14. Arrivée [partie 2]
She is full of wounds, riddled with scars
But she is still standing and she still beautiful
Je m'éloignai à petits pas, mais tendis tout de même l'oreille, car je n'ignorais pas que leurs messes basses seraient prononcées malgré mon absence. Par chance, lorsque je pénétrai dans ma tente, leurs paroles me parvenaient comme le chant des oiseaux au loin.
Elles avaient toujours été là, me soutenant lors de mes sombres moments, sauf dans celui qu'elles contaient. Il n'appartenait qu'à moi et à un enfant assassiné qui, bien qu'il m'eût fait du mal, m'avait permis un exploit que j'ignorais toujours. Préférant garder ma part et non la sienne. Une forme de protection pour survivre dans un monde sauvage. J'affrontais tout ce qui se présentait, sauf mes démons. Malicieux, s'alliant au destin pour me détruire, en vain.
Je saisis une plaque de bronze et m'observai dans ce miroir. Mon visage, propre aux reines, qui puisait ses forces dans mes peines, se dessinait, dissimulant mon âme. Derrière, j'étais rongée par un passé que je m'efforçais d'oublier et, faisant appel à leur caractère, mes sœurs m'étaient toujours venues en aide.
Leurs ténèbres et lumières avaient permis de tenir éloigner ces voix qui tentaient de m'atteindre, ces phalanges des morts dans les plus profonds cauchemars. Comme cette voix jaillie d'un monde lointain à sa mort. Je pouvais encore l'entendre m'appeler, mais elle s'était éloignée.
– Elle est immortelle, mais certaines cicatrices sont éternelles. Il a quitté ce monde, finit Phoebe d'une voix voilée, remontant mes souvenirs de culpabilité d'avoir provoqué et souhaité une mort, d'avoir été vue comme l'assassine que j'étais lorsque je ne voulais qu'être une déesse admirée.
Je secouai la tête, désireuse d'oublier ce sentiment à son égard.
– Il le méritait, ajouta Skotia, ôtant tout charme au récit d'un passé que nul jamais ne comprendrait, et ce pincement de joie à sa mort s'éveilla.
– Est-il réellement mort ? entendis-je, tandis que je me débarrassais de mon péplos mouillé par l'eau qui n'effacerait jamais le sang de mes victimes dont ma peau s'était imprégnée.
– Es-tu sourd, le chasseur ?
– Certains dieux peuvent périr, dont Fenrir, Hippolyte, révéla d'une voix plus douce Phoebe.
Je sortis ma tenue de cuir que j'enfilai avec calme tandis que ces mots résonnaient. Parfois, je me questionnais si, derrière toutes ces hostilités, nous n'avions pas des ressemblances qui nous séparaient en un premier lieu. Mais qui dans un futur envolé aurait pu nous rapprocher comme cela avait été le cas entre mon jumeau et lui.
Ces instants de doute revenaient lorsque son poignard brûlant se faisait ressentir avec plus d'intensité, ouvrant mes yeux au monde soumis auquel j'avais tant aspiré sans m'y trouver. Il s'était montré vil à mon égard, mais ses mots blessants m'avaient donné un autre aperçu de la vie.
Cela l'avait tué.
J'étais devenue plus forte.
Les souvenirs affluaient, difformes, et s'obscurcissant au fur et à mesure des années. Ne faisant bientôt plus que partie du monde des rêves.
– Elle s'est toujours sentie coupable des circonstances qu'elle a révélées et dès qu'elle le pouvait, elle se rendait sur place pour venir en aide aux populations décimées et aux enfants, victimes d'un conflit né par la flamme qu'elle a allumée. Tu devrais connaître l'histoire des guerres, et si elle a battu Lycaon en Crête pour mettre fin à cette deuxième phase qui était celle de la guerre civile après la perte de la guerre d'Asgard face aux dieux des forêts, c'était pour se racheter de son mal. Pourtant, elle reste impétueuse.
Je me mordis la lèvre tandis que j'attachais autour de ma taille la ceinture munie de deux poignards, réalisant une chose qui était sortie naturellement droit de mon cœur. Je semais la mort et tentais de récolter la vie en offrant protection aux enfants et jeunes filles. Chaque jour, des leçons s'ajoutaient, renforçant mon armure sanglante.
– Tiens, un arc et des flèches. Artemis ne devrait plus tarder.
Je commençai à tresser mes cheveux sauvages, songeant à ce qu'aurait pu être ma vie si rien de tout cela n'était arrivé. Je serais dans un palais, je serais à Asgard, je ne serais pas brisée. Mais je préférais ma destinée malgré tout, car la liberté valait bien davantage.
– Une chose que je peux t'assurer est que, bien qu'elle soit consciente qu'il lui a apporté des connaissances, la haine à son égard tait toute compassion et, si elle le recroisait, elle n'hésiterait pas à lui planter une flèche en pleine poitrine, s'en amusa Skotia.
J'attachai à l'aide d'un morceau de cuir fin ma chevelure. La fille d'Hécate me connaissait mieux que moi-même et commençait à éveiller la crainte. Elle me le faisait comprendre, mais je préférais garder l'indifférence. Aveugle à la réalité pourpre.
