22. Vengeance

«Hello darkness
My old friend
I have to talk with you
Again»

Plusieurs hommes patientaient sur la couronne qui nous entourait, plus hauts grâce à cette dernière, tentant d'être supérieurs lorsqu'ils n'étaient que chair. Ils ne se gênaient pas à me lancer des regards perchés, mais ils ignoraient que le pouvoir ne résidait pas au sommet d'un mont ou sur la dorure d'une couronne, sur des costumes aux pierres précieuses et aux fêtes qui laissaient danser les murmures des nobles.

Je pris un instant pour détailler avec plus de précision les lieux devenus plus sombres à mes yeux. Des brasiers éclairaient les murs mouvants d'ombres aux lueurs dangereuses. Le ciel noir nous envoûtait de son manteau étoilé, hypnotisant de ses constellations porteuses de légendes, et celle qui nous dominait au centre de la voûte céleste provoqua un soulagement dans l'ambiance alourdie. Le chasseur guidait ses pas entre les astres, poursuivit par le zodiaque du scorpion, illuminant d'éclats ce qui s'ensuivrait. Le symbole des renaissances, important depuis Sumer, et qui avait brillé en ces jours sombres, comme les Phœnix.

Ne jamais perdre le ciel de vue, il est ton unique limite

– Vénérable déesse, je vous prie de m'excuser de vous avoir ôté à la fête, si vous vous divertissiez, s'exclama le roi, attirant mon regard attentif sur sa personne qui me souriait d'un sourire carnassier.

Ses vêtements colorés et amples peinaient à imiter la grâce et la puissance de Minos, le premier minos, souverain de toutes les îles réunies depuis plusieurs années en ces âges dorés qui persistaient malgré la chute de Cronos. Leurs prières se portaient vers mes ancêtres, et les divinités primordiales issues du Chaos, des abîmes.

– Pourquoi avoir fait appel à nous ? demandai-je d'un ton impérieux, aux aguets des hommes qui s'approchaient sans descendre les trois marches, les visages revêtant la couleur des enfers par les flammes.

Je portai mon regard sur le roi, une nouvelle fois, le transperçant par mon pouvoir de mon aura aussi tranchante et précise que mes flèches. Il en frémit, mais les lueurs de bronze autour de ses oreilles me défiaient.

– Des paysans se plaignent qu'un sanglier ravage les récoltes et l'hiver approchant, les greniers nécessaires et vitaux, il doit disparaître, m'ordonna-t-il presque.

Je tortillais mes doigts avec une rage qui crispa ma mâchoire, serrant les dents telle une bête. Il m'était impossible de céder ici. Je finis par serrer les mains, blanchissant mes phalanges prêtes à bondir. L'étau se resserrait, ils ne se dissimulaient pas, au contraire. Le roi feignait l'indifférence, mais dans ses pupilles une lueur de tyrannie brillait, et sans peine, je sus qu'il s'apprêtait à s'opposer à une divinité.

J'effleurai l'un de mes poignards, désireuse de mettre fin à la vie du souverain, mais je me retins, sentant les yeux des étoiles qui m'observaient. Je me ravisai donc, sans laisser toutefois un sourire au coin se dessiner. Je restais sauvage, les pieds dansant sur le gouffre. La mort n'était pas la délicieuse satisfaction qu'était la caressante torture des flammes qui léchaient le misérable corps sans que l'incendie ne se propage.

Les hommes qui nous jugeaient dévièrent le regard à l'instant où l'aura sauvage de ma présence divine prête à se révéler pour les brûler, apparut, accompagnée d'un souffle aussi glacial que la brûlure de la neige gelée. Je haussai le menton, laissant les lueurs sombres de mes yeux briller dans la pénombre des ambiances chaudes de la nuit froide. Les lèvres déformées par la punition que je m'apprêtais à abattre sur ce misérable roi.

Le son mélodieux d'une flûte abaissa mon courroux menaçant d'exploser et de réduire en cendres l'affront donné, attirant mon attention sur un rideau d'un rouge sang. Je détendis mes bras encore vifs, les pulsions de mon cœur battant contre ma poitrine. Le frôlement du sol par la robe et les pas résonnèrent dans le silence des lieux jusqu'à ce qu'une femme apparaisse. La reine.

La chevelure dorée, la peau pâle, elle était grosse et certainement plus qu'à quelques lunes de donner la vie.  La main sertie de bagues imposantes soutenait ce poids qui n'ôtait en rien l'éclat de son visage. La talonnant, Merope apparut, me faisant froncer les sourcils par sa présence. Lentes, gracieuses, elles attirèrent les regards, mais elles me fixaient d'une lueur folle et mauvaise.

Leurs vêtements étaient minoens, révélant en partie la forme de leurs seins, changées pour cette entrevue, colorées face à nos tissus ternes de la plupart des chasseresses. Et les rares couleurs que j'avais revêtues ne faisaient face devant la variété des leurs aux dessins et formes fines.

