Invisible Évidence



Invisible Évidence


— Le slam, c'est un art à part entière, qui trouve sa place dans un juste milieu entre la poésie et la chanson. La musicalité d'un slam ne dépend que de la voix ; de sa tonalité, de son rythme, et bien sûr, des émotions que l'on met dedans. Le slam, ce n'est pas délivrer un discours. Le slam, c'est avouer quelque chose, un rien ou un tout, un petit bonheur ou une grande peine. Le slam, c'est donner une identité à des mots, qui ont eux-mêmes su mieux que quiconque exprimer nos pensées les plus profondes et les plus personnelles.


Yeonjun se souvenait avoir bu les paroles de Han Jimin avec une saisissante aisance. Pour une fois, il ne s'était pas assis au premier rang : c'était pour faire comme eux, comme lui. Un atelier sur le slam, Taehyun avait trouvé cela ridicule. Lui n'avait pas osé le contredire. Taehyun était une forte tête, quelqu'un de déterminé et de légèrement buté. Et puisqu'il ne savait rien du slam, il n'avait pas su s'opposer à lui.
Pourtant, quelques heures plus tard, il s'était retrouvé comme hypnotisé par le discours de monsieur Han. Enfin, 'monsieur' parce que leur professeure de littérature l'avait présenté en tant que tel. Au fond, il se fichait pas mal de ce que la personne en face de lui avait entre les jambes ; ses paroles seules raisonnaient dans sa tête avec un étrange écho.
Han Jimin leur parla du slam pendant vingt minutes, quarante minutes, peut-être une heure, il n'en savait rien. Le temps avait été le cadet de ses soucis. Il savait simplement que le son de la sonnerie n'avait jamais paru arriver à un aussi mauvais moment.


— Bien ! C'est tout pour aujourd'hui, j'espère que cette première heure d'atelier vous aura plu, prenez soin de vous et à la semaine prochaine !

La moitié des élèves s'était déjà éclipsée avant la fin de sa phrase, mais Han Jimin avait tenu à la terminer. Yeonjun s'était contenté de lui adresser un timide sourire en sortant de la salle pour rejoindre le reste de ses amis accompagné de Soobin.

Une fois arrivé dans la cour, il retrouva Taehyun, les bras croisés et l'air contrarié. Et il sut tout de suite que la première heure d'atelier ne lui avait pas plu.

— Alors ? demanda Beomgyu qui était déjà aux côtés du plus jeune.

— C'était sympa, fit simplement Soobin en haussant les épaules.

Un bruit de bouche agacé échappa à Taehyun.

— C'était ridicule oui. Franchement, ils vont vraiment nous faire perdre une heure par semaine pour ce truc ?

— Pourquoi pas ? renchérit Soobin, qui lui semblait déjà agacé du mécontentement du plus petit. Ce n'est qu'une heure, et ce n'est pas comme s'ils nous donnaient du travail en plus.

— Ouais, tu pourras dire tout ce que tu veux, une heure par semaine pour cet atelier bidon, c'est une heure de révision de perdue. Je passe un examen à la fin de l'année moi.

— Comme nous tous ? fit le noiraud en le foudroyant du regard.

Taehyun soupira pour toute réponse, et le sujet était clôt. Beomgyu et Yeonjun étaient restés silencieux, comme toujours. Yeonjun avait beau ne pas aimer les étiquettes, il ne pouvait s'empêcher de penser que chacun avait un certain rôle dans leur groupe d'amis. Soobin était l'être censé et sage par excellence, il était honnête et courageux ; une bonne tête de groupe. Beomgyu avait toujours été le plus silencieux, le plus calme et le plus passif ; il n'aimait pas le conflit, et était prêt à mettre de côté son bien être pour celui des autres. Taehyun était le plus studieux, mais aussi le plus buté ; il était difficile de le faire changer d'avis une fois qu'il était décidé. Il n'en restait pas moins lumineux lorsqu'il était de bonne humeur, toujours prêt à rendre service à ses amis et à les défendre en cas de besoin.
Et puis, il y avait Yeonjun. À vrai dire, il ne se trouvait pas d'étiquette particulière ; il ne se trouvait pas particulier. En fait, il avait un peu tout d'un lycéen banal ; il avait sa bande d'amis, des résultats plutôt bons, aucune passion particulière, une famille sans trop de problème...

Après réflexion, si. Il y avait bien, un léger problème dans la vie de Yeonjun. Et ce problème s'appelait Kang Taehyun.

Il avait rencontré le plus jeune trois ans auparavant lorsque, avec Beomgyu, ce dernier avait rejoint leur établissement. Bien vite, Taehyun avait su aborder Soobin, et les deux avaient tout de suite accroché. Leur tempérament vif et sociable ne trompait pas. Il s'était rapidement lié d'amitié avec lui, et Beomgyu avait suivi, toujours dans les jupons du plus jeune. Bientôt, ils étaient devenus un petit quatuor bien heureux, avec ses hauts et ses bas, mais ses moments uniques.

Et si Yeonjun se faisait un peu plus silencieux ces derniers temps, ce n'était pas anodin.

Une fois les quatre garçons sortis de l'établissement scolaire, Soobin lui lança un regard, et il sut aussitôt ce que cela signifiait.

Il le savait, Soobin avait l'œil pour ce genre de chose, il l'avait toujours eu. Alors, sans échanger un mot de plus, les deux plus âgés de la bande étaient rentrés chez lui. Son père avait chaleureusement accueilli le noiraud, puis ils étaient allés s'installer dans sa chambre. Une fois la porte refermée, Yeonjun s'était affalé sur son lit, attendant sagement que son ami prenne la parole. Ce qui ne tarda pas.

— Tu comptes lui dire un jour ou pas ?

Ce qui était bien avec Soobin, c'était qu'il ne passait jamais par quatre chemins. En fait, Yeonjun ne savait pas s'il aimait ce côté-là de son ami ou si, au contraire, il l'avait en horreur.

— À qui ? Et de quoi ?

Oui, Yeonjun était lâche, il n'avait rien de ses amis tous courageux à leur façon. Lui préférait se cacher, jouer le jeu de l'ignorance si cela pouvait lui apporter ne serait-ce qu'une piètre sécurité.

— 'Jun. Arrête ton cirque, ça fonctionne pas avec moi. Je sais très bien que tu ressens plus que de l'amitié pour Taehyun.

