vibrante.
Le diadème enserrait mon front, semblable à une corde serrant mon tendre cou. J'étais telle suspendue à un arbre, me laissant tendrement les derniers souffles de vie s'insérer en moi, m'offrant le jeu de jongler entre la vie et la mort sans la possibilité de me laisser tomber dans un repos éternel dans la lumière, ou les ténèbres. Je tanguais sur la frêle branche qui me soutenait à la corde.
Convoquée par mon père, le verdict de mes actes fin là, je craignais que ma malédiction transparaisse sous mon masque royal, impérial. La lune d'argent aveuglait pour dissimuler sa face sombre.
Des jardins colorés aux sources cristallines, des bâtisses aux couleurs vives, puis la colline se révéla enfin à moi à travers la brume qui la dissimulait. Elle m'entoura, s'enroulant autour de mes bras de son touché glacial autrefois brûlant. Les murmures des êtres d'au-delà le voile furent ignorés, mais leurs paroles acerbes ne m'échappaient pas.
Je contournai les palais destinés aux conseillers de l'Olympe, construits tout autour de la colline jusqu'au sommet, s'accordant aux goûts de chacun, parfois humbles, d'autres fois plus lourds que l'or de Midas. Les immenses portes du grand palais au sommet du mont enneigé s'ouvrirent à mon arrivée, me laissant débouler dans la salle de conseil. Des trônes disposés autour me toisaient avec provocation, encerclant de part et d'autre ceux du couple impérial.
J'aperçus mon paternel discuter calmement avec des hommes, un échange vif les animait. Je les rejoignis, mais m'arrêtai à quelques pas, attirant leur attention. L'expression de mon père était accusatrice sans toutefois qu'elle me surprenne. Il avait eu vent de l'acte débordant, mais il s'était noyé dans ma victoire. Les hommes avec lesquels il discutait venaient d'un empire du lointain orient. Leurs traits bridés, leur peau plus pâle que la nôtre et dissimulée du soleil. Suffisamment lointains pour nous avoir apporté leurs fruits exotiques qui brillaient sur un trépied, mais plus avancés que nous. Au niveau même des deux fleuves, de la Mésopotamie.
– Princesse Artemis, je suis ravi de vous revoir. Vous êtes d'une beauté digne de rivaliser avec plusieurs concubines de l'empereur ! s'exclama un prince, s'approchant de moi tout en s'abaissant jusqu'à baiser le sol.
– Reine Artemis, répondis-je d'une voix tranchante avant d'ajouter sur la même intonation dénigrante. Nul besoin de me le rappeler, je suis consciente de ma beauté sublime.
Un léger rire des plus ridicules s'échappa de leurs lèvres fines, n'accentuant que plus mon dégout à leur égard. Des princes venus négocier, me flattant comme si je n'étais qu'un objet. Ils ne devaient pas être de sang immortel, les dieux de cet empire étaient bien différents que les mortels qui les représentaient bien plus noyés dans le brouillard.
– Votre langue me plaît, vous auriez fait une excellente épouse. Il est bien dommage que votre père ait décliné notre offre, mais sachez que vous pouvez toujours rejoindre les dragons.
– Tiens. Vous avez demandé ma main lorsque vos paroles autrefois éprouvaient le contraire à mon égard. Nul n'a osé me le dire en face, si ce n'est un qui désormais a péri. Je ne suis pas intéressée, et préférerais combattre une armée de dragons que de vous rejoindre. Contrairement à vous, je suis reine. Je possède mes propres règles, rétorquai-je avant de poursuivre à leur vue outrée.
Un sourire au coin de mes lèvres était apparu, aussi sanguinaire que l'éclat de mes iris sauvages. Je les perçus reculer d'un pas, et je retins ma soif insatiable de les abattre.
– Vous venez négocier, saisissant l'occasion d'une guerre ? Je vois que le courage n'a jamais été en manque chez vous, puis vous vous dites dragons. Vos prouesses technologiques sont insignifiantes à nos yeux, car nous sommes sur un même niveau. L'unique différence est notre sagesse, la conscience, le courage, pour ne citer que quelques qualités.
– Nous possédons l'honneur, nous suivons un code imposé par les valeurs anciennes des anciens dieux ! s'indigna-t-il.
