Lucid Dream




Aujourd'hui on se retrouve avec l'os de Dalion du compte SaliaEtDalion ! Bonne lecture ~


La brise de printemps passait agréablement dans les mèches sombres d'Haknyeon qui se prélassait sous un arbre. Il avait terminé son stage, validé son mémoire et pouvait à présent profiter d'un repos mérité. Le jeune homme n'avait pas d'objectif précis en tête, simplement prendre un peu de temps pour lui avant d'entrer réellement dans la vie active. Haknyeon entrouvrit un œil en percevant des cris non loin de lui et un discret sourire étira ses lèvres. Des enfants disputaient une féroce partie de football et cela lui rappela que ça faisait bien longtemps qu'il n'en avait pas fait de même avec des amis. Il soupira, il se sentait seul tout à coup. La plupart de ses amis avaient quitté la capitale, le pays même pour certains. Le jeune homme voulait revenir en arrière, au lycée par exemple, alors qu'ils étaient un groupe populaire, passant leur temps à faire de sport et draguer à peu près tout ce qui bougeait.

Ses lèvres bougèrent seules pour former un sourire alors que les images défilaient dans son esprit. Il n'avait pas eu une adolescence de tout repos, il en avait fait des bêtises, pour autant il ne se considérait absolument pas comme un délinquant ou un enfant un problème. Il avait profité de la vie dès qu'il en avait eu l'occasion, s'amusant comme un fou avec ses proches. Il regrettait que ceux-ci ne soient plus aussi près de lui que par le passé. Un mirage passa devant ses yeux et il fronça les sourcils. Repenser au lycée avait fait réapparaitre une silhouette à laquelle il n'avait plus songé depuis des années. Un petit corps caché sous un pull à capuche trop grand qu'il avait plusieurs fois sorti de situations délicates, il se demanda comment allait ce garçon à présent. Il espérait que sa vie avait changé pour le mieux. En y resongeant peut-être qu'il aurait pu faire plus pour lui, mais Haknyeon n'avait jamais été particulièrement altruiste, il l'avait simplement aidé lorsqu'il en avait eu envie sans aller chercher plus loin.

Le jeune homme secoua la tête, il n'avait pas cru repenser à de telles choses en ce bel après-midi. Son estomac se rappela à lui, se tordant dans l'espoir de faire comprendre à l'humain qui l'abritait qu'il avait faim. Haknyeon s'étira de tout son long, sa nuque craqua ce qui le fit soupirer de bien-être, et il se leva. Le noiraud connaissait le parc par cœur, il y venait depuis tout petit, alors il n'eut aucun mal à trouver un stand de nourriture ouvert. Il opta pour une petite barquette de gâteaux de riz épicés qu'il grignota en marchant tranquillement.

Un ballon lui tapa à l'arrière des jambes avant qu'une ribambelle d'enfant ne vienne essayer de le récupérer en s'excusant. Il leur rendit leur bien en souriant gentiment et, sans qu'il ne comprenne vraiment comment il en était arrivé là, il se retrouva balle au pied face à une équipe de primaire. Haknyeon rit en se laissant chiper la balle et fit semblant de ne pas réussir à rattraper l'enfant. Il aurait pu le faire facilement, mais ils avaient l'air de tellement s'amuser à tenir tête à un adulte sur leur petit terrain improvisé qu'il n'eut pas le cœur à briser leur joie étincelante. Les parents présents le remercièrent d'avoir occupé leurs progénitures et il agita la main alors que les garnements s'égosillaient pour lui dire au revoir. Il leur promit de revenir jouer avec eux dès que possible et rit discrètement tout seul. Il avait oublié ce que c'était que d'être en enfant et pendant quelques heures il avait retrouvé cette sensation si particulière.

D'une humeur particulièrement joviale, Haknyeon quitta le parc. Il s'arrêta à la supérette sur le chemin de son appartement pour acheter quelques boissons fraîches et un pot de glace qu'il comptait bien dévorer devant un film. Maintenant qu'il n'était plus obligé de se lever aux aurores il comptait bien rattraper les séries qu'il avait manquées.

Le jeune homme ouvrit la porte de son logis d'un mouvement de pied maîtrisé avec les années. La crème glacée termina dans le petit congélateur avant de fondre complètement et il fourra les boissons dans le réfrigérateur. Il en garda tout de même une à la main pour s'hydrater et il alla s'étaler sur son lit. La chambre était fraîche, les draps changés du matin sentaient bon le coquelicot et il colla son nez contre la taie d'oreiller. Il était sociable, il adorait sortir et parler, mais il aimait aussi le moment où il rentrait chez lui.

