envie d'aller au musée

Une fois face à l'entrée, le jeune homme réalisa que son cœur battait beaucoup trop vite. S'accoudant à la barrière des escaliers, il prit un instant pour se calmer. "Tranquille Camille, c'est juste une sortie entre amis, rien de plus". Alors qu'il se rassurait mentalement sur la nature de ce rendez-vous, il remarquait le crocodile empaillé dans la vitrine d'exposition du musée. Il faisait partie de l'exposition temporaire et servait surement d'appât pour les jeunes visiteurs. Mais là, tout de suite, Camille avait plutôt l'impression que le crocodile le tournait en ridicule et que sa gueule souriait presque devant son inquiétude. "J'aimerais t'y voir toi, c'est pas facile hein, qu'est-ce que j'y peux moi ?".
Avec cette réplique, il lâcha un soupir, replia le col de sa chemise bariolée en se regardant dans le reflet de la vitrine et entra dans le musée. Il savait qu'il était déjà là, arrivé surement avec quelques minutes d'avance pour ne pas se faire attendre. Il passa la sécurité en montrant sa carte étudiante, c'est pour ça qu'il avait choisit cet endroit. Il savait que Noah adorait les musées et les visites étaient gratuites le premier Dimanche de chaque mois pour les étudiants. Il avait aussi pensé que ça serait une situation un peu plus romantique que leur rendez-vous quotidien du jeudi aprèm au Grand Café pour réviser l'histoire contemporaine. Parce que oui, même si c'était "juste" une sortie entre amis, Camille avait bien le cœur qui battait trop fort en arrivant devant le musée. Et ce battement, il était perpétuel depuis un bon moment, chaque fois qu'ils étaient côte à côte, que leurs genoux se frôlaient, qu'il riait de ses expressions. Son cœur cognait contre sa cage thoracique, brûlait l'intérieur de son corps et le faisait parfois même tanguer. Il avait marché machinalement dans les couloirs pour arriver au début de l'exposition du moment et avait justement failli se prendre le panneau indiquant "DEBUT" en pleine face. Le voilà. Noah se tenait debout à l'entrée de la première galerie, penché sur son téléphone, adossé aux barrières de sécurité. Tentant une approche détachée, Camille vint se poser à côté de lui, l'air de rien, et à peine son dos effleura le métal de la barrière, Noah émit un petit ricanement.

"T'es en retard et en plus tu te permets de ne pas me sauter dessus ? Ingrat. dit-il en croisant les bras sur sa poitrine

-Oh ça va abuse pas ! Je suis pile à l'heure et tu détestes quand je me jette sur toi.

-Il est vrai que si tu oses me toucher, paysan, je te châtierais."

Camille observa le regard faussement hautain que lui lançait son ami et retint un soupir de.. de quoi d'ailleurs ? Tout un tas d'émotions s'emparaient de lui quand il regardait Noah et il ne savait dire si c'était la pulpe brune de ses lèvres, les quelques mèches bouclées qui tombaient devant ses yeux ou ses yeux eux-mêmes, ourlés de cils noirs infiniment longs qui en étaient la cause. Le cœur de Camille s'affolait en battements irréguliers, et il souffla d'un agacement factice comme pour évacuer la pression. Il sentait déjà la sueur pointer le bout de son nez à la base de sa nuque, il valait mieux y aller.

"On y va ? T'es toujours super lent et je t'avoue que j'ai pas envie de camper ici." se moqua-t-il en entrant dans la première galerie où les œuvres étaient exposées.