– Voyez-vous cela ? ironisai-je. Vous haussez la voix sur moi, vous êtes bien plus barbare que je ne l'espérais. Vous enfermez les femmes, choisies parmi les plus belles. Vous préférez mourir pour ne pas perdre un honneur qui vous enchaîne. Tout devient pêché. Dites-moi donc où est la civilisation, car je peine à la voir bien que je sois libre. Nous au moins, mourrons l'arme à la main, et je parle des Achéens.
– L'empire de l'Égypte possède un harem, vous avez passé des accords. D'autres empires aux côtés des deux fleuves également. Et la Crête est tout aussi raffinée que l'Orient jusqu'au fleuve.
– Être alliés et marchander ne signifie pas approuver leurs convictions, mais pas toutes. Nous savons avec qui négocier et cette mer est entourée par des fidèles qui nous ressemblent plus qu'à vous. Dites à l'empereur que nous ne sommes pas intéressés par vos délicieuses propositions, terminai-je d'une voix emplie de moquerie.
– Si c'est ainsi, toute missive est coupée, vous venez de perdre de précieux alliés, vous avez perdu toute l'Asie. Artemis, vous êtes tombée bien bas.
– Tomber est fait que pour mieux nous relever, prononçai-je d'une voix sombre qui le fit frémir. Nous nous contenterons du Proche et Moyen-Orient jusqu'au grand fleuve de l'Indus.
La porte se referma derrière eux dans un fracas qui fit trembler les colonnes, et mon être chauffé menaçait de précipiter ma haine sur eux à tout moment. Les paroles avaient filé telles mes flèches dans l'air. Je ne les retenais plus. Elles jaillissaient tel un torrent puissant, en écho à la tempête en moi, menaçant de me rendre folle.
Un regard aux fruits offerts. Le plateau sur lequel ils étaient posés était fait d'un jade d'un vert qui me rappela ses yeux poison. Je sentis mes poils se hérisser, il était revenu me hanter comme eux tous. Je détournai le regard, préférant le promener sur la salle, la détaillant avec plus de précision. Des fresques couleur olive de la méditerranée parsemaient les murs blancs.
J'aperçus des dauphins nageant dans des vagues légères, l'aigle pêcheur attraper un lapin apeuré, une lionne combattre un sanglier enragé. La précision des couleurs était gracieuse et riche. Quelques pierres émaillaient les peintures, ajoutant une touche de brillance dans ces couleurs vives, mais ternes. Ni même les cadres d'une peinture rougeoyantes n'apportaient une vivacité.
À pas lents, foulant le sol aux couleurs des éclairs, je me dirigeai vers un arbre planté à même la terre, un carré implanté dans la salle du trône. Je choisis une pomme dorée que je croquai avec avidité, refroidissant de sa fraicheur ma colère. J'envisageai enfin de me concentrer sur mon père qui me foudroyait. Au loin, le tonnerre gronda sans pour autant me déstabiliser.
– Ma fille, savez-vous ce que vous venez de faire ? me hurla-t-il, tandis que je croquai une nouvelle morse sans le quitter des yeux, impressionnée par sa maîtrise.
– Assurément, vous devriez me remercier.
– Vous avez fait fuir de précieux alliés par votre outrage, m'informa-t-il, et je ris.
– Ce n'est pas de ma faute s'ils se vexent si facilement.
Je le toisai telle une égale sous ses jugements. Sa chevelure brune était parcourue par des courants électriques qui se reflétaient dans ses yeux. Pourtant, il ne se laissa pas emporter par l'orage. Ce qui me fit hausser un sourcil qui se rabaissa à l'instant que je me souvins qu'il laissait sa colère tomber à l'encontre des mortels et à ceux à qui il ne devait rien. J'avais gagné ma plaquette d'échange qui me mettait à l'abri de toute sa colère. Mais par ses poings serrés, je compris que lui-même était conscient que s'opposer à la louve en moi était dangereux.
– Vous avez le don de briser toutes les alliances. Sans exception.
Il ne s'était pas retenu et ses mots piquants enserrèrent mon cœur un court moment. Les hurlements des victimes résonnèrent à mon oreille, mes rêves paisibles volés par les battements de la colombe. Les lèvres devenues sèches, je tardai un court instant à m'affirmer d'une réponse innovante, déviant la conversation contre lui.
– Voyez-vous ce plateau de fruits ? questionnai-je. Ils sont empoisonnés.