Haknyeon somnola à peine sa nouvelle série lancée pour ne sortir de cet état qu'en entendant la sonnerie de son téléphone. Le son strident, tout près de son oreille, avait manqué de lui faire saigner le tympan et il se saisit du mobile en bougonnant. Il n'attendait aucun appel et certainement pas le soir. La surprise se manifesta sur son visage en découvrant le pseudo stupide qu'il avait attribué à l'un de ses meilleurs amis, l'un de ceux ayant déménagé loin de la capitale.

- Younghoon, qu'est-ce qui se passe ?

- Hey bro ! La forme ?

- Je suis en vacances donc oui mais pourquoi tu m'appelles à cette heure-là ? Tu as un problème ? Je croyais que tu allais à une exposition avec ta copine.

- Oui c'est bien ça, j'y suis d'ailleurs mais... y a un truc bizarre et je me suis dit que tu aimerais être au courant. En tout cas moi j'aurais aimé le savoir si ça m'était arrivé, répondit son ami d'une voix un peu étrange.

Haknyeon haussa les sourcils même si l'autre ne pouvait pas le voir et il éloigna le téléphone de son oreille lorsqu'il reçut des notifications lui indiquant la réception de plusieurs photos.

- Tu devrais vraiment y jeter un œil bro, c'est perturbant. A moins que tu ne sois au courant et que t'ai oublié de m'en parler mais ce serait bizarre.

Encore plus intrigué qu'il ne l'avait été par le début de l'appel, le jeune homme ouvrit les messages pour en découvrir le contenu.

- C'est quoi ce bordel ? jura-t-il.

- Ouais, je me disais aussi que tu ne devais pas le savoir.

Sous les yeux médusés d'Haknyeon se dévoilaient des extraits de l'exposition où s'était rendu Younghoon. Les tableaux étaient superbes, frappants de réalisme, mais ce qui choquait le noiraud ce n'était pas la technique ou les couleurs utilisées, non, c'était le modèle. Il se reconnaissait sur les représentations graphiques, pas le lui actuel d'une vingtaine d'années mais celui qu'il était adolescent. Haknyeon avait l'impression de voir se rejouer une scène du passé dont il était le héros car il ne faisait aucun doute qu'il était l'élément central, la muse de l'artiste exposé alors même qu'il n'en avait aucune idée.

La bouche sèche, pris de court, il déglutit en essayant de rassembler ses pensées. Il ne savait pas comment il devait réagir. Devait-il être en colère d'avoir été dessiné et peint à son insu ? Flatté d'avoir été une source d'inspiration ? Effrayé d'avoir été observé pendant toute une période sans le savoir ?

- Bro, t'es toujours là ?

Le noiraud avala sa salive. Sa voix était vacillante, il ne parvenait à cacher son trouble aussi bien qu'il l'aurait souhaité.

- Ouais... je suis là. C'est qui ce type ? Je le connais ?

- Aucune idée, je me doutais que tu poserais la question mais il signe avec un pseudonyme. Keb ça te dit quelque chose ?

- Rien du tout. Pouah, c'est vraiment bizarre cette histoire.

Il entendit Younghoon confirmer au téléphone et bizarrement cela ne le rassura pas. Il se sentait d'autant plus désemparé que son meilleur ami ne savait pas quoi faire non plus.

- Ecoute, j'ai entendu dire qu'il y avait une réception demain soir et que les artistes seraient présents. Tu peux toujours y aller comme tu es en vacances et essayer d'obtenir des réponses par toi-même.

- Sauf que je n'ai pas d'invitation, je ne peux pas vraiment me pointer comme une fleur et espérer qu'on me laisse entrer comme ça, contra Haknyeon.

L'idée était séduisante, comme une enquête dont il faudrait suivre les indices mais l'obstacle était de taille. Il n'était pas un espion ni même un bon comédien, il n'avait aucune chance de rentrer sans l'autorisation papier.

- Je peux demander à ma chérie de t'en faire apporter une, son père est plutôt influent par ici et il s'entend bien avec le gérant de la galerie d'art. En plus je veux avoir le fin mot de l'histoire mais je serai au restaurant avec ma belle-famille donc je ne pourrais pas mener ma petite enquête, soupira Younghoon.

