13. Thésée
«The begin of a war
Will be stay secret »
Les immenses portes du palais d'Athènes s'ouvrirent dans un grincement de bois, me laissant pénétrer à l'intérieur de la cité. Des gardes me révélèrent de leur lance l'entrée à la salle du trône et ouvrirent les loquets. Des colonnes de pierre colorées se mariaient aux fresques représentant des scènes de chasse comme en Crête, prouvant l'influence que commençait à exercer l'île sur la Grèce continentale. Elle verrait bientôt disparaître ses colonnes grises, froides. Aux airs nordiques, elles étaient les seules sources d'une forme différente des grandes pierres qui bâtissaient les palais bien distincts que la Crête plus pacifique et colorée.
Un courant d'eau salée se déversait entre elles, menant des chemins divers à travers le mégaron obscur éclairé par des torches. Les murs se confondaient aux colonnes. Deux portes discrètes de part et d'autre, dissimulées derrière le trône de bois recouvert de feuilles d'or, permettaient certainement d'accéder aux habitations royales, ou à une route de fuite.
J'aperçus deux ouvertures dans le mur qui menaient aux salles annexes. Des lampes à huile faites de bronze éclairaient les lieux de leur faible lueur. Les rayons de soleil qui passaient par les fenêtres étaient suffisants. Le bruit félin de mes pas indiquant ma présence imposa le silence dans la pièce agitée de la matinée.
Les conseillers et autres personnes hautes placées me jetèrent un regard que je ne leur rendis pas. Ils m'avaient reconnue et l'ordre de quitter les lieux ordonné par Thésée les fit s'éclipser derrière les lourds rideaux qui séparaient les salles et le chef de guerre lui-même, nous quitta.
Nous nous toisâmes quelques instants dans un silence pesant sans qu'aucun geste ou parole ne vienne combler ce moment de jugement entre deux êtres puissants. Si ce ne fut un hochement de tête pour nous démontrer notre respect.
La peau olive, les cheveux bruns et légèrement frisés, les traits du corps fins et les yeux reflétant la couleur de ses cheveux qui appelaient au long écho qui parcourait la méditerranée. Il ne ressemblait en rien à son fils.
– Que me vaut cet honneur, Artemis ? me demanda-t-il d'une voix étonnée.
– Roi Thésée, commençai-je sur un ton impérial. Il faut que je vous parle, en privé, ajoutai-je jetant un regard aux rideaux qui se mouvaient.
– À quel propos ?
– Hippolyte, répondis-je d'une voix qui malgré moi sonna vibrante.
Ses pensées profondes percèrent son visage impassible qui se déforma avant de reprendre son masque de la justice qu'il appliquait, bien que son père le surpassât. Il se leva de son trône et me fit signe de le suivre. Le jeune roi s'engouffra dans le couloir que j'avais aperçu derrière le trône et monta les escaliers jusqu'à arriver à l'étage supérieur. Il parcourut le balcon qui longeait différentes portes, offrant la vue sur la mer au loin et la plage sauvage de sable. Le vent souffla dans mes cheveux, accueillant.
– Ma femme sera présente si cela ne vous dérange pas, m'informa-t-il ouvrant une porte.
– Ne vous inquiétez pas, répondis-je, entrant dans ses appartements. Votre père ?
– Il ne sera pas présent, il se repose. Trop vieux pour tenir tard au soir, mais encore jeune pour ne pas être levé à cette heure.
Je ne fis que hocher la tête, admirative de ce vieux roi qui avait su réunir la région Ionienne morcelée par les attaques achéennes qui établissaient leur peuple sur les terres sous une même couronne avec cœur et justice. L'exemple des rois, bon envers son peuple qui ne mériterait qu'aucune malédiction ne s'abatte sur sa famille.
L'encre de son nom resterait à jamais, bien que l'ère des trônes et royaumes venait à peine de débuter en Grèce. Mais bientôt des palais s'élèveront et parsèmeront l'empire de part et d'autre, pas aussi puissants que l'Égypte, mais le bronze graverait la pierre. Persée en était le premier, bâtissant Mycènes.