Je posai ma pomme entamée sur les aliments. Zeus observa, horrifié, le fruit perdre sa couleur, revêtant un manteau de velours noirs jusqu'à mourir.
– Un poison puissant, continuai-je. Mortel en temps normal, mais à vous, il ne vous aurait que rendu malade, vous plongeant dans une souffrance assourdissante. Ils auraient été les seuls à vous guérir et vous auriez été redevable. Intelligent. Il faut savoir se salir les mains pour arriver à ses fins. Soyez rassuré, je refuse de le faire, assurai-je.
Sans préciser que toutefois en perte de contrôle, emportée par mes combats, je tuais. Et que les fantômes des morts hantaient désormais les bois aux alentours du campement, m'appelant, m'attirant à la nuit obscure.
– Je n'agis pas dans l'ombre, même si j'y vis. Bien que reine et déterminée, je ne suis pas joueuse comme le sang doré, je préfère le direct, terminai-je, lui jetant un regard, et dans ses yeux, j'y lus un dégout profond.
– Qu'es-tu devenue, ma fille ?
– Celle que vous avez faite de moi, répondis-je d'une voix blessante. Je souhaiterais aborder ma place au conseil et, commençai-je d'une voix amère, la fin de mon exil. J'ai vaincu Lycaon, capturé son chef de guerre, et ses loups sont à Chios, dans les prisons. J'ai tenu ma parole, à vous de tenir la vôtre.
– Vous avez assassiné Oarion !
J'arrêtai mon geste qui caressait de ses doigts la surface d'une colonne. Les pupilles de mes yeux se voilèrent un court instant, nous montrant courant à travers les colonnes du palais dans un passé révolu. Tous les trois. Je clignai des paupières, laissant la brume apaiser mon cœur déchiré et les larmes qui avaient tant coulé pour des raisons que j'ignorais.
– Nul besoin de me le faire savoir, fut mon unique réponse dans une grimace dure, cachant ma tristesse profonde provoquée en partie par Apollon. Il s'est transformé, je n'ai fait que le punir comme vous le faites.
– Ce n'était pas une raison valable, ma fille. Il était un héros.
Je ricanai avant de serrer les dents, tapissant la bête en moi, menaçante, prête à sortir les griffes pour lacérer tous ceux qui jugeraient mes actes mortels.
– Un héros ? Pourquoi donc ?
– Il est le chasseur du sud.
– J'en doute, grognai-je, mécontente d'aborder une plaie encore vive qui me plongeait chaque jour dans les abysses. Les légendes courent sur ce chasseur, qui m'a par ailleurs aidé, précisai-je pour démentir ses paroles. Certains parlent d'une bande, d'autres d'un seul homme, mais le plus souvent, ils sont deux. Une légende vivante à laquelle nous pouvons attribuer un nom. Oarion est un prince, certes chasseur, mais prince de Béotie avant toute chose. Il a disparu cinq années durant, et vous-même ne savez pas ce qu'il est advenu de lui. Étrangement, je vous l'accorde, ce fut durant ce laps de temps que ce chasseur a fait surface. Il peut l'être, comme pas. Ce qui est sûr est que ce chasseur fait encore parler de lui, le peuple du sud le croit en vie et Oarion ne l'est plus. Un héros n'est qu'une figure, tandis que les mortels, eux, ne le sont pas.
– Les murmures parlent d'un criminel, m'informa-t-il sévèrement. Il faudra songer à sortir de ta forêt. Tous peuvent devenir des héros.
Je serrai les poings, blanchissant mes phalanges. Mes yeux quittèrent le ciel bleu azur à la brise rafraichissante pour affronter à nouveau mon père, croisant les bras pour lui montrer une indifférence aux affaires de ces mortels différents aux autres, possédant le don de faire entendre parler d'eux. Ils étaient appréciés, admirés, aimés.
– Vous dites cela, car vos bâtards sont en exil pour aller fouler les terres de la Grèce à la recherche de... rien ? La gloire, mais les monstres restent rares. Ils sont dans l'Autre Monde. Le chasseur du sud et moi-même nous occupons de la sécurité de la Grèce. Minos est le seul à pouvoir clamer sa réussite. L'ère des héros n'a pas encore frappé la pierre.
– Oarion était un héros, insista-t-il sans l'once de tendresse qu'il offrait à d'autres enfants, mais dans un autre but.
