10. Observations [partie 2]

« They say the end is coming sooner
But the end is already here »

Je ne me fis pas prier de la questionner, saisissant cette perche qu'elle me tendait volontairement pour m'attirer dans un jeu auquel je souhaitais atteindre l'arrivée sans passer par la moindre case.

– Quel loup ? articulai-je pour qu'elles ne feignent pas l'incompréhension.

– Aucun, s'empressa de répondre Phoebe, reprenant la partie que je ne suivis pas.

– Phoebe, insistai-je, menaçante.

Je la vis hésitante, se mordillant la lèvre inférieure et jetant des regards de panique à Skotia qui se délecta quelques instants de sa perte de contrôle avant de prendre les commandes de la conversation.

– Il est temps que tu le saches, tu l'aurais appris bien assez tôt. La situation est devenue plus grave qu'à son origine, et un nombre incalculable de cadavres jonchent les sols du nord, dont certains qui t'ont été dissimulés. Daphné a entendu les appels de désespoir des nymphes et je sens le mal près de chaque corps. Nous t'en révèlerons plus à l'unique condition que tu nous révèles tout sur cet Hippolyte, nous sommes curieuses ! me supplia Skotia sans me laisser le choix.

– Très bien ! capitulai-je. Je vous préviens, vous allez être déçues.

– Il doit être particulier pour avoir retenu ton attention de cette manière, c'est même le premier.

– Je vois où vous voulez en venir et Skotia, cesse donc cette grimace sous-entendue. Dois-je vous rappeler nos vœux ?

– Cesse donc d'être totalitaire chérie, et décoince-toi, sois moins sur tes gardes, me lança Skotia avec légèreté.

– Je ne reviendrai pas sur cette conversation, mais parlez, et révélez-moi ce que la reine de ce territoire devrait savoir depuis des siècles.

– N'exagère pas, Artemis, depuis quelques semaines à peine, me corrigea Phoebe de sa voix caressante.

– Tu ne t'échapperas pas encore une fois, Artemis, et cette fois pour sûr. Je ne le permettrai pas ! Ton petit secret sera révélé et aucune échappatoire en vue. Bien avant que la première victime soit découverte, deux ou trois lunes, un loup au pelage sombre a été aperçu au sud, toujours seul, m'avoua-t-elle et je me raidis.

– Je m'attendais à plus important, ce n'est qu'un animal. Je suis également la déesse des fauves, il me fait moins peur qu'un lion. Les meutes sont certes plus rares que sur le continent, mais ce n'est pas au point d'en faire un véritable danger. Je ne suis pas la seule à exagérer les choses. Sans oublier que cela n'explique en rien les meurtres du nord.

– J'ai gagné, Artemis !

Un coup d'œil au plateau et je grimaçai. J'avais encore perdu. Phoebe était imbattable. Elle avait tout appris en terre Amazone.

– Ce que voulait dire Skotia, mais encore une fois elle s'exprime trop énigmatiquement...

– Je suis un être de la nuit, je m'exprime comme telle ma belle, apprends-le, avant d'être trop sincère ou réservée comme notre chère aveugle.

– Je ne suis pas aveugle.

– Artemis, la vérité est dure, mais laisse Phoebe continuer. Elle n'arrive jamais à en placer une, me répondit-elle au taquet, sans perdre son calme, contrairement à moi qui tâchais de taire le sang qui tapait à mes tympans.

– Ce n'est pas un simple loup, c'est l'autre, avoua-t-elle enfin tout en baissant la voix au point de devenir un murmure avant de se mordiller la lèvre, nerveuse.

– C'est impossible, ils ont disparu depuis la chasse et la guerre. Lycaon a été banni et ses clans dispersés, ou emprisonnés.

Je pris peur, un frisson parcourut mon échine raidie et mes yeux ne papillonnèrent pas, les fixant dans l'espoir d'y déceler une plaisanterie inexistante. La guerre était encore fraîche.

– C'est pour ces raisons que nous ne t'avions pas encore tenue informée et sommes inquiètes. Nous avons échappé à la première guerre, nous avons évité que la deuxième ne se mêle trop à la Grèce et ses habitants, la troisième pourrait envahir l'empire. Innocents, coupables, concernés ou pas, tous seraient victimes.

– Un lycanthrope sur mes terres, je n'arrive pas à y croire, moi qui pensais que je ne discernais plus la réalité du cauchemar, me voilà mêlée à ce que je redoutais le plus, lâchai-je d'une voix frêle, parlant plus pour moi que pour elles avant que je ne relève mes yeux pour les fixer. Ils n'étaient qu'en territoire barbares et solitaires, libres sans soucis sur des terres sauvages démunies de tout contrôle et civilisation stable. Pourquoi venir ici ? questionnai-je à haute voix, sachant que je n'obtiendrai aucune réponse.