Des chaises finement décorées et certainement cadeaux des terres noires faisaient office de meubles. Quelques vases étalés intelligemment ajoutant de la matière à la pièce, les accompagnaient. Dans un coin, je finis par apercevoir un petit autel sur lequel des statues et des encens étaient posés. L'un des murs était recouvert d'armes de toutes sortes, preuve de la nature guerrière du continent avide de puissance et de sang.
Des tablettes fraîchement gravées au stylet étaient laissées sur une petite table, contenant certainement le nombre d'habitants, de champs, de récolte ou encore de bêtes. Royaume contrôlé et annoté faisant en sorte que les riches familles ne prennent jamais le dessus du roi et que les hommes survivent. Une peau de lionne cachait une autre pièce, sans aucune once de doute leur chambre à coucher.
Elle finit par se soulever laissant entrer une jeune femme aux cheveux frisés, aussi bruns que les noisettes, et aux yeux foncés. Une robe presque transparente recouvrait son corps. À ma vue, elle hoqueta de surprise et s'empressa de s'incliner, attendant un ordre de ma part.
– Relevez-vous.
– Artemis, quel est le sujet de votre visite honorifique ?
– C'est au sujet de votre fils.
– Ce n'est pas mon fils, vociféra-t-elle, indignée.
Cet irrespect me déplut et je le lui fis comprendre. L'aura la força à frémir, et comprenant son erreur, elle baissa la tête, effrayée que je lui fasse du mal. Elle n'était plus la jeune fille qui avait imploré mon aide, mais la femme qui priait Héra pour son mariage et sa vie loin de Crête.
– Qu'a commis mon fils ? murmura-t-elle d'une voix fragile.
– L'avez-vous tué ? interrompit Thésée avec un soupçon de crainte, le visage devenu blême.
– Je ne suis pas une assassine, spécifiai-je, grinçante, sachant pertinemment que je me mentais à moi-même. Je tente de faire preuve de clarté dans mes actes. Bien au contraire. J'ai dévoilé le côté sauvage de votre fils, fervent de la chasse qui trop humble, ne m'a pas avoué de vive voix que je dois être sa déesse de prédilection, mais l'a laissé entendre. Il a exprimé le souhait, après une altercation et des observations, de rejoindre mes rangs. J'aurai refusé et puni pour son impudence... Sans aller jusqu'à sa mort, mais ce cas n'est pas commun. Il est votre fils et les dieux vous respectent, dont moi. Vous et votre père avez gagné notre estime et nous savons que nous ne faisons pas la même erreur que les tyrans. Sachez que désormais, il est sous mes ordres. Sa vie est entre mes mains et ses choix seront les miens.
Leurs réponses pouvaient être nombreuses, de la joie et des cris d'exclamations, de la gêne et de la retenue, mais surtout de la reconnaissance. Pourtant, dans leur expression je n'y lus que la pâleur de leur visage, les tremblements de la femme et les mains rassurantes de son époux qui se posèrent sur ses épaules pour calmer son cœur saccadé sans pour autant la brusquer.
– Vous n'auriez pas dû, murmura Thésée d'une voix sèche, des lueurs folles dans le regard.
– Pourquoi donc ? questionnai-je. Vous devriez être flattés, déclarai-je, courroucée.
Un éclat de divagation puis, il tomba à terre. Ses yeux ne me fixaient plus et les couleurs de son visage se perdaient, devenant spectral. Il était ailleurs et ici à la fois, sa bouche se mouvait formant des phrases incompréhensibles. Il était pris de tremblements comme si des voix menaçantes lui chuchotaient ses conséquences aux oreilles, comme si l'oracle lui avait susurré son futur déplaisant.
– Vous avez creusé la terre de vos mains, déesse, comme nous tous.
Sa voix était parsemée d'éclats de verre, provenant d'outre-tombe comme si elle était contrôlée par de longs fils, l'obligeant à répéter ses mots de folie. Semblable aux pythies lorsque l'esprit des moires s'emparait d'elles.
