17. Oarion (partie 1)

«Believe that hope is
the stronger magic of all»

Il y a des années, sur l'île de Crête

J'attendais patiemment aux portes du mont Ida, nerveuse, battant du pied sous la brise fraiche du matin qui soulevait mes cheveux de ses secousses puissantes. Des herbes sèches parsemaient les abords du mont recouvert ici et là de petits arbres et buissons d'un vert sombre, contrastant avec la brûlure du sol, desséchant les alentours et donnant de ses éclats brillants des nuances d'or à la mer devenue calme.

Vêtue de mes haillons de chasse, le visage déformé par une colère inconnue qui m'avait envahie depuis ces cinq dernières années, à tel point, que je vivais en harmonie avec elle, m'en nourrissant, aveuglant une douleur plus profonde. Aux aguets, les phalanges blanchies, j'empoignais mon arc, les yeux dansant follement dans mes orbites.

Des oiseaux traversèrent le ciel, attirant mon attention qui fut déviée sur un lièvre qui disparut dans un petit buisson. Les lèvres tremblantes, je soufflais mon mécontentement. Apollon ne devrait plus tarder, je n'appréciais pas ma présence en ces lieux, seule, et laissant mes chasseresses sans protection, en toute conscience du danger que dissimulait cette île. Raison pour laquelle notre présence était nécessaire.

Un craquement m'alerta, je me retournai avec calme pensant y trouver mon jumeau, mais ce ne fut pas lui. À la vue de l'homme qui jaillit des branchages aux yeux identiques que ceux d'Apollon, mais possédant des cheveux bruns aux reflets clairs comme les miens, je saisis une flèche que je pointai sur son cœur.

– Diane, baisse ton arc, s'il te plaît.

Foudroyant du regard mon frère, je m'exécutai pourtant sans toutefois faire disparaître mes armes. Je pris un instant pour l'observer, peut-être dans l'espoir de saisir ce qui s'était brisé. Il n'avait pas changé, bien au contraire, il s'était adouci. Revêtant cette lueur que je croyais perdue dans les yeux qui me procuraient la sécurité, le réconfort, les consolations, l'assurance de ne pas craindre le monde extérieur. Le repère dans un monde froid et cruel sans pour autant être ma moitié, il n'était pas mon jumeau. Je clignai des yeux avec rage et le coup de vent emporta cet espoir brisé.

– Que fait-il ici ? Je le croyais disparu pour de bon, articulai-je d'une voix glacée à l'attention de mon jumeau qui m'avait arrêté.

Apollon s'approcha de moi, me faisant signe de le suivre, s'éloignant de quelques pas. Un dernier regard, je ne devais plus m'accrocher à l'idéal dans lequel j'avais grandis. Il était mort avec nous, emporté par la salive d'un vieux fou dans la foudre le guidait, imposant sa domination sous les œillades respectueuses et admiratives d'un peuple aveuglé.

L'envie de contrôler l'empyrée, affligeant de lourdes punitions à quiconque osait ne serait-ce murmurer son désaccord. Il méritait que Thétis lui plante un poignard en plein cœur, que les divinités prennent leur courage pour hurler leur haine envers celui qui les muait dans le silence, fléchissant les genoux face à ses décisions.

– Diane, écoute moi-s'il te plaît. Uniquement pour cette chasse, accepte-le dans tes rangs comme tu le faisais avec moi.

– Pourquoi donc ? Pourquoi Diane ? Je dénigre ce prénom, et tu le sais très bien. Il est ici, je devine qu'il l'a suggéré.

– Il a changé, il est redevenu lui-même. Il a disparu quelque temps, mais nous allons reconstruire ce qui a été détruit à l'Olympe.

– Des années, nous pensions qu'il était mort. Il nous a trahis. Il l'est pour moi.

– Nous sommes une famille, c'est notre frère.

– Le tien, il n'est plus le mien, plus depuis. Tu t'attaches encore à une famille qui n'était qu'une illusion. Nous avons pris nos chemins. Oubli comme je l'ai fait, il vaut mieux, affirmai-je, sentant passer cette brume sur mes yeux, voilant les souvenirs heureux et mouvant mes lèvres, prononçant des mots convaincants.

– Ne brûle pas aussi vite, nous n'avons été que victimes des moires et de notre père, tu ne connais pas toute l'histoire. J'en sais plus.

– Parle donc ? Vas-tu me faire croire qu'il a fait semblant ? ricanai-je, pourtant porteuse d'un espoir imperceptible.