Son cœur manqua un battement. Il identifia ce sentiment comme de la peur, et il se trouva bien ridicule. Il n'y a rien de mal à aimer un garçon. Il le savait bien, très bien même. La tête encore enfoncée dans son oreiller, il soupira, manquant rapidement d'air. Mais il s'en fichait bien sur le moment.

— Et je peux savoir depuis quand t'es au courant ? demanda-t-il tout de même en se redressant.

— Depuis l'été dernier, fit Soobin en haussant un sourcil.

Et Yeonjun soupira avant de replonger sa tête dans son oreiller. Bien sûr, l'été dernier.

















Soobin avait vu juste, comme d'habitude, puisque pour être tout à fait correct, il avait commencé à ressentir des choses pour Taehyun précisément lors de ces vacances passées entre amis.
Au début, ce n'était pas bien méchant, c'était un simple « j'ai hâte de revoir Taehyun et les gars ». Puis il y avait eu ce premier sourire lorsqu'ils avaient tous les quatre mis les pieds sur la plage pour la première fois. Il était beau, le sourire de Taehyun. Et cette évidence lui avait fait l'impression d'un léger voile de tendresse qui se déposait sur son cœur. Au début, il avait voulu se persuader que c'était l'été ; les vacances, le soleil, l'euphorie de l'adolescence, ce genre de chose. Puis il y avait eu cette soirée. Une table sur la terrasse, un peu d'alcool déniché dans les placards du père de Beomgyu et le bruit des cigales ; c'est tout ce qu'il avait fallu à Yeonjun pour que l'évidence le frappe.

Il avait pleuré ce soir-là, parce qu'il aurait préféré que sa vie reste banale et sans rebondissements ringards pour la perturber.

















Je suis donc si mauvais pour cacher ce genre de truc ? avait-il marmonné, déprimé par cette discussion qu'il aurait préféré ne jamais avoir.

— Tu avais des étoiles dans les yeux en le regardant, 'Jun. On pouvait pas faire plus gay que toi.

Il rit jaune.

— Ha ! Tu peux parler toi, t'as bien embrassé Beomgyu !

— C'était pour un gage et on avait un peu bu.

— Beomgyu ne boit pas, lui.

— Je ne vois pas le rapport, n'essaie pas de changer de sujet Yeonjun !

Il se fit la réflexion que Soobin ressemblait à sa mère. Enfin, il l'imaginait agir de la même façon si elle était encore là.

Interdit, il fixa le plafond de sa chambre ; trop effrayé pour continuer cet échange et fatigué de jouer la comédie.

— Donc, reprit Soobin, déterminé, Quand est-ce que tu comptes lui en parler ?

À ces paroles, il se sentit manquer d'air. Il n'avait qu'une seule envie : se rouler en boule dans ses couvertures et faire comme si cette discussion n'avait pas lieu. Or, ce n'était pas possible. Il soupira.

— Jamais.

Bien entendu. Dire à Taehyun qu'il l'aimait ? Qu'il ressentait plus que de l'amitié pour lui et ce depuis des mois ? Jamais. C'était bien au-delà de ses capacités. Lors de ces terribles insomnies qui l'accablaient parfois, il lui était arrivé d'imaginer ce moment, cette confession qui n'arriverait jamais. Il avait imaginé la réaction de Taehyun. Il avait vu ses traits de visage se durcir avec une saisissante précision, il avait entendu sa voix le rejeter comme s'il lui avait craché ses mots pour de vrai, il avait senti son cœur se briser comme s'il avait déjà eu une chance de s'en sortir indemne.

Non, avouer ça à Taehyun, c'était impossible.

— Pourquoi ?

Il ne le voyait pas, mais il imaginait sans aucun mal Soobin le lorgner avec cette grimace renfrognée sur le visage. Il soupira à nouveau.

— Parce que, Soob'. C'est pas facile, déjà en parler avec toi me fait me sentir comme une merde.

Il le vit se redresser du coin de l'œil, et su tout de suite qu'il venait d'éveiller en lui un mélange de culpabilité et de compassion. Réfléchis avant d'ouvrir la bouche, Yeonjun.

— Tu n'as pas à te sentir comme ça 'Jun ! Tu sais très bien que personne n'est contre ton orientation dans le groupe, même ton père, je suis sûr qu'il s'en fiche complètement... regarde ta sœur !

Il rit à cette dernière remarque. Il était vrai que sa sœur n'avait rien de la petite fille modèle, pressée de se marier et de fonder une famille. Il n'avait jamais réellement su si elle faisait en sorte d'envoyer constamment des signes à son père ou si elle était simplement elle-même, mais une chose était certaine : elle n'aimait pas les garçons. Du moins, pas que. Et, en effet, son père n'avait jamais rien dit, jamais rien insinué, quant au fait que ce côté-là de sa fille pouvait le rebuter.

En vérité, tout était clair comme de l'eau de roche : son père n'en n'aurait que faire de savoir qu'il aimait les garçons, sa sœur ne le jugerai pas et cela n'avait jamais été un problème au sein de leur groupe d'amis. Lui non plus n'avait jamais rien dit, jamais rien insinué, mais ils savaient tous plus ou moins que les filles n'étaient pas trop son truc.
Yeonjun avait juste peur. Pas à cause de son entourage, ni du regard des autres, mais à cause de lui-même. De sa nature quelque peu craintive et toujours désireuse de plaire et de ne jamais décevoir, il était tétanisé à l'idée qu'il soit au courant.

— Ce n'est pas vous ou ma famille le problème, le problème c'est...

C'est moi.

— Le problème c'est Taehyun.

Il se redressa pour dévisager Soobin.

— Comment ça ?

— Bah oui. Je suis bien placé pour savoir que son tempérament peut rebuter parfois. Sérieux, Tae' c'est soit un amour, soit un énorme chieur. Je peux comprendre que tu puisses avoir peur de sa réaction. Mais au fond, tu sais très bien qu'il ne pourrait pas te blesser. Du moins..., son ton baissa. Pas volontairement.

Et Yeonjun se laissa retomber dans son lit, un sourire triste collé aux lèvres. Exactement, Taehyun était incapable de blesser volontairement ses amis. Mais il savait mieux que personne ô combien ses mots pouvaient parfois blesser, lorsqu'il ne tournait pas assez sa langue dans sa bouche avant de l'ouvrir.
Le fait était que, si, Taehyun avait bel et bien la capacité de lui faire du mal, de le faire souffrir, sans même le vouloir, et sûrement même en se sentant coupable. Parce qu'une possibilité subsistait. Une seule et unique qui était la raison de cette si grande peur qui le rongeait.