Les femmes se placèrent à quelques pas de moi tout en restant sur l'estrade. Les chasseresses s'étaient tendues, Hippolyte déglutit, Phoebe et Skotia s'exprimèrent à messes basses. Nous nous toisâmes sans retenue, imposant notre puissance dans la pièce et dans leurs yeux j'y lus qu'elles m'avaient préparé une surprise à laquelle j'y mettrais fin dès qu'elle me serait révélée.

– Dame Artemis, mon épouse, parla soudainement le roi soumis, laissant entendre que lorsque les femmes se déclaraient la guerre, les hommes observaient.

– Vous êtes la déesse Artemis, la si fameuse Diane chasseresse. Je n'ai pas cru Merope lorsqu'elle m'a annoncé votre venue. Une bien gentille amie qui a insisté d'organiser cette fête en votre honneur ! Et que vois-je, une bien charmante compagnie ? dévia-t-elle d'une voix soudainement plus étonnée lorsqu'elle le fixa, presque amusée. Prince Orion je présume ? Je n'aurais pas cru vous voir en ces lieux, quel alléchant divertissement, finit-elle, frappant dans ses mains moites.

– En quoi en est-ce un si ce n'est pour moi ?

– Voyez-vous, commença-t-elle, saisissant la coupe de vin que lui tendait un serviteur pour la porter à ses lèvres, me faisant patienter délibérément. Je ne suis pas grecque, mais nordique. Le royaume de Calydon commerçait avec nous avons que vous ne détruisiez tout, mais j'espère que les échanges reprendront.

Elle me sourit, attendant avec une impatience non feinte ma réaction que je ne laissai pas transparaître, appréhendant la suite. Merope me sourit comme répondant aux craintes qui résonnaient dans mon cœur, le piège dans lequel je m'étais faufilée. Je sus que le passé toquait à ma porte verrouillée par un loquet d'argent. La voix d'une jeune impudente révélerait de vive voix ce que j'avais fait.

– Je vous vois toutefois tentant de deviner quel point je souhaite aborder, mais ne vous inquiétez pas, je me ferai un plaisir de vous éclairer, continua-t-elle, buvant une autre gorgée avant de tendre sa main tremblante pour qu'elle soit remplie du liquide de l'ivresse.  Je suis originaire de l'Hyperborée, le royaume de votre mère, tout comme vous, mais étant proche de Jotunheim, séparés uniquement par un mur de glace, me voici à choisir entre Asgard et l'Olympe. Dans mon enfance, nous nous tournâmes vers ces rustres paysans si attirants, n'est-ce pas ? Nous nous mêlâmes aux dieux, mon futur de dame d'Asgard était tracé jusqu'à votre arrivée, implantant une guerre et notre famille grecque d'origine dû descendre. Je me suis mariée au roi.  Bien avant cela, je me souviens d'avoir été invitée à un événement. Le vôtre, à Asgard. Je n'étais guère plus âgée que vous, c'est même l'un de mes plus lointains souvenirs.

Je m'approchai d'elle, menaçante, et bien que la sueur lui perlait, Merope lui murmura des paroles qui l'obligèrent à venir à ma rencontre malgré la crainte qui émanait d'elle à mon égard. Les enchantements des paroles valaient bien plus que les actes.

Je sentais cette odeur alléchante de ceux qui fuyaient le monstre prêt à les détruire. Elle persista pourtant à s'avancer jusqu'à me toiser. Je fus prête à la punir, mais la laissai continuer, lui permettant d'espérer que son outrage amusant à ses yeux passerait telle une feuille entre les pierres du courant calme qui ne s'élèverait jamais, même lors des tempêtes les plus fortes, jugeant avec clarté. Elle se trompait, le fleuve devenait un torrent dévastateur si la moindre pluie tombait du ciel obscur. Ma couronne resplendissait de ma puissance.

– Voici le divertissement du jour, une jeune déesse connaissant déjà tant de choses, une jeune fille qui se prenait pour une princesse parfaite, ricana-t-elle, et ses yeux dévièrent derrière moi avec un rictus. Je n'oublierai jamais l'irrespect porté à votre figure pathétique. Votre commentaire éclaire mes journées. Est-ce une offense s'il ne s'est pas incliné ? imita-t-elle d'une voix perchée. J'ai toutefois un meilleur souvenir, celui qui cloua votre bec égocentrique. Je vais raviver votre mémoire.

Faisant suite à ces paroles acerbes, elle brandit la coupe et déversa le contenu sur ma tête. Le vin coula le long de mes cheveux, de mon arcade, et mes lèvres accueillirent quelques gouttes, éveillant la folie meurtrière en moi. Les rires résonnaient autour, tous hurlaient à gorge déployée. Sauf Merope qui, d'un sourire satisfait, reculait à petits pas, comme fuyant ma colère. Je me concentrai sur l'arme utilisée à mon encontre, la reine qui cessa de ricaner.