– Souviens-toi s'il te plaît, celle qui a changé le plus c'est toi. Que disions-nous ? La famille...

– Tais-toi ! hurlai-je. Je ne veux plus en parler, le sujet est clos.

– Fais un effort, au moins pour moi. Ta haine ne doit pas lui être destinée.

– Il n'est pas plus mon frère qu'Arès, m'efforçai-je à dire.

– Il est apparu à Héphaïstos aveugle, il lui a rendu la vue. Puis à moi, me suppliant de l'aider et de chasser. Il a besoin de notre aide pour une raison qui nous sera bientôt révélée. Nous lui devons bien cela, je lui ai promis de te convaincre. Il est celui que nous avons connu, il est notre grand...

– Ne prononce pas ce mot, ordonnai-je sentant que les barrières que je m'étais imposées cédaient face à l'amour porté à la famille qui m'avait forgée, et accompagnée.

– Quelque chose de grave s'est produit, me coupa-t-il.

Je jetai un regard à Oarion, et derrière ses airs calmes qu'il revêtait pour ne pas inquiéter les enfants que nous étions, j'y déchiffrai une pression qui courbait avec légèreté ses épaules bâties. Je le savais plus prince de Béotie ni de l'Olympe, il ne l'avait jamais été, et ses chances pour le devenir avaient été effacées le jour de ma rébellion. Qu'avait-il enduré ? Oarion aurait-il pu éprouver des remords ? Quels secrets nous cachait-il encore, ancien comme nouveaux ? La manière qu'il avait d'agir seul sans nous mêler m'exaspérait.

– Apollon, cette chasse a une importance qui dépasse ce que tu penses. Je suis en exil depuis bien trop longtemps. Sur terre je suis reine, sur l'Olympe, je dois vaincre Lycaon. Père a remarqué que je me faisais un nom par moi-même. Il cédera. Un fait contraignant, je perds mes chances de siéger. Je ne permettrai pas qu'elle file entre mes doigts, mon frère.

– Je ne te demande pas de perdre, mais de gagner. Souviens-toi des temps heureux, tous les trois, nous parvenions à nos fins, ensemble.

– Le passé est le passé, répondis-je d'une voix tranchante. J'ai préféré l'oublier. Que trame-t-il encore ? Ce qui a été fait peut se répéter, il a pu rejoindre Lycaon.

– Ne dis pas de bêtises, trancha-t-il, des lueurs tristes dans les yeux.

– Comment peux-tu lui accorder encore ta confiance si, du jour au lendemain, il est devenu un inconnu à nos yeux, un étranger ! haussai-je le ton et de ses mains il me fit signe de baisser ma voix. Lycaon a été transformé par ce vieux fou, Zeus, il a ravivé la flamme de la guerre en terre barbare, l'un de ses loups m'a tué à ses débuts. Elle fait rage, nos sujets craignent que ses sbires franchissent la frontière. Aujourd'hui, ses plus puissants loups sont ici pour rejoindre la Grèce. Une chasse sans incident, je refuse de travailler avec lui. Tu dis qu'il est celui d'avant, il déteste donc Zeus et les raisons pour se joindre à Lycaon sont présentes. Je ne lui fais plus confiance.

– Diane, tu es surveillée de tous côtés, ennemis comme amis. Agir seule causera ta perte, tu ne bénéficies pas d'alliés suffisants, les mortels peuvent tourner leur cape à tout moment. Les rumeurs ont dû te parvenir.

– Comme celles que j'ai divagué pour mon mariage malgré mes hauts au cœur ? Ou ces absurdités de mon lien avec Lycaon qui a juré de m'épouser ? Tout n'est que mensonge. Je le tuerai de mes mains.

– Les murmures disent que tu t'es jointe à Lycaon pour faire tomber l'Olympe et te venger, reprit-il.

– Je ne ferai pas une chose pareille uniquement le jour qu'ils ne me pousseront à bout, et même ainsi, jamais. Tu le sais.

– Oarion de même, nous avons le même sang !

– Comme je l'ai avec Arès. Tu le sais, il n'a aucune valeur dans ce monde.

– Cette chasse permettra à Lycaon d'exécuter son plan, et tous te voient seule, comme une traîtresse. Accompagnée d'Oarion et du dieu Apollon, tout se passera pour le mieux. Tu n'ignores pas leur manière de penser.

Bien au contraire, j'avais fui ces mensonges assassins, cette noblesse hypocrite, mais je devais tout de même leur prouver que j'étais fiable au risque de perdre ce que j'avais construit de moi-même, par-dessus les ruines du prix sacrificiel.