Taehyun pouvait très bien ne pas l'aimer, et cette simple pensée avait le don de lui briser le cœur.

Soobin avait fini par lui poser des questions sur l'atelier, chassant rapidement cette ambiance douloureuse qui s'était installée dans la pièce, et Yeonjun l'en remercia intérieurement. Ils discutèrent de Han Jimin, de sa façon de présenter cet art, l'air tout bonnement passionné qu'arborait son visage lorsqu'il était question de slam. Soobin avait bien aimé, cela ne l'avait pas spécialement emballé, mais il trouvait ça toujours plus intéressant que certains cours. Et Yeonjun lui avoua avoir été entièrement obnubilé par le discours qui leur avait été délivré, et que, étrangement, il avait l'impression de se retrouver dans le slam. 

— Peut-être bien que ça peut t'aider à t'exprimer, après tout.

Il avait ri.

— Peut-être bien ouais...

















— Bien les enfants ! Maintenant que nous avons vu un peu plus en profondeur ce qu'était le slam et étudié différents artistes, je vais vous demander d'écrire votre propre slam !

La majorité de la classe avait laissé entendre des soupirs d'agacement et de déception. Sans grand étonnement, Taehyun en faisait partie. Yeonjun se mordilla l'intérieur des joues pour cacher le fait qu'il adorait cette idée et qu'il n'avait qu'une hâte : écrire. Il ne savait pas vraiment quoi, mais depuis qu'il avait découvert le slam, il bouillonnait d'envie de lui aussi coucher ses mots sur le papier, d'écrire et de dire. La peur était toujours là, au fond de son cœur, à lui rappeler que trop s'exprimer pouvait lui porter préjudice. Mais il l'avait ignoré, en se rassurant qu'écrire quelques lignes pour cet atelier ne pouvait pas lui faire beaucoup de mal.

Pétale blanc au premier sourire
Pétale rose au deuxième rire

Pétale rouge au premier soupir
Pétale bleu au dernier repentir *

[la rose blanche représente l'amour pur, la rose l'amour tendre et l'envie d'être aimé, la rouge l'amour passionnel et la bleue l'amour impossible/inaccessible]

Lorsqu'il décolla la mine de son crayon de sa feuille, son sourire se fana. Pourquoi fallait-il que tout ne tourne qu'autour de ça ? de lui ? De ce eux qui n'existerai jamais, de ce désir malvenu, de ce poison qui le brûlait ? Il se fit la réflexion qu'écrire sur un cour d'eau ou une maison en haut d'une falaise aurait été plus simple, plus simple et moins personnel.

— C'est drôlement joli ça dis-moi.

Il avait sursauté. Han Jimin en sembla désolé avant de lui afficher un sourire rassurant qu'il lui rendit avec hésitation.

— Oh euh, ce n'est rien. Juste... des trucs qui me sont passés par la tête.

Il s'était empressé de prendre sa gomme pour effacer ces mots idiots mais une main l'en empêcha.

— Tu sais... Yeonjun c'est ça ? il hocha la tête. Ce qu'il y a de bien avec ces « trucs » comme tu dis, c'est qu'ils sont à la fois importants, et à la fois pas du tout. Tu vois, tout dépend de comment tu vois les choses. Tes sentiments existent, ils sont et seront toujours là, tu ne pourras rien y faire. Ecrire peut t'aider à concrétiser tout ce qui se passe dans ta tête ou dans ton cœur. Si tu en ressens le besoin, dis tes vers à voix haute, hurle-les à qui doit les entendre, sinon, tu peux toujours les laisser là, les oublier et passer à autre chose. Mais garde à l'esprit que les écrits ne sont pas faits pour être effacés.

Han Jimin avait une voix douce, un sourire d'ange et une odeur de lavande. C'était une personne de petite taille, avec des cheveux mi longs d'une couleur brune à reflet roux. Plus Yeonjun l'écoutait, plus il se faisait la réflexion qu'il avait devant lui un curieux personnage, qu'il ne le verrait pas beaucoup, mais qu'il s'en souviendrait toute sa vie.

— Quoiqu'il en soit mon garçon, n'arrête pas d'écrire. Si les mots viennent tout seul, c'est qu'ils ont besoin de sortir.

— Merci mad- euh... monsieur.

— Madame ou monsieur, tout me va. Mais tu peux aussi m'appeler Jimin, ce sera plus simple. Enfin, pas devant ta prof, tu risques te faire allumer sinon, avait-elle chuchoté avec un air complice avant de se retirer.

Cette fois-ci, il lui avait rendu son sourire avec toute la franchise qu'il lui devait. Jimin était une personne incroyable, il s'estimait chanceux d'avoir pu croiser son chemin.
Quelques minutes plus tard – qu'il avait simplement passées à discuter avec Soobin – la sonnerie retentit, et il constata une fois encore que l'heure consacrée à l'atelier était passée bien trop vite à son goût.

— Avant de partir ! Je vous demande à chacun et chacune de venir la semaine prochaine avec un texte de votre composition, avait dit Jimin en insistant bien sur les derniers mots. J'essaierai de faire passer la majorité d'entre vous à l'oral pour vous familiariser avec l'art du slam !

La classe s'était éclipsé après que le mot « oral » ait été prononcé. Yeonjun quitta la salle à son tour, le sourire aux lèvres.








En rentrant, il avait à peine balancé un « Je suis rentré » que déjà, il se trouvait à son bureau, un crayon entre les lèvres et un carnet sous la main. Il avait fixé les pages blanches un long moment, avant de prendre une grande inspiration et de coucher sur le papier ces mots qui lui brûlaient les lèvres.

Parce que ta présence suffit à mon existence
Mais que tes paroles seules suffisent à briser des espoirs
Des rêves et des désirs qui n'attendent pas de voir le jour pour être fissurés
Détruits telles les feuilles desséchées d'un automne refroidis

Doucement, il releva la mine de son crayon, et observa avec une certaine méfiance les mots qu'il avait écrit. Soudain, il prit peur. Les lettres semblaient le menacer, le toiser du regard, comme pour le mettre au défi. Vous passerez à l'oral.

Il arracha la feuille de son carnet et l'écrasa dans sa paume.








