23. Clair de lune
«Rivers of blood
The dark woods»
Les paupières closes, inspirant le vent frais qui de sa main douce, caressait mes joues devenues humides par la peur de ma propre personne qui ne faisait que me blesser par les secousses de ma poitrine, plus profondément encore. Les gémissements de la mère persistaient à résonner à mes oreilles tout comme ses paumes couvertes de sang qui s'accrochaient à son ventre, se vidant de son sang, assistant à sa fausse couche pour avoir courroucé une déesse.
Je ne le regrettais pas. Et cette sensation en moi s'éveillait pour d'autres raisons, plus obscures, mais qui devaient rester enfouies en moi, aux côtés des sentiments. Le plaisir de la vue avait été remplacé par ce qui me retenait encore, comme autrefois sur l'Olympe.
Je ne sentis sa présence à mes côtés que lorsqu'il déposa une cape sur mes épaules de ses mains raidies, me faisant tressaillir d'un sursaut. J'ouvris mes yeux dilatés, regardai un instant le ciel qui de ses étoiles brillantes d'une constellation en particulier, me donnaient l'impression de courir dans les nuits de lune solitaire accompagnée d'une âme qui me protégeait encore, malgré tout.
Lentement, je tournai ma tête sans émettre la moindre réaction à ce visage que je vis tant de fois, adressé au monstre que j'étais. Tuant sans regret, le cœur aussi froid que la glace, l'esprit aussi rigide que la pierre, dépourvu de l'éclat du métal rosé. Nous nous observâmes un moment dans le silence, échangeant par un regard refermé dans le mutisme sous les rayons argentés avant que je ne sois la première à détourner mes yeux. Les siens trahissaient ce que je ne souhaitais plus voir, mais qui pourtant me hantait encore dans mes cauchemars. Une haine à l'état pur que je lui rendais avec plaisir.
– Que fais-tu ici ? questionnai-je, fixant désormais l'horizon limpide d'une voix quasi inaudible.
– J'ai pensé que tu avais besoin de compagnie et que discuter ne serait pas de refus.
– Je préfère être seule, tentai-je d'un son frêle, submergée par ce sentiment qui m'envahissait toujours après lorsque la part humaine en moi réagissait, et je sentais l'emprise des chaînes de l'empyrée noble sur mes poignets. Et te comporter ainsi ne changera rien quant à ta destinée.
– Personne n'aime réellement la solitude.
– Mais elle protège, soufflai-je sans préciser si ce verbe s'accordait aux autres, ou à nous-mêmes.
– Je te comprends, répondit-il sincèrement, avant de laisser un silence. Je souhaiterais que tu m'appelles Hippolyte, qu'importe le sort que tu m'as réservé, qu'importe comment ils me nomment. Porter le nom d'un héros n'est pas juste et, commença-t-il hésitant avant de continuer. Je ne suis pas fier de mon passé de Candeon. Nous avons tous des secrets, un jour je te révélerai les miens. Je ne suis tout simplement, pas près. Pas encore, finit-il presque dans un murmure qui suffit à traduire l'ambiance de ses secrets, mais sa voix à l'évocation du héros tombé me fit frémir par cette intonation.
J'inspirai longuement, m'imprégnant de l'air frais. Hippolyte, il le souhaitait ainsi. Le chasseur de Trézène, un nom qui lui sied, du moins, aux connaissances que je possédais. La curiosité d'en savoir davantage sur son passé m'effleura avant qu'elle ne s'évapore.
Lui et moi étions semblables, nous ne souhaitions pas qu'ils nous découvrent, qu'ils décèlent cette faille dans nos êtres. Et je le détestais pour cela, percevoir cette part de moi dans ses pupilles. Ces secrets que nous dissimulions au profond de nos cœurs, devenant des mystères aux yeux de l'univers. Les sombres secrets que je gardais commençaient pourtant à vouloir se frayer un chemin, et je sus que la fissure la laisserait s'échapper. Cette folie aveuglante pour des instants d'un éphémère transformé en éternel.
Un regard aux étoiles qui m'incitaient à les partager, ne plus refaire cette erreur qui avait coûté des vies. Je ne m'étais jamais tue comme d'autres femmes, mais les partager avec un homme était inconcevable, sauf éventuellement avec lui. La confiance que je lui accordais dépassait tout raisonnement logique de mes convictions, et cette même confiance me poussait à ne pas le condamner à jamais. Il s'était jeté dans la gueule du loup sans en connaître les conséquences. Et je ne voulais pas en payer le prix de sa damnation. Le métal sur mon front s'allégea.
– Il vaut mieux que tu partes, fut mon unique réponse soufflée, se perdant dans une brume glaciale et refermée.
– Pourquoi donc ? persista-t-il, cherchant une faille, un moyen de garder ma protection basée sur un mensonge, mais un pacte ne pouvait être rompu si ce n'était le bannissement.
– Tu m'as vu au grand jour, j'ai provoqué le sang. Si tu veux vivre, fuis-moi. Il vaut mieux pour toi, ordonnai-je presque d'une intonation ferme.
– Elle méritait son châtiment, avoua-t-il d'une voix devenue rauque à l'évocation du sang.
Je plongeai mes yeux dans les siens, le mettant au défi de ne pas les dévier de ceux de la meurtrière. Nullement intimidé, ou du moins il ne le laissa pas transparaître, il ne détourna pas le regard, m'incitant même à continuer, me libérer de ces démons qui me poursuivaient sans pitié. Ils s'étaient tus ces dernières années, mais désormais, ils s'éveillaient. Ce n'était pas le hasard, je le sentais, uniquement la destinée. Il fit volte-face, son corps imposant face à moi jusqu'à ce que nos souffles de brume ne se mélangent. Mes lèvres fissurées s'entrouvrirent lentement.