Mes doigts vinrent masser mes tempes tandis que j'essayais d'éclaircir et classer ces informations. L'importance des faits dépassait toute atteinte rationnelle.

– Nous n'en savons pas plus que toi, mais la cible principale est très puissante, bien plus que les autres, il a été comme touché par un doigt divin. Skotia a ressenti une once de pouvoir, m'éclaira-t-elle, désignant la concernée d'un signe de tête.

– J'en ai croisé d'autres et aucun ne lui arrivait à la cheville. Sa forme humaine est inconnue, mais son pouvoir sous forme lupine dépasse toute barrière. Pourtant, un sort ancien l'empêche de les libérer dans leur totalité.

– Pourrais-tu le reconnaître sous forme humaine grâce à son aura ? demandai-je et elle nia d'un air désolé et coléreux de ne pas réussir cet exploit difficile.

– La forme humaine dissimule leur nature sauvage, le contraire aurait été possible. Je tenterai pourtant de chercher un moyen, mais je ne possède pas les instruments nécessaires, répondit-elle, crispée. Leur forme lupine laisse entrevoir plus, bien qu'ils aient une fourrure, plaisanta-t-elle dans un ricanement. Leur aura change lorsqu'ils passent d'une forme à l'autre. Pour le moment, il m'est donc impossible d'en savoir plus. Navrée, mais je peux te dire que c'est un métamorphe et non un lycanthrope maudit.

– La possibilité de l'attraper sous sa forme animale vous a-t-elle traversée ?

– Il peut être notre tueur, il est dangereux.

– Ne panique pas, nymphette, la coupa Skotia, sans obtenir de réponse à cette gentille moquerie.

– Il n'est pas celui que nous cherchons, il est au sud et non au nord. Nous avons affaire à deux loups différents.

– Ils sont tout aussi dangereux, et celui du sud n'est pas maudit, fit remarquer Skotia à la jeune nymphe.

– Il apparaît et disparaît, comme s'il désirait que nous l'apercevions, songea Phoebe, plaçant son index sous son menton, réfléchissant avec innocence.

– Ce n'est pas un simple loup, il peut très bien traverser la Grèce, et rapidement. Ces monstres ne se fatiguent jamais, ils sont avides de sang. La majorité appartient au mal par une malédiction et rares sont ceux qui prônent le bien. Qu'importent s'ils restent du côté humain de ces deux facettes. Ceux qui suivent le bon côté sont des divinités, les êtres mortels sont féroces et fous ou si par hasard le cœur humain persiste et n'a pas été aveuglé, ils sont tués. Impossible de les rendre bons.

– Artemis, ta haine devrait être éteinte. Il est dit de même pour les sorcières et regarde la Grèce et d'autres régions, les cercles sont admirés bien que certaines tels que Circé et quelques jeunes filles font frémir les hommes. Chez d'autres peuples, les lycanthropes représentent toute autre chose. Question de point de vue, ma chère amie.

– Tu as raison, Skotia.

– J'ai toujours raison, répliqua-t-elle, satisfaite.

– Je donne l'ordre que personne ne l'attaque et que nous le laissions tranquille avant d'obtenir des preuves. Aucune chasseresse seule ne peut être en dehors du campement après le coucher du soleil avant que les risques ne se taisent, et j'espère que Hippolyte cessera de traverser la frontière. Il pourrait se faire prendre à son propre jeu, et est mortel.

– À ton tour de respecter ta part du marché, parle-nous de lui.

– Un autre jour, peut-être, coupai-je.

– Ne sois pas mauvaise joueuse, s'imposa Phoebe, me faisant souffler et délier ma langue.

– Il est le fils de Thésée, je l'ai croisé lors de la chasse au cerf il y a deux lunes. Je l'ai ensuite revu à la source aux roses dorées, celle aux reflets d'or et aux roses sauvages. Nous avons eu une discussion et je l'ai laissé là avec un dernier avertissement qu'il n'a pas respecté.

– À ton regard sombre, je devine que tu t'es encore laissée emporter ?

Je fixai Skotia qui soudainement ne plaisantait plus, et fronçai les sourcils. Elle n'ajouta rien si ce n'était un sourire qui en disait long. Elle savait ce que je pensais et que tous ignoraient. Perdue, Phoebe nous dévisagea avant de dévier la conversation qui s'était évaporée.

– Tu es bien plus mystérieuse que Skotia, mais les détails viendront demain. J'aimerais bien savoir ce qui te tracasse tant, me fit part Phoebe.