Je ne comprenais pas, je ne comprenais rien. Je voulais te sortir de ma tête mais toutes mes pensées n'étaient tournées que vers toi. Toi et tes grands yeux, toi et ton si grand sourire, toi et tes paroles balancées à la va vite.














La première fois qu'ils avaient mis un pied sur la plage, certains d'entre eux n'avaient pas pu s'empêcher de courir jusqu'à la mer. En fait, seuls Soobin et lui s'étaient précipité vers l'immensité bleue qui les faisait rêver depuis tant de semaines. Beomgyu et Taehyun étaient des habitués du coin, mais pas eux. Yeonjun lui, n'avait que très peu de fois vu la mer, et ses souvenirs remontaient à longtemps.
Et puis, cette année, c'était différent. Il y avait ce superbe soleil du sud, il y avait ses amis, et il y avait lui.
Taehyun les avaient rejoints dans l'eau tandis que Beomgyu surveillait leurs affaires. Et il était beau Taehyun. Il se souviendrait toujours de la façon dont ses cheveux d'un rouge flamboyant volaient dans l'air et se collaient à sa peau halée. Il se souviendrait toujours de son rire qui déclenchait toujours le sien et de son sourire que rendait son cœur bizarre. Il n'avait pas trop compris, au début. Son palpitant semblait en faire des siennes, comme heureux de trouver un semblant d'autonomie dans cet organisme. Sauf qu'à la vérité, ce n'était pas Yeonjun qui contrôlait son cœur, et encore moins ce dernier qui était devenu maître de lui-même. Yeonjun avait compris quelques jours plus tard, que c'était ce petit soleil au rire mélodieux qui avait le contrôle sur tout ça. Et ça l'avait terrifié.




















— Bonjour, je veux être avocat.
Ou peut-être bien médecin,
Juste être un bon pantin,
Mais la vérité, c'est que ça me dit rien.

Être acteur, c'est bien plus cool
Acclamé par une foule
Parce qu'on change de peau
Parce qu'on nous trouve beau

J'aurais voulu être un artiste
« Mais c'est égoïste ! »
J'aurais voulu partager mon talent
« Mais qui s'occupera de tes parents ? »

On ne lit pas, ni écrit de la poésie, parce que c'est joli,
On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l'humanité.
Mais si lire et écrire m'est impossible,
C'est que l'humanité est inaccessible.

Dans ce cas, PAN !
Le trou dans mon crâne est rouge sang
Et c'est ainsi que je suis mort, ainsi que j'ai vécu.

Yeonjun releva les yeux et balaya la classe du regard. Son cœur n'avait fait qu'enfler à mesure que les minutes défilaient, et à présent, il lui sembla sur le point d'imploser. Soobin fut le premier à claquer dans ses mains, et plusieurs applaudissements suivirent. Un sourire se dessina sur les lèvres, son palpitant quittant sa détresse pour agréablement battre au son du soulagement. Sa voix n'avait pas tremblé un instant lorsqu'il avait déclaré son slam, et il lui semblait avoir véritablement compris les paroles que Jimin leur avait prononcé ce jour-là.

Un slam, ce n'est pas qu'un vulgaire texte, c'est bien plus éloquent qu'une poésie et plus sensible encore qu'une simple mélodie. Un slam, ce n'est pas qu'un amas de mot : dès lors que ces derniers vivent à travers un souffle, c'est toute une vie qui voit le jour, une histoire qui naît. Lorsque vous slammez, il n'y a plus de vous, seuls votre message importe et devient acteur de sa pièce. Quand on slam, on devient au service des mots, on se plie à eux et on ne bronche pas !

Il s'était complètement abandonné à son texte. Le temps de quelques instants, il avait oublié qui il était ; il avait oublié sa conversation avec Soobin, il avait oublié les souvenirs douloureux d'un été qui lui prenaient les tripes depuis des mois, il avait oublié Taehyun, et ça, il s'en félicitait. Oublier ses grands yeux lui avaient fait du bien, il était parvenu à se soustraire à cette existence peu confortable qu'il vivait depuis quelques temps, et à défaut de ne pas avoir écrit le slam le plus personnel, il devait reconnaître que cet art lui plaisait de plus en plus. Il en saisissait davantage les subtilités, et parmi tout ce qu'il avait pu faire ou vivre récemment, s'exprimer ainsi était loin ce qui l'avait rendu le plus heureux.

La suite de l'heure suivit son court, plusieurs élèves passèrent à l'oral, partageant leurs textes sous les conseils avisés de leur professeur.e. La fin de l'atelier arriva encore bien trop vite selon Yeonjun, et alors qu'il ne se pressait pas pour ranger ses affaires, Jimin l'interpella.

— J'aurai à te parler Yeonjun, si ça ne te dérange pas.

La nervosité commença doucement à le gagner, mais il faisait confiance à l'adulte, alors il acquiesça et signa à Soobin de partir sans lui. Une fois seul avec Jimin, cette dernière prit la parole.

— N'aie pas peur surtout ! commença-t-il avec un sourire qui détendit l'adolescent en un instant. Je voulais simplement te parler de ton slam.

Au fond, il s'y était attendu, sans pour autant savoir ce que Jimin pouvait bien avoir à lui dire sur son texte.

— Pour être complètement honnête avec toi Yeonjun, j'ai beaucoup aimé ton slam. Et, à vrai dire, je me doutais que ce que tu allais nous présenter serait qualitatif, cependant... il retint sa respiration, attendant les prochaines paroles de l'adulte. Je suis légèrement déçu.

Yeonjun écarquilla les yeux. Jimin, déçue de lui ? Lui qui était fier de son texte et s'était appliqué à donner le meilleur de lui-même à travers ses mots pour lui faire plaisir, il sentait une petite douleur se répandre dans sa poitrine.

— Ne te méprend pas, j'ai vraiment aimé, mais venant de toi, je me serais attendu à quelque chose de plus..., Jimin semblait chercher les mots exacts pour retranscrire sa pensée. Quelque chose de plus personnel, de plus sensible, de plus toi, tu me suis ?

Oui, il la suivait parfaitement. Quelque part, il avait espéré que cela passe inaperçu, mais il aurait dû se douter qu'après avoir lui ces quelques mots la dernière fois, Jimin aurait compris. Compris que, là, dans un recoin de son cœur, se tramait quelque chose. Un quelque chose qui ne pouvait exploser que par les mots d'un slam, un quelque chose qui lui faisait mal, mais qui était nécessaire à l'art de ses mots.       

Il ne fit qu'acquiescer d'un geste de tête.

