Arrêt de bus: 3

Mardi 5 Décembre

Deux semaines sont passées. J'ai maintenant ma routine matinale. Je me lève, je prend un café bien chaud avec deux sucres, je me lave, je m'habille et je pars à l'arrêt de bus. Le froid est persistant, je pense sérieusement à emmener une bouillote avec moi. De la buée s'échappe de ma bouche et je repense à mes jeunes années où je prenais un bâton de bois et faisait semblant que c'était une cigarette avec la buée comme fumée, imitant mes parents. Mais j'aime tout de même cette nouvelle routine. Comme je vis seule, c'est souvent très calme autour de moi. J'aime le calme, les personnes bruyantes m'agacent c'est donc parfait pour moi. Ils ont dit à la radio qu'il allait neiger dans quelques jours. Vu le temps, je veux bien les croire. Heureusement que l'arrêt est protégé, sinon je suis sûre que je me transformerais en petit bonhomme de neige rouge.

L'homme de l'arrêt est toujours là. Il arrive toujours environ entre cinq et dix minutes après moi, toujours avec son grand manteau noir. Il était là samedi aussi, le dimanche je ne sais pas étant donné que c'est mon jour de repos mais il n'est pas venu lundi et en y repensant lundi dernier non plus. Je crois qu'il ne travaille pas ce jour là. D'ailleurs je me demande dans quel domaine c'est. Je ne le vois jamais avec une mallette ou quoi que ce soit. Peut-être un bureaucrate. Ou même chômeur si ça se trouve. Je ne suis plus gênée quand il est là mais je ne suis pas rassurée pour autant. C'est toujours un étranger.

Généralement il monte dans le bus juste avant le mien. Toujours à l'arrière, contre la vitre. Une fois installé, il se cale confortablement et ferme les yeux. Je pense que si je n'étais pas là, il le ferait aussi sur le banc de l'arrêt. Je dois le rendre mal à l'aise et intérieurement sans s'en rendre compte, il ne se résout pas à somnoler à l'arrêt. Non pas qu'il ai peur, je ne le pense pas le moins du monde? Il n'a absolument rien d'un couard. Je crois que c'est une sorte d'instinct bestial qui l'oblige à ne jamais baisser la garde en compagnie d'un ou des étrangers. Je ressens ça lorsque je suis dans le métro parfois.

C'est étrange de parler de lui comme si je le connaissais. Mais vous savez après deux semaines à passer chaque jour, vingt voire trente minutes avec lui et n'ayant rien d'autre pour s'occuper que de la musique mais rien pour occuper les yeux...On finit par faire plus attention à ce qui nous entoure. Et c'est le seul autre être vivant proche de moi donc...

Vendredi 8 Décembre

Je m'amuse à jouer les Sherlock Holmes maintenant. Dés qu'il arrive je me met à l'observer discrètement. Bon ok, discrètement n'est pas le mot juste. Je ne fais que le regarder quand il tourne la tête et détourne le regard lorsqu'il la retourne. Il n'est pas stupide et je suis presque sûre qu'il l'a remarqué. Presque. C'est devenu une sorte de jeu. Chaque nouvelle chose que j'apprend sur lui est un point en plus pour moi. S'il me surprend à le regarder c'est un point en moins. C'est parfaitement puéril, j'ai vingt-deux ans quand même. Et j'ai l'impression d'être une stalkeuse. Mais je m'ennuie.

Mais du coup j'ai appris quelque petites choses sur lui. Par exemple ce petit tic qu'il a. Il serre les poings et écoute le bruit du cuir se tendre et grincer entre ses doigts. J'ai l'impression qu'il aime bien ce bruit, il le fait lorsqu'il est perdu dans ses pensées, je crois qu'il ne s'en rend pas compte. Ah j'ai aussi appris qu'il fumait. Mais ça je ne l'ai pas décelé, je l'ai vu c'est tout. C'était jeudi. Nos bus ont eu du retard ce qui nous a fait attendre cinquante minutes dans le froid. Au bout de trente minutes j'ai remarqué qu'il s'agitait un peu. Je me suis d'abord demandé s'il ne voulait pas aller au toilette. Mais il a finalement poussé un soupir et a sorti un paquet de sa poche d'où il en a pris une cigarette. La Nicotine hein? Quelle vacherie.

Il l'a porté à ses lèvres et a sorti une petite boîte métallique à bordures rouges d'une autre poche. Il en a sorti une allumette et l'a raclé contre la boîte. Elle s'est enflammée immédiatement avec une sorte de long soupir puis il a allumé sa cigarette. Il en a pris quelques bouffés puis a rangé les deux boîtes. Ses épaules se sont détendues, comme si un poids s'était envolé d'un seul coup tandis qu'il avalait avec délectation la fumée empoisonnante. Je ne sais pas ce qui était le plus bizarre. Le fait qu'il soit la seule personne a encore allumer sa cigarette avec des allumettes ou le fait qu'il lui ai suffit d'une seule fois pour allumer son allumette alors que moi je dois utiliser tout le paquet avant d'avoir enfin une flamme vacillante et faible qui s'éteint quelques secondes plus tard. Il doit avoir l'habitude.

Après son petit manège il m'a regardé, mais cette fois pas du coin de l'œil comme d'habitude, mais droit dans les yeux. Avec insistance. Je crois qu'il me demandait si cela ne me dérangeait pas. Il n'a même pas parlé, il fait parti de ces gens qui font passer un message juste par leur regard. J'ai secoué la tête au bout de quelques secondes. Mes parents fument, je n'aime toujours pas l'odeur de la fumée mais cela ne me dérange pas. Et puis je n'allais pas lui refuser son petit plaisir personnel juste pour mes petits poumons roses et immaculés...Si? Non?... Laissez tomber.

Il a alors tourné la tête sans un mot, rassuré, la cigarette entre deux doigts puis est resté immobile, le regard fixe, comme happé par les bois en face de lui. Moi j'ai continué à le regarder. C'est la première fois je crois qu'il me regarde vraiment. C'est étrange. J'ai l'impression d'avoir passé une étape. Une étape de quoi? Je ne sais pas.

Je n'avais jamais remarqué que ses yeux étaient noisettes.

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