12. Souvenirs [Partie 1]

«She was a girl with

a mountain to climb»

Il y a quelques années

Je poussai un râlement étouffé de douleur lorsque je sentis mon corps s'écraser avec violence sur le sol. La nuit plus noire encore que mes démons ne me laissait entrevoir que deux ombres qui se mouvaient entre les ténèbres sous une lune croissante. L'une attachait les chevaux au tronc sec d'un arbre craquant, tandis que la deuxième s'empressait de délier mes poignets.

L'instant où je me sentis libre, je dégainai l'un de mes poignards qui vint se blottir sous sa gorge. Ce geste ne provoqua aucun mouvement. J'abaissai mon arme avec un grognement de colère et la laissai rejoindre sa jumelle qui étincela de son éclat métallique.

– Skotia, j'aurais pu te tuer, la prévins-je d'une voix aigre qui ne provoqua qu'un silence de sa part tandis qu'elle abaissait sa capuche pour me fixer de ses yeux aux flammes violettes nullement impressionnée, ce qui me mit en rogne.

– Tu ne sais que chasser, pas combattre, me charria-t-elle.

– Pas besoin de me jeter mes défauts en pleine figure, j'en suis suffisamment consciente et cela m'est bien égal. Je n'en ai nullement besoin, je suis déesse.

– La vérité fait mal lorsqu'elle est accompagnée de regrets, n'est-ce pas ma belle ? continua-t-elle avec un sourire dédaigneux.

– Que fais-je ici ? prononçai-je amèrement.

Elles se lancèrent un regard inquiet, mais ne me lancèrent aucune pique. Les seules à connaître une partie de la vérité et de ces cauchemars qui me dévoraient de l'intérieur mêlant mes larmes aux nuances de sang et de ténèbres chaque jour un peu plus jusqu'aux os qui se déchiraient de mon cœur écorché. La brume recouvrait la vue de mon âme, menant un combat sans fin avec mes souvenirs assassins. Je souffrais chaque nuit le martyre, assaillie par des démons qui provoquaient des hurlements qui jaillissaient de ma gorge, se mêlant aux feuillages de flamme des arbres, menaçant d'incendier la braise en moi.

– Tu es ici pour oublier, définitivement. Une fête a lieu dans le palais de l'île de Chios, m'avoua-t-elle et je ne sus si le souffle qui s'échappa était le soulagement ou la crainte de me laver les mains.

Leurs capes tombèrent au sol dévoilant leurs robes raffinées et pures. Celle de Phoebe cernée d'or et d'une blancheur immaculée rappelait son innocence. Skotia portait quant à elle une pourpre aux lueurs noires et violettes cernée d'une ceinture à la couleur du mercure. Leurs yeux fixaient désormais la source de cette joie lumineuse et les lueurs des torches qui y menaient me firent reculer d'un pas, me criant de leurs crépitements que je ne le méritais pas.

Les voix festives nous parvenaient depuis le jardin. Mon attention fut déviée sur un craquement de branches à ma droite et des bois démunis de bêtes depuis son passage. Un couple se révéla riant de vive voix, les pupilles dilatées. Réalisant notre présence, ils s'arrêtèrent, éveillant en moi de mauvaises pensées.

L'aura que j'avais cachée gagna en ampleur, pesant sur leurs frêles épaules, les forçant à tomber à terre face à la déesse. Des supplications furent murmurées entre leurs lèvres autrefois gonflées, mais désormais sèches. Leurs yeux baissés, leurs genoux fléchis, je me sentis puissante et m'en délectais, comblant un vide. Leur montrer l'horizon de mes capacités me faisait sentir aussi apaisée qu'une rose. J'étais reine, un sourire malsain éclaira mon visage pâli. Leurs effrois nourrissaient mes craintes.

Ils avaient souhaité s'amuser dans les bois, la pire des calamités qui me donnaient des nausées. J'étais prête à leur faire goûter le prix de cet égarement, sauver la jeune femme qui n'aurait pas le choix du mari et pourquoi pas ne pas en finir avec l'homme qui profitait de cette faiblesse pour la berner ?

Ils étaient vils de se servir des femmes pour négocier des mariages inutiles sans se soucier des sentiments, et la femme payait leurs méfaits. La jeunesse permettait de découvrir les plaisirs, il était temps qu'ils s'éveillent de ces absurdités.

L'homme trompait, la femme nulle ne le lui permettait malgré les illusions d'équité. Dans une posture grimaçante, mes doigts se tordirent et j'effleurai un point de non-retour comme les dernières fois, emplie d'un sang-froid et déterminée à leur faire boire le goût métallique de l'absurde vérité.

– Laisse-les, ils sont jeunes et s'aiment, m'interrompit Phoebe, saisissant ma main et taisant l'ambiance cruelle. Vous pouvez y aller, les rassura-t-elle.

– Avant que vous n'y alliez, quel est le chemin le plus rapide pour ceux qui naquirent avec l'effervescence ?