- Ça m'embête que tu demandes pour moi quand même.

- T'occupe pas de ça et pense plutôt à réserver tes billets de train et ton hôtel. Tu me revaudras ça plus tard et je compte sur toi pour tout me raconter.

Haknyeon leva les yeux au ciel en comprenant que son ami ne lui laissait pas le choix. Il raccrocha donc quelques minutes plus tard, des interrogations plein la tête. Réserver son billet de train ne lui prit que quelques minutes, tout comme l'hôtel, avant qu'il ne se laisse retomber le dos contre le matelas. Son esprit était en effervescence, qu'allait-il bien pouvoir découvrir à cette exposition ?

Il fut incapable d'ignorer cette question et ne dormit en conséquence pas de la nuit. Les multiples possibilités envisagées passaient de la plus crédible à la plus folle sans qu'aucune ne parvienne à trouver grâce à ses yeux. Et ce nom d'artiste, Keb, il ne lui disait absolument rien. Il avait fait quelques recherches sur internet pour tenter de rentabiliser son insomnie mais n'avait découvert que des choses futiles. C'était un homme, d'un âge inconnu, de nationalité inconnue et d'un physique inconnu. Beaucoup trop de mystères autour de ce peintre qui l'avait représenté. Haknyeon n'était même pas certain qu'il soit présent à la réception, la personnalité plutôt secrète qui ressortait de ses recherches ne semblait pas être du genre à aimer les bains de foule.

Le jeune homme se rendit à la gare dans un état second, seul le mode automatique de son corps lui permettant de ne pas se faire écraser ou percuter par quelqu'un sur le chemin. Il passa ses mains sur son visage, fit un arrêt aux toilettes pour se rafraîchir les idées avant d'embarquer. Les quelques heures de trajet eurent raison de lui et il s'endormit sur son siège, la joue contre la vitre.

L'arrivée en gare de Daegu lui tira un long bâillement et il se frotta les yeux, mal réveillé. Le jeune homme regretta sa nuit blanche à se renseigner, à présent le sommeil lui manquait terriblement. Il s'arma de patience, réussit à héler un taxi et à se faire emmener à son hôtel. Haknyeon ne garda pas grand souvenir de sa traversée de la ville, il voulait juste dormir quelques heures avant la possible confrontation avec l'artiste. Le garçon monta dans sa chambre après avoir récupéré les clés à l'accueil et se laissa tomber sur le lit, sombrant dans un sommeil ponctué de rêves étranges dont il ne sortit qu'à la nuit tombée quand quelqu'un toqua à sa porte.

Haknyeon défroissa ses habits puis alla ouvrir, les yeux encore à moitié fermés. La porte s'ouvrit sur un homme d'une cinquantaine d'années, à la barbe et moustache impeccablement taillées.

- Monsieur Ju Haknyeon ?

- Oui c'est bien moi, vous êtes ?

- Je vous apporte votre invitation pour la réception à la galerie d'art ainsi qu'un costume. Une voiture a également été mise à votre disposition et vous y conduira lorsque vous serez prêt. Vous n'aurez qu'à vous manifester à l'accueil de l'établissement, je vous souhaite une agréable soirée.

L'individu s'inclina respectueusement devant le jeune adulte confus avant de s'éclipser sans un bruit. Haknyeon ne se reprit que lorsque l'autre eut disparu dans la cage d'ascenseur, bien trop tard pour qu'il ne puisse poser des questions sur cette étrange apparition. Il envoya un message à Younghoon pour l'avertir de la situation, son ami étant possiblement plus informé que lui-même.

Le costume qui avait été apporté en même temps que l'invitation était parfaitement à sa taille et de très bonne facture. Jamais il n'aurait pu se permettre une telle folie dépensière et cela ne fit qu'augmenter ses doutes et son trouble. Heureusement son ami appela à cet instant, détournant son attention.

- Hey bro ! Bien arrivé ?

- Oui, mais il se passe des trucs bizarres ici. Y a un vieux chic qui m'a donné une invit', un costard et une voiture. Je suis complètement largué, marmonna Haknyeon.

- Ah ça ? éclata de rire Younghoon. C'était le majordome de ma chérie, je vais lui dire que tu penses que c'est un vieux chic, elle va bien rire.

