21. Dangereuse danse

« Oh, you want a battle?
I will give you a war»

La délictueuse musique varia, adoptant un rythme plus rapide, séparant les couples et groupes qui s'étaient formés, mouvant leurs corps des Oiseaux de feu, leurs bijoux d'or émettant la musique des armes qu'ils dissimulaient sous leurs vêtements, prêts à trahir. Une majorité d'hommes fut recluse dans les coins de la salle tandis que les femmes commençaient leur prestance au centre, munies quelques fois d'un voile qui dansait dans les airs comme un nuage dans le ciel venteux.

Leurs regards ne regardaient aucune personne dans la salle, elles ne souhaitaient que pour un soir joindre leurs mouvements dans les fêtes où elles décidaient en une égalité différente que celle à l'extérieur des murs. Certaines possédaient la finesse de celles qui continuaient à chasser librement, comme Daphné ou cette nymphe qui avait attiré l'attention de mon frère. Cette Cyrène devenue reine de Libye qui s'était alliée à une descendante d'une reine amazone en raid pour un Hyksos, contre des femmes qui avaient par la suite élevé Athéna, battues par des plus puissantes.

Quelques-unes se rassemblèrent peu à peu et, en quelques instants, un cercle se forma, tournant à petits pas serré autour d'un espace vide. Je me joignis à elles sans retenue, l'esprit brouillé, emportée dans un monde inconnu, heureuse. Connectée, ne faisant qu'une, embrassant une dernière fois la liberté de la jeunesse. Les fêtes de Corinthe auprès de ma famille ne cessaient de résonner, revenir telles des illusions par le vin qui embrasait mon âme.

Une note résonna, différente des précédentes, d'un aigu rigide. La danse à deux, devinai-je. Voyant que Phoebe et Skotia avaient formé un duo, je me retournai et croisai des yeux d'un vert cuivré hypocrite. Merope me souriait avec sa posture provocatrice, me faisant grimacer. Je ne me laissai pas intimider, et suivis la chorégraphie.

Paume contre paume, laissant flotter le tissu si nous en avions, tournant l'une autour de l'autre comme deux rapaces autour d'un cadavre, nous jugeant du regard, nous dansions. Apercevant qu'elle était bien plus douée de ce que je le pensais, j'y donnai plus du mien, la fixant droit dans les yeux, mon aura qui s'échappait. Une tension se forma, dérivant de notre espace au point d'attirer des regards interrogateurs sur ces deux personnes qui ne profitaient pas de l'ambiance détendue. Tels deux reflets qui faisaient à peine de s'effleurer, ce n'était pas une danse entre des amies, mais des ennemies.

– Vous savez danser déesse de la chasse, me fit-elle remarquer d'une voix mielleuse.

– Vous aussi, répondis-je sèchement.

– Je suis curieuse de savoir qui est la meilleure entre nous deux. Tentée ? me proposa-t-elle, me poussant à bout par ses paroles. Écoutez la sorcière.

Elle m'avait piégée, et refuser était inconcevable, car je jouais au milieu de nobles. Je ne pouvais pas me défiler, et je devais bien écouter Skotia. Cette mortelle goûterait à la défaite de la provocation à l'encontre d'une déesse, et pourrait périr comme Niobé. Elle et moi n'avions pas le choix pour ce qui nous attendait, et un rictus cruel apparut au coin de mes lèvres à mesure que je reculai de quelques pas pour suivre une danse de combat.

– Avec plaisir.

– Nous verrons qui attire l'attention du séduisant chasseur, je ne vous pensais pas compétitive.

– Je l'ai toujours été, mais pas pour les hommes. Je le suis pour ce qui m'appartient.

– Je le pense bien, s'exprima-t-elle d'une voix venimeuse, sans se laisser abattre par mon accusation. Vous en aurez besoin, pour votre couronne. 

Je saisis le voile qu'elle me lança, d'un blanc écrémé tâché d'un liquide rouge. Je n'eus pas le temps de l'observer plus attentivement. Dans une virevolte, elle était sortie du cercle avec la grâce d'une colombe perfide.