– J'allais la tuer Hippolyte, j'ai tué son enfant, j'étais prête à la tuer, mais je me suis reprise, préférant maudire sa famille. Ôter la vie pour de simples paroles, même pour une divinité, ce n'est pas commun. Je suis un monstre, ne le vois-tu pas ? lui demandai-je d'un ton rigide, mais flanchant. Ce que je touche, je détruis. Tous ceux qui m'approchent finissent par mourir, ou s'ils ont de la chance, ils goûtent à la souffrance éternelle ! hurlai-je d'une voix soudainement humaine sans verser la moindre larme si ce ne fut une perle brûlante sur ma peau glacée.
– Si tu veux me tuer, tue-moi, mais ne me bannis pas.
Je m'approchai davantage de lui, le toisant de mes yeux foudroyants qui semblaient briller comme la lune dans la nuit. Il recula doucement jusqu'à ce que son dos ne heurte le tronc d'un arbre. Ma main se présenta à la hauteur de son visage, et une flèche argentée apparue, la pointe tâchée des sangs des vies que j'avais ôtée. Sa respiration s'entrecoupa lorsque ma poitrine vint effleurer son torse, l'immobilisant telle une proie contre un bois.
– Que ne comprends-tu pas dans mes mots ? questionnai-je d'une voix devenue animale, et une ombre passa sur son visage, le durcissant, le rendant à son tour dangereux.
– À toi de me le dire, me provoqua-t-il. Princesse.
La pointe de ma flèche s'enfonça dans sa peau, et la goutte de sang que j'avais déjà fait couler s'accrut, rejointe par d'autres sœurs. La couleur était plus écarlate, plus profonde que ma simple menace sur notre chemin au palais. Désormais il n'y avait de jeux entre notre pacte d'alliance, car nous avions les deux à perdre et non plus que moi. Lui en danger à Athènes, et moi face aux dieux qui me puniraient s'il s'avérait avoir un lien présent malgré la haine de la maison royale.
– Je suis dangereuse, donc pars d'ici avant que nous en payions le prix. C'est un conseil, chasseur, grognai-je. Tu le sais aussi bien que moi, tu me l'as dit, tu m'as confié savoir ce que je ressentais.
Mon souffle s'arrêta, épuisé par ces mots libérés doucement dans les airs, mais avec une colère assourdissante de ces sentiments sombres et obscurs qui nous engloutissaient dans nos nuits.
– Tu me hais donc pour ça. Parce que tu te vois en moi, et tu ne sais pas si me garder pour t'en sortir, ou me tuer pour oublier ton reflet, lâcha-t-il d'une voix étrangement calme, posée, comme lisant davantage en moi, ressentant cette sauvagerie, et de courts instants je me tus avant de lui répondre.
– Et toi, pourquoi me hais-tu ? Tu as peut-être trouvé protection, mais je perçois dans tes yeux tes sentiments contradictoires au pacte. Pourquoi ? Et ne me mens pas, cette fois.
Il tarda un moment à répondre, et aussi malin que les loups, il saisit la flèche pour échanger nos positions. Mes poumons se contractèrent lorsqu'il se colla à moi pour m'immobiliser contre le tronc de l'arbre, et des fragments de glace semblèrent éteindre le feu en moi, me coinçant. Mes yeux baissèrent un instant sur la flèche qu'il avait positionnée sur mon cœur, sa main posée aux côtés de mes yeux, de ma joue, sans l'effleurer. Sa marque était pourtant ardent, et nos souffles accélérèrent.
– Tu le sais.
– Oarion ? J'ai perçu ton regard lorsque tu as compris que j'étais Diane. J'ai vu comment tu as réagi à l'évocation de la princesse, et ne pas emprunter ton similaire comme nom.
– Tu l'as tué.
Un sourire brisé, déformé par les souvenirs se dessina sur mes lèvres, mais nul ricanement ne s'échappa à son expression ferme, à ses doigts qui enserraient une arme si proche de mon cœur. Et je ne fis aucun geste pour me libérer de son emprise, car lorsque la punition touchait mon être, je la laissais m'abattre, et m'abandonnais à la destinée. Je n'étais plus déesse, j'étais une assassine qui regrettait cet unique geste.
– Je l'ai tué, et je le regrette. Tu ne sais rien de moi, d'accord ? Et tu n'es pas le seul à m'en vouloir, et si tu ne veux pas payer le prix de ce héros, pars.
– Je ne partirai pas.
– Tu me hais, comme je te hais. Donc pars, car je ne peux pas te tuer. Tu l'as dit toi-même, comme moi la tienne, tu ne peux pas abattre ma vie, chasseur, laissai-je ma voix impériale résonner, sans quitter mes yeux des siens.
– Un pacte, nous avons passé un pacte. Et toi, comme moi, le savons vital. La haine est là, car nous nous reconnaissons, alors pourquoi ne pas baser cette alliance sur une entraide ? Tu as tué, tu es brisée, comme je le suis. Nous savons ce qu'est danser, donc parle-moi pour que je te comprenne et que je te montre que je suis bien ton reflet. Tu l'as peut-être tué, mais c'était du passé.
– Tais-toi.
– Non, tu m'apprécies parce que je te ressemble, et je t'apprécie, car je t'admire.
– Tais-toi, répétai-je, les dents serrées, mais il ne fit que lâcher la flèche qui tomba au sol dans un éclat de lumière et de sons pour venir positionner ses mains de part et d'autre de mon visage, abattant son souffle brûlant sur ma peau.
