Arrêt de bus: 16
Samedi 11 Février
Aujourd'hui je me réveille, l'oeil hagard. J'ai mal dormi. J'ai fait des rêves étranges à propos d'un lac recouvert de cygnes en une belle journée d'automne. J'imagine sans mal la source de ce rêve. Mais je ne dis rien.
Blindy me réveille en miaulant répètitivement et en se frottant aléatoirement sur mon visage. Je grogne. J'ai des poils dans la bouche. Il m'ignore et continue de miauler. Je sais qu'il a faim. Mais aujourd'hui nous sommes Samedi et j'aurais aimé qu'il respecte mon quota de récupération d'heures de sommeil. C'est à dire pas avant huit heure.
Il ne doit pas voir à quel point j'ai envie de le jeter par dessus bord là, maintenant.
C'est une blague.
Au bout du centième miaulement je décide de me lever. Blindy saute de mon lit et court en direction de la porte où il se met à tourner en rond en miaulant.
"Ouais je sais très bien où est ma cuisine, merci." Grommelé-je avec amertume.
Après avoir enfilé un jogging j'ouvre la porte et marche d'un pas trainant jusqu'à ma cuisine. Je suis fatiguée et n'aspire plus qu'à retourner dans mon lit. Blindy n'arrête pas de miauler devant sa gamelle. Ça m'énerve. Je n'ai pas assez dormi. J'ouvre les volets et allume ma plaque electrique pour faire chauffer de l'eau dans une casserole. Je n'ai pas de bouilloire. Je n'ai pas beaucoup d'argent. Je fais des économies et comme m'acheter une bouilloire ne fait pas parti de mes priorités...je garde ma casserole.
J'ouvre ensuite le placard contenant le bocal à croquettes de Blindy. Mon chaton tourne en rond autour de mes jambes alors que je l'attrape.
"Blindy écarte toi, tu me gênes!"
Il n'écoute pas et continue de se faufiler entre mes chevilles. J'essaye de l'éviter autant que je peux. L'eau commence à bouillir. Des bulles se forment à la surface. Blindy s'agite. Il sent ses croquettes. Je prend sa gamelle et verse sa nourriture en hauteur. Il continue de miauler et de tourner autour de moi.
"S'il te plaît Blindy, si tu ne t'écartes pas je vais finir par tom-
En évitant sa queue, je trébuche et tombe en arrière, n'ayant pu finir mes mots pourtant prémonitoires. J'essaye de me raccrocher à quelque chose mais ne peut attraper...que la casserole d'eau bouillante qui se renverse sur mon avant-bras. Je pousse un cri strident de douleur et lâche la gamelle. L'eau me brûle violemment et je retire mon bras. En poussant un juron entre mes dents serrées, mon premier réflexe est de me jeter sur l'évier. J'ouvre à fond l'eau froide et y passe mon bras endolori en gémissant. Je le regarde. Il est rouge et gonflé. C'est une brûlure au troisième degré.
Je reste une dizaine de minutes sous l'eau divinement fraîche du robinet. Ça me fait un peu de bien. J'arrête le jet et observe mon bras. Je bouge mes doigts. Ça tire, ça me brûle. Je pose ma main valide dessus et la retire vivement car la peau est à vif. C'est chaud.
"Il faut que je mette de la pommade." Pensé-je
Je passe devant Blindy qui, sa frayeur passée, mange les croquettes éparpillées sur le sol. Je lui jette un regard noir mais continue ma route. Il me semble qu'il reste un tube dans l'armoire à pharmacie. Tout en couinant et tenant mon bras blessé, je rentre dans ma salle de bain et ouvre mon placard avec hâte. Le tube y est.
Malheureusement pas la pommade.
J'appuie sur la tube de toutes mes forces, le serre de ma main libre mais c'est à peine si une noisette de crème sort. J'enrage et jure, par la douleur et la frustration. Ce n'est pas mon jour. Je pourrais rester à la maison avec de la glace sur mon bras en continu mais je n'ai pas l'impression que ce serait suffisant. Mon bras est rouge, chaud et me tire. Je souffre trop. Il faut de la pommade, je dois aller à la pharmacie.