Je la suivis sachant que je me retrouvais seule. La princesse de Chios me mettait à l'épreuve comme tant d'autres le firent. Je lui démontrerais ce que je valais. Nous nous fixâmes avec un air hautain telles deux lionnes. Un sourire certain éclairait son visage contrairement au mien, ferme.

Elle dansait tel un serpent ailé, créant de son voile une tornade rouge autour de son corps, accompagnant ses cheveux qui tournaient. Une lionne aux pas gracieux et fermes comme l'orient. Elle savait se mettre en valeur et sa danse sensuelle m'empêchait de m'élever à son niveau. Merope retenait tous les regards qui parcouraient son corps partiellement dénudé. Ses vêtements étaient achéens, voileux, une ceinture d'or soulignant sa taille fine et ses bijoux aux nuances du cuivre donnaient un éclat à ses yeux. Une arme de séduction qui susurrait les mots pour atteindre le pouvoir.

Levant parfois sa jambe avec souplesse, les pans de sa robe safran révélaient sa cuisse. Ses pupilles observaient certains hommes avec envie, faisant naître un désir chez eux, attirant. Elle tourna une dernière fois sur elle-même comme une rose de sable avant d'atterrir au sol, les jambes écartées, me regardant avec la victoire et, à travers ses prunelles, elle m'incitait à débuter.

Je pris une grande inspiration, mon tour était venu, me sortant de ma zone de confort. Jetée en pâture aux yeux avides des spectateurs. Avec ferveur, je saisis mon voile et débutai ma danse, tentant de l'imiter de mon mieux, me souvenant des conseils que j'avais reçus dès mon enfance sans jamais avoir eu la possibilité de les mettre à exécution. Une caste que j'avais fuie, la noblesse ancrée pourtant en moi, les murmures d'Aphrodite dans ma tête.

Les jeux de paume, le tour sur moi-même unique, les battements de canidés ou les pas chassés étaient révolus. La danse au-delà avait envahi mes veines, prenant possession de mon corps, dictant chaque pas, chaque mouvement, chaque geste. La chaleur et l'énergie me dévoraient dangereusement de l'intérieur, rendant ma vue davantage floutée. Une biche, une louve, une fauve sauvage qui contenait sa rage avec la délicatesse et la précision de la chasse et de la traque.

Au rythme de la flûte, je bougeais mon voile, mes bras à la mélodie de la lyre tandis que mes pas et mon corps aux notes de l'aulos. Des mouvements moins serrés qu'elle, plus amples, mais tout aussi fluides et gracieux. Je tournais à maintes reprises sur moi-même, du bout des orteils, caressant le sol de pierre glacée avant de m'arrêter et de la fixer, la plante des pieds plantée dans une position simple.

Désormais j'étais souriante, et elle grimaçante. La princesse s'approcha de moi et je fis de même jusqu'à ce que nous soyons face à face. Le cercle humain continua à nouveau à tourner autour de nous, créant un tourbillon qui m'empêchait de me concentrer sur plus d'un point, laissant mes autres sens prendre le dessus. La vie reprenait après leurs délectations.

– Ne pensez pas que vous avez gagné, ce n'est que le début.

– Merope, il faut s'avouer vaincue, répondis-je dans un rictus. Je pourrais vous tuer pour votre affront, mais cette nuit est différente.

– Vous avez éventuellement gagné la bataille, mais pas la guerre. Les réactions provoquées pesaient le même poids dans la balance. Vous connaissez les règles.

– Tournons donc jusqu'à ce que l'une de nous ne se décide à entrer, montrant ses meilleurs atouts. Je suis peut-être Artemis, mais je connais des choses, affirmai-je les yeux sombres, remerciant d'une pensée Skotia et Aphrodite.

Un sourire de garce, et elle fut avalée par le cercle, se séparant de moi. Je fis de même sans la perdre de vue, rejoignant mes sœurs.

– Ne tombe pas dans son piège, tu sais ce qui va suivre. Tu es Artemis, tu n'es pas ainsi, me murmura Phoebe, mais je l'ignorai.