– Je ne me tairai pas jusqu'à ce que tu commences à voir la vérité en face, princesse. Tu m'as offert ta protection, je suis prêt à te montrer que je te suis dévoué, et je ne l'ai jamais été une seule fois dans ma vie. Artemis, écoute-moi, parle-moi, car tu le sais.
J'avais fermé mes yeux, ses paroles poignantes qui touchaient les profondeurs de mon cœur, éveillant comme il en avait été mainte fois à travers ma vie ce que je dissimulais. Il n'était pas le premier, ni ne serait le dernier, mais les êtres ainsi étaient si rares.
Mes paupières papillonnèrent lorsqu'elles sentirent une larme couler, et il tut ses paroles qui me poussaient à ouvrir les yeux, à me voir en face pour parvenir à sortir de mes cauchemars qui s'étaient tus, mais restaient présents. Et je ne souhaitais pas faire cette paix, qu'importait ce que mes sœurs disaient, l'ayant poussé à venir vers moi, car j'avais peur.
Il s'approcha doucement de moi jusqu'à ce que nos nez se frôlent, le visage désormais inexpressif, et, de son pouce, il vint essuyer la goutte salée qui avait coulé le long de ma joue, honteusement. Avec cette délicatesse pourtant rude, il effleura mon bras tout en me libérant de son emprise, me provoquant des frissons qui remontèrent le long de mon échine. Je retins mon souffle jusqu'à ce qu'il s'exprime sans me lâcher des yeux, toujours proche de mon visage.
– C'est pour cela que tu t'es retirée dans la forêt ? affirma-t-il calmement, sans ajouter un mot qui me pousserait à avouer, car il avait ôté la lame du poignard de ses mots.
Je fus prise de court, et mordillai ma lèvre inférieure, cherchant les bons mots pour lui révéler mes véritables raisons. Il n'y avait pas de possibilité de tourner mes talons désormais, il avait réussi à ouvrir le cœur de la bête qui n'était pas parvenue à l'éloigner. Et cette part d'humanité, cet instinct éveillé lorsque nos yeux se croisaient poussèrent mon esprit à réfléchir à la réponse. Une trêve dans la chasse sans qu'elle n'ait débuté, car tout n'était qu'un jeu pour ne pas se faire attraper, et se trahir.
Pourquoi ?
Au-delà de l'envie de posséder mon royaume, de mon rêve de devenir reine, de cette soif d'être puissante, de montrer aux hommes que la voix des femmes ne s'éteindrait jamais, de refuser la vie commune avec les mâles que je dénigrais... Je possédais une autre idée en tête.
Une pensée tout d'abord instinctive jusqu'à ce que je réalise qu'elle se tapissait en moi depuis mon premier pas dans la forêt. L'envie de me cacher pour ne pas incendier le monde. Et il l'avait compris, et pour ces raisons je ne parvenais pas à le repousser. Il me tenait entre ses doigts, la juste balance à la vie que je maîtrisais désormais.
– Je ne veux faire de mal à personne, murmurai-je. Les monstres vivent tapis dans l'obscurité des bois, je ne fais que les côtoyer. Ce n'est pas pour rien que je suis la déesse sauvageonne des fauves, des bêtes.
Je sentis mes sentiments revenir en moi, ma sensibilité tant haïe, celle qui m'obligeait à voir ce que j'avais commis, soutenait mes paupières pour que j'assiste aux massacres de l'existence. Les actes accomplis de mes mains souillées parsemaient le monde depuis les forêts enneigées du nord jusqu'aux plages de la Crête.
Les doigts désormais brûlants d'Hippolyte qui fondirent la glace qui me retenait vinrent saisir mon visage en coupe avec douceur, m'obligeant comme eux à ne plus fuir ce que j'avais planté dans la terre mère, en offrande à tous ceux qui crachaient sur nos anciennes supériorités. Je ne cherchai pas à m'en échapper, sentant naître une nécessité d'entendre. Ma main glissa malgré elle en direction de mes poignards, et il s'approcha pour la bloquer de ses jambes dans un petit sourire au coin, comme amusé.
– Tu n'es pas un monstre, m'affirma-t-il d'une voix plus dure qui contrastait avec ses gestes.
– Je le suis et pour protéger ceux que j'aime, je dois m'éloigner d'eux, soufflai-je, le menton relevé. Tu viens de me le dire, la forêt est là pour m'empêcher de faire du mal. Ce n'est pas mon royaume, mais ma prison. J'ai toujours été emprisonnée.
– Non, tu n'es plus enchaînée par des chaînes, tu as délié les liens qui te retenaient à l'Olympe. Tu t'es brûlée les ailes en tombant du ciel, mais par cet incendie qui te détruit tu renaquis de tes cendres sur terre, ton véritable antre.
Je me tus un instant, laissant résonner ses mots que je voulais croire dans mon âme tourmentée. Il était si facile de déblatérer de douces paroles lorsque tout n'était qu'une vaste supercherie, de simples masques qui cachaient la vérité aussi sombre que les ténèbres qui effaraient. Je n'avais jamais eu d'ailes, j'avais toujours appartenu à la terre, malgré le croissant sur mon front.
– Tu ne sais pas qui je suis, tu ne sais pas ce que j'ai accompli pour arriver à mes fins.
– Et toi, sais-tu qui tu es ?