- Hé ! Ne fais pas ça, glapit le noiraud. T'aurais pas pu me prévenir ? J'ai frôlé la crise cardiaque moi.

- Désolé, j'ai oublié bro. Sans rancune hein ! Je vais te laisser te préparer, la réception débute dans un peu plus d'une heure et moi aussi je suis attendu.

Haknyeon rangea son téléphone dans sa poche, se saisit des vêtements avant de se rendre dans la salle de bain pour se changer. Le costume était simple et élégant, d'un discret gris perle sous lequel se cachait une chemise d'un blanc immaculé. Le jeune homme laissa les deux premiers boutons défaits, permettant de deviner la naissance de son torse qu'il agrémenta du même collier en argent qu'il portait tous les jours. Il coiffa ses cheveux en arrière, lissa son teint et se brossa les dents. Il ne savait pas vraiment quel était le dress-code réglementaire de ce genre de cérémonie mais en se regardant dans le grand miroir il se trouva plutôt pas mal. La tenue ne ressemblait pas à ce qu'il portait tous les jours et elle ne faisait pas mariage pour autant, elle était équilibrée. Son téléphone et sa carte bancaire finirent dans la poche interne de la veste et il se résolut à quitter sa chambre, une boule d'angoisse obstruant sa gorge. Quelque part il craignait un peu de ce qu'il allait pouvoir découvrir.

Il remercia mentalement son ami sur le chemin, il n'y avait pas prêté attention dans la précipitation mais l'hôtel où il séjournait se trouvait être à l'exact opposé de sa destination. Sans voiture il aurait dû effectuer plusieurs changements de bus avant d'y arriver. Il pianota sur la portière, la tête oscillant au rythme de la musique d'ambiance que le chauffeur avait mis.

Haknyeon prit une grande inspiration pour se donner du courage, remercia le chauffeur qui était venu lui ouvrir la portière alors qu'il avait encore la tête dans les nuages, avant de descendre dans la voiture. Le jeune homme cligna des yeux en avisant les quelques journalistes, reconnaissables avec leurs caméras et les badges imposants sur leur poitrine. Haknyeon présenta son invitation, les mains un peu moites, et poussa un soupir de soulagement lorsqu'il put entrer. Il ne savait pas pourquoi mais il avait toujours cette petite peur en lui que les choses ne se passent pas comme prévu et que l'entrée lui soit refusée par exemple.

Il repéra le sens de la file et s'y glissa, intrigué. Il n'était pas du genre à se rendre dans des musées ou expositions, il avait toujours préféré l'extérieur et de loin. Le sport, la découverte, il adorait et ne voyait pas d'intérêt à aller s'enfermer pour voir des toiles d'artistes décédés depuis des décennies si ce n'était des siècles.

- Bienvenue à notre exposition des jeunes talents, est-ce que vous voulez quelques renseignements ?

Haknyeon sursauta, il n'avait pas vu la jeune femme s'approcher de lui alors qu'il observait une sculpture en métal. Il se recomposa un masque poli en quelques secondes, une fois remis de sa petite frayeur.

- Bonsoir... je me demandais si les artistes étaient présents à la réunion de ce soir ?

Elle le scruta d'un regard perçant qui mit le jeune homme mal à l'aise, le poussant à se tortiller discrètement sur place. Il sentait qu'il était analysé des pieds à la tête, il ne se sentait pas à sa place. En observant autour de lui il s'aperçut que ce n'était pas que l'employée de la galerie, plusieurs regards étaient portés sur lui et le dévisageaient avec curiosité.

- Pardonnez-moi, je ne comptais pas vous mettre mal à l'aise. Il est simplement incroyable de rencontrer en personne la muse de Keb, c'est la première fois que cela arrive et notre exposition n'était pas prête pour cela. Si nous l'avions su nous aurions réservé un meilleur accueil à l'une des stars de notre événement.

- Je ne suis pas sûr que...

- Peut-on espérer que Keb lui-même vienne puisque vous êtes ici ? le coupa la jeune femme. Excusez-moi, je m'emporte encore. Pour répondre à votre question oui, la très grande majorité des créateurs des œuvres exposées sera présente ce soir, à quelques très rares exceptions. Je suis demandée un peu plus loin mais si vous avez des questions n'hésitez pas à demander, ce sera un plaisir de vous répondre. Je vous souhaite une agréable visite de notre galerie.