Un tour du cercle plus tard, elle s'introduisit à nouveau au centre, me bluffant davantage, et j'eus de la peine à la fixer par ma vue devenue étrange par le vin. Le temps de l'éternité n'était pas entre ses mains précises qui semblaient créer des enchantements. 

Je n'aurais pas cru cela possible, mais elle se mouvait avec encore plus d'interdits et sensualité que précédemment. J'aurais pu croire à une fille de joie, à une danseuse du Kemet ou des temples de Inanna ou Aphrodite. Elle ne quittait pas des yeux un inconnu qui finit par comprendre le message. Il la rejoignit, les yeux brillants. Merope passa son voile autour du cou du jeune homme, se collant à lui pour danser. Le caressant, l'envoutant de sa voix incantatrice.

Elle me regarda, victorieuse. Elle avait gagné, je ne pouvais rien faire, je ne m'étais jamais à ce point rabaissée pour obtenir ce que je souhaitais. Les membres du cercle commençaient à délaisser le jeu, formant des couples sans toutefois varier leur trajectoire. L'avidité du jeu aux palais était suffisamment délicieuse pour qu'ils patientent à une confrontation aux poignards tirés de sous les tuniques.

J'avais avancé d'un pas, me détachant des autres, démunie de toute idée. Le triomphe brillait dans ses yeux avant qu'un dégout ne s'y lise puis qu'une illumination ne le transperce.

Je sentis une présence se coller à moi, tout contre mon dos, me rassurant, calmant mes muscles tendus, prêts à bondir sans appartenir au jeu. Tels des murmures indistincts dans mon esprit sous ces caresses à la fois froide et brûlantes. À nouveau en confiance, je me sentis prête à continuer sans abandonner la satisfaction de l'abattre.

Ma main trouva la sienne pour débuter la danse avec l'inconnu sans quitter du regard ma rivale qui fit de même. Après tout, aucune de nous deux n'avait et ne ressentait le besoin de garder un contact visuel avec notre partenaire, eux qui n'étaient que des pions dans ce sordide jeu. Il y avait uniquement elle et moi.

Je commençai à tourner autour d'un cercle invisible, paume contre sa paume chaude, enlaçant presque nos doigts. Je compris pourtant rapidement que je ne remporterais pas la victoire ainsi. Le rythme avait accéléré, je fis de même. Perdant le sens du temps, j'étais toutefois consciente que mon corps se mouvait et que les yeux de cette harpie et les miens ne se quittaient pas.

Mon partenaire me faisait tournoyer autour de mon cœur. J'avais senti ses mains se poser sur mes hanches, je ne me préoccupais pas plus de lui, il n'était pas baladeur, me concentrant sur la musique, mes gestes et ma rivale. La fatigue, elle, insensible.

Je dansais, le souffle entrecoupé sans toutefois baisser les bras. Bien que ma conscience s'était envolée, certains mouvements étaient réfutés par mon corps qui n'oubliait pas celle que j'étais, la chaste chasseresse. Merope, quant à elle, ne se gênait pas. Se frottant à son partenaire, acceptant qu'il se promène sur son corps, passant même son voile autour de lui pour danser de multiples manières. Ses lèvres se baladant sur sa peau révélée comme un ancien rite.

J'empruntai cette dernière idée, dansant avec le bout de tissu que je passais autour du bras, du torse ou du cou de l'homme mystérieux qui m'était venu en aide. Ses yeux me lançaient des flammes de surprise, de rage et cette illumination folle qui persistait, m'encourageant à continuer, sans jamais tenter d'éveiller le désir du bout de mes doigts comme elle.

Les notes s'adoucirent, la fin sonnait. Je donnais mes dernières forces tout comme elle jusqu'à ce que la dernière résonance emplie de dissonance ne fasse écho dans la salle, imposant un silence de métal lourd. Finissant toutes les deux dans la même position, le dos collé au torse de notre partenaire, la main posée sur sa joue et l'autre pendant notre voile avec la grâce du ruisseau.

Nul ne fit un mouvement jusqu'à ce que ma rivale n'exquise un sourire qui ravala le mien, avant que la musique ne reprenne. Tous se mélangèrent et elle disparut de ma vue, avalée par des êtres tel un fantôme passager, une plume déchue qui se mêlait aux oiseaux.

