Pendant les quelques heures que le capitaine avait passé à retrouver Robbie et son frère jumeau, Almyra tentait tant bien que mal de rassembler ses neurones en maudissant les effets de l'alcool et réfléchissant à un moyen de les inverser scientifiquement.

Elle avait passé sa matinée à vomir, son t-shirt violet sentait la transpiration et son pantalon noir lui collait désagréablement à la peau... De vieux souvenirs de soirées étudiantes bien arrosées de la faculté kratzorienne refaisaient surface et lui rappelaient ce jour où elle avait raté son examen de fin d'année à cause d'une sévère gueule de bois.

« J'ai envie d'un sandwich. » dit-elle à voix haute en se dirigeant vers la cuisine. Elle jura en voyant qu'il ne restait plus rien à manger dans les placards, sauf une boite appartenant au capitaine avec marqué en rouge « NE PAS TOUCHER SINON VOUS ÊTES VIRÉ ». La tentation était grande mais elle savait que Flamingo ne se gênerait pas pour en faire toute une scène et l'écouter pendant des heures l'énervait déjà.

Elle n'était pas comme son frère qui considérait Arsène Flamingo comme son ami, elle le voyait plus comme un « partenaire ». Ils auraient pu être amis si sa première impression de lui n'était pas ce dernier essayant de la charmer... Elle avait été dégoûtée par son attitude générale un temps, puis avait découvert une autre facette du capitaine qui lui avait plu : son côté fuyard.

Ce côté-là chez lui poussait ce type narcissique à ruser de malice pour compenser sa fragilité physique et surtout sa peur car oui, elle avait déjà vu son capitaine avoir peur. C'était infime, un tremblement de lèvre qu'il avait tout de suite caché par un rire forcé avant de retrouver son calme, de se marmonner quelque chose et de mettre un plan en action. Elle admirait la façon dont cet humain arrivait à tourner les situations à son avantage.

Mais ce qui la poussait à rester dans son équipage, outre la présence de son frère adoré, c'était une légère part d'ombre chez Flamingo. Ce type était parfois aussi dérangé qu'elle et l'a poussait dans ses recherches et la création d'engins illégaux. Un jour, alors qu'elle ruminait contre son attitude, il était venu la voir avec un air sérieux et lui avait demandé combien de temps il faudrait à la femme pour construire une machine à voyager dans le temps.

Une putain de machine à voyager dans le temps.

Surprise, elle lui avait demandé pourquoi et il avait simplement répondu : « J'ai envie de créer des paradoxes capables de faire s'effondrer des civilisations entières. ». Il avait ensuite eu un fou rire puis avait dit « Je rigole, c'est juste pour récupérer le pistolet que j'ai perdu dans le bar d'hier soir ». C'était presque imperceptible mais elle avait senti que Flamingo pouvait être sérieux et ce côté chaotique lui avait plu et stimulé la création de gadgets en tout genre pour ce dernier.

*BIIIIIP BIP BIP*

Elle sursauta aux bruits émis par les petites enceintes du vaisseau et se dirigea d'un pas nonchalant vers le cockpit avant de tomber des nues : un vaisseau de la Confédération faisait face au SS-Barbara et tentait d'entrer en contact avec eux. Elle décida de prendre la communication, même si son capitaine n'était pas présent.

— SS-Barbara, j'écoute.

— Ici le DragonTears, vaisseau de la Confédération Intergalactique. Permission de faire un contrôle de routine dans votre vaisseau ?

— Euh...

Almyra regarda autour d'elle et repéra rien que dans le cockpit une dizaine d'objets illégaux lui garantissant de se faire emprisonner par la Confédération. Mais elle savait aussi que si elle refusait, ce serait bien pire et sa conduite spatiale étant encore balbutiante, elle ne pourrait fuir bien longtemps.

— D'accord, répondit-elle enfin en appuyant sur un bouton reliant les deux vaisseaux.

— Veuillez préparer les papiers du vaisseau s'il vous plait.

« Merde... où est-ce que Flamingo range ses papiers ?! » s'exclama-t-elle à la fin de la communication.

Elle s'empressa de ramasser tous les objets interdits et de les balancer dans son labo qu'elle ferma à double tour. Elle courut vers la chambre du capitaine, histoire de trouver les papiers du véhicule mais cette dernière était fermée à double tour.

« C'est vrai que Flamingo ne dort presque jamais dans sa chambre... Où sont les papiers alors ? » pensa-t-elle en se dirigeant vers l'entrée du vaisseau.