La guerre des forêts avait repris, le feu s'enflammait, jaillissant des cendres. Asgard en était sorti affaibli, les morts cassants, ils ne viendraient pas en aide à ceux qui obéissaient désormais à leurs ennemis.

Les nouvelles divinités ne savaient pas s'imposer entre elles, laissant la liberté à Lycaon, banni de notre empire, à abattre sa rage sur les mortels, imposant sa domination et son règne. Il transformait des innocents à la pureté du lait, il s'en prenait aux enfants, créant une armée imbattable et maudite par l'empyrée. Le laisser saisir entre ses griffes mes terres était une hypothèse que je brûlais.

– Très bien, pour ma victoire. S'il tente la moindre chose et laisse son autre visage faire surface, cela causera sa mort, le mis-je en garde. Une promesse que je dépose en offrande à Styx. Nul n'échappe à mon courroux, ni même ma famille.

Il ne fit que hocher la tête et s'empressa de le lui dire. Mes yeux ne le quittèrent pas tandis que je rangeais mes armes, mais je laissai une main sur l'un de mes poignards. Je les vis discuter comme ils l'avaient toujours fait, derrière mon dos.

Je ne comptais plus le nombre de fois qu'ils avaient discuté à mon insu, pour me protéger, disaient-ils toujours, ou tout simplement parce que tous les deux étaient des hommes qui avaient eu la liberté de descendre, et d'être moins punis par Zeus. Bien que de toute mon enfance, la différence n'avait jamais été ressentie, bien au contraire.

Il nous avait emmenés chasser, me donnant goût à cet art que j'admirais de loin. Je ne pus empêcher un sourire se dessiner au souvenir de la fois où nous l'avions effrayé avec Apollon, le poursuivant à travers les bois avec nos arcs. Nous lui faisions voir de toutes les couleurs, mais il s'était toujours montré à la hauteur d'une figure paternelle qui nous manquait.

Je secouai la tête. Finalement, mon jumeau avait raison, nous pouvions recommencer une nouvelle vie, sur terre, redevenir une famille sur les bases de notre promesse, celle qu'il avait prononcée avant de me trahir. Il me jeta un regard empli de gratitude accompagné d'un sourire hésitant que je ne lui rendis pas si ce ne fut un regard aussi noir que la nuit qui s'était imposée à moi.

La douleur me saisit à nouveau au cœur, celle qui creusait plus profondément encore que la chair des os. Aveuglante, à la recherche d'un onguent pour apaiser la perte de ce que nous chérissions le plus. Lorsque les larmes coulaient pour ceux que nous considérions comme unique rempart face à la menace extérieure, elles ne faisaient qu'annoncer la solitude d'une vie démunie d'un secours porté, nous laissant nous noyer sous les eaux térébrantes sans qu'une main saisisse la nôtre pour nous permettre de reprendre le souffle.

Les chemins séparés, la seule issue était de continuer à avancer sans revenir en arrière, et décider de jeter un regard sur notre épaule signifiait baisser les bras un unique instant, prêt à recevoir la flèche qui transpercerait une armure bâtie par conséquent à l'abandon. Une petite voix venue du fantôme de mon cœur qui les aimait plus que tout au monde, déterminée à être à leurs côtés à jamais, qu'importait le prix à payer, me souffla d'accepter que nos chemins se recroisent. De lancer une corde pourtant frêle pour nous attacher à nouveau à ce qui nous était lié à jamais malgré nous.

Mon frère me fit signe de les rejoindre.

– Diane, me salua-t-il pourtant avec la tendresse d'un père et je ne fis que hocher la tête avant de prendre la parole.

– Apollon, tu connais l'emplacement du campement, allez-y, je vous y rejoins.

Ils s'enfoncèrent dans la forêt sans me poser de question, me sachant invivable sous cette humeur ardente. La pointe de mes doigts caressa mon bras sentant la chair se courber par points sous la force de mes poils qui se hérissaient sur tout mon corps, l'électrisant de toute part, tremblotant mes lèvres qui laissaient échapper un souffle lourd. Mes pupilles noires scrutèrent la minuscule forêt, sa terre asséchée sur laquelle les pas visibles ne m'indiquaient aucune menace.

Je sortis mon poignard sans émettre le moindre bruit, mais lui me voyait, m'observait, taisant le chant des oiseaux. Les mouvements avaient cessé, le ciel épuré d'un bleu azur amenait le calme à cette attaque. Je frissonnai en réponse à cette vague de froid en plein été. L'écroulement de pierre venant du mont me fit pousser un cri lorsque je découvris la roche qui dévalait la pente.

