15. La Guerre des forêts [partie 2]
« You will have to wade through
Blood
To win this war »
Cette famille aussi lumineuse que leurs cheveux avait su apaiser mes tourments et la culpabilité qui me rongeaient de l'intérieur. Leurs airs éclatants qui parvenaient à jeter un voile d'ombre sur la guerre, emplis d'une foi révélatrice en nous avait éclairé à nouveau mes jours jusqu'à ce que la missive qu'un village avait été ravagé et brûlé ne me parvienne. Le leur.
Ces paroles avaient résonné dans ma tête, en un écho sans fin qui me dicta de suivre la fugue. Je ne pris pas la peine d'en informer qui que ce soit, mais fuis au loin, usant pour la première fois mon pouvoir de déesse, disparaissant de l'Olympe dans un souffle de peine. Ne me souciant pas des coups que je recevrais à mon retour.
Les larmes salées coulaient le long de mes joues tandis que mon cœur tambourinait contre ma poitrine, menaçant de la percer de l'intérieur. Ce furent les nuages noirs qui firent frémir les premiers mon corps encore secoué par mes sanglots qui se calmèrent, gonflé de l'espoir qu'ils aient survécu.
Entourant le ciel d'un halo sombre, indiquant les lieux du massacre, je peinai un instant à reconnaître le village où, quelques lunes en arrière, j'avais ri. Je m'étais promise de mieux connaître les autres membres de la famille, discuter avec Hael, me rapprocher de Kaado et même de Tanguy.
D'une main, j'essuyai mes larmes pour y voir clair. L'odeur de chair pourrie m'assaillit et je fus contrainte à placer un tissu sur mon nez, arraché à mes vêtements sans en prendre garde. La fumée des cendres m'empêchait d'avancer avec une visibilité claire, annonçant l'aveuglement causé par mes propres flammes brûlantes et destructrices.
Les yeux picotant, je papillonnai pour chasser les particules qui m'attaquaient. Sous mes pieds, un manteau de neige d'un noir calciné s'était posé, les braises encore ardentes, derniers vestiges de certaines habitations. Ils provoquaient des gémissements de douleur tandis qu'elles marquaient ma tendre peau de leur brûlure glaciale. Le feu finissait de consumer certaines maisons dans un crépitement aussi calme que le silence de la mort. Les cadavres qui parsemaient mon chemin, déchiquetés avec la violence d'une tempête cruelle, provoquaient des nausées, déviant mes pupilles voilées qui fixaient un point inconnu à travers le nuage bas pour éviter les corps.
Je scrutais la brume avec une panique qui serrait ma gorge, provoquant des hoquets, insufflant l'air par goulées irrégulières qui brûlaient ma gorge avec hargne, jusqu'à ce que je reconnaisse leur maison. Indemne, ou du moins, le feu s'était rapidement éteint bien que son chant résonnait lugubrement dans la clairière.
Mes pieds foulaient le sol tandis que le tissu qui recouvrait mon nez tomba à terre, se noircissant comme les frontières de notre empire touché par ces attaques. J'ouvris la porte avec fracas, mais son bruit fut sourd. L'odeur de brûlé se saisit de mes narines, mais je n'y prêtai pas attention, me tenant fermement au mur pour ne pas défaillir sous la chaleur aussi oppressante que les volcans des îles. Un mal qui altérait mes sens battait mon crâne, mais j'avançai jusqu'à l'apercevoir, ravalant ma douleur fracassante.
Helori était étendue au sol, sa robe en lambeaux était devenue d'un rouge d'une beauté éclatante sur laquelle ses cheveux presque arrachés s'y étaient collés. Des morsures et des griffures de bête recouvraient son corps sur diverses parts, laissant les bouts de tissus désordonnés sans la forme gracieuse et lumineuse d'antan. Elle avait été marquée par la sauvagerie de la mort humaine qui laissait son nom dans la peau, ignorant la grâce des animaux lorsqu'ils mettaient fin à la vie d'un coup précis.
Avec crainte, je m'approchai doucement, les perles salées incessantes, mais pourtant silencieuses. Vidée de son sang, elle était aussi pâle qu'un spectre qui se promenait dans les nuits sombres. Les yeux clos, le visage épargné de toute trace si ce n'était sa lèvre fendue, elle semblait sereine sous ses griffures. Partie en paix, rejoignant ses ancêtres.
Les corps des garçons manquaient à l'appel, mais espérer ne valait plus rien dans ce monde confus. Leur cadavre devait désormais être étendu dans les bois, tués tandis qu'ils fuyaient dans un dernier élan de survie. Le village avait été décimé, ils avaient péri. Je revis le visage empli de précaution de Kaado, le rictus coléreux au coin des lèvres de Tanguy au loin, le visage rayonnant de Helori ainsi que celui de Hael, et les rires de Killian.