Celui d'attiser ma colère pour me blesser, me tenir enchaînée avec des paroles acides qui coulaient sur mes plaies. Pourtant je ne ressentais plus ses blessures, ou du moins ne les montrais plus.
– Cessez de dire des absurdités. Pourquoi l'associer au chasseur du sud ? redemandai-je.
– Son corps n'a pas été retrouvé, et il est recherché. Désespérément. Les villageois reconnaissent en lui le chasseur du sud. Le rapprochement est évident.
– Il est mort, articulai-je avec hargne. Son corps git au fond de la mer ! m'emportai-je. Nul ne le vit, ce chasseur.
– Et les feux dans le ciel ?
– Je ne sais pas, mais il n'est pas le moment de parler de lui, car vous êtes coupable.
– Le moment est choisi, bien au contraire.
– Il n'a été qu'un instrument à vos yeux tout comme moi, mais pourquoi serait-ce le moment ? interrogeai-je toutefois curieuse.
Un silence s'abattit un court instant, enveloppant nos âmes dans cette froideur de la mort. Un linceul sur nos visages avant qu'il ne s'exprime, méconnaissable.
– J'avais placé tant d'espoirs en toi, tant. Je me souviens lorsque tu t'asseyais sur le trône, m'avoua-t-il avec une nostalgie que je ne sus si elle était réelle ou feinte.
Pourtant, il se dirigea vers cette pièce de marbre et d'or, et passa sa main sur cette dernière, ravivant ainsi de lointains souvenirs. Ceux associés à la couronne à laquelle j'avais toujours aspiré. Un diadème entourant mon front, sans pour autant que mon corps soit revêtu des voiles de la noblesse et des riches, préférant la chasse des temps d'antan.
– Mais, tu m'as déçu.
– Déçu ? Vous m'avez forcé à faire ce que j'ai fait ! l'accusai-je, menant mes doigts aux deux poignards qui entouraient ma taille, offerts par la déesse de la sagesse et celle de la beauté.
– Pourquoi ne pas avoir accepté ton époux comme tous ?
– Vous avez choisi la mauvaise personne. Chez les divinités, les liens sont différents, certes, mais pas à ce point. Sur le moment, vous saviez les conséquences de cet acte révulsant aux yeux de certains, mais pas aux vôtres. Vous avez bien épousé Héra, mais nous ne sommes pas tous comme vous ! Nous ne le serons jamais.
– Oarion était là, ayant un lien suffisamment lointain, et vos cœurs ne devaient pas s'en mêler de cette manière ! Vous êtes devenus de parfaits inconnus l'un pour l'autre malgré les années, s'affola-t-il de ces lueurs dangereuses d'une folie aberrante, oubliant qu'avant nous étions une famille soudée.
– Pourquoi tout est-il parti en vrille à l'instant de votre déclaration ? Pourquoi les bases que je possédais encore sur l'Olympe se sont-elles effondrées ? Vous vous demandez pourquoi ? Car vous avez brûlé ce que nous aimions le plus, nous n'avons fait que suivre la flamme. Nous étions frère et sœur ! avouai-je enfin à vive voix.
Ma voix brûlait ma gorge, la rage sourde envahissait mon âme, frappant mon crâne de ses lames ensanglantées. Mon souffle manquant, je ne m'arrêtai pas pour autant.
– Un mariage incestueux, une folie que vous aimez voir et vivre contrairement à certains. Connaissez-vous la différence de sang ? Des sentiments ? Non, tranchai-je. Heureusement que le sang n'est pas le même lorsque les races changent. Malheureusement pour vous, je suis déesse et lui était un demi-dieu. Même sang, mêmes sentiments. Que cela entre une bonne fois pour toutes dans votre tête, car je refuse d'en parler à nouveau. Ces mariages fonctionnent dans certaines contrées pour conserver le pouvoir, en particulier en Égypte. C'est un pêché qui se solde par la mort. Vous n'avez rien entendu. Votre fille ne vous a jamais intéressé. Vous préférez Athéna, une fille légitime de votre première épouse. Je n'ai été qu'un pion, mais les temps ont changé. Vous êtes le pire des pères, finis-je d'une voix brisée.
Il s'approcha de moi, me lançant des éclairs dont les lacérations furent ignorées par ma peau déjà brûlée. Les yeux gris et bleu éclair de mon père n'étaient pas les miens. J'avais dû hériter ceux hazels de ma mère.