– Artemis Diane Olympe, la princesse parfaite et rebelle à la fois. Celle qui provoqua une guerre en deux phases, ôtant la vie à tant d'innocents. Réduisant au passage de mon enfance tout lien à néant entre l'occident et la Grèce, sans oublier le lointain orient. Je suis l'origine des destructions tout en étant leur fin. Et ça, nul ne me l'enlèvera.
– La puissance est à toi. La destruction de ceux qui enchaînent est ton âme. Pourtant, tu te mens à toi-même, tu n'es pas responsable de la décadence de ce temps. Nous entrons dans l'ère de l'histoire, les mortels créent des royaumes. Dans toute civilisation, il y a une part de chaos, répéta-t-il avec une once de crainte semblable à la mienne lorsque je reflétais les paroles d'autres sans sens. Nous détruisons, mais ils nous nomment de monstre, car ils nous craignent.
– Là est tout le problème, avouai-je. Les flammes du chaos, les ronces des roses, les vagues abyssales de la mer, les tempêtes dans le ciel... Elles attirent, mensongères, avant de détruire.
Mes paroles tranchantes, meurtrières aussi menaçantes que la lame qui fut glissée au creux de son estomac tel un dernier avertissement, ne suffirent pas. Il s'approcha davantage, saisissant ma poigne avec douceur pour me l'enlever, et la glisser dans son fourreau sans me quitter des yeux, au défi de faire le geste qui me condamnerait, tout comme lui de me révéler les raisons de son acharnement.
Son visage s'approcha davantage du mien jusqu'à ce que nos nez se frôlent, ne se touchent, et ma main se posa sur son torse à la hauteur de son cœur, y implantant mes griffes tandis que ses mains venaient se figer aux côtés de mon cou qui frémit à peine. Nous nous toisions, nos lèvres entre-ouvertes qui aspiraient l'air, patientant que nos mots persistent à couler pour éloigner nos corps avant qu'ils ne brûlent et réduisent en cendres l'herbe.
– Ouvre-toi aux paroles des autres, continua-t-il, endurci, ses yeux ne quittant pas les miens. La guerre était destinée à éclater, les empires ne pourraient pas cohabiter éternellement, et le commerce peut recommencer, mais pas pour des siècles. Le monde tourne. Tu n'as été que l'étincelle nécessaire pour allumer un brasier déjà ardent, mais n'oublie pas que c'est toi qui détenais ce pouvoir.
– Être consciente de ce que nous valons, n'est pas suffisant, repris-je, ma voix s'essoufflant tout comme la sienne. Je reste l'instrument de leur décadence qui devint la mienne. Je l'accompagne, je ressens ce que je brûle. Tu connais l'histoire, la guerre des forêts à laquelle l'Olympe est resté muet aux appels de désespoir, puis Lycaon, qui a dévasté des régions blessées.
– Tu as mis fin en Crête, tu as capturé le bras droit du tyran, de Lycaon.
– Une chose n'empêche pas que je reste la source de ce torrent ravageur ! hurlai-je, plantant avec force mes ongles qui marquèrent sa peau pour taire ce qui jaillissait, et je sus qu'à cet instant la douce rose que je laissais paraître par mon désespoir devenait la rage des épines.
Il ne bougea pourtant pas, venant mêler ses doigts à l'une de mes mèches, comme se contrôlant, conscient de ce qu'était de vivre, et d'avoir trouvé la main qui ramenait la part humaine.
– Nous pouvons toujours réparer ce que nous avons fait, Artemis, m'assura-t-il, saisissant mes poignets pour que je lâche prise, que je me souvienne que je restais une protectrice, et non une destructrice.
– Lorsque tu laisses un silex tomber au sol, des éclats s'échappent, entaillant les paumes environnantes, et jamais tu ne peux les joindre à nouveau à cette pierre.
– Je te pensais battante, je pensais que tu essayais toujours sans jamais abandonner. Pourquoi te résigner à cesser ? Pourquoi ne pas combattre plus loin ce qui te hante ? persista-t-il, collant désormais nos nez qui se caressèrent, et un court instant, ses yeux dévièrent sur mes lèvres, patientant à ce que je m'exprime, mais nous étions presque enlacés et je peinais à respirer.
– Car il est l'unique ennemi que je ne peux pas battre, parvins-je à m'exprimer, me concentrant sur son visage. Dès que je tente, je perds. J'ai sombré il y a quelques années pour avoir osé le taire. J'ai encore trop à perdre, j'ai trop perdu, continuai-je la voix fragile me remémorant le sang sur la pointe de mes flèches. Pourtant, vois-tu ? Cette chose que je crains depuis ma naissance, que je me suis efforcée à cacher, mais qui finissait toujours par jaillir aux instants les plus propices. Cette chose tapie en moi qui, tel un volcan, a explosé avec une telle intensité, menaçant de m'engloutir dans cette soif de sang, et que j'ai combattue, sombrant dans la nuit noire.
Je me tus un moment, mes pupilles chaotiques dans les siennes, mes lèvres rougies par le sang s'ouvrant pour lui révéler cette délictueuse attirance, tueuse. Je me redressai doucement pour le dépasser, le toisant impérialement, et désespérément.
– Elle me plaît. Je suis attirée par les flammes du chaos. Je ne peux pas m'empêcher d'entailler de ma lame son corps pour goûter à son sang, finis-je, avec un rictus déformant mon sourire.
Je vis son visage s'assombrir face à cette révélation et il détourna le regard sans le moindre scrupule. Avant de m'observer une nouvelle fois, s'approchant dangereusement de moi, et je sentais son corps que je pensais déjà proche se fondre dans le mien. Son visage et ses lèvres caressaient ma peau, et effleuraient ma bouche de leur souffle, m'enflammant.
