Arrêt de bus: 9
Samedi 14 Janvier
(Parenthèse en dehors de l'arrêt de bus)
Hier j'ai acheté un chat. J'ai repensé à ce que m'a dit Alain. Et c'est vrai. Je ne devrais pas m'attarder dessus. Et c'est justement en me disant cela que je suis passée devant une animalerie. J'ai ralenti le pas et j'ai regardé la vitrine. J'ai vu au fond du magasin des petites boules de poils qui s'agitaient. Je suis rentrée dedans. Et je suis ressortie avec un chaton.
Je ne lui ai pas encore donné de nom. Je suis incompétente pour cela. J'attend de voir s'il me révèle un peu de son caractère avant de lui donner un nom qui le définisse. Il est noir avec le bout des quatre pattes blanches et une tâche blanche sur le cou. Il m'arrive un peu au-dessus de la cheville. Ses yeux ont une drôle de couleur. Un mix entre le bleu et le vert. Ils ne me regardent jamais directement. Je l'ai pris car c'était le seul à l'écart du groupe de chatons. Et comme moi, je ne voulais pas qu'il se sente seul.
Une fois chez moi, je l'ai posé dans le salon. Il a miaulé quelques coups et s'est mis à inspecter les alentours. Le vendeur m'a dit qu'il fallait le surveiller car "ça court partout ces choses là". Mais le mien ne fait que marcher. Il va plutôt lentement et met des heures à inspecter chaque objet. Moi je le regarde. Je le trouve adorable. Le soir venu, j'ai ouvert un tiroir vide dans ma chambre et y ai rajouté des petites couvertures ainsi qu'un cactus en plastique que j'ai acheté au magasin. Je l'ai posé dedans et j'ai attendu. Il a poussé quelques miaulements tout en inspectant son nouvel habitat et s'est endormi. Après avoir soigneusement jeté le cactus au sol bien sûr. Il ronronne quand il dort. Ca m'a bercé pour m'endormir.
Le lendemain matin il n'était plus dans le tiroir.
Mais sur mon oreiller.
Après avoir uriné sur mon tapis.
Qu'avais-je dis auparavant? Ah oui.
"Je le trouve adorable"
Mardi 17 Janvier
Ce matin je suis allée à l'arrêt un peu inquiète. En effet, ce sera la première fois que je laisse mon chaton seul à la maison. Je l'ai laissé dans ma chambre et j'ai fermé les fenêtres et les portes mais je ne l'ai pas vu avant de partir. Il aime se cacher. Je lui ai laissé sa nourriture, son eau et des jouets mais cela m'inquiète quand même. J'espère que tout se passera bien.
J'arrive à l'arrêt et m'assoit en soupirant sur le banc. J'ai l'impression d'être essoufflée mais c'est l'effet du stress. Je pose mon sac sur mes genoux et pose ma tête contre la vitre de l'arrêt. Il va faire beau aujourd'hui. C'est surprenant. Il y a quelques nuages dans le ciel violet de l'aube. Pas grand chose. Juste assez pour ne pas cacher le soleil à venir. Je l'imagine déjà me réchauffant le visage. J'aime ça.
Ca sent la rosée du matin et l'humus. J'ai bien cette odeur. Ca me rappelle la campagne. Je pousse un long soupire satisfait. Mes épaules se détendent peu à peu. Profitons-en tant qu'il fait beau cela ne va surement pas durer longtemps.
Alain arrive. Son pas tranquille me détend. J'ai l'impression que le monde ralenti et cela m'apaise. Il s'assoit doucement et hoche la tête pour me dire bonjour. Je lui souris en retour.
"Vous avez l'air de meilleure humeur que la dernière fois." me fait-il remarquer au bout de quelques secondes d'observation.
Je souris.
"C'est vrai."
Il dodeline de la tête d'un air entendu. Je le sens rassuré. Ou du moins plus satisfait. Je me rappelle ce que je lui ai dit vendredi et je me tord les doigts avec malaise. Il n'avait pas besoin d'entendre cela. Ni de m'écouter. Mais il l'a fait.
"Je suis désolée de vous avoir embêté avec ma mauvaise humeur."
"Ce n'est rien."
Il allume une cigarette tout en disant cela. Je remarque qu'il fume beaucoup. Je pense que ce n'est pas la seule qu'il fume par jour. Chaque fois il ouvre un nouveau paquet.
"Vous fumez trop."
C'est sorti tout seul. J'ai l'habitude de le dire à ma mère. Et là, je ne sais pas pourquoi je lui ai fait la remarque. Ca ne me regarde pas ce qu'il fait de ces poumons. Mais je n'ai rien pu faire pour empêcher de le dire. Je pince instinctivement les lèvres comme marque de regret. Il me regarde, un sourcil haussé. Ses yeux sont rieurs. Ils brillent d'un éclat d'amusement.