— Tu sais Yeonjun, le spectacle approche. Je ne te forcerai jamais à participer si tu ne te sens pas de le faire, mais j'aimerais beaucoup que tu nous partages un texte ce jour-là. Un texte de toi, de ton âme, pas inspiré de quelques œuvres que tu as pu croiser par-ci par-là.

Il rougit à ces mots, honteux d'avoir été pris la main dans le sac. Jimin posa une main sur son épaule et lui fit un clin d'œil, comme pour le rassurer que, si la petite citation qu'il avait inséré dans son texte ne lui avait pas échappé, il allait garder cela pour lui.

— Allez va, je te libère. À la semaine prochaine mon grand !

Les mots de l'adulte dans l'esprit, il quitta la salle avec un sourire, rapidement rejoint de Soobin qui ne lui posa pas de questions sur son échange avec Jimin. Il l'en remercia intérieurement, reconnaissant envers la vie pour l'avoir doté d'un meilleur ami aussi compréhensif. Comme à l'accoutumé, ils retrouvèrent Taehyun et Beomgyu dans la cour de récréation. Et cette fois-ci, la colère – car à en juger ses grands mouvements et ses sourcils très froncés, c'était bien de cela qu'il s'agissait – de Taehyun se ressentait à des kilomètres. En se rapprochant des deux plus petits, Yeonjun ressentit quelque chose, comme une boule dans son ventre qui se créait en constatant que le bon moment qu'il avait passé allait s'arrêter incessamment sous peu.

— Nan mais vous vous rendez compte ?

Ni lui ni Soobin n'avait eu le temps de dire quoi que ce soit. Taehyun avait visiblement déjà explosé depuis quelques temps.

— Un spectacle ? Une représentation entièrement dédiée à cet atelier de pacotille ? Mais où va le monde sérieux, il pense vraiment qu'on a que ça à foutre ?

Yeonjun vit du coin de l'œil Soobin lever les yeux au ciel. Pourtant, il ne fit rien, ne pipa pas un mot envers l'attitude du plus jeune. Il devina que le noiraud en avait marre de jouer le gardien de la paix à chaque débordement du plus jeune, et après tout, il le comprenait. Beomgyu lui, avait l'air de vouloir se faire petit, encore plus que d'habitude, avec l'air de dire « je me tais parce que c'est mon ami, mais je ne suis pas d'accord avec ce qu'il dit ». Yeonjun avait pour habitude d'être comme ça lui aussi, passif, parce qu'il n'avait jamais eu le courage de faire tête à son ami dans les moments où ce dernier se montrait désagréable. Il n'était pas certain d'être plus courageux cette-après-midi, mais pour une fois, l'envie de s'exprimer, de faire entendre son opinion, se fit plus forte que la crainte de froisser cet être qui lui était si cher.

— Sincèrement, ça vous révolte pas qu'il-

— Non.

Tous ses amis posèrent leur regard sur lui.

— Quoi ? demanda Taehyun, visiblement incertain sur l'interprétation qu'il devait se faire de cette réponse.

— Non, répéta Yeonjun. Tu nous demandes d'être sincère, alors je vais l'être. Non, ça ne me révolte pas que Jimin organise une représentation malgré nos examens de fin d'année. En fait..., il laissa échapper un rire cynique. Je ne suis pas vraiment surpris, mais je trouve quand même ça affligeant qu'on puisse être aussi insensible.

Beomgyu écarquilla les yeux tandis que Soobin posait sur lui un regard serein, presque fier. Taehyun lui, semblait bouche bée.

— Quand est-ce que tu te rendras compte que tout ne tourne pas que autour des examens ? Ce n'est qu'un slam Taehyun, un texte, et tu n'es même pas obligé de participer ! D'ailleurs, si tu veux le sécher, ça ne regarde que toi. Rien ne t'empêche de ne pas apprécier l'atelier, c'est ton droit, mais de là à descendre Jimin alors qu'il fait beaucoup d'effort pour nous partager sa passion... c'est juste pathétique, puisqu'il faut parler sincèrement. Que toi, tu n'aies pas la sensibilité nécessaire, à la rigueur, tant pis. Mais pitié, ne rabaisse pas ce qui fait le plaisir des autres, c'est juste ridicule et d'un niveau tristement bas.

Et sans rien ajouter, il partit.

















Je me dégoûte.

Beomgyu l'avait considéré avec de grands yeux, et lui avait gardé les siens bien accrochés à l'horizon aquatique qui se dessinait devant eux.

Ne dis pas ça, Yeonjun.

Il avait souris tristement.

Ces mots lui avaient échappé d'une façon on ne peut plus spontanée, au point que cela l'avait presque effrayé. Parce qu'il n'était pas comme ça. Spontané. Il ne l'avait jamais été, du moins il en avait l'irrépressible conviction. Mais c'était sorti tout seul ; Soobin et Taehyun étaient partis leur acheter des glaces, et son inconscient avait profité de leur absence pour se livrer.

Quelle connerie, cet inconscient, avait pensé Yeonjun.

Mais la main de son ami avait eu vite fait d'apaiser ce sentiment qui commençait doucement à le gangréner. Parce qu'il était comme ça, Beomgyu. Il apaisait tout d'un geste de main, d'un battement de cil, il était doux et incroyablement fort à la fois, à sa façon, Yeonjun en avait toujours été convaincu.

En osant enfin affronter son regard, une floppée de constat s'offrit à lui. Il avait de beaux yeux, Beomgyu, de beaux yeux bruns qui voyaient tout, qui comprenaient tout avant tout le monde, et qui gardaient pour eux plus d'un secret. Ce secret-là, Yeonjun s'était promis de ne le confier qu'aux vagues et aux sinistres profondeurs de la mer. Mais il fallait croire que cette promesse jamais prononcée n'allait pas pouvoir être tenue.

Je me dégoûte, avait-il répété. Être gay, à la rigueur, je m'y suis fait, et ça fait un bail..., avait-il dit en murmurant les derniers mots. Mais amoureux de lui, j'aurais difficilement pu faire pire tu sais...

Il avait laissé échapper un rire léger, dans l'espoir de détendre cette atmosphère pourrie qu'il avait imposé au décoloré. Mais Beomgyu ne riait pas. Beomgyu le fixait, avec un étrange mélange de tristesse et d'espoir dans le regard.