Haknyeon la vit s'éloigner alors qu'il avait encore la main levée pour la retenir. Il la rebaissa en soupirant, il n'avait pas vraiment pu avoir de renseignements, si ce n'était que la personne pour laquelle il était venu ne serait certainement pas là. Il passa une main dans sa chevelure corbeau en faisant la moue, il n'avait plus vraiment de raison de rester si ce fameux Keb n'était pas présent.

Le noiraud cligna des yeux, incertain. Lorsque le bruit se refit entendre il comprit qu'il n'avait pas rêvé, des gens venaient bien de le photographié. Embarrassé, Haknyeon décida de s'enfoncer dans l'exposition pour échapper aux regards et appareils des invités. Il ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait et il ne savait pas s'il aimait cette soudaine pseudo notoriété ou si elle l'effrayait. Un peu des deux sans doute, à l'image de Keb. D'un pas précipité il changea de salle, passant sans même les regarder devant une succession de photographies en noir et blanc.

Il arriva à la dernière salle sans s'en apercevoir directement. Tout était plus calme ici, la plupart des gens étant restée dans le hall de réception pour discuter. Haknyeon posa la main sur sa poitrine et il sentit son cœur battre à mille à l'heure sous ses doigts. L'adrénaline courait dans ses veines, occultant la panique qui couvait sagement. Il n'était pas préparé à ce genre de situation, il avait déjà envié les célébrités mais ce bref aperçu lui faisait revoir tous ses préjugés. C'était terrifiant.

Son regard sombre quitta le sol et se leva sur les toiles occupant l'espace lumineux. Les murs blancs faisaient ressortir à la perfection les représentations colorées et Haknyeon déglutit tout en s'approchant. Il avait l'impression de les avoir déjà vues, ou plutôt déjà vécues. Comme cette scène où un adolescent lui ressemblant beaucoup trop pour que ce ne soit qu'une coïncidence courait un ballon au pied. D'autres silhouettes étaient visibles derrière lui et il reconnut même le sweat de l'une d'entre elles, l'un de ses amis avait l'habitude de le porter lorsqu'ils étaient au lycée. La coïncidence était impossible.

La gorge un peu sèche, Haknyeon déambula parmi les peintures. Elles le représentaient toutes, d'une période s'étendant du collège au lycée mais aucune d'entre elles ne correspondait à une période antérieure ou supérieure. Comme si l'artiste ne l'avait connu que pendant cette brève temporalité. Absorbé par ses découvertes, mais ne sachant toujours pas quoi en penser, Haknyeon ne vit pas le temps filer.

Un bruit de course, parfaitement déplacé dans cet espace de contemplation le fit se retourner. Son regard se posa sur un garçon essoufflé, vêtu d'un pull à capuche bien trop large pour sa maigreur évidente. Il avait les joues rougies par l'effort, le regard brillant et les cheveux en pagaille. Haknyeon vit que ses mains tremblaient et qu'il l'observait avec un mélange de crainte et de fascination. Les premiers mots du garçon le désarçonnèrent et il resta sans voix.

- Je suis désolé, ce n'est pas ce que tu crois !

La voix entrecoupée par une respiration laborieuse résonna sous le crâne du noiraud qui ne mit pas longtemps à faire les connexions logiques qui s'imposaient.

- Tu es Keb ?

Le garçon hocha rapidement la tête en déglutissant, son regard de biche effrayée ne quittant pas celui d'Haknyeon. Il paraissait être à deux doigts de s'évanouir et instinctivement le noiraud ressentit le besoin de le rassurer. Les coups d'œil nerveux que l'artiste jetait autour d'eux lui provoquèrent une décharge d'adrénaline et il lui attrapa le poignet, l'entrainant sans réfléchir vers la sortie de secours. Si la présence de Keb s'ébruitait il n'aurait jamais l'occasion d'obtenir des réponses à ses questions, il devait le faire sortir de là pour lui parler.

- Pouah, quelle puanteur !

Haknyeon fronça le nez en portant une main devant sa bouche. L'odeur était infecte dans la petite ruelle sur laquelle ils avaient débouché. Il n'aurait jamais cru qu'un tel dépotoir pouvait se cacher juste derrière la galerie qui transpirait le chic, deux mondes collés l'un à l'autre en totale opposition.

- Ah punaise, on peut pas parler ici, ça craint trop.

- Je- j'ai mon atelier pas loin d'ici si tu veux, chuchota l'artiste.

