16. Chasse [partie 2]
« All monsters were once full of light
But it was stolen by despair then
Darkness seeped in like a body disease
Once hope betrays you
You can't help but let the devil inside»
– Candeon ? Plus homme qu'Hippolyte, n'est-ce pas, Phoebe ? commença Skotia, nous rejoignant.
– Je suis navrée pour toi, Candeon, mais tu as désormais trouvé un foyer où tu ne risques aucun danger si Athènes n'est plus sûre. Une tente est libre, n'est-ce pas, Artemis ?
– En effet, une chasseresse est partie il y a déjà plusieurs semaines au nord pour éclairer, mais elle n'est toujours pas revenue.
Je ne précisai pas que j'étais rongée par une inquiétude altérante. La jeune Hypatia avait eu son premier sang l'année précédente et son insistance m'avait fait craquer. Elle devait revenir après trois jours, depuis bien plus elle est portée disparue et son jeune âge de l'enfance qui devait épargner, ne pardonnait pas.
– Je vois que tu as gagné, Artemis.
– Et tu me dois le prix à moi aussi, la magie d'Hécate n'est pas si puissante.
– Ni la tienne nymphette, lui lança-t-elle provoquant une exclamation agacée.
– Je vous arrête, les mérites ne me reviennent pas, mais à Candeon.
– Tiens tiens, fit Skotia posant son doigt au coin de ses lèvres, le scrutant avec des yeux devenus intelligents. Tu ne gagneras rien, ne rêves pas ! ajouta-t-il, laissant son véritable visage s'éclipser.
– Il est aussi doué qu'Oarion, n'est-ce pas Skotia ? demanda Phoebe innocemment, oubliant que son nom était imprononçable en ma présence.
– En effet, plus séduisant encore, répondit-elle consciente qu'elle ouvrait à nouveau une plaie, m'observant.
Je ne pouvais pas juger sur la beauté, j'avais regardé chacun d'une manière différente bien que plusieurs femmes avaient succombé. Je pouvais juste affirmer qu'ils ne se ressemblaient sur aucune part de leur être si ce n'était le talent pour la chasse d'animaux que mon jumeau partageait uniquement pour le tir, bien que ses proies étaient autres.
– Connaissiez-vous Oarion ? questionna Candeon d'un visage grave et intrigué.
– Phoebe, Skotia, vous ne lui avez pas raconté toute mon existence, n'est-ce pas ? fis-je remarquer d'une voix amère, et je retins mes tremblements, car je ne voulais pas aborder ce qui avait provoqué des terreurs des nuits entières.
– Nous avons éventuellement oublié quelques détails.
– Vous avez minutieusement choisi les faits à raconter.
– Pourquoi ne lui racontes-tu pas par toi-même ? me poussa Skotia, connaissant bien les dommages causés, et me poussant dans un piège.
Je sentais la braise en moi s'enflammer, brûlant les épines des ronces dans ma peau, mais je saisis la tige de la rose. La laissant transpercer ma paume avec une rage folle que je contrôlai comme je pus, leur lançant un regard sombre.
– Oarion avait la même relation avec mon jumeau que tu avais avec ton ami, peut-être plus forte à cause du sang. Cousin, précisai-je sans spécifier l'autre part de la vérité familiale qui m'incluait, et le voile qui venait apaiser mes douleurs fut plus faible. Il a eu le privilège de passer des journées dans l'empyrée. Il y a été mon fiancé avant que je ne me rebelle, une horreur décidée par mon père, continuai-je d'une voix flanchante. Le mariage n'a jamais eu lieu et il a été annulé. J'ai été en exil, bannie de l'Olympe jusqu'à regagner ma place. Cinq années à imposer mon nom. Oarion a disparu cette même longueur de temps avait d'apparaître en Crête à Apollon, puis à moi-même il y a cinq années. J'y menais une chasse, il a demandé à m'accompagner et j'ai été contrainte d'accepter, pensant que les choses s'amélioreraient. Il est devenu fou, il n'était plus celui que j'avais connu et il s'en est pris à des chasseresses. Il était devenu violent, ce n'était pas lui. Il a tenté de s'en prendre à moi, comme possédé. Prenant peur, j'ai dû lancer un appel à l'aide. Un scorpion a jailli des feuillages. Mon ordre ? Héra ? Gaïa ? Qu'importait, il l'a piqué d'une piqûre mortelle et il a disparu dans la mer. Je l'ai abattu d'une flèche, finis-je par avouer d'une voix devenue blanche par le voile qui couvrait mes yeux, avant de le regarder, une expression indéchiffrable.