Clouée au sol, frigorifiée, j'avais la sensation que des plaques recouvraient mes pieds et mes jambes, m'immobilisant, m'empêchant de fuir face à ma mort prochaine. Cette glace entourant mon corps brûlait mon épiderme, blanchissant ma peau faiblement alimentée par l'ichor solidifiant. Les tremblements de mes membres résonnaient au rythme des battements de mon cœur sans que je ne sache s'ils étaient de peur, ou de froid. Mes lèvres scellées m'empêchaient de hurler, mais laissaient couler ce goût métallique qui se faufilait jusqu'à ce que ma langue s'en imprègne.

Je fermai les yeux, attendant le choc, réalisant que de moi-même, je n'y pouvais rien. Une masse me poussa de côté, mon corps tomba au sol provoquant un cri étouffé.

Je redevins maîtresse de mes membres, et les détaillai bien vite. Des traces de neige, non, de glace qui fondait recouvraient mes jambes, avant de disparaître comme si cet élément n'avait jamais existé. Égarée, l'esprit encore glacé, je sentis pourtant des bras me soulever pour me remettre sur pieds.

Je regardai Oarion, la mine soucieuse qui m'inspecta, vérifiant si je n'étais pas blessée et une once de colère envers l'incident passa à travers ses yeux qui tentaient de regagner la confiance.

– Je vais bien, je vais bien, m'exprimai-je en bégayant comme je l'avais fait à mon réveil lorsqu'il m'avait inspecté sous toutes les coutures si je m'étais remise indemne physiquement de mon assassinat.

Le cœur encore tambourinant après ce choc qui me gardait encore statufié, je m'accrochai aux repères d'antan sans songer au présent.

– Tant mieux, petite sœur, répondit-il déposant un baiser sur mon front.

– Diane !

Une masse de cheveux blonds envahit ma vue tandis qu'Apollon me serrait fort dans ses bras, étreinte que je lui rendis, reprenant des couleurs et l'ordre de mes pensées désordonnées. Je distinguai à nouveau les formes, revenant à moi tandis qu'Apollon entreprenait la même chose qu'Oarion.

– Je vais bien, affirmai-je d'une voix plus sûre et il déposa un baiser lui aussi sur le haut de mon crâne, rassuré, et le souffle d'agacement qui devait s'échapper ne jaillit pas.

– Les pierres ne devraient pas dévaler de cette manière, normalement.

– Il faut que je vérifie une chose.

Ce normalement m'avait fait buter, et la sensation de froid était d'origine surnaturelle, il n'y avait aucun doute dessus, et la naïveté ne faisait pas partie de moi. Je me dégageai de son emprise devenue trop protectrice après son départ à mon goût, mais qui par chance me laissait la liberté sans interdiction si ce n'était des mises en garde, ou des encouragements.

Mes genoux fléchirent devant la pierre tandis que mes yeux l'observaient, ma main se baladant pour ressentir. Par endroit, la surface brûlée était encore chaude, par d'autres, du givre fondait. Je saisis un fragment de cette roche, fermant les yeux, aspirant sa magie. La glace et le feu affluèrent, se mélangeant en une harmonie destructrice, créant une porte que je tentai d'ouvrir, mais ils m'attaquèrent, brûlant ma paume avant de la geler. Je sentis les éclats de la glace se mêler à mon sang, atteignant mon esprit, dissimulant le feu qui se propageait dans mes membres pas suffisamment ardents pour maintenir le morceau si innocent à première vue.

– Diane ? demanda Apollon me rejoignant.

– Ce n'était pas normal, affirmai-je la voix haletante, dissimulant ma main blessée. Une magie trop puissante pour en connaître les origines l'a provoqué. La glace et le feu.

– Deux pouvoirs impossibles à maîtriser.

– Si nous sommes mortels, précisai-je et un air grave recouvrit son visage. Mais un être a attenté à ma vie. La question est qui ? poursuivis-je, désormais inquiète.

– Tu ne risques rien.

Je ne répondis pas, songeuse, sur mes gardes. Il pouvait être encore là, à guetter ma réaction et mes pas. J'avais la certitude que Lycaon n'en était pas à l'origine, les loups n'avaient pas de lien avec ces éléments. Dans ce chaos provoqué par la guerre, un être pouvait profiter des confusions pour s'en prendre à moi, mais il n'était pas conscient que mes sens ne s'abaissaient pas.

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