J'ouvris les pans de ma tente et sortis, saisissant au passage mon carquois et mon arc. Leurs regards se posèrent sur moi, réalisant que je n'avais pas raté une miette de la conversation. Je ne dis mot, et les dépassai, sans leur jeter un regard, cachant le fait que j'étais profondément touchée par les secousses que j'avais provoquées, les braises que j'avais laissées sous la cendre.
Cette partie de ma vie comme toutes les autres. Mille flèches s'étaient plantées dans mon âme, me rappelant chaque jour ma souffrance sanguinaire. À une époque, elles étaient si vives que je sombrais dans la folie avant que la couleur du soleil n'apaise les douleurs qui désormais ne me picotaient qu'à des moments éphémères.
– Une tenue amazone ? m'arrêta pourtant une voix.
– Tu en as de la culture, Hippolyte, répondis-je, me tournant vers lui et sa contemplation n'était pas discrète, imposant une certaine gêne.
– Artemis est lente, et coquette. Sa face cachée, plaisanta Skotia, et le rire cristallin de Phoebe s'envola dans les airs. Elle reste hyperboréenne, et crétoise.
– Intéressant, s'exprima Hippolyte, laissant apparaître son sourire qui me déstabilisa par sa profondeur de pensées démunies d'étonnement.
– Nous avons toutes nos marques qui persistent d'une vie passée devenue étrangère, n'est-ce pas ? répétai-je les paroles que Skotia m'avait dites tant d'années auparavant après le meurtre des filles de Niobé.
– Tu aimeras certainement celle venue droit d'Asgard, commandée à ses goûts et plaisirs. Walkyrie, amazone, chasseresse... D'une beauté aussi sublime que sauvage, un mélange de ce qu'elle est. Elle s'y est déplacée par elle-même malgré la haine à son égard de l'empire, et surtout, elle a failli se faire assassiner par...
– Je m'en suis sortie vivante par mon unique force d'esprit, tel est l'important. Je ne survis pas, je vis, précisai-je, sans mensonge, mais le voile noir qui passa sur les yeux du jeune homme ne me passa pas inaperçu, comme s'il avait eu vent de l'incident dans les détails, et qu'il ne croyait pas ma précision.
– Skotia, que s'est-il passé ? réalisai-je enfin sous le léger gloussement de Phoebe et mes moments d'absence lorsque les pensées prenaient possession de moi.
Ces instants éphémères qui m'engloutissaient dans les eaux sombres de mes souvenirs à l'intérieur même de mon âme et l'extérieur disparaissait par fragments.
– Tu as tardé si longtemps que nous avons eu le temps de lui conter toute ta vie, pourquoi ? me lança Skotia avec effrontément.
– Vous n'avez pas osé, m'exclamai-je presque, les dents serrées.
– Si, navrée chérie, me dit sans être désolée, Skotia, et dans ses yeux je sus qu'elle avait gardé des parts d'ombres, mais lesquelles ?
J'avais donc dû m'assoupir en fuyant les souvenirs qui m'assaillaient, me tuant à petit feu. Ils revenaient doucement à ma mémoire. Je frissonnai. La peur me saisit qu'il ne découvre les atrocités que j'avais commises, mes crimes, mais dans ses yeux clairs j'y lisais sa part de noirceur.
– Je vais annoncer le départ à la chasse.
Je tournai les talons sous leurs regards amusés et celui indescriptible d'Hippolyte qui trahissait une expérience inconnue. Sa carrure loin d'être frêle transgressait les nouvelles règles de beauté de nos peuples qui s'imprégnaient des Crétois et non plus de leurs ancêtres envahisseurs, mais son visage s'accordait à nos idéaux.
Prince, mais chasseur. N'avais-je donc jamais entendu ses prières dans mes temples ? Il ne semblait pas être l'homme à s'enfermer entre ses murs pour psalmodier et préférait, tout comme moi, courir libre. J'étais sceptique quant à l'avis que je devais lui porter, tout comme lui sur moi. Il n'était rien d'un fervent, qu'importait les légendes.
– Hippolyte, mon chou, as-tu assisté à la fête de la Reine de Chios en l'honneur de sa fille il y a quelques années ? lui demanda d'une voix innocente, Skotia.
– Oui, en effet, pourquoi ? demanda-t-il, interrogateur et méfiant par ce ton étrange.
– As-tu croisé une jeune femme qui de sa main t'a frappé ? Attirant les regards moqueurs sur toi, et touchant ton égo lorsque ton sang coula ? continua-t-elle, et par le silence, je devinai qu'il avait acquiescé, l'incitant à continuer. Elle porte un nom, Artemis ! s'exclama-t-elle fluette.
Je sentis ses yeux se poser sur moi et sans réellement le vouloir, je ne pus m'empêcher de tourner la tête pour plonger les miens dans les siens honteux. Je ne laissai pas transparaître mon embarras, mais finis rapidement par me faufiler entre les chasseresses pour leur donner mes consignes pour cette journée, recevant les cris de joie de cette communauté et fuyant ses yeux qui me cherchaient. Gardant la tête haute, diadème à nouveau sur mon front.
Resplendissante, je l'ignorai, préférant acclamer d'une voix guerrière les mots que les chasseresses attendaient avec avidité, sans se soucier de notre échange comme si nous n'étions que des lapins dans une clairière.
– Que la chasse commence ! hurlai-je avant de m'éclipser comme toutes elles.
Plongeant dans le monde qu'était le mien.
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