– Vous ne riez pas ? balbutia-t-elle lorsque mes yeux foudroyants la fixaient sans sourciller.

La coupe roula à mes pieds et le bruit métallique imposa le silence. Elle porta les mains à sa gorge, la bouche toujours ouverte, cherchant l'air qui ne venait pas. La douleur pâlie de son visage rougi. Grimaçante, elle me regarda, et je souris.

– Ce... Ce... N'est pas... En... M'étouffant que que vous...

Elle tomba en sol sans parvenir à finir sa phrase, les yeux vitreux, épuisée de sa lutte inévitable contre les pouvoirs divins. Je me délectais de sa souffrance qui rendait sa belle peau aussi livide que les morts. Je devenais une bête qui appréciait cette torture de ceux qui avaient osé me piétiner.

– Ne vous a-t-on jamais appris à respecter une immortelle ?

Elle me regarda, aveuglée par une rage, et dans un élan de désespoir, me cracha au visage. La salive coula le long de son menton, elle expirait doucement. Avachie à terre, tel un poisson sur le sable à la recherche de la vie en vain, se tortillant, la bouche chantant en silence l'hymne de la mort. Les flammes des brasiers diminuèrent tandis que je laissais languir sa fin, les yeux mi-clos, les larmes brouillant sa vue. Elle s'éteignait.

Un bruissement de plume qui caressait la corde. Je me retournai, sentant le danger, et saisis la flèche à deux doigts de ma gorge. Un bruit rauque, la reine récupéra l'air offert à la tombée de mon emprise céleste. Je ne la regardais pas, promenant mes pupilles sur les convives jusqu'à m'arrêter sur un homme posté sur le toit, arc à la main. Les chasseresses patientaient pour un signal qui ne vint pas, souhaitant me délecter de leur condamnation. Leurs mains resteraient sur la poigne, mais leurs sourires de joie et désireux de les tuer ne me passaient pas inaperçus. Elles s'amuseraient après.

– Je suis immortelle, ne le saviez-vous pas ? révélai-je avec sarcasme tout en cassant la flèche en deux, laissant la plume tomber au sol, gardant la pointe que je lançai au tireur qui dégringola, mort.

Une femme me tira les cheveux, la reine. Encore faible, je la repoussai d'un simple coup et elle tomba à terre, les cheveux décoiffés. Elle était prête à se venger, emportée par un ordre enchanteur. Je fis un pas vers elle, la reine se traina au sol, terrorisée.

– Vous n'êtes rien, qu'une femme qui fuit ! Une sauvage !

Elle me fixa, aussi blanche qu'un linceul. Le souffle entrecoupé, elle n'osa pas bouger lorsque mes ongles s'enfoncèrent dans sa joue et que je souris machiavéliquement. Sa peur était si forte que je la sentais, et je humai cette odeur qui me ravivait de plaisir tout autant que le sang qui coulerait le long de ses misérables jambes.

– Je vous enlève ce que vous avez de plus cher.

À ces mots, un cri de douleur retentit. Ses mains entourèrent son ventre tandis que des spasmes la parcouraient. Sa robe se tacha d'un rouge sanguin tandis que, entre ses cuisses, une flaque se formait, se mêlant à ses larmes gémissantes. Elle enserrait sa grossesse désormais démunie de vie, assistant à la perte de son enfant, le sang coulant au rythme de ses larmes jusqu'à ce que ses yeux se révulsent, tombant dans les limbes au milieu de son sang, dernier vestige de son enfant.

– Roi de Calydon, m'adressai-je à lui sans me soucier de son teint absent à la vue de sa femme et de son héritier mort. Je vous maudis, vous et votre famille pour trois générations. Le sanglier détruira vos terres.

Leurs regards horrifiés les obligeaient à se tapir dans l'ombre, se cachant de mon être infâme. Cette femme n'avait pas su mesurer l'ampleur de son outrage, n'avait su comprendre ce qu'était être une humaine. Elle en avait payé le prix. Je tournai les talons, le visage crispé, franchissant les portes pour me retrouver dans la nuit noire aux nuages dégagés, mais le ciel était aussi tempétueux que moi.

Au fond de mon cœur et de mon âme, une douleur s'éveillait, celle qui éclatait avant que je ne franchisse la limite, que je n'exprime ma puissance. Éternellement en mon être pour me ligoter, me montrer face au miroir ce que j'avais accompli, et m'emplir de ces sentiments infâmes.

J'avançai dans les ténèbres, accélérant au fur et à mesure le pas, observant mes mains tachées, les larmes perlant avant de courir. Cette force en moi me poussait à ressentir mes sentiments décuplés, comme me poignardant par une humanité qui me maintenant clouée au sol. Je traversai les quelques bois jusqu'à m'arrêter un bord d'une falaise. Les larmes coulaient désormais silencieusement le long de mes joues tremblantes. Et dans mon esprit de simples mots me revenaient. Un monstre.


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