– Par chance, il est mort.
– Skotia, s'il te plaît, insista Phoebe, réalisant l'erreur d'avoir évoqué Oarion, et de ses yeux de miel, m'observait, inquiète, au contraire de la sorcière qui scrutait mes faiblesses tout en répondant à la nymphe.
– Il s'en est pris à moi, je n'y peux rien, s'exclama-t-elle, désinvolte.
– Je ne le savais pas, Skotia, mais respecte sa mort, lui ordonnai-je après un ultime regard à Candeon qui semblait en avoir entendu parler et dans l'estime était bien différente que la nôtre.
Son visage était effaré, comme s'il percevait à travers mon masque que je portais, comme s'il me voyait différemment désormais. Diane avait tué le chasseur du sud. Je l'avais tué. Et il le savait. Mes démons, ceux de mes cauchemars de folie, vinrent effleurer ma gorge pour appeler le sang à moi.
– Artemis, qui est-ce qui l'a achevé ? commença Skotia d'une voix tranchante pour planter chaque parole dans mon esprit avec une brutalité doucereuse qui fit fuir ces êtres de la nuit. Bien que le scorpion ne fût pas le tien, tu as contribué à sa mort, ne le nie pas. Tu lui as ôté le dernier souffle de vie et à ma connaissance, ce n'était pas un enfant, n'est-ce pas ?
Je me raidis, sentant une vague dévastatrice traverser ma poitrine de part et d'autre, tordant mes muscles en une douleur insoutenable. Celle qui rongeait les lambeaux de vie qui s'accrochaient à l'épiderme rosé. Sa voix me transperçait, les ombres l'accompagnaient, et de ses flammes elle brûlait les feuilles qui recouvraient les secrets.
– Tu ressens la culpabilité après avoir répondu à un appel irréfléchi, embrasant l'incendie, mais au plus profond de ta noirceur, tu es certaine d'avoir fait le bon choix. Flanchant entre la peine et la satisfaction, nous ne pouvons parler de devoir. Ce que tu ressens et penses, tu es effrayée de l'accepter. Tu es la protectrice des enfants, mais ce n'est pas une raison pour posséder un cœur sensible, d'avoir des remords toute sa vie et des pensées qui rongent de l'intérieur jusqu'à te détruire. La haine en toi, tu n'arrives pas à l'enterrer, cessons donc de jouer un instant la comédie. Ton passé a semé des séquelles profondes, mais sans lui tu ne serais pas celle que tu es aujourd'hui, à te cacher dans la forêt. Tu affrontes, mais tu fuis à la fois. Ta famille est l'une des plus sanguinaires de tous les empires d'immortels.
Elle se tut un court instant, les yeux violets qui pétillaient comme si son âme ressentait cette énergie qui m'habitait, en écho à l'avide soif des démons qui parcouraient le monde, serviteurs des divinités. Le chiton sombre qu'elle portait se souleva faiblement par la brise étrangement brûlante, noircissant davantage, comme si elle avait décidé d'abattre ses pions qu'elle gardait à ce moment précis.
– Tu l'as dans le sang, tu ressens cette soif en toi et elle ne partira jamais, fais en toi à l'idée et accueille la pour la maîtriser sans lui laisser le temps de s'emparer de toi. Regarde la réalité en face. Tu assassines, tu es une meurtrière. Fenrir ? Niobé ? Oarion ? D'un sang-froid sachant qui il était ? Quelles sont tes limites ? Cesse de taire celle que tu es avant que les ombres te recouvrent, tu ne peux pas enfermer ce qui souhaite être libre. Tes démons sont en toi, tu ne peux pas les faire disparaître, continua-t-elle, et du bout des doigts elle semblait effleurer les parcelles de mes joues, les glaçant par la mort.
Je ne parvenais plus à me mouvoir, et elle semblait s'en amuser, appuyant pour révéler ce que je dissimulais. L'héritière d'Hécate avait décidé de reprendre le flambeau après m'avoir endormie ces dernières années, et j'aurais dû m'en douter. Mon esprit ne réfléchissait plus clairement, envahi par la magie.