J'inspirai une grande goulée d'air qui brûla ma gorge épuisée. Je sentis la fatigue peser sur mes membres, l'énergie s'envolant. Une douleur à la tête m'assaillit et je ressaisis mes esprits à l'emprise du vin.

Je me pris une gifle à l'instant où je pris conscience de ce que je venais d'accomplir et de ma danse avec cet inconnu. Je me retournai brusquement pour le détailler. Mon cœur s'était égaré dans ma poitrine, retenant mon souffle qui s'échappa lorsque je rencontrai ses iris sans être surprise.

Des yeux pers, lui. Il semblait envahi d'une colère aveuglante à mon égard, et sa respiration était à peine saccadée, malgré nos peaux brûlantes par les muscles et la tension de cette danse que j'aurais pu perdre. Le chasseur me saisit par le bras avant de m'entraîner à travers les convives, à sa suite.

– Lâche-moi, ordonnai-je, mais il m'ignora jusqu'à ce que nous arrivions à un coin de la pièce où il me lâcha pour me foudroyer du regard.

Honteuse, je le fixai pourtant dans ses yeux emplis de déception, croisant les bras, mais les mots passaient à travers. Je me sentis blessée par ses iris. Il m'inspecta sous toutes les coutures en silence, et lorsque ses doigts chauds se posèrent sur ma joue, je fis un mouvement de la tête. Il les ôta avant de s'adresser à moi d'une voix élevée et grave.

– Puis-je savoir ce qu'il t'a pris ! me cria-t-il, et je restai muette. Sais-tu que c'est dangereux ? Personne ne t'a donc prévenu des effets de cette boisson trompeuse ?

– Oui, répondis-je, croisant à nouveau les bras sur ma poitrine pour lui signifier que je restais la souveraine.

– Donc pourquoi es-tu devenue ivre à faire ce que tu as fait ?

La colère protectrice me submergea. Je m'approchai de lui, et ne le percevant pas reculer, je sortis mon poignard que je glissai contre son cou, telle une proie prête à avoir la gorge tranchée, mais il n'esquissa pas le moindre geste. Mes mots tranchants lui furent lancés tels des poignards dans le but de retourner la flèche.

– Ta princesse m'a provoqué, je n'ai fait que répondre ! criai-je à mon tour, accentuant la douleur de mon crâne, et je perçus une goutte de sang couler le long de sa gorge, et j'ôtai la lame de crainte de commettre un acte traître, sans pour autant lui laisser un espace.

– Et donc tu réponds aux provocations de cette femme ? Je m'attendais à mieux venant de ta part, me murmura-t-il avec des éclats de désappointement aussi profonds qu'un gouffre.

– Je suis irréfléchie et quiconque ose s'affronter à moi en paie le prix. Il est vrai que j'agis d'habitude d'une simple flèche. C'est la première fois que je me permets de jouer sur un même niveau si cela peut te rassurer. Et mon frère a toujours été là.

– Et si je n'avais pas été là ? As-tu songé que quelqu'un pouvait s'en prendre à toi ?

– Je sais me défendre, je suis une déesse et tu sembles l'avoir oublié. Donc mets-toi dans le crâne que je ne suis pas une princesse, je suis reine. Donc ne me traite pas ainsi, car tu finiras par me connaître. Je suis puissante, je suis maîtresse des nuances sauvages, donc ose une fois de plus me voir telle une noble, que tu finiras la gorge tranchée, ou le cœur transpercé. Ne te permets plus. Je peux danser seule, donc, pourquoi es-tu venu ?

– Je savais que tu allais endosser une défaite si nul ne te venait en aide et je craignais qu'un autre s'en rende compte tout comme moi, profitant de la situation. Sans oublier que je te connais suffisamment pour savoir que ta colère éclaterait si une mortelle te battait, et je sais ce que tu ressens, je te l'ai dit. Danser sur le bout du fil.