- Ok, allons-y alors. Montre-moi le chemin.

- Tu ne vas pas lâcher mon poignet ?

Le noiraud cligna des yeux, surpris, et constata en les baissant qu'il n'avait en effet pas relâché sa poigne. Il libéra Keb et glissa les mains dans les poches de son costume pour se donner une contenance. Ses orbes sombres scrutèrent le dos du garçon qui le guidait, il ne savait pour quelle raison mais il lui paraissait familier sans qu'il ne parvienne pour autant à le restituer dans ses souvenirs.

- C'est ici...

Haknyeon dévisagea la devanture plus que modeste de l'atelier. Le crépi tombait en ruine, la porte avait perdu sa couleur initiale au profit d'une rouille orangée et l'un des carreaux de la fenêtre était cassé.

- Ce n'est pas vraiment ce à quoi tu t'attendais pas vrai ?

- Je ne m'attendais à rien, le contra Haknyeon en entrant dans le bâtiment.

- La première pièce est inutilisable, il fait aller au bout du couloir.

Le jeune homme se laissa guider par le propriétaire des lieux, son regard s'attardant sans vraiment les voir sur les éléments de décors. Il n'y avait pas grand-chose, l'entrée donnait vraiment l'impression que l'endroit était abandonné. En revanche ce fut une toute autre histoire lorsqu'il arriva au bout du couloir dont avait parlé Keb. Il tomba sur une cour intérieure qui devait être baignée de lumière pendant la journée et de l'autre côté se trouvait le réel atelier de l'artiste. Entièrement vitré, la lumière pouvait entrer par tous les côtés et lui donner un éclairage optimal.

- Les gens ont tendance à passer rapidement devant ce qui semble mal en point, à part quelques ados qui veulent tester leur courage en entrant dans une maison hantée. Je suis tranquille comme ça, expliqua Keb sans que l'autre ne le lui demande.

Aucun d'eux n'était à l'aise mais le peintre paraissait être dans le pire état, il tremblait sensiblement et Haknyeon finit par craquer. Il posa une main sur son épaule pour arrêter les tremblements, s'attirant le regard étonné de l'artiste.

- Je vais pas te manger, t'as pas besoin de paniquer à ce point.

- T'es pas en colère ? A cause de l'exposition... je t'ai peint, tu as dû être surpris.

Haknyeon balaya la salle du regard, les chevalets, les palettes, les couleurs, tout était impeccablement rangé. Il se serait cru dans un magasin et pas dans l'antre d'un artiste.

- Je ne suis pas en colère. Par contre je sais pas si je dois paniquer parce que j'ai été espionné par un psychopathe pendant des années ou s'il y a une explication logique à tout ça, grimaça le jeune homme.

- Je ne suis pas un psychopathe ! s'offusqua Keb.

- Commence déjà par me dire qui tu es alors, je ne te connais pas et je n'aime pas parler avec quelqu'un qui se présente par un pseudo.

Une ombre passa sur le visage de l'artiste et il enroula son corps de ses bras, comme s'il avait froid.

- Je m'appelle Kevin et tu ne te rappelles peut-être pas de moi mais on a été au collège et lycée ensemble. On a été dans la même classe pendant quatre années de suite.

- Je me souviens de toi, intervint Haknyeon. T'étais le gamin tout frêle qui n'arrêtait pas de se faire emmerder par les plus vieux ou les pseudos racailles. C'est quoi le rapport avec l'exposition et ma tête sur les peintures ?

- Je me doutais que la seule chose que tu te souviendrais de moi c'était que j'étais l'harcelé de service, soupira tristement Kevin. Lucid Dream. C'est le nom de la série de peintures qui tu as vu tout à l'heure.

Haknyeon posa ses fesses sur le coin d'un bureau, dans l'attente de la suite des explications. Il se souvenait de ce garçon, simplement il n'avait jamais prêté attention à son prénom lorsqu'il était au collège. Il l'aidait lorsqu'il en avait envie, il n'avait jamais su pourquoi mais avec sa bouille de gamin il avait toujours déclenché chez lui un instinct protecteur. Ce même instinct qui lui avait fait peur plus jeune et qui l'avait poussé à l'ignorer parfois alors qu'il savait que l'autre était en difficulté. Haknyeon pinça les lèvres, il regrettait de ne pas être intervenu ces fois-là mais il craignait de paraître faible à se ramollir pour un garçon qu'il ne connaissait pas. Avec le recul il trouvait ça stupide mais à l'époque sa réputation et ses amis étaient les seules choses qui importaient à ses yeux. Il n'avait jamais pensé revoir ce même garçon des années plus tard, dans un contexte complètement différent.

