11. Pacte [partie 1]
«Be Fair
Be Brave
Be Ambitious
Be Wise»
Mes yeux devenus aussi noirs que la nuit, je quittai la tente, saisissant ma ceinture aux deux poignards qui vint entourer ma taille fine sous les gloussements amusés de mes sœurs qui ne remarquèrent pas que mon diadème avait été posé de côté pour passer inaperçue dans les bois et ne pas attirer l'attention du danger. Je fermai un instant les yeux, éblouie par la lumière puissante du soleil qui m'attaqua comme un avertissement que je balayai d'un papillonnement de paupières. Le bruit assourdissant me guida à travers le campement délaissé de chasseresses calmes menant leur vie.
À mesure que j'approchais du rassemblement, les cris de colère me parvenaient, assourdissants, mais à ma vue, toutes se turent et se tournèrent pour me faire face. Du regard, je parcourus l'amas qui s'était formé à l'entrée de la forêt. Elles ne tardèrent pas à comprendre que je souhaitais parvenir au prisonnier, et formèrent un couloir pour me laisser passer.
Genoux à terre, quelques griffures au sang sec, les mains fermement ligotées derrière son dos, Hippolyte me fixait de ses yeux envoûtants, sourire au coin qui avait sans aucune once de doute provoqué les chasseresses. Je ne me laissai pas berner par ses charmants airs.
– Hippolyte, commençai-je sèchement. J'avais cru t'avoir ordonné de ne plus venir sur mes terres, mais détrompe-moi ?
– Tu l'as fait.
– Que fais-tu donc devant moi ? questionnai-je d'une intonation impériales.
– Les explications peuvent être longues, tenta-t-il, toujours mutin.
– J'ai tout le temps du monde, affirmai-je, croisant les bras.
– Compliquées, ajouta-t-il.
– Parle si tu ne veux pas que je finisse avec ta misérable vie.
– Tu n'en serais pas capable, m'affirma-t-il, me mettant au défi, et voyant que je tardais à répondre, il n'hésita pas à continuer son petit jeu. Es-tu réellement reine ?
– Je peux te faire souffrir de bien d'autres manières, répondis-je machiavéliquement.
Un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres en écho au mien, qui également soulagé, me rassurait de ce sang froid que je peinais tant à garder. J'aperçus sans peine qu'il se retenait de parler et il n'était pas dans le tort. J'entrouvris mes lèvres et lui soufflai un dernier avertissement qui le fit frémir d'une peur angoissante.
– Je ne suis pas la gentille reine aux agneaux, je cours sous les flammes de la lune. Je te le demande une dernière fois, que veux-tu ? tranchai-je telle la pointe d'une flèche.
– Je suis un chasseur, l'un des meilleurs. Je suis le chasseur de Trézène, et je souhaite rejoindre tes rangs et chasser à tes côtés.
Il se tut, imposant un silence lourd qui fut comblé par les rires ironiques qui éclairaient les lueurs de désespoir dans ses iris tout comme un éclat de méchanceté qui traversa ses pupilles. Ses phalanges blanchirent, et je fus la seule à apercevoir un rictus illuminer son visage assombri. Il était prêt à attaquer en retour.
– Il est encore mieux de ce que je pensais, me glissa Skotia entre deux éclats de rire.
– Je comprends pourquoi il a retenu ton attention, ajouta Phoebe.
Je ne les rejoignis pas et ne quittai pas du regard le jeune chasseur profondément touché par ces moqueries blessantes à ses yeux. Un élan de compassion me saisit, je connaissais ce ressenti sans qu'il ne m'aveugle. Un court instant d'hésitation, et je levai la paume avant d'enrouler mes doigts sur eux-mêmes, imposant le silence brisé par une simple question.
– Songes-tu réellement à l'accepter ? m'attaqua Opis d'un ton qui me déplut.
– Je n'ai pas dit oui, commençai-je, et le regard d'Hippolyte se voila. Ni dit non. Un conseil s'impose. Que nul ne le touche ou ne s'adresse à lui jusqu'à mon retour.
Sur ces derniers mots, je tournai les talons et m'engouffrai dans la première tente suivie des neuf premières nymphes, dont Opis ainsi que Skotia et Phoebe qui entrèrent. Du pied, je décalai le tabouret pour dégager l'espace avant d'affronter la horde mécontente.
– Écoutez-moi, je ne sais quelle décision prendre pour l'instant, débutai-je, les regardant une par une, la louve au milieu de sa meute, mais jugée par leurs regards. Un jour comme un autre, j'aurais refusé sans même me poser la question, affirmai-je sans ajouter la possibilité que je l'aurais certainement exécuté par un élan de folie. Pourtant, nous sommes un autre jour bien plus sombre. Ces attaques, le retour des loups et d'autres raisons m'empêchent de trancher aussi rapidement. Il est le fils de Thésée, un royaume allié et protégé par l'Olympe et il est préférable pour moi que je ne les fâche pas avant un certain moment, avouai-je d'une voix qui traduisit l'évidence que le sujet était clos et privé. Si je refuse, je n'ose imaginer ce que cela pourrait provoquer.
– Pourquoi donc ? s'empressa de demander Opis.
– Opis, je te conseillerai de ne plus m'interrompre. J'ai de l'estime pour Thésée qui a soutenu mon royaume et par ce fait, ces petits royaumes insignifiants de bergers ont été contraints de se plier. Les cités de demain me respecteront, Mycènes en est l'une d'elles.
– Mycènes. Elle sent tant les douces histoires, souffla Skotia, et je l'ignorai.
– Je pense accepter sa proposition, il pourrait cacher un fervent culte à l'égard de la chasse et je ne souhaite pas de futurs ennemis sur le dos. Et l'Olympe est prêt si j'engage le moindre mauvais pas.