*
J'enfile des vêtements à la hâte. Je garde mon bas de jogging et prend seulement un pull en laine ayant un jour appartenu à mon père. Question sex appeal on a vu mieux. Mais je suis trop fatiguée pour m'habiller correctement. La pharmacie est à vingt minutes de marche. Il est tôt. Je ne devrais rencontrer personne techniquement.
Techniquement.
Malgré ma colère contre Blindy, je lui sers convenablement ses croquettes et de l'eau. Je met mes chaussures et ferme la porte à clé. Il fait froid dehors. Il fait nuit un peu aussi. Je grelotte légèrement. Un manteau aurait été le bienvenu finalement. Il n'y a pas un bruit, juste les miaulements plaintifs de quelques chats. Je baille et en voulant mettre la main je me fais mal. Mauvaise main. Je gémis. Il me faut cette pommade.
Au bout de mes vingts minutes de marche, j'arrive à la pharmacie. Elle est ouverte bien entendue. J'entre et l'air chaud du chauffage qui m'entoure en un instant me donne un frisson de plaisir. Il y a une pharmacienne qui range quelques médicaments dans une armoire. Je m'avance et j'attend qu'elle se rende compte de ma présence. Elle se retourne finalement et m'observe un instant. Ça doit être étrange de voir arriver à sept heure du matin une fille à l'allure débraillée, en jogging, le bras tout rouge.
"Bonjour, que puis-je pour vous?" Demande-t-elle avec un sourire commercial.
"Euh je...je me suis brûlée avec de l'eau bouillante ce matin et ça me fait super mal mais je n'ai plus de pommade contre les brûlures."
Je lui montre ensuite mon bras pour lui prouver mes dires et elle hoche la tête. Elle commence à chercher parmi ses centaines de crèmes et pommades. Elle me demande laquelle je souhaite mais ne sachant pas vraiment, je répond un peu aléatoirement. Quelqu'un entre mais je ne me retourne pas, essayant de me concentrer sur ce qu'elle essaye de me vendre.
"Je peux vous proposer celle là ou celle là mais qui est un peu plus chère." Fait-elle en me montrant un tube bleu ciel et un autre blanc et rouge.
"Je...Je..."
Je n'en ai aucune idée. C'est toujours ma mère qui achète mes médicaments. Je regarde les deux tubes, perplexe. La pharmacienne commence à s'impatienter. Je me met à bégayer, essayant de prendre une décision, mais une main gantée se pose sur mon épaule, m'arrêtant dans ma réflexion.
"Celui blanc et rouge*." Fait la voix masculine derrière moi, "Elle est plus efficace."
Je sursaute et me retourne.
"Alain!" Je m'exclame avec surprise.
Alain me regarde et hoche poliment la tête en guise de salut. Moi, je reste pétrifié et l'observe un instant. Mais qu'est ce qu'il fiche ici? Si tôt un Samedi en plus?
"Est-ce que vous la prenez?" Fait la pharmacienne, interrompant mes pensées.
Je me retourne et répond confusément que oui. Je paye rapidement et prend le sac puis sors, Alain sur les talons. Il n'a rien pris. Il m'a suivi? Je ne comprend pas.
Je vois un banc et m'y assois. Je suis frustrée car je ne pensais voir personne et me retrouve avec la seule personne au monde que je ne souhaitais pas me voir dans cette tenue. Cependant il a l'air indifférent à mon allure ce qui me soulage un peu.
Alain après avoir hésité s'assoit à côté de moi. Très proche. Je le fixe un moment.
"Qu'est ce que vous faites ici?" Demandé-je sur un ton légèrement nerveux.
Il hausse les épaules.
"Je me baladais dans le coin. Je vous ai vu et je me suis dit que j'allais vous dire bonjour."
J'hausse un sourcil. Qui se balade un samedi matin à huit heure?