Je me dégageai de son emprise d'un mouvement des épaules, et le poussai contre le tronc. Reculant, le cœur serré, je maudissais de cette faiblesse qu'était la mienne, et de sa compréhension de ma personne. Ce simple constat laissait ses jugements m'atteindre, si je pouvais les qualifier comme tel. Et la haine revint, échangeant nos places, le foudroyant, le frappant, accentuant mes gestes de mes mains qui exprimaient mes mots.
– Ils disent de moi que je ne possède pas de cœur, mais ils se trompent. C'est cet afflux de sentiments puissants qui condamnent. Sais-tu quel est le prix à payer pour être une divinité ? Cette humanité en nous. Elle se marie à nos pulsions d'immortels, cette arrogance et supériorité qui font de nous les maîtres. En moi, ils sont plus forts, et un jour ou l'autre, ricanai-je, le monde goûtera à ma haine et nul ne pourra m'arrêter. Ce n'est qu'une question de temps, finis-je d'une voix ferme.
Il souffla un coup, pris de court par ces paroles tranchantes, emplies d'un désespoir que je ne laissais que rarement échapper d'entre mes lèvres. J'en fus moi-même étonnée des aveux que je laissais couler avec la beauté d'un poignard doré. Hippolyte ne disait plus un mot. Il avait pourtant relevé son regard sur moi sans émettre aucun effroi si ce ne fut une reconnaissance, celle d'avoir trouvé une ressemblance qu'il était prêt à sauver à défaut de n'être parvenu soi-même, et des envies de voir couler son sang par haine me saisirent.
Je ne m'étais donc pas trompée, mais qu'en pensait-il ? La réponse était égale, quant à celle de son passé, de ce reflet qui avait laissé transparaître. Ce ne fut qu'un éclat qui passa à travers ses yeux, mais cette brillance le trahit. Divagante, je ne me laissai pas envahir par la perplexité.
– J'ai bien trop de cicatrices, tu ne sais pas ce que j'ai fait.
– Les cicatrices peuvent cicatriser et tu l'as dit, tu es une immortelle.
– J'ai tué mon propre frère, lâchai-je dans un murmure laissant des larmes silencieuses couler le long de mes joues, et je ne revins pas sur ces paroles qui s'étaient échappées pour lui montrer la vérité. Tu me hais, car j'ai tué Oarion, et tu aurais pu me tuer, et tu ne l'as pas fait. Contrairement à moi. De sang-froid. J'ai assassiné ma famille. Dis-moi Hippolyte, les divinités font-elles cela naturellement ?
– Le passé reste enfoui sous la cendre si nous le souhaitons, tenta-t-il de me convaincre. Tu peux cicatriser, c'est possible. Et je te pardonne, comme tous ceux qui l'appréciaient. Il est possible de guérir.
Je fis un pas en avant, et un autre sans qu'il ne recule, et ma main glissa le long de son cou, l'enserrant doucement, mes ongles, mes griffes s'y plantant. Je le vis déglutir, et mes yeux devinrent à nouveau meurtriers.
– J'ai pu te tuer ce jour-là, à la source. Tu as perdu ton air, comme maintenant, commençai-je, enserrant ma prise. Pourtant, tu es resté, tu persistes à t'accrocher, car je suis une protection suffisante que le risque soit pris.
– Et que je peux t'aider, comme tu m'aides.
– Ne comprends-tu donc pas que ce que j'ai accompli fait de moi une reine monstrueuse, cruelle, meurtrière ? N'as-tu pas peur, chasseur ? questionnai-je, plantant mes ongles, en vain.
Ses mains vinrent empoigner mon visage, caressant un instant ma gorge comme je le faisais avec la sienne, effleurant mon oreille avant qu'il n'approche sa bouche pour me souffler d'une voix malicieuse, ses secrets.
– Et toi, tu n'as aucune idée de qui je suis.
– Je tue, je mets le monde à feu et à sang, et tu joues avec le feu, prince.
– Et qui te dit que je ne suis pas un destructeur comme toi ? Et que tu te brûleras tout comme moi, princesse ? me questionna-t-il tout en reculant, un sourire aussi sardonique que le mien, et je le lâchai, satisfaite. Il est peut-être temps de taire une haine sans fondement, si ce n'est la crainte d'être découverts, n'est-ce pas ?
– Tu me hais pour une mort, est-ce que je risque une trahison de ta part ? le mis-je au défi, mais nul mensonge ne vint transpercer son regard.
– Celle qui a souhaité me tuer, c'est toi. Je ne suis qu'un mortel, et le désir de vengeance s'est tu depuis des années comme tous les mortels. Désormais, brûlons le passé pour nous lier.
– Un pacte qui sur le mensonge nous a lié ? ricanai-je de mauvaise foi, et il ne se laissa pas berner, me connaissant trop bien.
– Un nouveau pacte, un pacte entre deux êtres semblables qui inclut le temps que chacun s'ouvre, mais surtout une alliance pour nous aider.
– Nous aider ? répétai-je en écho, devenue aussi sinistre que lui. Comment puis-je guérir, en échange de ta protection à l'encontre de ce qui te poursuit ?
– Avec l'aide du temps, de la volonté de ton cœur et celle que tu es, mais il faut te trouver avant de l'accepter, murmura-t-il les yeux voilés par un souvenir lointain.
– Je t'ai dit qui j'étais, mais rien ne change. Bien au contraire. Chaque pas s'enfonce plus profondément dans le sol, le mis-je à l'épreuve, mais il était digne d'avoir obtenu ma confiance, et mon alliance, car il persista.