– Un menteur, comme lui, comme tous. Leurs manigances prévues à l'avance sans que nous ne voyions le feu qui incendiait nos plaines. Il est trop tard désormais. Quelle fut ma folie de les avoir accueillis à bras ouverts, puis lui ? Un roi aux deux enfants qui ne formaient qu'un ? Elle avait pris le pouvoir par la lame comme les rumeurs le murmuraient. Une sorcière, depuis si longtemps elle s'est alliée à lui par pure jalousie. Ne pense-t-elle pas à la seule personne qu'elle aime plus que tout au monde ? La mort l'a-t-elle réellement frappée ou n'attend-elle que son heure dans l'ombre de la nuit ? Le fils d'une géante, la vérité si proche sans qu'ils la voient. Et eux... Ennemis silencieux qui rôdent, sans être soucieux, plongés dans les ténèbres, attendant l'heure de leur ère. Le silence imminent, le silence avant le tempétueux vent. Des fantômes qui dansent dans l'empire sous les rires paisibles. Pourquoi accepter de protéger et accepter en son sein celui qui détruira ? Le danger court devant leurs nez. Le pouvoir étranger bien plus puissant que les autres, guerriers. Invisibles... Tromper ses adversaires. L'identité... Berner les autres. Les pactes... Assurer sa protection par alliances. Le pouvoir... Plier les autres à sa propre volonté. Les masques... Excellents pour attraper les innocents dans ses filets. Il est trop tard et l'encre a commencé à se tracer dans le papyrus du temps. Protéger... L'unique chose qu'il reste pour vivre, et sauver.
Il délirait, possédé par l'esprit malin que tout homme désespéré laissait pénétrer lors de sa visite dans les entrailles de la Terre de Delphes, inspirant les brumes aveuglantes et craignant le serpent dont l'esprit mort hantait les lieux. Il n'était plus le roi Thésée, mais un mortel.
– Fuyez Artemis ! Fuyez ! Fuyez vite !
Je restai muette de stupeur, ne sachant comment réagir face à cette scène macabre. La femme le secouait par les épaules, tentant de le ramener à la réalité, en vain, et me hurlant un ordre. Il professait sans relâche. Les larmes coulaient en ce jour de paix, comme si la guerre se trouvait derrière leur porte et le loquet ne suffisait pas à la retenir au-delà des murs protecteurs.
– Je découvrirai la vérité, affirmai-je avant de quitter les lieux, le cœur bouleversé et la conscience secouée.
– Ne la cherchez pas, revenez en arrière et fuyez aussi loin que vous le pouvez, ou vous le regretterez, répondit la reine d'Athènes.
Je ne fis pas demi-tour et préférai fermer les yeux un instant, chassant mes pires craintes. Je me voyais dans un nuage de brume qui m'aveuglait. Un lieu démuni de rayons argentés ou des bruits clairs des bêtes sauvages. Dans les limbes du temps d'un monde qui me dépassait, tentant de mes doigts de saisir une rose qui me mènerait aux ronces qui me montreraient le chemin pour sortir du monde des aveugles dans lequel je ne percevais rien, les yeux couverts du voile du pouvoir.
Je les rouvris et hâtai le pas, calmant la respiration qui soulevait mon torse avec hargne. Les lèvres entrouvertes, je m'efforçai de respirer avec légèreté et de garder un air hautain. J'accélérais comme si le mal était à mes trousses. Prenant une tournure, je percutai un petit corps que je retins avant qu'il ne tombe au sol.
Les yeux bruns comme ceux du roi et la chevelure frisée aux nuances du sable de la nuit. Le nez retroussé comme Thésée, je remarquai que leurs traits se ressemblaient bien trop pour qu'un lien soit inconcevable, malgré sa peau plus hâlée.
– Tout va bien mon petit ?
– Qui êtes-vous ? m'interrogea-t-il, fronçant les sourcils et tentant de regarder par-dessus mon épaule.
– Artemis, la déesse. Et toi ?
– Deimophon ! s'exclama-t-il, bombant le torse sourire aux lèvres. Je vais vous révéler mon identité secrète, Hippolyte, continua-t-il baissant la voix et je loupai un battement. Le fils de Thésée et d'Antiope. Puis-je vous aider, reine Artemis ?
Je ne m'empressai pas de répondre, encore arrêtée sur son deuxième prénom. Il était impossible que Thésée ait deux enfants et dans ma mémoire, le fils qu'il avait eu avec une amazone avait l'âge du petit bout de chou qui me faisait face.
