une tâche bleue

Je me suis regardée, longuement dans le miroir de la salle de bain. J'ai regardé ma peau, mon nez, la racine de mes cheveux et mes yeux. Mes yeux bleus, dont on m'a toujours dit qu'ils étaient beaux. C'est vrai que je les aime, froids, quasiment transparents mais cerclés d'un bleu plus profond, presque noir. Mais ce bleu dernièrement est devenu plus dangereux. Mes yeux pleurent, beaucoup, longuement et ils pleurent leur couleur le long de tout mon être, me recouvrent, me happent. Je deviens une tâche bleue, de deux iris bleus je deviens une tâche difforme qui vagabonde maladroitement à travers les gens pressés. Moi la tâche, j'ai peur de la vitesse, j'ai peur de la rapidité du temps qui passe parce qu'elle m'écrase. Elle m'aplatit contre la dureté de la vie et de la tâche j'ai alors toutes les caractéristiques : incrustée à un endroit précis malgré le temps qui passe. Je crois que c'est un peu comme un graphique mathématique, avec deux courbes qui se croisent en un point. Soit l'axe des abscisses = le temps qui passe et l'axe des ordonnées = la douleur de la vie, Les deux courbes se croisent en un point fixe L, représenté par une petite tâche bleue enfermée par le papier à petit carreaux. Bon après, ça fait longtemps que j'ai pas fait de maths, mais je crois que ça a du sens.

Des fois, j'embrasse le bleu et le laisse me submerger et me noyer. Des vagues énormes me submergent et je trouve le temps d'un instant, du réconfort dans le calme des profondeurs. Alors ces jours là je porte le bleu comme une fierté, sur mes yeux, ma tête, jusque sous mes vêtements. D'autres fois j'essaie de dissimuler cet océan sous d'autres teintes, le feu rougeoyant de la confiance en soi, le vert de la gentillesse ou le rose de l'innocence. Parfois ça marche, d'autre fois, j'efface mon maquillage rose comme un clown triste et révèle l'azur qui teinte toute ma peau. Il est devenu particulièrement coriace, je dors bleue, je mange bleue et je pleure bleue et je tâche tout ce qui m'entoure. Pourtant, je ne dois pas être la seule à tâcher mon environnement, je sens bien que des fois, le brun d'une ancienne enseignante apaise mon coeur, que le doux violet d'un.e ami.e me décroche un sourire tendre, parfois même le gris de mon doudou laisse une trace réconfortante sur ma joue. Alors je me dit que peut-être un jour je pourrais laisser quelqu'un me tâcher, au point d'être un peu moins bleue.

D'ailleurs, est-ce que je suis réellement bleue, ou est-ce-que j'éclabousse ceux qui m'entourent de tout pleins de jolies couleurs, de ces même couleurs qui tâchent mon intérieur, attendant que mes yeux arrêtent de couler ?

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