– La défaite ne l'aurait que punie de la mort, souviens-toi d'Arachné, et Athéna était plus réfléchie que moi. J'ai tué les enfants de Niobé, j'ai tué plus que tu ne le penses. Et puis, veux-tu parler de ceux qui profitent ? m'exclamai-je avec un rictus proche du ricanement avant d'afficher un visage des plus sérieux. Orion, quand comptais-tu me le dire ? l'attaquai-je, et prit au dépourvu, il ne dit rien. Un menteur, tu n'es qu'un menteur.

– Artemis, nous avons tous des secrets, me confia-t-il.

– Je t'en ai révélé certains, j'espérais que tu fasses de même. Nous avons un pacte, qu'importe nos conflits internes.

– Tu en as d'autres, ils sont lisibles dans ton regard lorsqu'il part dans les ombres de ton passé. J'ai également les miens que je ne souhaite pas encore révéler.

– Et comment cela se fait-il que cette Merope les connaisse ? Ou fait-elle partie de ces secrets que tu me dissimules.

– Ce n'est pas ce que tu penses, se défendit-il, reculant d'un pas sous mes iris aussi tranchants que l'argent, mais il ne s'abaissait pas, me tenant tête, mais se collant au mur.

Agacée, je le devenais doucement, dissimulant un feu brûlant de rage, et de regrets de mes actes qui m'avaient emporté comme si un sortilège m'avait été lancé. Une haine nous enflammait malgré notre alliance basée sur un terrain dangereux, d'un tissu sur un abîme qui nous avalerait, et je décidai doucement quelle en serait l'issue. Il était trop dangereux qu'il reste.

– Ne t'y méprends pas, je ne suis nullement dérangée. Elle l'a dit elle-même, je suis Artemis. Vous êtes tous semblables, à aimer les conquêtes qui défilent, mais je ne suis pas comme ces nobles. Tu n'as fait aucun vœu, ce ne sont pas mes affaires.

– Artemis, je peux te l'expliquer, mais...

– Je ne veux rien savoir, le coupai-je d'une voix amère, provoquant un sourire amusé sur son visage qui me fit froncer un sourcil.

– Tu es jalouse, affirma-t-il, et j'écarquillai les yeux, ce qui ne fit qu'élargir son sourire charmé.

– Jalouse, moi, Artemis ? m'emportai-je. Je t'en prie le prince caché, ironisai-je.

– Vois-tu ? Tu me surnommes, reprit-il, me mettant au défis, taquin, sans saisir qu'il n'était pas mon égal.

– Pour l'unique raison que je ne sais pas avec lequel te nommer. À toi de me dire, mais je pense que cela n'est pas nécessaire. Tu rentres à Athènes dès ce soir, qu'importe si elle est devenue un danger.

Je lui ôtai son sourire à ces mots, et il pâlit tel un linceul. La panique traversa ses yeux et il tomba à genoux à mes pieds, se saisissant de mes mains froides. Il tremblait, et sa peau semblait être couverte d'un givre pour laisser transparaître son désespoir derrière ses feux. J'en fus surprise, le cœur qui cessa un instant, car l'échange qui nous avait mené ici nous avait rapproché davantage, laissant tomber nos armures de sincérité, et j'étais revenue sur mes pas.

Dans ce coin sombre dans lequel il m'avait amené, caché de la vue des autres, le risque que quelqu'un tourne le visage vers nous et scrute la pénombre pour nous percevoir restait possible. Pourtant, cet homme que je pensais facilement touché à la moindre remarque acerbe, mais qui cachait ses sentiments, était d'après moi incapable de s'abaisser à la supplication. Bien trop fier de lui-même, celui qui ne s'agenouillait devant quiconque.  Je le voyais désormais à mes pieds.

– Je t'en supplie, me murmura-t-il tel un mortel devant la statue de sa déesse protectrice. Pourquoi ? m'interrogea-t-il plongeant ses yeux profonds dans les miens.

– Nous avons tous nos sombres secrets, n'est-ce pas ? répondis-je d'une voix faiblie d'une sincérité qui m'échappa, et il s'agrippa à moi.

– Artemis, réfléchis. Je t'en supplie, nous avons passé un pacte.

– Ma décision est prise, le coupai-je dans son élan, me sachant dans l'incapacité de tenir jusqu'à ses dernières paroles. Et un pacte peut être illusion.