— J'ai l'impression de le trahir, 'Gyu. Qu'à chaque fois qu'il pose les yeux sur moi, il m'offre quelque chose que je ne peux pas lui rendre, que je n'arrive plus à lui rendre. Et j'm'en veux. Beaucoup.

Après un silence durant lequel il n'avait pu s'empêcher de penser qu'il ne faisait qu'ennuyer son ami avec ses problèmes à la noix, l'argenté avait enfin pris la parole.

— T'es fort Yeonjun. Tu le sais juste pas encore. Mais je t'assure qu'un jour, tout ça explosera, et tu trouveras enfin les bons mots, la bonne façon de voir les choses. J'en suis convaincu.

À cet instant, il s'était fait la réflexion que Beomgyu parlait comme une sorte de prophète, exactement comme ceux qu'il croisait dans ses jeux vidéo préférés : ils prononçaient des paroles qui ne faisaient sens qu'au joueur, qui, derrière son écran, vivait les choses avec beaucoup plus de recul.

Yeonjun n'était pas certain de vouloir « exploser » un jour, il n'était pas certain de pouvoir trouver les bons mots, ni cette façon de voir les choses. Mais il faisait confiance à Beomgyu.

Et cette conversation était devenue leur petit à secret à son tour.

















Yeonjun était gêné, embarrassé, presque honteux. Mais dégouté, attristé ou plein de culpabilité ? Non. Etrangement, ce qu'il avait dit à Taehyun lui avait fait du bien. Cela l'avait un peu effrayé, au début ; il ne se pensait pas capable d'une telle chose. Mais pour une fois, il ne s'était pas trop pris la tête et s'était focalisé sur une seule et unique chose : il avait réussi. Réussi à tenir tête à ce garçon buté qui lui faisait tant de mal et qu'il chérissait d'une manière très particulière ; réussi à se préoccuper de son bien être avant du sien, ne serait-ce qu'une petite minute.

Taehyun était confus – il le devinait à ses grands yeux qui le cherchaient dès qu'il en avant l'occasion – sûrement légèrement perdu et inquiet, aussi. Il avait cherché à lui parler durant les derniers jours, en vain. Yeonjun l'évitait, et s'il avait eu un peu de mal à se l'admettre, il peinait d'autant plus à mettre le doigt sur le sentiment exact qui le poussait à agir ainsi. La colère ? La tristesse ? La peur ? C'était un mélange chaotique de tout cela qui faisait pulser son cœur dans ses veines chaque fois qu'il le croisait au détour d'un couloir. Il avait été blessé par les paroles de son ami, en colère contre son manque d'empathie et de sensibilité, et à présent, il avait peur. Peur de ce qu'il avait à lui dire, à répondre à cette tirade cassante qu'il lui avait adressé. Yeonjun ne savait pas à quoi s'attendre, et cela le tuait d'être ainsi : perdu à propos d'une relation qui aurait pu n'être qu'une très bonne amitié. Mais non, il avait fallu que les choses se compliquent...

















— Merci beaucoup pour ton slam Hyunjin, c'était très touchant ! fit Jimin en se relevant de son siège. Un ou une autre volontaire ?

Un silence s'imposa dans la petite salle de théâtre que l'école avait loué pour la représentation en l'honneur de la fin de l'atelier. Yeonjun balaya la pièce d'un regard inquiet. Quelques un.es de ses camarades étaient déjà passée.s, mais ce n'était pas suffisant. Il fallait que quelqu'un d'autre participe, ne serait-ce qu'une seule personne, avec un tout petit texte, juste de quoi lui laisser un tout petit peu plus de temps. Parce que Yeonjun hésitait. Depuis qu'il s'était installé dans ce fauteuil rouge, il ne faisait que peser les pours et les contres, ressassant les mêmes pensées sans jamais trouver de réponse satisfaisante à ses interminables questionnements.

Mais à son grand malheur, personne ne se leva, aucun.e volontaire ne se manifesta, et son regard croisa les yeux plein d'espoir de Jimin. Il sentait d'ici l'insistance dont elle faisait preuve en le fixant, d'un air de dire « Je sais que tu as quelque chose Yeonjun, fait sortir ce qui te pèse tant, exprimes-toi. ». Seulement Yeonjun avait peur. De tout et de rien à la fois. De son regard peut-être, de ses paroles assurément, de cette amitié qui s'était métamorphosée en un terrible entre deux qu'il détestait au plus haut point. Et pourtant...


Pourtant, sans qu'il ne sache trop comment, il s'était retrouvé debout sur cette estrade, un bout de papier froissé dans les mains.

— Bon euh... Mon texte est pour...

Son regard accrocha directement le sien. Assis au fond de la salle, Taehyun avait ses yeux bruns encrés dans les siens, comme s'il avait entendu son appel silencieux.

— Pour un ami, finit-il enfin par avouer en fixant le vide. Un ami qui est... très intelligent, une vraie tête, ajouta-t-il avec un sourire aux lèvres. Pourtant, il ne voit pas grand-chose. Pas le plus évident... Alors voilà, ce texte est pour lui, acheva-t-il avec un rictus gêné.

Doucement et sous les yeux attentifs de certain.es, il déplia le bout de papier et lu à haute voix.

— Parce que ta présence suffit à mon existence
Mais que tes paroles seules suffisent à briser des espoirs.
Des rêves et des désirs qui n'attendent pas de voir le jour pour être fissurés,
Détruits telles les feuilles desséchées d'un automne refroidis.

Parce que tes yeux sont grands mais que tu ne vois rien.
Parce que l'intelligence te berce mais que l'évident t'échappe.
Parce que je suis devant toi mais que tu ne me vois pas.
Parce qu'il y a en moi plus qu'un ami, plus que celui à qui tu t'adresses chaque jour,
Mais qu'un mur nous sépare, et que ni toi ni moi n'avons les armes pour le détruire.

Sa main se mit à trembler, et dans un excès de violence, il déchira sa feuille.

Putain qu'est-ce que tu fous Yeonjun ?

— Parce que ça fait presque un an que ton sourire n'est plus le même pour moi.
Que je suis le seul à te voir changer et que ça me fait peur.
Parce que depuis cette nuit d'été, ton être m'attire comme un leur
Mais qu'au fond je sais très bien que le seul à se relever, ce sera toi.

Ça me fait peur de savoir que je ne sais plus ce que je fais, ni ce que je ressens.
Ça me fait peur de rentrer chez moi et de me dire que tu me manques alors que je te vois toujours autant.