– Je parle de celle que tu es vraiment, ici, m'assura-t-il, posant sa main sur son cœur à lui avant de saisir ma main pour l'y joindre.
Je permis à mes paupières de se fermer un court instant à la froideur enflammée de sa peau. Il avait deviné une partie de la réponse, je savais quel était son but. J'avais déjà entamé la route des confessions, j'allais laisser couler de l'olpé la vérité dans la coupe, car nous avions un nouveau pacte et si mes frères m'avaient appris une chose, c'était que je devais m'exprimer.
Je le fixai droit dans les yeux pour lui avouer les murmures tels qu'ils étaient, sans mystères entrecoupés dans mes paroles. Il était temps de suivre le conseil de ma famille, ces conseils sur lesquels il avait joué, et le sentant, il serra davantage ma main contre la sienne. J'en oubliai l'envie de lui arracher le cœur.
– Skotia a raison, je suis un volcan sur le point de se réveiller. Nul ne le sait, mais cette chose est un appel sauvage qui me susurre à mes oreilles ses cris. Le cacher n'a servi à rien, tu vois le résultat. J'entends, je ressens la nature. Ses ténèbres m'appellent, chaque jour. Elles accordent leurs murmures aux sentiments les plus forts qui jaillissent, prenant possession de mon être. Les sentiments sombres sont ceux qui m'entraînent. Je cède, je ne contrôle plus mes actes. J'ai assassiné des enfants à cause de l'outrage que leur mère avait porté à la mienne. J'ai tué la femme ainsi que son nouvel amant qui avait délaissé mon frère pour lui à la demande de ce dernier, laissant un enfant orphelin. Je n'ai eu aucun remord, jamais, mise à part pour Oarion qui, bien que je connaissais les faveurs des mortels et de l'Olympe qu'il avait su s'attirer, j'ai tiré la flèche. Et j'ai appris la leçon, ta vie en est la réponse, lui chuchotai-je presque, et je ne parvins pas à déchiffrer son visage. Brisant les dernières promesses que nous nous étions échangées pour une simple voix dans ma tête qui m'avait incité à le faire. Tous disent que les liens de sang associés à l'amour fraternel ne s'oublient jamais.
Je repris un instant mon souffle, ma gorge brûlante, avant de continuer sur ma lancée, tout en lâchant sa main sans pour autant reculer. Et il me laissa partir, sans me retenir, car il avait saisi sa place, qu'importait si je lui en accordais une supérieure.
– J'ai prouvé le contraire d'une simple flèche, affirmai-je sans la moindre intonation dans la voix. Cette mort a été la plus affreuse, j'ai failli perdre pied, préférant laisser mes démons envahir les ombres qui m'entouraient que de goûter à ce qui m'attirait. J'ai effleuré la folie, me réveillant en sueur et en pleurs suite aux cauchemars envahis par les fantômes à qui j'avais ôté la vie, hantant mes nuits accompagnées des murmures sauvages de la sombre forêt. J'ai trouvé un remède, et mes démons sont revenus se tapir dans l'ombre jusqu'à aujourd'hui. Tu voulais savoir qui j'étais ? l'attaquai-je à nouveau. Je te souhaite bonne chance chasseur pour respecter ta part du pacte.
Mes phalanges blanchissaient sous la force exercée. Le toisant, le menton haut, je dévoilai ce que j'avais commencé.
– Je ne le sais pas moi-même, mise à part la certitude que je céderai, et ce jour-là, il vaut mieux ne pas être auprès de moi. J'aime tuer, je ressens un plaisir malsain, finis-je d'une voix blanche, mais ténébreuse qui le fit reculer d'un pas. Et j'admire ton courage, mais tu le sais.
Ce ne fut qu'une question d'une bourrasque de vent qui vint soulever mes cheveux avant que je ne réalise la véracité de mes propos. Les tremblements de mon corps m'assaillirent. Une fois de plus, une fois de trop, brisant toute animosité pour ne pas laisser entrevoir cette ébauche d'amitié bienveillante qui éveillait nos âmes entre certains échanges.
Percevant que je perdais pied, il franchit le creux que j'avais imposé entre nous et, sans la moindre hésitation, il me prit dans ses bras.
Je retins un hoquet et fus tentée de le repousser, mais son étreinte calmait mes ardeurs. D'une manière maladroite, j'entourai mes bras autour de son corps et me blottis contre son torse, oubliant et ne faisant que ressentir cette chaleur qui m'avait appelé depuis qu'il m'avait rejoint. Peut-être que ce geste la tairait.
Il ne tenta aucun mouvement, me maintenant contre lui. Les battements de mon cœur baissèrent en intensité et les idées désordonnées dans ma tête s'éclaircirent. Et la même sensation que notre première rencontre revint, et je ne la hais pas cette fois, m'accordant un instant de répit après la chasse épuisante.
Je ne sus le temps écoulé jusqu'à ce que je revête une posture plus affermie. Je me détachai de lui, mais il ne lâcha pas pour autant mes bras ni moi les siens. Nos souffles se mélangeaient à nouveau, et l'une de ses mains vint écarter les cheveux de mon visage. Je perçus ses yeux brillants, comme s'il, sans s'exprimer, me partageait ses tourments. Hésitante, ma main se posa sur sa joue, venant essuyer du bout des doigts une larme naissante, puis instinctivement j'approchai son visage du mien pour que ses oreilles parviennent à entendre mes paroles.
– Merci, mais pourquoi éprouver de la compassion à mon égard ?