Le tonnerre gronda et il abattit sa main sur ma joue. J'en perdis l'équilibre et tombai à terre, la douleur fulgurante. Les picotements se propageaient dans ma joue, mais je retins toute douleur, préférant me relever, le regard noir, ignorant son geste.
– Je suis ton père !
– Nous n'avons que le sang. Je ne vous dois rien si ce n'est mon malheur.
Je ne regrettai pas mes paroles, malgré la gifle qui s'abattit sur mon autre joue. Ma tête partie de côté. J'encaissai sans rien dire, retenant mes larmes, tentée de me réfugier dans des appartements désormais vides où uniquement un vent glacial soufflait. La tête haute, je l'affrontai, car je n'étais plus la princesse qu'il avait voulu que je sois. Je ne l'avais jamais été, et je me maudissais de ne pas avoir affronté la réalité face à face.
– Je ne peux faire autrement, finit-il par s'exprimer. Il ne faut pas préoccuper les mortels, et pour des motifs qui vous échappent, je suis dans l'obligation de vous accepter au sein du conseil.
– Bien, répondis-je sans le remercier.
– Si je pouvais faire autrement, je le ferais. Ta rébellion ne m'effraie pas contrairement aux autres. Pour ton propre bien, j'ai dû t'enfermer entre ces murs. Ma décision avec Oarion vient des entrailles de la Terre. Les secrets de son royaume seront cachés à jamais par ta faute. Par chance, tu as au moins ralenti la guerre. N'oublie pas, tout était pour ton propre bien.
– Mon bien ? m'exclamai-je, le regard aussi foudroyant que le sien. Ne venez pas me conter des mensonges, je n'ai été qu'une pièce, telle une déesse mineure pour vous servir. J'ai été comme maudite, et je porterai ce poids ma vie entière !
– Tu étais la pièce la plus importante et la plus puissante de l'Olympe, me révéla-t-il, me coupant dans un élan dévastateur, volant ma voix. Une fois encore, tu as tout jeté aux enfers. Va donc dans ta forêt, nous avons perdu espoir de te récupérer.
– J'ai vaincu Lycaon et cessé la guerre. C'est ainsi que vous me remerciez ?
– Pars.
– Très bien, répondis-je, blessée par l'ignorance de mes faits, mais il se trompait.
Je ne leur viendrais plus en aide, car j'avais mon propre royaume qui ne serait qu'au plus allié à mon empyrée. Un dernier regard à cette salle qui bientôt accueillerait mon trône, que je tournais déjà les talons, interrompue à la sortie par les dernières paroles de mon père.
– Lycaon n'a pas péri, il reviendra et s'en prendra à toi. Tu n'as rien effacé, juste ralenti l'inévitable, condensant la guerre sur une seule personne. Toi-même. Tu causes la mort qui met fin à tout espoir. Alliances, puissances, aveux et la paix. Une guerre, deux guerres, la troisième ne tardera pas. Je te le garantis, tu seras seule.
Je ne répondis mot, et sortie de la salle, dévalant la colline, ses paroles tournant en boucle. Je valais aux yeux de tous pour des raisons qui m'échappaient. Et cette évidence, je l'avais elle aussi ignorée, car ils me l'avaient mieux dissimulé.
Mon rôle m'était inconnu, celui que j'avais endossé toutes ces années. Il venait de me faire ses aveux, sans me les montrer pour autant. J'étais importante, mais ses paroles ne me mettaient pas en confiance. Il m'avait menti et avait tenté de me retenir par ses semi-vérités. Je n'étais pas dupe. La curiosité titillait pourtant ma conscience. Asgard, ma prison de l'Olympe, Oarion, et ce royaume si cher aux yeux de père, celui du père mortel de mon frère. Hyrée, roi d'une région de Béotie, commerçant avec le nord. Et sujet de Zeus aux paroles plus mystérieuses encore des Pythies de Delphes.
La guerre d'après lui n'était pas finie. Lycaon ne pouvait toutefois revenir, je l'avais vaincu. La suite ne pouvait arriver, je le refusais. J'avais suffisamment souffert, suffisamment perdu. Elle ne pourrait avoir lieu. Je refusais de servir à nouveau. J'avais gagné ma liberté. J'étais une reine, une déesse, mais pas un pion.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top