Parce que ce que j'ai jeté à la mer m'a été renvoyé.
Que mes sentiments honteux n'ont pas été dévorés.

Parce que jamais tu ne sauras me sauver de mon vice.
Et que tes paroles toujours me porteront préjudice.










Je l'aime putain.  —
Je sais Yeonjun. —
Mais ça me fait mal. —
Je sais.—
Je me déteste... —










La porte de sa chambre claqua, et Yeonjun se jeta sur son lit.

Il s'était enfuit. Comme un lâche, comme un voleur, comme d'habitude. Il avait vu du coin des yeux son regard fixé sur lui avec un étrange mélange de sentiment dedans. Et Yeonjun voulait oublier. Il voulait oublier ces paroles stupides qui s'étaient échappées de sa bouche, il voulait oublier le silence qui avait suivit son slam, il voulait oublier cette insistance et cet étonnement avec lequel Taehyun l'avait observé.

Roulé en boule sous sa couette, il ignora les appels de son père qui s'inquiétait derrière la porte de sa chambre. Après quelques instants à n'obtenir aucune réponse, le quadragénaire décida d'abandonner, sachant pertinemment que son fils avait besoin d'être seul de temps en temps.

Une larme coula, une deuxième la suivit, et les draps de son lit en absorbèrent bien plus encore.

Yeonjun se trouvait con. Yeonjun regrettait. Yeonjun était triste. Il avait l'impression d'avoir tout ruiné, tout ce qui était déjà abîmé, et tout ça par sa faute. Parce qu'il avait commencé à le voir différemment, à ressentir des choses qui n'avaient jamais eu lieu d'être, à espérer devenir autre chose qu'un ami. Et tout ça avait volé en éclats à l'instant où il avait décidé de monter sur cette scène et de s'exprimer.

— Connerie !

Quelle idée de s'être pris de passion pour une telle chose ! Lui qui voulait garder tout enfouit au fond de lui, qui avait fait le choix de se taire, d'attendre patiemment que tout cela passe sans que personne n'en sache rien. Il s'était planté en beauté. Ses deux amis étaient au courant, et maintenant, le principal concerné l'était également. Comment avait-il réagi ? Qu'avait-il dit aux deux autres ? Yeonjun ne voulait pas y penser. Des images des sourcils froncés de Taehyun, de cette expression dure qui se peignait sur son visage de temps à autre, des hallucinations de sa voix qui montait et frappait comme la foudre le gagnèrent. Il était bon son cerveau, lorsqu'il était question de s'imaginer un nombre incalculable de mauvais scénarios dans lesquels tout finissait mal. En revanche, lorsqu'il fallait contrôler un temps soit peu cette indomptable envie de s'exprimer...

Yeonjun se détestait. Il détestait cette envie qui avait toujours somnolé au fond de lui, ce besoin presque vital de se faire comprendre, entendre. Non, il n'avait jamais été quelqu'un de discret qui s'égarait parfois. Il avait toujours été un poète, qui écrivait tout ce qu'il ne pouvait pas dire, et qui se faisait violence pour ne pas communiquer ses sentiments. Mais pourquoi, pourquoi avait-il fallu que cette nature cachée se réveille maintenant ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle le mène à sa perte, à cette fissure dans sa vie pourtant bien calme jusque-là ?

On toqua une nouvelle fois à sa porte, et il s'apprêtait à crier qu'il voulait être seul lorsque la voix de son père s'éleva.

— Taehyun est venu te voir Junie !

Il se figea à l'entente de ses mots et retint sa respiration en entendant la porte de sa chambre s'ouvrir puis se refermer. Yeonjun ne le voyait pas, mais il savait que Taehyun était là, planté dans l'entrée de sa chambre, probablement en train de fixer la drôle de forme qu'il donnait à la couette de son lit.

— 'Jun.

Il ne répondit rien.

— Yeonjun regardes-moi, en plus tu vas étouffer là-dessous.

Il lui aurait bien rétorqué que cela faisait suffisamment longtemps qu'il étouffait d'autre chose pour que cela puisse lui faire quoi que ce soit désormais, mais il n'en n'eut pas le cœur. Apeuré, presque tremblant, il laissa son visage émerger de sous sa couverture, et il le vit.

Taehyun se tenait là, et il le fixait d'un air perdu, calme, dérouté. Un drôle de soulagement le prit lorsqu'il se rendit compte que nulle part il ne lisait de colère ou de tristesse sur ses traits de visage.

— Tu as pleuré ?

Et Yeonjun eut envie de retourner sous sa couette.

Mais il ne le fit pas, parce qu'une fois encore, il s'était retrouvé absorbé dans sa contemplation. Il en aurait presque oublié ses larmes, ses regrets, ses craintes. Parce que Taehyun était beau. Taehyun n'était pas en colère, il était venu jusqu'ici pour le voir, et il s'inquiétait. Et à cet instant, il se rendit compte que, quelque soit la nature des sentiments que le plus jeune éprouvait pour lui, il n'en restait pas moins son ami. Et cela le rassura.

— Ouais...

Un silence pesant suivit sa réponse, et il se retrouva soudainement embarrassé. Que devait-il dire ? Devait-il s'expliquer ? Oui, mais expliquer quoi ? Pourquoi est-ce qu'il lui avait avoué ses sentiments devant toute leur classe au lieu d'être venu lui en parler ? Pourquoi est-ce qu'il s'était enfuit après ça ?

Alors qu'il recommençait à se perdre dans un labyrinthe de questionnements, Taehyun vint s'asseoir sur le bord de son lit.

— Il était cool ton slam.

Il le fixa avec de gros yeux. C'était donc ça qu'il était venu lui dire ? Rien d'autre ?

— Merci, répondit-il avec hésitation.

Un autre silence. Puis Taehyun reprit.

— Ça fait longtemps ?

— De ?

— Que tu ressens ça pour moi ?

Yeonjun crut sentir son cœur dégringoler dans sa cage thoracique. C'était un sentiment effrayant, perturbant, et presque douloureux. Les doigts serrés contre le tissu de sa couverture, il se mit à se mordre la lèvre, cherchant une réponse potable à cette question incongrue.

— Euh... Depuis l'été dernier...

Il s'était préparé à un tas de réaction de sa part, quelque chose d'excessif comme il savait bien le faire. Mais rien ne vint. Taehyun regardait le vide, l'air ailleurs. Et Yeonjun fut tenté de passer une main devant ses yeux pour s'assurer qu'il était toujours avec lui.