– Il a du sang divin dans les veines, ses yeux sont bleu pâle et vert vif, il a du charme et tir à l'arc aussi bien que vous deux. Nos paroles échangées sont familières, trop à mon goût, mais il était inutile de le raisonner. Il est espiègle et son sourire empli de malice. Il sait te contredire. Contentes ?

– Je l'aime bien, il semble sympathique et joueur, mais répondre à la va-vite ne te tirera pas d'affaire, n'est-ce pas, Phoebe ? avança Skotia d'une voix pourtant nonchalante,

– Tout à fait, j'aimerais en savoir plus, appuya la nymphe.

– Je ne sais comment le décrire, il est différent, et c'est une menace. Raison pour laquelle il m'inquiète. J'ai un pressentiment.

– Tu veux rattraper le coup ? C'est mignon ! pouffa Skotia.

– Que veux-tu dire par là ? Cesse donc de passer par quatre chemins.

– Qu'as-tu ressenti lorsque tu l'as vu ? la sauva Phoebe, me coupant dans mon élan.

– Enquêtez-vous sur une affaire sans importance ? ripostai-je, sur mes gardes.

– Pour toi, pas pour nous, s'exclama Skotia et le rire cristallin de Phoebe s'échappa.

– Qu'importe, vous n'êtes nullement incluses dans ces affaires, et ce ne doit pas être si grave. Je suis tout simplement inquiète, par vos mystères.

– Détrompe-toi, nous sommes sœurs, nous avons tout traversé ensemble en nous incluant dans la vie de chacune.

Je soupirai à court de répliques et je ne souhaitais pas leur mentir, pas à elles. Les derniers membres de ma famille. Et elles savaient tout autant que moi qu'il y avait autre chose que mes doutes sur lui. Un instant mes lèvres s'ouvrirent sans un son, avant que je ne m'exprime.

– J'ai ressenti des sentiments contradictoires. J'ai confiance en lui sans le connaître, mais à la fois, il provoque de la haine en moi. J'ai l'impression qu'il y a un lien entre nous parce qu'il ne me laisse pas l'indifférence, dans le sens que je peux l'ignorer, précisai-je sous le petit éclat dans leurs pupilles. Et il hante mes pensées. Il arrive à me mettre en colère. À me faire sourire.

– Comment le sais-tu ?

– Lorsque je plonge dans ses yeux pers, lorsque j'écoute ses paroles qui malgré leurs mots ne sont pas acerbes, et vous savez que j'aime jouer avec le feu. Cet homme est empli de mystères que je veux percer au clair de lune. J'ai failli le tuer la dernière fois, mais je me suis ressaisie. Puis, l'instant suivant j'étais hypnotisée, avouai-je dans un rire nerveux.

– Finis-en avec lui la prochaine fois. Ôte-lui la vie et plus de soucis, tout sera plus simple.

– Je ne peux pas agir aveuglément, tu le sais, précisai-je pour vérifier l'impression que j'avais eue, celle qu'elle savait ce que je dissimulais, mais elle plana dans les airs et je ne sus rien de plus. Pourquoi donc ? ajoutai-je. Mis à part me faciliter la vie, chose que je n'apprécie pas.

– C'est une menace et un danger, c'est ton ennemi. Tu viens de le laisser entendre.

– À toi de juger, tu es reine. Suis ton cœur, ajouta Phoebe.

– Je ne souhaite pas forcément sa mort, bien qu'une envie passagère m'ait effleuré.

– Ou bien profite de la vie.

– Skotia ! hurlai-je, mes joues devenues couleur grenade.

– Sais-tu que parfois tu peux être ennuyante ?

– Skotia, laisse Artemis respirer, veux-tu ?

– Très bien, mais nous saurons ton choix très bientôt, précisa-t-elle, tendant l'oreille avec exagération après avoir levé les yeux au ciel.

Je fis de même et entendis les chasseresses s'agiter à l'extérieur de la tente. Je fronçai les sourcils, me tournant vers mes sœurs, les bras croisé sur ma poitrine. La pulpe de mes doigts s'accrocha, et mes ongles s'enfoncèrent comme des griffe dans le tissu.

– Que m'avez-vous caché ? questionnai-je avec dureté, les fixant tour à tour.

Un sourire complice éclaira leur visage tandis qu'elles se regardaient avant de daigner me considérer, retenant un rire d'amusement.

– Une chouette est arrivée ce matin. Les vigiles du sud ont réussi à attraper ce mystérieux prince et, si j'en crois mes oreilles, elles sont déjà là, finit Skotia avec un rictus qui me fit déglutir sans me rassurer.


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