Mes lèvres commencèrent à trembler, humidifiées par mes larmes qui coulèrent avec plus de puissance tel le torrent du collier que j'avais offert pour les protéger. J'avais failli. Un gémissement suivi d'une cascade de bruits incontrôlable, m'étouffant de l'intérieur, jaillirent. Impuissante, je trébuchai en reculant, touchant de mon dos le mur brûlant. D'une main, je visais le ciel, tentant de me retenir, mais je tombai doucement le long du bois calciné, face à la mère qui ne connaîtrait jamais la joie de voir grandir son fils.
Mes larmes coulèrent sans retenue tandis que mes mains s'acharnaient sur mes cheveux, les tordants dans tous les sens pour taire cette douleur qui lacérait mon cœur, mes pleurs résonnant à travers les bois. Je tremblotais, me noyant dans ces perles salées dont le goût si pur n'éveillait que souillures. Mes phalanges devenues aussi blanches qu'elle, je ne pouvais pas ôter mes pupilles de son cadavre tué avec sauvagerie sans que nul ne puisse la secourir.
Je pouvais presque entendre leurs cris de désespoir au milieu des tumultes et des cors de la mort. Une rage s'était saisie de mon cœur, griffant de mes ongles le sol à mes pieds. Elle, Hael, Kaado, tous, ils étaient morts.
Peu à peu, ma voix faiblit jusqu'à devenir muette, me muant dans le silence, les paupières refermées, les mains creusant une tombe à mes pieds, mais il fut cassé par des pleurs lointains.
Je crus aux échos de la bataille, imprégnés dans la terre mère, enterrés pour des siècles, mais ils perçaient le voile jusqu'à atteindre la réalité, m'éveillant de cette torpeur peinée. Les yeux mouillés, je ne voyais que des tâches floues, obscures aux filets de lumière sanguins, mais aucune qui ne se mouvait. Les pleurs retentirent avec plus d'intensité. Un bébé faisait savoir au monde qu'il vivait encore.
D'un bond, j'étais sur pieds et cherchai dans tous les recoins avec folie de mes yeux dansants dans leurs orbites jusqu'à le trouver, enveloppé dans des draps devenus rouges, mais le protégeant du massacre. Le petit Killian pleurait, cherchant sa mère, ouvrant sa bouche sans dents, se tuant à hurler. Autour du cou, le collier que j'avais offert à Kaado pendait, se soulevant au rythme de sa respiration profonde, s'enfonçant dans son torse robuste, mais aux os encore frêles. De l'or de bronze sur un bébé orphelin et égaré.
Délicatement, taisant mes sentiments, affichant un sourire déformé pour le calmer, je le pris dans mes bras et passai ma main autour de son visage pour qu'il ne puisse pas apercevoir sa mère. Il avait suffisamment vécu. Le berçant, je quittai sa maison de bois, symbole de richesse, mais devenu poussière comme celles de boues et de plantes, démontrant que dans une guerre, nul n'était épargné. Une idée précise en tête, je tournai le dos aux ruines qui viendraient nourrir la terre de leur histoire éphémère.
Le silence mortuaire avait envahi la forêt et sur plusieurs pas, des flammèches brûlaient des semences d'herbes. Je ne m'en souciai pas. Sous le soleil puissant qui se levait, je traversai la forêt, détournant le regard du cadavre du mari de Helori et père de l'enfant orphelin, un homme bon avec qui j'avais pu échanger quelques paroles lors de mon départ. Ses yeux à lui étaient grands ouverts, globuleux.
Une frayeur, un désespoir qui avait vu être emporté les deux garçons vers une mort certaine avait de s'éteindre, sans connaître leurs derniers instants, songeant qu'ils avaient soufferts, et un éclair de douleur me traversa à la dernière pensée des petits garçons, et en particulier de Kaado. Mais je devais me concentrer sur son neveu, tenter de tenir ma promesse que je lui avais faite, et ne pas me laisser abattre ou chercher des corps disparus. Ils pouvaient être encore là, je devais partir malgré moi.
Les animaux s'étaient tus, il n'y avait pas un bruit, il n'y avait aucune présence. Le nourrisson finit par s'endormir dans mes bras, encore secoué par les cauchemars qui l'assaillaient, mais ses yeux s'ouvrirent sans expression lorsque j'arrivai au village au bord de la rivière Axios. Une autre région, un autre peuple, une autre culture, mais un recommencement. Les Thraces, un peuple également aspiré par le chant des lames. Je leur confiai l'enfant. Au creux des courants tout comme son collier, il y serait en sécurité. Le village féroce le protégerait, l'éduquerait comme un guerrier.
Le chef ainsi que les villageois l'acceptèrent sans se questionner, me connaissant de nom grâce au commerce avec la région d'Aricie où la nymphe et le dieu d'une région me vouaient une reconnaissance éternelle, et surtout par ma mère, Léto. J'étais sa fille, sœur d'Apollon. Nous y étions en partie priés, mais mon passage fit brûler de l'encens et des tiges trempées d'huile.