Je l'obligeai à lâcher mes mains, et il ne résista pas, avant de lui tourner le dos sans en connaître le retournement qui ne tarderait pas. Il avait le don de faire ressurgir les ressentiments qui m'assaillaient et d'éveiller des sentiments enfouis en moi. Je venais de prendre peur, peur du pouvoir que je lui laissais... Un pouvoir qui pouvait m'être fatalement mortel.

– Déesse ? m'interpella une voix.

Une servante s'était approchée, une paysanne par ses mains épuisées. Tremblante de crainte, ses lèvres se mouvaient en silence, répétant sans aucun doute l'ordre qui lui avait été donné. Anxieuse, ses vêtements de lin ou de laine étaient brunis, mais resplendissants pour la fête.

– Que voulez-vous ? lui demandai-je d'une voix encore bouleversée.

– Le roi vous demande.

Je hochai la tête avant de me diriger vers un groupe de chasseresses qui s'amusaient à faire du mal à un pauvre homme, le menaçant de leurs couteaux. Je leur soufflai de se rassembler dans le jardin qui séparait les salles, et de faire passer le massage. Elles m'obéirent et laissèrent à terre l'homme blessé. Je ne lui prêtais pas un regard, satisfaite qu'elles impriment sur la peau l'interdiction d'une quelconque relation, qu'importait sa nature donnée au plaisir ou à l'amour.

Je marchai en direction d'un couple en particulier et du pied, fit tomber l'homme. Un gémissement s'échappa de ses lèvres lorsque son corps percuta le sol de terre dure.

– Hé ! Ce n'est pas parce que tu as dansé avec ton chasseur et que tu exprimes tes regrets que tu dois m'ôter mon partenaire.

– Je ne suis pas d'humeur Skotia, le roi nous demande. Où est Phoebe ?

– Elle a trouvé un beau jeune homme, la première fois depuis longtemps.

Je suivis son regard et la vis, sourire aux lèvres, dansant avec un garçon à la chevelure aussi doré que les épis de blé, un blond foncé et très légèrement bouclé. Un châtain rare. Je n'y croyais pas, elle était tombée face à un inconnu. L'impression de ne plus la reconnaître me saisit, mais je savais que par le passé Skotia la surnommait la croqueuse d'hommes, bien qu'elle n'ait aucun véritable amant.

– Phoebe ! cria Skotia.

La concernée se retourna pour apercevoir la sorcière qui lui faisait des signes appuyés de ses bras. Elle se pencha pour murmurer des paroles au jeune homme qui déposa un baiser sur sa joue et malgré la distance, je la vis rougir. Elle finit par nous rejoindre.

– Que se passe-t-il ?

– Avant, qui était-ce ?

– Un voyageur.

– Son nom ?

– Skotia, cesse donc de la questionner. Vous parlerez après.

– Es-tu en colère ?

– Je te laisse deviner, répondis-je, avant de les quitter pour rejoindre la sortie suivie de ces deux désespoirs qui ne dirent mot.

Les chasseresses déjà présentes patientaient, ainsi que la servante qui m'avait interpellée, observant les chasseresses avec admiration, un éclat rare chez les paysans à la cour.

– Leur présence ne dérangera pas le roi, j'espère ?

– Non, déesse, répondit-elle dans une révérence.

– Bien, soufflai-je détournant le regard de la messagère malgré moi lorsque je le sentis se placer à mes côtés malgré mon ordre.

Je n'osai lui adresser un mot, pas devant elles, sachant que les chasseresses pouvaient s'y méprendre. J'étais moi-même perdue. Fuir n'avait pas été la bonne solution. Il persisterait, il avait déjà réussi une fois à me faire céder. Une deuxième n'était pas impossible. Il serait prêt à me mener à bout de ses mots trompeurs. La preuve était que malgré son bannissement, à ses yeux cela rester des mots, et nul ne m'avait entendu les prononcer.

Nous traversâmes le jardin pour pénétrer dans le mégaron. Le cœur empli d'un mauvais pressentiment, je franchis le rideau, prête à recevoir les paroles qui s'annonçaient vengeresses.

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