– Je suis un chasseur, tu es une chasseresse. Nous sommes semblables, je te comprends et puis, nous avons tous nos sombres côtés, me consola-t-il avant de marquer un arrêt dans sa phrase. Il y a des gens pour toi, le sais-tu ? Pour te pousser sur le chemin qu'est le tien d'une manière qui leur est propre. Pour te pousser à l'horizon et pour empêcher que la lune ne disparaisse derrière des nuages noirs.
Un léger sourire gratifiant illumina mon visage pâle, éclairé par les rayons argentés de l'astre lunaire. L'écarlate m'avait entouré à nouveau, les chassant.
– Ils ne sont pas tous morts, tenta-t-il, apercevant ce petit sourire signifiant.
– J'en doute, répondis-je avec une grimace.
– As-tu vu les corps ? insista-t-il.
– Pas tous.
– Il y a peut-être un espoir, ils ne sont pas tous morts. Tu n'es pas un monstre, insista-t-il d'une voix si détendue, qu'elle me contamina. Il y a des êtres bien plus monstrueux, et si tu en es un, tu n'en serais pas son égal, car tu en serais supérieure.
Sa voix paraissait sombre, mais elle était d'une telle légèreté, comme s'il s'efforçait d'oublier le poids sur ses épaules pour détendre les miennes. Un mince rire s'échappa de ma gorge encore secouée en réponse à son don d'alléger la situation, ne me faisant pas sentir la conscience que j'espérais disparue. Pourtant une ultime question me brûlait la lèvre, percevoir qui il était, cet homme au sang qui restait en appartenance à la noblesse.
– Tu es prince, je te pensais de la caste à laquelle j'appartenais, je te pensais avoir une pensée différente pour une reine, m'enquis-je. Le fais-tu, car ils t'ont enseigné à aider les princesses telles qu'autrefois je l'ai été au sommet de l'Olympe ? Car je l'ai été, et tant d'âmes pensent que j'aurais mieux fait de me taire, rester sur l'Olympe comme une déesse mineure, et ne pas avoir provoqué tant de morts pour mon combat, et l'avoir laissé aux autres.
– Une femme ne peut accepter son rang lorsqu'elle aspire à un autre plus grand, elle ne peut pas tout faire, elle doit exister pour ce qu'elle veut, répondit-il telle une évidence, mais pesant chaque parole d'une crainte de me froisser, mais je me tus et il continua, plus confiant. Et certains ont oublié que tous possèdent ce droit de s'élever. Et si tu questionnes les amitiés ou les partages d'un cœur, je n'ai qu'une pensée dont Zeus me foudroierait s'il apprend que je te donne raison. Nul ne dépend de l'autre, mais un besoin mutuel existe. N'importe qui a besoin dans sa vie d'une aide extérieure, qu'importe son arrogance, son égocentrisme. Admettre que nous ne pouvons plus seul n'est pas de la faiblesse, mais une preuve de force. Elle ne touche pas l'estime, bien au contraire. Tu m'as aidé, je ne peux que te rendre l'échange. Et tu acceptes cette alliance comme je l'accepte, et je pense donc être à la hauteur si je n'en suis pas mort.
Je laissai échapper un souffle devant son désarroi qui pourtant m'amusa. Il était sincère, je m'étais emportée. Et avais oublié que les mots simples dissimulaient toute une pensée, comme me l'avait enseigné Athéna. Et sa raison partageait la mienne, et ses paroles étaient un écho à celles que m'a famille me disait sur leur lit de mort, celle d'accepter d'être aidée.
– Je l'ai accepté, et je suis désormais curieuse de connaître ta procédure. Que vas-tu faire ? Me lancer dans le monde extérieur ?
– Avant cela, il faut savoir se défendre. Le monde est cruel et injuste. Un monde de divinités, d'immortels, de monstres, et de héros qui ne se trouvent pas toujours dans le mauvais camp.
– Je suis bien placée pour le savoir, je suis une déesse, qui maîtrise l'éther et la nature sauvage. Et les camps, je dois être celle qui sauve, mais certains me voient telle la destructrice. Et je veux sortir du chaos, et c'est désormais ta tâche, bien que cela me tue de nécessité de mes sœurs, et de toi pour cesser de tuer, grinçai-je.
– Tu n'es pas la seule, mais il faut apprendre à survivre et partager nos connaissances, telle notre alliance. J'ai entendu dire, continua-t-il sans se soucier de mon ton encore sec, qu'il était possible de priver les immortels de leurs pouvoirs. Dans une demi-lune, les fêtes de Corinthe débutent. Je te propose que d'ici là, je t'entraîne, ainsi tu sauras également te servir de ton physique et non uniquement de la magie. Et si je n'y parviens pas, tu peux cesser ma protection.
Le sourire charmeur qu'il afficha m'en ôta un, calmant ma colère précédente à son égard, et je ne pouvais pas m'échapper, car il n'était pas en tort. Bien au contraire. Celui qui siégeait désormais dans les étoiles avait commencé à m'apprendre dans les ombres de l'Olympe, et Oarion possédait la sagesse de la maturité pour savoir comment nous rendre invincibles pour faire face aux autres dieux. Je ne savais pas suffisamment danser avec une lame, et l'Olympe me l'avait interdit, et j'avais fui.
– Je l'accepte. Ce fut mon rêve le plus cher que de savoir combattre, bien que je souhaitais Asgard, ajoutai-je de mauvaise foi.
– Je tâcherai de me rapprocher de cet idéal, sans tous les instruments et bien plus au sud. Ni guerriers et guerrières ou autre figure, mais ce sera presque la même chose, s'exclama-t-il, égayé.