"Possible." marmonne-t-il en dissimulant un sourire.
Il l'a pris à la légère. Tant mieux. Je me serais senti ridicule s'il s'était mis en colère. Mais mon instinct me dit qu'il ne l'aurait jamais fait. Du moins pas avec moi.
Un son nasillard se fait entendre. Je rougis. C'est mon estomac? Oh quelle honte. Je ne sais pas s'il l'a entendu. En tout cas il ne dit rien. Tant mieux.
Le bruit se réitère. Ce n'est pas mon estomac. Alain l'a entendu cette fois. Il tourne la tête et semble tendre l'oreille. Je baisse les yeux. Ce n'est pas de mon ventre que cela vient. Ca vient de mon sac. Je l'ouvre et pousse un petit cri de stupéfaction.
Le chaton en sort.
Il sort un miaulement de protestation et commence à marcher sur mes cuisses. Il reconnait mon odeur et se pelotonne contre mon ventre. Mais comment a-t-il...? C'est lorsque j'ai posé mon sac sur mon lit? Comment je vais faire? Je le prend dans mes mains et le regarde attentivement.
"C'est qui ce petit gars?"
Je me tourne vers Alain. Il arrive difficilement à cacher le sourire narquois qui lui monte au lèvres. Il regarde le chaton avec intérêt et amusement.
"C'est mon chaton."
Ce dernier se met à gigoter entre mes mains alors je le pose sur l'espace entre nous deux. Il miaule et renifle en direction d'Alain. Notre fumeur plisse les yeux et pose un doigt en face du museau du petit animal. Il renifle et miaule une seconde fois. Puis il se dirige vers Alain et monte sur ses genoux. Il a l'air retissant à prendre l'animal mais celui-ci ne sachant pas encore rétracter ses griffes, lui griffe le pantalon. Je me demande si je ne devrais pas lui enlever, il n'a pas l'air très à l'aise.
Mais il le prend en douceur et le place délicatement entre ses grandes mains gantées. Le chaton ne proteste pas et hume l'air avec attention. Alain l'observe avec la même intensité. Le chaton renifle son visage puis éternue. Alain se met à rire. Un rire grave et doux. C'est la première fois que je l'entend. Ses lèvres se rehaussent pour laisser voir ses dents parfaitement alignés. Elles sont plutôt blanches pour un fumeur. Il a dû aller faire un détartrage. Mais son sourire est sincère. Il est beau et éclatant. C'est la première fois que je le vois. Et c'est là que je le remarque. Je ne l'avais jamais vraiment vu.
Alain est beau lui aussi.
"Il a un nom?"
Je sursaute, la question me faisant sortir de ma contemplation.
"Non. J'attend qu'il me démontre une caractéristique."
Il me regarde avec surprise.
"Vraiment?"
J'hoche la tête. Alain regarde le chaton et fronce les sourcils. Son sourire disparait. Il inspecte sa petite tête poilue et pousse un "hm" intéressé.
"Quoi?"
"Il y en a des noms que vous pourriez choisir sur sa 'caractéristique'."
C'est à moi de froncer les sourcils.
"Pardon?"
Je ne comprend pas où il veut en venir. Il est peureux et maladroit mais c'est tout. Il n'a pas de caractéristique spécial. Mais Alain semble véritablement étonné de ma réponse et me regarde en fronçant les sourcils.
"Vous n'avez pas remarqué?"
Je secoue la tête avec incompréhension. Qu'est ce que j'aurais dû remarquer? Le vendeur ne m'a rien dit. Alain caresse tendrement le cou de l'animal qui se met à ronronner puis me regarde droit dans les yeux avec sérieux.
"Votre chaton. Il est aveugle."
La lumière de l'aube apparait au loin et je vois dans les yeux du chaton qu'elle s'y reflète. Elle ne passe pas ses pupilles. Effectivement il est aveugle. Ca explique pas mal de choses. Le vendeur a sans doute omis de me le dire pour ne pas à payer moins cher. Je m'approche de Alain et l'observe à mon tour. Pourquoi ne me suis-je pas rendue compte de sa cécité plus tôt? Je suis vraiment stupide.
Je sens le regard d'Alain sur ma nuque et je relève la tête. Je me suis trop approchée, je suis carrément collée à lui. Je sens son odeur de myrrhe et de cigarette. Il me regarde en fronçant les sourcils. Il a l'air consterné. Je m'excuse et me recule prestement. Il y a un silence gêné. Puis Alain me pose le chaton sur les cuisses.
"Une idée de nom maintenant?"
Je réfléchis quelques instants. Alain me fixe, en attente de ma réponse, la cigarette aux lèvres. Au bout de quelques minutes je souris.
"Je vais l'appeler...Blindy."
"Blindy?"
"Oui."
(En anglais Blind=Aveugle Ruby a rajouté un "y" pour que cela ait plus une consonance mignonne.)
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