Les portes du vaisseau s'ouvrirent en laissant entrer deux agents en uniforme bordeaux ainsi qu'un célénien bleu avec deux cornes, plus grand qu'Almyra mesurant pourtant 2 mètres. Le célénien portait sur son uniforme bordeaux une marque en éclair comme Niki Darkwhisper, signe que c'était un gradé de la Confédération.

Almyra le toisa et se surprit à, pour la première fois de sa vie, lever la tête vers un interlocuteur. Le célénien l'observa à son tour avant de prendre la parole :

— Capitaine Aukanai de la Confédération Intergalactique, dit-il d'une voix grave.

— Almyra, ingénieure du SS-Barbara.

— Est-ce que le capitaine est ici ?

— Il est absent, une mission à effectuer sur la planète 60P-Olympus.

— Je vois.

Aukanai tourna autour d'Almyra tout en continuant de la détailler avec attention.

— Vous devriez vous laver.

— Et ta sœur.

— Pardon ?

— Excusez-moi... dit-elle en posant sa main sur son front. Une sale habitude. Suivez-moi.

Elle entraîna les trois agents dans les couloirs du vaisseau, passant très rapidement à côté des chambres, de son labo et surtout des toilettes qui avaient souffert de sa gueule de bois. Arrivés dans la salle de repos, le capitaine Aukanai s'approcha d'elle :

— Dur lendemain de soirée hein ?

— Euh... Oui.

— Vous êtes kratzorienne n'est-ce pas ? J'avais un doute mais votre grande taille me le confirme. Il n'y a que les kratzoriens qui se rapprochent le plus de la taille moyenne des céléniens.

— Hm, répondit-elle d'un ton las.

En arrivant enfin dans le cockpit, les agents firent le tour de la petite salle pendant qu'Aukanai gardait un œil sur Almyra.

— On devrait arrêter de faire semblant, dit-il d'une voix grave.

— De quoi parlez-vous ?

— Je sais qui vous êtes et vous savez qui je suis. Vous êtes Almyra Bram, ingénieure kratzorienne en cavale avec votre frère jumeau hacker. Les avis de recherches sur vous ont disparu mais je faisais partie des personnes chargées de vous retrouver.

— BlueDragon... Il me semblait bien que le vaisseau DragonTears me disait quelque chose. Vous allez m'arrêter ?

— J'aimerai mais ce n'est pas ma mission aujourd'hui. Où sont les papiers du vaisseau ?

Almyra fit mine de fouiller ses poches avant de prendre une expression faussement troublée.

— Oh non... dit-elle d'une voix monocorde. Je crois que c'est le capitaine qui les a.

— Bien sûr. Ça ne vous dérange pas que j'attende ici ? Messieurs, dit-il à ses agents, je vais attendre ici le capitaine, retournez sur le DragonTears.

— Bien capitaine !

Les deux agents sortirent, laissant Almyra et Aukanai seuls dans une atmosphère tendue. Après un long silence gênant, le capitaine sortit de sa poche un sandwich en forme de triangle qu'il tendit à Almyra, méfiante.

— C'est un piège ? Parce que c'est grossier sinon.

— Ça s'appelle « la sympathie ». Je croyais que les kratzoriens accordaient beaucoup d'importance aux sentiments.

— Pas tous. Et non merci, on m'a toujours dit de refuser de la nourriture venant d'un célénien, cette espèce fourbe.

— Pas tous, imita-t-il. Et ce n'est pas parce que nous avons des cornes que nous sommes mauvais, c'est un cliché comme le fait que les kratzoriens sont des chochottes émotives.

— Ça par contre c'est vrai. Vous verriez mon frère lorsqu'il regarde sa série...

— « Amour et espoir » ? Ma mère passe ses soirées devant.

— Ça nous fait un point commun.

Le ventre d'Almyra gargouilla et elle finit par accepter, les joues rougies, le sandwich du capitaine fier de lui.

— Depuis quand.., commença-t-elle en mâchant, un capitaine de la Confédération effectue des contrôles de vaisseaux ?

— De vous à moi Almyra, et juste parce que mes subordonnés sont partis, je ne suis pas là pour ça.

Intriguée et encore plus méfiante, elle s'approcha de lui tout en ramenant sa main vers sa ceinture, au cas où elle doive se défendre et même si la carrure du capitaine ne lui laisserait aucune chance.

— Vous êtes à la recherche de quelque chose ? D'une arme ? De composants ? Je peux vous faire un prix.