J'y étais connue sous le nom d'Artemis Aricia en cette région lointaine d'un autre bras dans la mer, et ici, j'étais priée sous un autre nom encore. Au-delà des mers en Aricie, j'étais une protectrice d'un sanctuaire, aimée en tant que déesse. Ici, j'étais une déesse sauvage, telle un miroir de celle que j'étais, comme s'ils n'avaient connu que le souhait de ma mère pour ma liberté à qui j'avais tourné le dos. Leur estime à mon égard m'encouragea à me libérer, dévoilant l'histoire d'une voix impérieuse avant de les mettre en garde.
– Il se nomme, commençais-je, Killian Axios, finis-je, ajoutant le nom du fleuve. Lui et ses descendants reçoivent la bénédiction de la déesse Artemis, déclarai-je, entourant le petit corps en pleurs d'un halo argenté et posant ma main sur sa joue, la gravant de ma marque. Quiconque lui fera du mal subira mon courroux.
Je partis, les laissant entre leurs mains et une menace non dissimulée. Ils savaient que, si l'enfant se voyait mal mené, ma vengeance s'abattrait. Et le sentiment de puissance s'empara de moi, d'un plaisir délictueux. De toutes les années passées, je ne frappai qu'une fois, provoquant une fausse couche chez la femme qui l'avait maltraité.
Je hâtai le pas sur le chemin du retour, seule, les pleurs qui avaient cessé, perdue dans mes pensées. Mon conscient ne parvenait pas à réaliser que je rentrerais sur l'Olympe et continuerais de l'avant portant sur mes épaules les souvenirs de partis. Une ombre perturba mon champ de vision, attirant mon attention.
Je m'arrêtai et scrutai les environs, le cœur encore chavirant. Une ombre, ma gorge se noua et la peur se saisit de moi, accélérant les battements de mon organe de vie.
– Artemis, je présume ?
Je me retournai pour faire face à un homme aux yeux rouges qui s'approchait, salivant tel un loup. Je fus déroutée et sentis un haut-le-cœur lorsque je vis un filet de bave s'écraser au sol après avoir parcouru sa mâchoire avec avidité. Je devinai être un lycanthrope, et je frissonnai tout en reculant, sortant un couteau que je dissimulai. L'un d'eux avait tué cette famille, et un sentiment de vengeance s'empara de moi, car ils avaient tué ces personnes qui me devenaient chères.
– Ne m'approchez pas ! hurlai-je de toutes mes forces pour avertir un quelconque être dans les environs.
– Lycaon te veut, répondit-il simplement.
– Il a été banni pour sa tyrannie.
– Il a une armée, et des alliées. Il envahira la Grèce d'ici quelques années, mais toi, ma jolie, tu n'aurais pas dû te retrouver dans les bois.
Je trébuchai sur une branche, mais repris mon équilibre, le menaçant de mon arme, fermement, un éclat brilla sous le rayon de soleil qui avait traversé les ramures des arbres, le visage féroce. Je refusais de lui montrer la légère teinte de peur qui m'habitait, mais qui se dissipa rapidement.
Il ne se laissa pas intimider, mais me scruta calmement avant de sauter sur moi d'une posture animale. L'irréelle s'appropria de la vitesse réelle. D'un coup vif, je le blessai à l'épaule, mais d'un geste rude il arracha le couteau de mes mains provoquant un cri de douleur lorsque mon poignet craqua, brisant mes os en reflet à mon âme fissurée.
Je le sentis s'enfoncer dans mon ventre et un hoquet s'échappa. Il le retourna et la lame transperça ma chair avant qu'il ne l'ôte, la jetant plus loin, ensanglantée de l'ichor d'or. Mes mains se posèrent sur la plaie tandis que je relevai les yeux vers lui puis mes mains, prête à reprendre le combat malgré la douleur et ma vie qui s'échappait. Je n'eus le temps que d'apercevoir ses griffes qui fusèrent en direction de ma gorge qu'il trancha d'un coup sec.
Je vins entourer mon cou, sentant le sang couler bien que je serrais de toutes mes forces faiblissantes. Il avait dû les tuer de la même manière, et ils n'étaient que des jeunes.
Cette sensation de se noyer s'éprit de moi. Je sentais de mes lèvres le sang se déverser doucement, envahissant ma bouche d'un goût métallique sous ses ricanements cruels. Ma langue en fut submergée avant que l'ichor ne glisse le long de mon visage comme des perles d'eau, tombant par goutte à terre. Je m'écroulai au sol avec une grimace de rage, les yeux commençant à se voiler et des larmes à couler de colère. J'étais prête à le tuer de pouvoirs inconnus trop longuement ignorés.
Un sifflement, et une flèche s'était plantée dans son cœur avant qu'il ne me touche et que je n'explose. Mon assassin tomba à terre tout comme moi, dans un fracas léger, les corps meurtris. Je cessai de combattre la mort, me sachant en sécurité, et nous fermâmes les yeux.
– Artemis ! crièrent à l'unisson les voix de mes frères déjà lointaines.
– Je n'ai pu sauver que le nourrisson, réussis-je à prononcer avec un sourire sincère, mais tremblant.
Je ne ressentis plus rien, le noir m'envahit et j'expirai mon dernier souffle, apaisée que la douleur disparaisse à jamais de mon corps déchiré.
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