– Suivez le chemin des oliviers, lorsque vous trouverez le grand feu, entrez dans la cour recouverte de palmes, murmura la jeune fille d'une voix chevrotante avant de s'éclipser.

J'observais les bois desquels ils étaient venus sans comprendre le besoin de trouver un être qui se voulait destiné. Ces mensonges cachaient une réalité aussi menaçante que le bronze qui coulait avec ascendance entre les mains salies.

– Chérie, ton cœur est évanescent, me glissa la fille des enfers à l'oreille.

Je ne sentis que faiblement mon échine se hérisser, encore avalée par cet élan dévastateur, mais je savais qu'à mon éveil, les torrents couleraient. Et dissimulée entre les pans de ma tente, ses paroles me hanteraient. Je posai ma paume au centre de ma poitrine et le sentis encore battre, faiblement, mais l'ichor était encore chaud pour une durée inconnue à mes yeux irisés.

– Je retourne chez moi, affirmai-je d'une voix pourtant voilée.

– Tu rentres dans ta tanière sans affronter le monde dans lequel tu as décidé de vivre ? T'interdis-tu le droit d'exister parce que tu en as ôté ? m'éclaira Skotia aussi perçante qu'une pointe.

Je grognai et elles me tournèrent le dos, rejoignant les festivités insouciantes du monstre qui s'y trouvait. Mon index vint recueillir la petite perle qui avait coulé grâce à cette île qui réchauffait les cendres en moi avant qu'elles ne se glacent. Je ne voulais pas perdre cette humanité et cet incendie en moi qui dévastait tout sur son passage méritait de ressentir sa douce chaleur. Je décidai de marcher tout droit et sceller le papyrus sous les éclats de joie.

Un vent froid qui me contrait commença à souffler, se mêlant à mes soupirs embués. Je devrais me réjouir que les guerres étaient finies, qu'Asgard appartenait à mon passé, que la guerre des forêts n'avait pas dépassé les frontières. J'avais mis fin au tyran canin d'une flèche, finissant de détruire tout ce qui appartenait à ma vie d'antan. Je devais aller de l'avant et viser le levant sans jamais m'arrêter. La mère était morte pour laisser place au père et j'avais eu la décence de choisir mon moment en cette époque de changements.

Je possédais mon trône et ma couronne, mais à quel prix ? Celui de la liberté pourpre.

Je fixai mes pieds nus et mes genoux qui avaient tant de fois touché le sol sans y rester, s'élevant de leur propre force, mais tâchés de la flaque carmin. La cape étoilée qui recouvrait le ciel et la Voie lactée qui traçait le chemin au-delà des étoiles me dissimulait.

Je verrai demain, j'avais survécu et je brillerais encore de mille feux dissimulant les ombres. J'avais fini de me battre, mais le combat continuait. J'avais une nouvelle famille, mais je ne parvenais pas à apercevoir le filet de lumière entre les ronces épaisses et ma position dans cette vaste forêt m'était imperceptible.

J'étais plus perdue que les femmes qui cherchaient une nouvelle vie loin des mœurs de leur peuple. La flamme de haine envers le monde qui leur naissait dans le cœur était aussi éternelle que la mienne jusqu'à ce qu'elle s'éteigne et rende son dernier soupir avec elles.

Elles s'enflammaient de l'extérieur contrairement à moi qui brûlais aussi de l'intérieur, poursuivie jusqu'au coucher du soleil. Les sentiments en moi se mêlaient à tel point qu'ils faisaient de moi la reine crainte, mais qui s'embrasait à tout moment jusqu'à perdre les pétales de la rose dont l'éclat disparaissait. Ils se consumaient. J'écrasai un morceau de bois calciné qui devint poussière avant d'être dispersé par le vent.

Mon regard s'égara dans la foule des riches aux vêtements raffinés venus de la méditerranée. Je tachais encore une fois le paysage harmonieux. Les hommes devaient se trouver dans une salle, imitant les modes égyptiennes.

Les femmes discutaient et les jeunes profitaient tant qu'ils le pouvaient. Nul n'était seul, ayant besoin de quelqu'un sans la possibilité de vivre en solitaire sans l'aide de quiconque. Un jour, ils apprendraient qu'ils étaient les seuls maîtres de leur destinée et que leur foi suffisait à vaincre ennemis comme amis et familles sans être dompté, et compter sur de fausses promesses. Ne plus se soucier.

Je m'approchai d'une table et saisis une coupe de vin. Mes lèvres se posèrent sur le rebord de terre et aspirèrent une gorgée de ce liquide sucré. Des bras encerclèrent ma taille, m'attirant contre un torse qui défiait les lois idéales des miens au corps fin. Je sentis le souffle chaud se loger dans mes oreilles et ses lèvres effleurèrent ma peau.

– Une nouvelle arrivante ? Je suis certain que la beauté de ton visage égale celle de tes courbes. Pourquoi ne pas me le montrer à la lueur du foyer, sauf si tu préfères les bois ?

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