En lui emboîtant le pas, Noah laissa son regard s'attarder sur les reflets blonds qui teintaient les cheveux blancs de son binôme de TD et son esprit s'interrogea sur la douceur de sa chevelure. Il cligna quelque fois des yeux pour chasser ces pensées de sa tête, et tenta de se concentrer sur la première sculpture dont la tignasse blanche et la chemise orangée s'approchaient.
C'était une forme complexe en argile grise qui tenait en équilibre sur deux baguettes de restaurant asiatique, elle avait l'air de tanguer légèrement et les deux jeunes hommes se regardèrent intrigués. Ils tournèrent autour de la sculpture, discutant de l'interprétation possible dans des chuchotements devenus sérieux. La même scène se reproduisit autour des différents tableaux, sculptures et installations. Comme une valse hasardeuse, ils orbitaient autour des œuvres tout en se lançant des coups d'œil timides et des murmures en point d'interrogation. Noah trouvait cette intimité particulièrement confortable et se perdit dans la contemplation d'une sculpture dont l'éclairage accentuait les reliefs avec délicatesse. Il entendit au loin la voix mal assurée de Camille qui l'interpellait vers la suite de l'exposition : une petite porte noire avec au dessus un grand panneau qui lisait "ATTENDEZ ICI SVP". Le vigile qui gérait les entrées et sorties expliqua aux deux hommes que l'exposition ne se réalisait qu'en groupe de 3 personnes maximum pour une expérience optimale et que le groupe précédent avait presque fini, plus que quelques minutes d'attente. Camille savait ce qui se cachait derrière cette porte : c'était l'autre raison pour laquelle il avait choisi ce musée et cette exposition. C'était une partie "bonus" de l'exposition qui liait effets de son et de lumière pour créer un univers complètement différent, réalisée par un artiste que Noah allait adorer. Il avait tout fait pour taire cette annonce auprès de celui qui l'accompagnait. Il avait subtilisé le téléphone de son binôme quand il était allé aux toilettes pendant une séance de révision et avait masqués tous les tweets incluant le nom de l'artiste et de l'exposition, et bloqués tous les comptes d'arts susceptibles d'en parler, puis il avait prié fort pour que le sujet ne soit pas amené en cours ou aux infos locales. Et, coup de chance, Noah avait l'air d'ignorer totalement ce qui allait suivre. Ce dernier surprit l'air légèrement soucieux qu'avait son ami et s'apprêtait à le questionner quand un voyant vert s'éclaira à côté du panneau et le vigile ouvrit la porte noire sur une pièce éclairée aux quatre coins inférieurs par de petites lumières dorées. Ils avancèrent dans la pièce et la porte se referma derrière eux.

Une voix légèrement robotique retentit : "Prenez place sur les fauteuils, le module d'immersion va commencer."

Au milieu de la pièce se trouvaient trois fauteuils adossés en rond face aux murs sombres. Le grand brun interrogea son ami du regard qui lui répondit par un sourire assuré. Camille savait que ça allait être un moment particulier et s'assit sur l'un des fauteuils calmement. Il fut rapidement suivi par l'autre jeune homme et les lumières dorées se tamisèrent alors que la voix décomptait doucement "3...2...1. Fermez les yeux, sentez vous libre de circuler dans la pièce durant toute la durée du module. Bienvenue"

Alors que les deux jeunes hommes rouvraient leurs paupières, la pièce était baignée d'une enveloppante lumière violette. Un douce odeur de lavande se répandait dans la pièce et un délicat air de jazz emplit la pièce. Le saxophone et le piano s'emmêlaient délicieusement à l'image des illustrations violettes qui circulaient sur les murs-écrans. Comme en harmonie parfaite, les lignes qui animaient les murs et les fluctuations de la musique s'accordaient et se répondaient presque. Camille porta son regard à côté de lui, et l'émerveillement qu'il lut sur le visage de Noah lui fit chavirer le cœur. Le violet qui teintait son visage se réchauffa jusqu'à éclairer comme le soleil les traits fins du métisse et leurs yeux se rencontrèrent, alors que la pièce baignait maintenant dans une douce lueur orangée Des projecteurs dissimulés imitaient des rayons de soleil filtrant à travers les feuilles des arbres, elles même dessinées sur le plafond. Le piano se tut et laissa place à des pépiement d'oiseaux et un léger bruissement de feuilles. Un courant d'air simulé dans la pièce souleva les mèches blanches de Camille et Noah contempla le double spectacle qui s'offrait à lui : l'expérience magique qu'ils vivaient ensemble et la joie sur le visage de son ami alors qu'il observait les branches du plafond et les oiseaux se posant sur les extrémités les plus fines. Le soleil disparut et la pénombre prit place, comme si la nuit tombait. Les branches du plafond s'écartèrent et des étoiles apparurent au loin. Plus aucune musique, plus aucun bruit, si ce n'est la respiration des deux jeunes hommes qui était étonnamment plus saccadée, comme s'ils l'avaient retenue jusque là. Les étoiles scintillaient comme des perles dans le ciel noir et le parfum de l'herbe mouillée du soir flottait dans l'air. Noah se rapprocha de Camille doucement tout en fixant le ciel.