– Je suis sorcière, Phoebe est une nymphe. Nous sommes nées ainsi et cesse d'éprouver les remords des regrets. Tu brûles de l'intérieur, apprends à contrôler cette flamme. Chaque vie, elle prend en puissance, ne la déverse pas sur des innocents, sur ta famille. Regarde ton frère, tendre et lumineux, mais meurtrier à la fois. Héra ! Noble, mais qui se venge sur les maîtresses de Zeus. Tu es comme ta famille, mais tu le sais tout comme moi, me susurra-t-elle à l'oreille. Ce qui sommeille en toi est bien plus puissant, ne sois pas aveuglée par ce pouvoir. Ne te cache pas dans les bois, cela ne fait que ralentir ce qui est sur le point d'exploser. Tu finiras folle. La question est, as-tu des limites avant de laisser jaillir l'incendie ?
Effrayée des paroles qu'elle avait laissées entrer au plus profond de moi tel le fleuve dans la mer qui se mêlait avec difficulté à l'eau salée avant de parvenir à se lier. Elle savait plus qu'elle ne le laissait transparaître, mes doutes possédaient un fondement. Elle avait levé le voile que je dissimulais.
Les mensonges ne m'assaillaient pas, ils naissaient en moi, tranchant les fils véritables qui menaient à mon esprit brisé comme un silex qui s'abattait à terre, jeté d'une montagne pour s'envoler au loin, mais qui finissait enterré dans la terre mère. J'avais cru caresser les pétales, mais j'empoignais ses épines, me concentrant sur une douleur montée de toute pièce pour apaiser l'âme en moi.
J'étais consciente de cette braise devenue feu, embrasant mon corps et brûlant les innocents de ses flammes dévastatrices, faisant couler le sang. Elles m'avaient toujours aidé à oublier, jusqu'à ce que Skotia prenne la décision de révéler la pierre gravée de ma vie pour que de mes propres yeux je lise les gravures inscrites par le sang de mes victimes.
Je les voyais désormais, et les larmes qui avaient tant coulées la dernière fois, avant que je ne laisse la brume envahir ma vue, ignorant les faits, les transformant, menaçaient à nouveau de couler le long de mes joues spectatrices du combat intérieur que je menais. Plantant les poignards dans mon cœur et les retirant aussitôt pour cesser le sang qui coulait abondamment.
– Artemis, nous t'aimons pour ce que tu es, commença Phoebe d'une voix chaude. Si un jour le volcan se réveille et explose, nous serons là pour l'en empêcher.
– Tu ne sais pas ce que j'ai commis avant de te rejoindre, Artemis. Je suis une sorcière, j'ai la magie dans le sang et je m'efforce à ce qu'elle ne prenne pas le contrôle. Phoebe est une nymphe des bois, associée à la lune. Elle a ses parts d'ombre, ajouta Skotia avec sagesse.
Je ne sus que répondre, le cœur battant à tout rompre, menaçant de s'arrêter à tout moment et me tuer une fois de plus. L'impression de lâcher prise venait et allait telles des vagues au bord des côtes les jours de tempête calme. Leurs épaules pour me soutenir m'étaient tendues, mais celles de mon passé avaient été emportées par le courant, le seraient-elles aussi ? Si je n'avais pas humé les fleurs du soleil, je me serais rangée du côté de mes démons sans hésitation, mourant.
Ce moment qui, après avoir tant gémis à la lune, hurlant sa douleur rageuse et réalisant que nous n'étions pas la personne douce et inoffensive que les pierres brillantes nous avaient montrée, mais était celle de la défaillance. Le choix de jeter à la mer l'amphore contenant les cendres d'un passé que nous souhaitions oublier avait été jeté, mais les effets des conséquences persistaient. Nous hantant de leurs fantômes démoniaques.
Trancher le fil qui nous reliait à une partie de nous-mêmes amenait à se séparer de la moitié de notre cœur à jamais, sombrant peu à peu dans les ténèbres dans lesquelles nous nous réfugions jusqu'à ce qu'un rayon de lumière les traverse et calme nos ardeurs, apaisant notre âme. Pourtant, un jour où l'autre une colombe pouvait porter dans son bec un fragment de ce passé, ravivant ce qui avait été laissé.
Échapper à notre vie était impensable, le passé nous rattraperait toujours pour construire notre futur. La paix accueillie ces années n'était que passagère et la crainte d'affronter mes démons sans les voir à travers un miroir muni d'un voile dissimulateur m'empêchait de faire ce pas en avant, mais il était temps que je tourne le dos.
– Artemis, nous rentrons, m'informa Phoebe, posant une main sur mon épaule.