Sans aucune retenue, je laissai un gloussement fendre l'air, illuminant mon visage malgré l'envie de revenir au début de cette nuit, mais goûter à une paix apaisait. Je m'approchai de lui et sans lui donner le temps de réagir, je posai ma main sur l'une de ses épaules pour venir lui murmurer mes remerciements sans mise en garde.
Une partie de moi me hurlait d'arrêter, et cette sensation retenait mon bras pour qu'il n'ordonne pas un mouvement qui pourrait briser cette dernière protection, mais je cédais lentement, acceptant cette sensation que je ressentais en sa présence. Et doucement, je me laissais envahir comme le prouvèrent mes mots.
– Merci, Hippolyte, lui murmurai-je à son oreille. Je n'aurais pas cru dire cela un jour à un homme, et encore moins aux paroles que je t'ai dites, mais tu pourrais devenir plus qu'un allié, je pourrais apprendre à te voir tel un véritable ami, finis-je tout en le lâchant. Et en échange, je te protègerais contre la maison royale d'Athènes. Tu m'as rappelé les mots de mes frères et de mes sœurs, tu peux peut-être parvenir à me rendre mon humanité.
Surprenant un sourire étirer ses lèvres avec exagération, me provoquant un léger rire moqueur qu'il ne vit pas passer.
– Je le fais avec tout le plaisir du monde, nous sommes là pour cela, peina-t-il à prononcer. Il vaut mieux rentrer, me proposa-t-il, passant une main dans ses cheveux. Elles doivent s'inquiéter, et tant que nous sommes en bons termes à nouveau, mieux vaut ne pas jouer avec le feu, n'est-ce pas ?
– L'incendie est encore loin, ne détruisons rien, mystérieux prince.
Je me tus, l'observant, sans parvenir à percer son expression dissimulée par la nuit. Dans le plus grand des silences, nous commençâmes à marcher côte à côte, le visage devenu serein et un léger sourire étirant nos lèvres chamboulées par les événements encore si récents, mais lointains à la fois. Le temps était interminable, mais agréable.
Je sentais mes doigts frôler les siens à mainte reprise, ne percevant qu'une douce chaleur à chaque fois. Je trémoussais mes phalanges sans pour autant les éloigner, ressentant le besoin de sentir cette présence à mes côtés. Nos yeux intenses se toisaient sans que nul ne se rappelle lorsque nos corps se menaçaient, préférant oublier ce que nous avions enterré, car nous avions tenté d'assoupir, et nous y étions parvenus.
Perdue, me laissant emporter par l'ambiance paisible, mes pupilles furent attirées par un tissu qui flottait au grès du vent. Je me dirigeai vers ce bout blanc accroché à un buisson, et le saisis. Des taches de sang le parsemaient, provoquant un frisson glacial qui parcourut mon corps, secouant mon crâne et raidissant mon dos.
– Artemis, me murmura Hippolyte, posant une main sur mon bras. Regarde.
Un cri d'effroi s'échappa de mes lèvres, cassant le calme de la plaine. Une jeune fille était étendue, les yeux clos, la bouche entrouverte d'où un filet de sang coulait jusqu'au sol. Inanimée, elle gisait dans l'herbe dans une posture anormale, la colonne certainement brisée. La pâleur spectrale de son visage était plus blanche que sa robe déchirée, dévoilant sa nudité attaquée.
Sa chevelure sombre formait une auréole qui baignait dans son propre sang. La gorge tranchée sauvagement, quelques gouttes tombaient sur l'herbe devenue de la couleur du Nil lors des crus pourpres, et son corps était lacéré de griffures aussi profondes que des coups de couteau. Elle avait été certainement violée par la bête. Je l'avais oubliée, elle était de retour. Ma sœur, ma protégée, une innocente morte par ma faute.
Je me sentis vaciller en arrière, mais deux bras me rattrapèrent, me soutenant, tandis que je reconnaissais la jeune femme. Hypatia, la jeune chasseresse. Disparue, désormais retrouvée. Je le sentis me lâcher et je l'observai, impuissante, prendre la cape qu'il m'avait prêté pour la déployer au-dessus du corps de l'endormie éternelle, cachant ainsi le carnage. Avec délicatesse, il saisit l'enfant dans ses bras. Celle que j'avais promis de protéger, une de plus qui finissait comme tous les autres.
Je le laissai faire, sachant mon énergie follement enfouie dans la moelle de mes os, me sentant incapable de m'approcher d'elle. La première de mes chasseresses mortes, et j'espérais la dernière.
– Je pense qu'elle mérite un enterrement digne.
– Oui, affirmai-je, les larmes aux yeux, et je vins récupérer le corps, car j'étais la reine, mais je ne détaillai pas davantage le cadavre, le poids suffisant largement.
Il me suivit, sans prononcer mot jusqu'à revenir au campement. Muette, enfermée en moi-même, j'assistai à la cérémonie, absente. Son corps brûla, emportant ses cendres qui entouraient la colonne blanche, emportée par le vent, quittant une par une le brasier dans le ciel dans lequel je me perdis, les yeux embués de larme. La fumée qui s'en dégageait formait la silhouette d'une jeune fille, dansant et s'élevant aux étoiles.
Je sus à l'instant que je posai mes pupilles sur le cadavre que ce n'était pas un simple meurtre. L'une de mes sœurs avait été choisie. Un simple assassinat, une simple bête. Une hypothèse inexistante. C'était un avertissement envoyé par celui que je croyais disparu à jamais. Une déclaration de guerre à nulle autre que moi, marquée dans la terre gorgée de sang. Ils grandissaient dans l'ombre sans que je n'aie pas la moindre idée du rôle que je jouais.
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