– Tu ne peux pas l'accepter ! me hurla Opis verte de rage. Orphelin, prince ou immortel. Il est un mâle et il brisera les règles que toi-même tu as établi. Tu es une jeune reine, mais délaisser si facilement une loi encore fraîche est un signe de faiblesse. Et l'Olympe n'a rien à t'ordonner.
Je sentis mon ventre se tordre face à cette vérité profanatrice. Il m'était impossible de nier les faits et briser une règle était tel un amas de bâtons, ils tombaient un par un jusqu'à ce que tout s'effondre, mais en maintenir de force un sans le laisser dévier de sa route allait à l'encontre du cosmos. Et l'Olympe ne devrait pas me faire plier si facilement les genoux, mais les exemples des pêcheurs et pêcheresses nous obligeaient à baisser les yeux.
Bien que je sois déesse, je savais être sous le joug d'une entité aux pouvoirs qui dépassaient les étoiles. Opis parlait avec ses cicatrices intérieures, mais sa mise en garde avait asséché ma bouche, fendant mes lèvres d'où un filet de sang coulait pour se mêlait à ma langue bloquée dans mon palais, démunie de parole.
Les autres membres du conseil attendaient patiemment mon verdict, Phoebe n'osait pas se prononcer sachant que je connaissais son point de vue, celui de donner des chances à tous ceux qui se présentaient à la recherche d'aide. Et Skotia n'était intéressée que par l'amusement que cela lui procurerait. À ces yeux violets, tout n'était que jeu tandis que chez la nymphe à la chevelure lumineuse, les cadeaux de la vie ne pouvaient pas être refusés.
Quant à moi, je devais tenter d'échapper à tout nouvel outrage que je visais sans le vouloir et dont les conséquences désastreuses me faisaient savourer un maelstrom d'émotions aussi sombres que la nuit et brillantes que le jour. Elles provoquaient dans mon cœur la satisfaction du néant issu d'un chaos éternel qui tourmentait mon âme brisée à la recherche d'onguents cicatrisants pour apaiser ce que je causais.
– Opis, écoute-moi, menaçai-je et ses yeux cernés d'un bandeau noir plongèrent avec hargne dans les miens qui s'apprêtaient à lui avouer le chemin semé d'embûches que j'avais décidé d'emprunter. Je sais ce que les hommes t'ont fait, je sais que tu as banni l'amour pour ces raisons, prenant la décision de ne jamais connaître ton amour à toi, mais il n'est pas eux et cette décision est mienne. Il sera prévenu des conséquences. Les ennemis, il faut les tenir à l'œil et plus proche encore si nous le pouvons. Je ne tomberai pas dans le piège des hommes, mais il est un chasseur reconnu, et sans aucun doute protégé par l'Olympe.
– J'espère pour toi que ton exception ne te mènera pas à ta perte. Nous ne sommes pas des amazones, ne l'oublie pas.
– Je le sais, nous appartenons aux cieux et elles à la terre. Je suis heureuse que tu me comprennes.
– Profite bien de cette vie que tu choisis, plaisanta Skotia réalisant mon choix, et je lui jetai un regard noir qui ne la fit que ricaner.
– Tu devrais toi aussi suivre plus fervemment les règles à la place de blâmer ma protection accordée à un brillant chasseur, ripostai-je.
– Vous êtes trop totalitaires, à ne pas apprécier une simple danse. Les plaisirs de la chair je peux les comprendre, mais l'amour ne se commande pas.
– Pourquoi nous as-tu rejointes ?
– Artemis le sait, cela suffit Opis. Nous avons toutes des raisons, sauf Phoebe qui recherchait une famille et que le lien d'une amitié aussi puissante que des sœurs l'a noué à cette communauté. Nous connaissons Artemis depuis qu'elle est princesse, nous avons suivi, trancha Skotia, rêche.
Opis n'ajouta rien et préféra se taire, le visage grave. Elle faisait partie des chasseresses qui étaient vouées corps et âmes au monde idéal que j'avais créé et bien que nous n'étions que des femmes, elle n'allait s'éprendre d'aucune. De l'avis que l'amour pouvait être tracé à jamais si la foi y était, elle était l'une des premières chasseresses, à la tête de toutes les autres.
Constamment, elle me rappelait que je n'étais pas l'exemple parfait par mon passé et mes doutes. Je n'avais pas vécu un traumatisme comme le sien qui bloquait tout tracé qui menait aux lueurs chaudes d'Éros. Je n'avais que fui, et je m'étais protégée contre la destinée.
– Nous verrons ce que ce jeune homme nous réservera, Artemis, me chuchota Skotia à l'oreille lorsqu'elle passa devant moi, quittant la tente et suivit des autres encore sous le choc et jugeant ma personne de leurs yeux déçus, mais tel avait été mon choix.
J'avais saisi la corde une nouvelle fois sans savoir si elle viendrait entourer mon cou, se saisir de mes poignets ou enchaîner mes ennemis. Pourtant, étrangement, je sentis les caresses de ces liens dorés embrasser ma peau braisée.
Il avait raison, je me balançais sur une corde frêle au-dessus d'un gouffre qui m'appelait, mais je n'abandonnerais pas et s'il le fallait, je sauterais par-dessus les pics épineux. Jusqu'à atteindre l'autre côté, qu'importait les obstacles et cette attirance pour les ténèbres dont les murs m'appelaient, et que derrière les pétales sang, les ronces ne rêvaient qu'à lacérer mon épiderme déjà marqué.
– Ne fais pas attention à elle, écoute ton cœur, me rassura Phoebe.
– Je me demande si à trop l'écouter, il ne finira pas par lâcher, murmurai-je avant de saisir le pan de la tente et l'élever.
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