Hippolyte, le chasseur que j'avais accueilli, m'avait donc menti, du moins cela était l'unique réponse logique qui me venait à l'esprit. Absente tout comme le roi, je clignai des paupières pour laisser s'envoler les paroles de Thésée.
– Deimophon, connais-tu un second Hippolyte ? demandai-je d'une voix douce.
– Oncle Hippolyte ? C'est le cousin à mon papa ! Il a dit que je lui ressemblais beaucoup. À lui et à mon autre oncle. Il est très gentil avec moi. Il m'a montré comment tirer à l'arc.
– Depuis quand le connais-tu ?
– Il est arrivé il y a deux années, je crois. Je ne l'avais jamais vu avant, uniquement mon autre oncle qui n'est jamais revenu, m'avoua-t-il d'un air triste. Papa m'a dit que c'était mon oncle lui aussi, et que l'autre combattait au-delà du ciel. Il a aussi dit qu'il allait vivre désormais ici. Je l'aime beaucoup mon oncle.
– Et d'où vient ton oncle ?
– Je ne sais pas. Je crois qu'il chassait dans la région de Trézène, il y chasse toujours d'ailleurs. Les personnes nous confondent très souvent, mais uniquement de nom. Mais je ne sais pas où il est né. Mon papa et ma belle-maman ne veulent pas me dire. Ils disent que c'est des affaires d'adultes. Et avant Trézène je ne sais pas. Personne ne le connaît. Même pas mon précepteur qui est très sage et qui sait tout ! Je ne suis pas censé vous dire tout ça. Papa dit que c'est un secret de royaume et qu'il ne peut pas entrer dans les détails. Il faut demander à mon papa.
Il semblait fier de cet oncle, mais des lueurs de tristesse passaient dans ses yeux. Peiné par la perte de son autre oncle, ou de l'interdiction de comprendre l'origine de ce prénom qu'il partageait. Le nom faisait partie de l'être, il avait besoin de savoir. Tout comme moi qui ne comprenais pas ce qu'il me disait. Je devais être dans l'ignorance de faits qui avaient eu lieu si proches et lointains à la fois de mon royaume, mais l'Olympe s'en occupait certainement. Athéna en particulier. Un courant froid tendit mon échine.
– Je t'en remercie, va et vis.
Il m'offrit un dernier sourire avant de disparaître dans le couloir lumineux duquel je venais. Les choses devenaient étranges depuis l'arrivée de ce chasseur, il avait ouvert une porte au monde extérieur. Je savais les alliances courantes, mais cette sombre affaire n'était pas aussi commune. La réaction du couple royale ne m'avait pas laissée indifférente. Un souffle glacé traversa une fois de plus le couloir et un nuage recouvrit le soleil tel un présage lié au chasseur.
J'entendis un cri traverser le ciel, sonnant familier à mes oreilles. La peur serra mon cœur et je fuis, une nouvelle fois, toujours tout droit pour sortir en trombe du palais. La panique s'était saisie de moi, hurlant sa réponse aux scènes qui s'étaient déroulées devant mes yeux. La respiration saccadée, je ne pouvais plus nier que je courrais un danger inconnu. Les démons se mêlaient aux fantômes, déterminés à s'en prendre à moi, encore une fois. Les raisons de mon esprit me poussaient à parler avec l'Olympe pour rassurer mon cœur sur Athènes et les propos sombres du roi.
Mon âme me dictait de poursuivre par moi-même comme j'avais procédé tout du long de mon existence. L'instinct me murmurait que tout avait un lien, des secrets m'étaient dissimulés, mais la mascarade avait trop duré. Je reprendrais les choses en main, coûterait ce que coûterait le prix.
Les dents serrées, le visage déformé par la colère d'ignorer, je jurai que quiconque qui trahirait ma confiance paierait de sa vie. La guerre s'était cachée durant trop d'années, elle revenait, car jamais elle ne disparaîtrait et si elle devait avoir lieu au sein de l'empire et que j'y étais impliquée...
Je me battrais jusqu'à mon dernier souffle.
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