— Vous avez baissé votre garde rapidement... Vous savez que c'est illégal tout ce que vous me proposez ?

— Qui ne tente rien n'a rien. J'ai déjà vendu quelques-uns de mes gadgets à des agents de la Confédération...

— Ça ne me surprend pas, j'ai déjà eu affaire à une de vos armes.

Le capitaine souleva le haut de son uniforme et montra de son doigt bleu une cicatrice sur son torse musclé, geste qui laissa Almyra insensible.

— Le « Super Perforateur K693 » hein ? C'est une antiquité que j'ai fabriquée à la fac.

— Une antiquité composée de matériaux illégaux.

— Vous avez de la chance d'être encore en vie.

— J'admire votre travail.

Almyra, surprise, ouvrit la bouche pour répondre mais fut interrompue par un signal provenant des panneaux de communication. Le capitaine Flamingo tentait de la joindre.

*Almyra ! J'espère que t'as fini de vomir parce que j'ai retrouvé ton frère et Robbie ! Sors ta tête de la cuvette *

Morte de honte, elle se tourna doucement vers le capitaine Aukanai qui avait tout entendu et se retenait de rire aux éclats. Elle passa devant lui, tête baissée, en lui murmurant qu'elle revenait avant de partir jusqu'à la salle de téléportation pour ramener ses amis et son idiot de capitaine.

« Arsène Flamingo, je jure qu'un jour je te tuerais de mes propres mains ! » grogna-t-elle en enclenchant la téléportation.

Le capitaine Flamingo arriva tout sourire avec le reste de l'équipe. Le regard d'Almyra se reporta directement sur son jumeau, le pantalon retroussé et portant un pansement de chat sur sa cuisse. Elle lui jeta un air étonné qu'il fit disparaître d'un signe de la main rassurant.

Flamingo s'approcha d'elle et lui toucha l'épaule en souriant.

— Capitaine, tu sens vraiment mauvais.

— Toi aussi Almyra. Je pense qu'on a tous besoin d'une bonne douche et d'une bonne lessive !

— Euh d'ailleurs capitaine...

— Tu m'excuseras mais je dois aller compléter mon journal de bord.

— Mais justement, dit-elle en le suivant jusqu'au cockpit, nous ne sommes pas seuls.

Sa phrase resta en suspend lorsque le capitaine ouvrit la porte du cockpit et se trouva nez à nez avec le grand célénien. Ils se toisèrent pendant quelques secondes avant que Flamingo lui fasse signe, sans un mot, de s'assoir. Il prit place dans l'un des sièges des postes de communication pendant que Flamingo retournait son siège de capitaine vers lui. Un silence pesant s'installa et fut brisé par Aukanai.

— Papiers du vaisseau.

— Les voilà, dit-il avec sérieux en sortant lesdits papiers de sa sacoche.

— Tout semble en règle.

— Tant mieux.

Almyra, Cox et Robbie se regardèrent inquiets, sentant que l'atmosphère était toujours tendue. Puis tout à coup, tout changea. Flamingo et Aukanai se mirent à rire avant de se taper dans les mains et de se lever pour se faire une accolade. Le reste de l'équipage était abasourdi.

— Ahaha Arsène ! s'écria d'une voix enjouée Aukanai. Ça fait une éternité ! Tu te laisses pousser un peu la barbe maintenant ?

— Ça fait craquer les femmes Jim ! Autant profiter du peu de pilosité que je possède !

— Capitaine ? interrompit Almyra. Vous pouvez nous expliquer ?

— Ah oui ! Le capitaine Jim Aukanai et moi étions amis lorsque j'étais à la Confédération !

— On est toujours amis Arsène. N'oublie pas tout ce que je fais pour toi.

— Oui pardon, c'est lui mon fameux « contact » à la Confédération. On ne s'était pas vus depuis mon départ il y a sept ans mais on est toujours restés en contact discret !... C'est ton vaisseau ?

Flamingo se leva pour observer le DragonTears devant le pare-brise. Il siffla d'admiration avant de retourner vers son ami.

— Ce machin doit être rapide.

— Pas autant que ton Barbara. D'ailleurs j'ai appris que tu l'avais nommé par rapport à notre chère Karenalistika ? C'est vrai cette rumeur ?

— Je le répète : j'aime être à l'intérieur de-

— Capitaine ! s'exclama Cox. Le respect des femmes capitaine ! Le respect !

— Vous êtes bien un kratzorien vous, répondit Aukanai en rigolant.

— Alors, reprit Flamingo. Qu'est-ce qui t'amène dans ce coin de la galaxie ?