J'acquiesçai et séchai les larmes de sang qui avaient coulé d'une main et les suivis, le visage meurtri. Je recouvris mon corps devenu tremblant de mes bras, luttant contre le torrent qui n'attendait qu'à se déverser, refusant de tomber une nouvelle fois. Les feuilles aux nuances flammes dansaient autour de nous, me rappelant sans cesse la mort de la nature. Les sensations en moi appréhendant le prochain pas n'étaient en aucun cas semblables à ce qu'il s'était passé cinq années auparavant. J'empruntais une nouvelle route, montais une nouvelle montagne sur mon chemin sinueux.
Je jetai un regard à mes mains, tachées de l'ichor et du sang couleur vin de la bête. Je frémis, ce sang ne s'ôterait-il jamais ? Je n'étais plus entourée des ombres qui me poursuivaient, naissant des fumées qui s'échappaient des cendres, vestiges de ce que j'avais brûlé. Elles ne faisaient que ressurgir, tentant de me séduire, mais je ne flancherais pas, pas une nouvelle fois. Je les avais combattues ces dernières années dans le silence, si la guerre était souhaitée je l'embrasserais.
Je sentis les yeux pesants de Candeon qui avait pris du recul, me talonnant. Il souhaitait me parler, mais ne trouvait pas les mots justes pour m'aborder dans les tourments de mon âme.
– Quelle est ta question ?
– Es-tu devenue protectrice des enfants à cause de cela ? Fenrir ? Pourquoi ?
– Je le suis devenue en effet pour cela, comme tu le dis. Je le hais, mais je ne peux nier l'apport qu'il m'a offert. Tu as déjà entendu les motifs, mais également par mon expérience. L'enfant est la plus innocente des créatures au cœur encore pur et innocent, et la guerre au nord me l'a démontré dans un village, et je n'ai pu sauver qu'un nourrisson. Haïr ne pèse pas autant que savoir que nous avons été la source d'une mort. Une mort jeune pardonne ses méfaits. J'ai provoqué une guerre, ôtant la vie à tant d'autres. Désormais, je protège comme j'aurais voulu être protégée des injustices de ce monde.
Il ne répondit pas tout de suite et se mua dans le silence, tout comme moi, jusqu'à ce que le campement se dessine et qu'il s'exprime.
– Tu brûles de haine pour lui malgré les paroles que tu dis, mais également pour toi même. Sa mort t'a chamboulée parce que tu l'as souhaitée, affirma-t-il fermement. Et tu le fais pour toi, et tu mens à tous pour ne pas être sentie source d'un conflit.
Je le foudroyai du regard, profondément blessée qu'il emprunte la même voix que Skotia. La vérité fissurait et mon cœur l'accueillait avec trop de liberté, me laissant à sa merci. Il ne me lâcha pas du regard et j'y lus ce que je lisais chez tant d'autres. Skotia avait ses raisons de tenter d'animer ces démons en moi, je me fiais à elle sans les connaître, mais Candeon n'était pas en droit.
J'avais reçu suffisamment de poison et il était la goutte en trop. L'éveil serait douloureux et je sentais mes barrières se briser peu à peu face à ce fouet qui s'était abattu. Mes faiblesses devaient être gardées pour moi seule. Je tournai les talons.
– Artemis, attends ! Je suis navré, tenta-t-il, mais dans ses pupilles il y avait la flamme assassine qui m'était destinée.
Je n'entendis pas la suite, me perdant dans la fuite d'affronter face à face les pensées des autres.
La couche m'accueillit et je fus propulsée dans le passé, à cette époque où je flanchais ardemment entre deux gouffres sans protection, si proche du bord, un pied déjà tombant. Skotia, Phoebe et Candeon avaient raison. J'étais un monstre qui cachait ma face obscure sans oser la regarder en face, préférant la voir s'élever derrière son dos avant de s'abattre.
Le temps n'avait de sens que s'il était muni d'étapes diverses et variées et oublier n'avait pas été la solution. Je ne dansais pas sur un fil, je me cramponnais à la surface rocheuse, cherchant mon chemin dans ce labyrinthe. La lumière était proche désormais, il ne me restait plus qu'à affronter ce que je fuyais depuis tant d'années, amenant à travers mes pas la destruction. Ce qui me poursuivait n'était pas mes démons, ils ne faisaient que nourrir. Ce qui me poursuivait n'était nulle autre qu'Artemis.
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