"Regarde, ils ont reproduit le vrai ciel étoilé : là on voit Cassiopée... et là la Grande Ourse !

-Et là, c'est la Ceinture d'Orion c'est ça ?

-Oui c'est ça ! " mentit le plus grand, ne pouvant se résoudre à contredire un tel enchantement

Tandis qu'ils restaient tous deux silencieux face à un spectacle si grandiose, les murs devinrent miroirs et leurs renvoyèrent l'image de deux jeunes émerveillés fixant le plafond lumineux. Ils étaient trop absorbés par ce qui s'y passaient pour voir ce changement. En effet, les étoiles grandissaient comme si elles se rapprochaient et une à une, elles déclenchèrent un mécanisme qui fit sortir du plafond des petites lampes qui descendaient à des hauteurs différentes, comme des lanternes suspendues dans l'air. De couleurs et de tailles différentes, elles emplirent le plafond. C'est en baissant la tête pour observer l'entièreté du spectacle que Noah et Camille furent saisis de surprise. Les quatre murs se réfléchissaient les uns dans les autres, décuplant la superficie de la pièce et faisant apparaitre des milliers de lanternes colorées tout autour d'eux. Eux qui étaient là, l'un près de l'autre à observer l'incroyable scène se déroulant sous leurs yeux. Et alors que les lanternes flottaient dans l'air comme animées d'un vent tranquille, le cœur de Camille qui cognait si fort dans sa poitrine le poussa à tendre tout doucement la main vers sa gauche, vers la main de Noah, qui ne parvenait à détacher ses yeux des lanternes et leur réflexion qui s'animaient autour d'eux. Que ça relève du hasard, ou bien au contraire d'une volonté ferme qui découle d'une attirance dissimulée depuis bien trop longtemps, Noah tendit la main à son tour, sans quitter des yeux la magie colorée du plafond. Leurs doigts s'effleurèrent et s'apprivoisèrent immédiatement, comme s'ils connaissaient déjà la main de l'autre en ses moindres recoins. Instinctivement ils se rapprochèrent, le visage toujours tourné vers le plafond. Camille remercia les lumières dansantes de dissimuler le rouge qui lui montait aux jours alors que Noah ne voyait même plus les lanternes. Il savourait la douceur de cette main contre sa peau, la chaleur de sa paume dans la sienne. Dans ce silence bariolé, au delà de mains s'unissant, deux cœurs venaient de s'ouvrir l'un à l'autre et les sourires légèrement niais qui ornaient les visages des deux hommes s'estompèrent à peine quand les lanternes s'éteignirent petit à petit en se rétractant dans le plafond. Les lueurs dorées réapparurent à chaque angle de la pièce à nouveau plongée dans une pénombre simple et ils finirent par se regarder en clignant des yeux, comme au réveil d'un long rêve.

La voix robotique se fit à nouveau entendre après quelques instants de silence : "Merci d'avoir participé à ce module de simulation. Bonne journée"

Leurs regards se posèrent sur leurs mains enlacées, et Noah remonta tout doucement vers le visage de Camille, détaillant la rangée de boutons de sa chemise orange, pour éviter d'y découvrir une expression de regret. Il vit un regard posé, doux, enveloppant comme un câlin, et le soulagement qui s'empara de lui le poussa à attirer le blondinet dans ses bras. Cette étreinte n'avait rien de ce qu'ils avaient partagé jusqu'ici et sembla durer une éternité. La petite porte s'ouvrit timidement, rompant le silence paisible qui s'était établi dans la pièce, et le vigile expliqua aux deux hommes qu'il fallait sortir par la porte sur la gauche, qui s'était découpée dans un des murs-écrans. Ils s'excusèrent et suivirent le chemin indiqué par des petites lumières vertes jusqu'à retrouver le hall d'entrée de l'exposition, laissant flotter derrière eux un parfum coloré de lavande et de jazz, main dans la main.

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