- Et donc ?

Kevin soupira et se frotta les bras. Il paraissait abattu à présent que la panique s'était tarie.

- C'est ce que tu étais pour moi à cette époque. Le thème de cette exposition c'était les choses ou personnes qui ont eu un impact sur vous. Pour moi tu es la personne ayant eu le plus d'impact sur ma vie, avoua l'artiste.

- Mais on ne se connait pas, objecta Haknyeon.

- Peut-être, mais si tu n'avais pas été là j'aurais arrêté l'école, je n'aurais jamais pu intégrer une fac d'art et en arriver là aujourd'hui. Avant de te rencontrer je savais que chaque jour d'école serait un synonyme d'enfer, mais tu m'as défendu.

- Je ne l'ai pas fait à chaque fois, rappela le noiraud la culpabilité s'entendant dans sa voix.

- Ce n'était pas grave, parce que ce n'était plus tous les jours. Je savais qu'il y avait des jours où je pourrais vivre normalement parce que tu serais là pour veiller sur moi. Mon cauchemar prenait parfois des teintes pastels, un peu comme si je vivais un rêve éveillé. Je ne te demande pas de comprendre, c'est simplement ce que je ressens au fond de moi. Je suis désolé de t'avoir représenté sans t'avoir demandé ton avis.

Haknyeon détourna les yeux, ne supportant pas le regard émerveillé et plein d'admiration de Kevin sur lui. Il avait la sensation d'être un imposteur, de ne pas mériter l'admiration évidente que l'autre lui portait.

- Je ne suis pas le héros que tu décris, c'est pas moi.

- Tu ne te perçois peut-être pas comme ça mais tu ne peux pas m'empêcher de le faire.

- C'est vrai.

Kevin se mordit la lèvre, nerveux.

- Qu'est-ce que tu vas faire maintenant que tu sais que je t'ai exposé ? demanda le jeune homme.

Le noiraud vit qu'il craignait qu'il ne lui demande de tout effacer et il soupira. Il n'avait pas le cœur à briser des mois si ce n'était des années de travail, d'autant plus à présent qu'il avait une explication concernant sa présence sur les œuvres. Haknyeon fit craquer sa nuque et descendit du bureau, ses pas se dirigeant automatiquement vers la sortie de l'atelier. Il allait simplement laisser cette histoire derrière lui et rentrer à la capitale.

- Je vais rien faire, je vais juste rentrer chez moi.

- Tu... je sais que je ne devrais peut-être pas demander ça mais...

- Quoi ?

- Les tableaux que j'ai peint, ils l'ont été avec des souvenirs anciens. Est-ce que tu accepterais que je te peigne comme tu es maintenant ? Je te paierai en tant que modèle bien sûr, s'empressa d'ajouter Kevin.

Haknyeon s'arrêta, pris au dépourvu. Il ne s'attendait pas vraiment à une proposition du genre et son cerveau déjà surchargé en informations peinait à trouver une réponse adéquate.

- Je n'sais pas. Ça fait beaucoup de choses pour aujourd'hui, je suis pas sûr. J'ai besoin de temps, c'est trop frais là, marmonna le noiraud.

- Je comprends, c'est normal. Prends ton temps et donne-moi une réponse quand tu seras prêt. Je t'attendrai.

Le jeune homme se saisit de la carte de visite colorée que lui tendait l'artiste, avisant l'adresse mail et le numéro de portable qui s'y trouvaient. Au moins il n'avait pas besoin de demander comment il allait lui transmettre sa réponse.

- Pourquoi tu fais tout ça ? Pourquoi tu veux me peindre maintenant ?

- Parce que tu es ma muse, tu l'as toujours été. Je ne sais pas peindre quelqu'un d'autre que toi, avoua honnêtement Kevin.

Le visage d'Haknyeon s'embrasa et il s'enfuit comme un lâche, le cœur battant à tout rompre dans sa cage thoracique. Il ne s'arrêta qu'une fois dans la rue, la carte de visite fermement enserrée dans son poing. Cet artiste était décidément un sacré phénomène, peut-être qu'il devrait lui laisser sa chance.








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