— J'ai vu ta performance à la course intergalactique. C'était magique !

— Merci.

— Non tu ne comprends pas Arsène, c'était surréaliste.

Aukanai appuya sur le prénom de capitaine en prenant un air un peu moins détendu et croisa les bras. En retour, Arsène frotta sa barbe avant de souffler et de retirer ses lunettes. Les sourcils d'Aukanai se haussèrent à la vue de l'œil supposé balafré mais intact de son ami.

— Un cadeau fait par la Confédération, dit-il en détournant le regard des yeux sondeurs d'Aukanai.

— Arsène... Comment tu... ?

— Je n'ai pas envie d'en parler, répondit-il d'un ton plus grave en tournant le dos au groupe. Tout ce que tu as à savoir c'est que oui, mon dernier mouvement dans la course était « surréaliste ». La prochaine fois je me prendrai le gros caillou en plein dans la gueule.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire...

— Tu es venu pour quoi, Jim ?

Le capitaine avait changé d'expression et de ton en une demi-seconde en se tournant à nouveau vers le groupe. Il souriait mais ses traits étaient tendus. Était-ce la fatigue ou un désir de ne pas aborder un sujet gênant ? Aukanai n'en saurait rien à ce moment-là.

— Te féliciter et te remettre les informations que tu m'as demandées en main propre, dit-il en sortant une clé USB de sa sacoche. Tous les dossiers concernant « Silly Stars Killer » sont là-dedans. Il n'y a presque plus aucune trace de ton passé à la Confédération dans leur base de données. Enfin pas dans la banque de données générale en tout cas.

— C'est déjà ça. Merci Jim.

— Et aussi... Je voulais te parler de la lieutenant Niki Darkwhisper.

— Qui ? répondit-il innocemment.

— Ne me prends pas pour un con Arsène. La terrienne qui n'arrête pas de faire des recherches sur toi ! C'est à cause d'elle que j'ai dû accélérer la récupération de données.

— Une femme est obsédée par moi et ça t'étonne ?

— Déconne pas, ce n'est pas le genre de femme que tu dragues habituellement. Je me suis renseigné sur elle.

— Moi aussi et elle est du genre « Barbara » donc pas de souci à se faire.

Aukanai frappa de son grand poing bleu la paroi du vaisseau ce qui fit sursauter tout le monde.

— Arsène ! Cette femme est dangereuse. Je n'ai pas pu tout lire car son dossier est classé mais tu veux savoir où il est classé ? Dans la catégorie « À éliminer en cas de danger ». Comme toi.

— ...Ça ne veut rien dire.

— Elle faisait partie de l'unité spéciale de la Confédération. Pas l'unité d'espions, l'unité « spéciale » d'assassins. On était des recrues quand ils l'ont créée et ils l'ont démantelée après ton départ. Tu veux savoir pourquoi ? Le carnage de Liberty Terminal. Renseigne-toi sur cette affaire et tâche de rester loin d'elle car le jour où elle décidera de te tuer, tu n'entendras qu'un sombre chuchotement dans ton oreille avant de mourir.

L'atmosphère était pesante. Chaque membre de l'équipage prenait en compte les mots d'Aukanai et faisait passer Niki de la case « violente sur les bords » à « dangereuse tueuse ». Almyra se mit à repenser aux comportements de Darkwhisper, Cox mit sa tête dans ses mains en se souvenant qu'il l'avait menacée de broyer ses membres si elle trahissait Flamingo et Robbie... Et bien Robbie n'y pigeait rien du tout. Seulement le fait qu'elle semblait dangereuse alors que le peu de fois qu'il lui avait parlé, elle avait semblé sympathique, froide mais sympathique.

Arsène Flamingo, lui, se contentait de fixer un point invisible dans la pièce. Il avait su, à l'instant où le pied de Niki l'avait fait tomber au sol, qu'elle était dangereuse.

« Je n'ai pas de raison d'avoir peur, je lui ai sauvé la mise... non ? »

Le rapport d'enquête de Liberty Terminal est déjà disponible juste après ce chapitre !

Que pensez-vous de Jim Aukanai ? De son face à face avec Almyra et ses retrouvailles avec Flamingo ?

Et Niki ? Est-elle vraiment dangereuse ? L'équipage du SS-Barbara doit-il se méfier ?

N'hésitez pas à voter et donner votre avis en commentaire !

[Correction du 5 décembre 2020]

  Musique ♫ 憂鬱 - Gaia

https://youtu.be/I38yWzJz66E