— Je suis désolé.

Là encore, son cœur en fit des siennes. Et bientôt, un mélange chaotique de sentiment s'empara de lui. Devait-il prendre cela comme un refus ? Une séparation ? Tristesse, peur et inquiétude se mêlèrent alors qu'il attendait patiemment que son ami développe.

— De quoi ?

— De mon comportement, répondit-il, et Yeonjun écarquilla les yeux. Je ne me rends compte que maintenant de la connerie dont je peux faire preuve par moment. Et je m'en veux, parce que si j'avais été un bon ami, tu n'aurais jamais eu peur de me le dire avant.

Yeonjun voulut lui assurer que ce n'était rien, que tout ne dépendait que de lui et qu'il n'avait simplement pas trouvé le courage nécessaire pour lui en parler. Mais cela aurait été mentir. Parce qu'au fond, il le savait pertinemment : Taehyun avait sa part de responsabilité dans son mutisme émotionnel. Il avait toujours eu peur de ses réactions quelques peu hargneuses et irréfléchies qu'il avait quelques fois. Et il avait eu peur d'être blessé, par lui, son ami.

— J'me sens con.

— Faut pas..., dit tout de même le plus âgé en soupirant.

— Si il faut. Parce que tout aurait été tellement plus simple si je n'avais pas été aussi borné et aveugle.

Yeonjun fronça les sourcils, incertain de l'interprétation qu'il devait se faire de ces paroles.

— Comment ç-

— Je t'aime Yeonjun.

Puis plus rien. Le silence les gagnait à nouveau.

— Euh je vous ai apporté des biscuits les garçons...

Yeonjun sursauta en entendant son père qui, en voulant bien faire, se tenait dans l'entrée de sa chambre, une assiette de cookies à la main.

— Je pose ça là, fit l'adulte en s'éclipsant rapidement avec un sourire qui disait « je n'ai rien entendu ».

Le silence dura encore un certain temps, jusqu'à ce que Taehyun ne se lève pour aller chercher un biscuit.

— Yeonjun ?

— Oui ? fit-il d'un air absent, les yeux dans le vide, comme s'il ne parvenait pas à se reconnecter à la réalité.

— Tu n'as rien à dire ? demanda le plus petit en croquant dans son cookie.

— Bah euh...

S'il avait félicité son cerveau quelques instants plus tôt, désormais il avait l'impression de contempler sa lettre de démission. Il avait beau essayer de réfléchir, imaginer un potentiel lapsus ou sifflement d'oreille, rien n'allait. Il ne parvenait tout simplement pas à se rendre compte que Taehyun lui avait dit ces mots.
Il parvint enfin à revenir sur Terre lorsque son ami s'assit à nouveau dans son lit.

— Depuis quand ? demanda-t-il à son tour.

Taehyun haussa les épaules.

— J'en sais trop rien... Sûrement depuis toujours.

Là, c'était trop.

— Et tu ne m'as rien dit ?! s'écria le plus vieux.

— Non. Au début, je ne m'en rendais pas vraiment compte. Et puis, c'est venu naturellement, mais tu tenais et tient toujours tellement à notre groupe d'amis que je me suis dis que ça n'en valait pas la peine.

À l'observer ainsi, on aurait pu croire qu'il ne faisait que parler de la pluie et du beau temps, d'une expérience passée ou d'un cours qui ne le passionnait pas trop. Et pourtant, Yeonjun était en train d'apprendre que le garçon qu'il aimait l'aimait en retour. Que ces sentiments qu'il avait tant de fois détesté étaient réciproques.

— Je comprendrais que tu ne veuilles rien tenter vu-

Taehyun ne put terminer sa phrase. Yeonjun s'était jeté sur lui, comme s'il avait soudainement peur que cet être qui lui était si précieux l'abandonne, s'envole loin de lui pour ne jamais revenir. Il le serrait dans ses bras, un peu trop fort peut-être, mais cela n'avait aucune importance désormais.

— T'es con putain, murmura-t-il, une larme chaude coulant sur ses joues.

Et Taehyun sourit.

— Moi aussi je t'aime.











Il y a dans les vagues de la mer
Des histoires si profondes que l'on y perdrait la raison.
Chaque souffle et chaque rire qui y ont été déposés
Demeurent dans ses abysses pour l'éternité.

Un beau jour j'y suis allé
À tes côtés j'ai ris, souris, je me suis amusé
Les vagues ont emporté avec elles, chaque messages
Chaque regards que je te lançais, des sentiments que je croyais de passages.

La mer m'a entendu, elle a gardé en son sein
Toutes ces émotions que je lui livrais,
D'un courant trop fort elle aurait su me prévenir
Mais je ne l'ai pas écouté, elle n'a pu m'avertir.

Alors je suis retourné la voir
Vers elle je me suis tournée
La nuit tombée
Pour lui crier enfin mon ultime désespoir.

Elle avait avec elle mes sourires et mes rires
À présent elle possédait également mes larmes et mon sang.
Et désormais je lui criais mon ultime requête
« Prend-moi avec toi, emporte tout de mon être ! ».

Mais la mer n'a pas écouté.
Ce soir, les vagues étaient paisibles
Bercées par cette mélancolie qui était la mienne.
J'ai regardé les profondeurs avec l'envie de m'y perdre.

Mais je n'ai su m'y résoudre
Je ne le fais pas, je ne l'ai pas fait.
Car ton rire aussi était là.
La mer me renvoyait ta lumière, ta présence m'a frappé comme la foudre.

Je suis rentré les pieds plein de sable,
Et la mer a emporté avec elle mes secrets
Et bien plus encore, tout ce qui me rend vulnérable
Tout ce que je ne t'ai dit et ne te dirai jamais.














merci d'avoir lu !


ce one shot marque la fin de ce recueil collaboratif !
merci encore à tou.tes les participant.es et merci aux lecteur.rices qui ont suivis l'aventure !

c'était un véritable plaisir d'organiser ce recueil, j'espère que cela vous aura plu ~

si c'est le cas, tenez vous prêt.es, il est fort probable que je remette ça un jour ou l'autre...

merci encore !

update 2024 : un nouveau recueil collaboratif « ATLANTIS » a effectivement été publié, et vous pourrez retrouver dans ce dernier des One Shots de personnes de qualité ainsi que la « suite » d'invisible évidence qui se concentre sur le personnage de beomgyu (et celui de soobin)

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