"Vous ne dormez jamais?" Fais-je avec humour.
Nouveau haussement d'épaules.
"Je ne dors pas très bien la nuit." Répond-t-il très sérieusement.
"Comment ça?"
Il tourne la tête et ses yeux de glace me transpercent à nouveau. Comment quelqu'un avec des pupilles aux couleurs si chaudes et automnales peut donner un regard aussi froid? Néanmoins je suis moins intimidée lorsqu'il me regarde qu'auparavant. La glace a un peu fondue.
Son regard reste longtemps dans le mien avant qu'il ne glisse jusqu'à mon bras.
"Qu'est-il arrivé a votre bras?" Demande-t-il en fronçant les sourcil.
Je soupire. Il a encore changé de sujet. Enfin bon...C'est tout lui.
Je tressaille car Alain vient juste de se pencher vers moi pour regarder plus attentivement mon bras rouge. Il lève les yeux un instant vers moi.
"Je peux...?"
J'hoche docilement la tête. De ses mains gantées il retrousse ma manche avec une délicatesse telle que j'en ai des frissons. Il touche du bout des doigts ma peau à vif et je gémis douloureusement. Il retire sa main rapidement comme si c'était lui qu'on avait brûlé. Son regard devient inquiet.
"Tu t'es brûlée?"
Sa voix est calme mais il a l'air soucieux. Je soupire.
"Oui ce matin...je me suis renversée la casserole d'eau bouillante sur le bras. C'est pour ça que j'ai acheté cette pommade." Dis-je en sortant le petit tube, "D'ailleurs je vais m'en mettre parce que là, j'ai trop mal."
Puis sur mes mots, j'ouvre la pommade et entreprend d'en mettre dans ma paume. Alain m'observe le faire et je rougis un peu. Son regard ne m'a pas lâché depuis que l'on s'est assit.
Je pose ma main sur mon bras. La pommade est froide contre ma peau et j'y suis allé trop violemment. Je pousse une exclamation de souffrance.
"N'y va pas si fort, ça ne va en rien te soulager." Grogne Alain semblant d'un seul coup préoccupé.
"Ah oui? Toi tu sais comment faire peut-être?" M'énervé-je à cause de la douleur.
Son regard me transperce et j'ai l'impression d'avoir dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Je le regarde et un instant je le sens hésitant. Il pousse un long soupir et se frotte les deux yeux avec l'index et le pouce comme s'il était fatigué.
"Est-ce que...Est-ce que ça te gêne si je le fais à ta place?" Marmonne-t-il soudainement.
Je fronce les sourcils.
"Pardon?"
Il pince les lèvres un instant.
"Je sais justement comment faire. Comme cela, je te montre et tu peux le faire seule chez toi." Déclare-t-il, "Promet moi juste...Que tu ne seras pas choquée."
Ma surprise et mon doute augmente de secondes en secondes. Pourquoi est-ce que je serais choquée? Pourquoi paraît-il si mal à l'aise?
"Je...Je le promet?" Fais-je sans réellement comprendre.
Alain hésite un peu. J'entend le cuir de ses gants grincer. Finalement il prend une profonde inspiration et commence à retirer un gant, puis deux. Il a les mains qui tremblent.
D'abord je continue de patauger dans l'incompréhension. Puis quand il approche ses mains je comprend pourquoi il s'est senti si mal à l'aise.
Je n'ai jamais vu ses mains. Il a de longs doigts fins mais robustes, des mains larges et accueillantes. Cependant, le dos de ses deux mains ainsi que ses poignets sont rosés et présentes des sortes de boursouflures. Je ne m'y connais pas beaucoup mais d'un simple coup d'oeil je vois qu'il a été gravement brûlé à cet endroit. Une brûlure qui n'a jamais guérie.
J'ouvre de grands yeux et touche doucement ses mains.
"Tu t'es brûlé?"
Alain ne dit rien pendant un moment et me regarde prendre ses mains.
"C'était il y a longtemps."
"Comment ça t'es arrivé?"
Je ne peux quitter des yeux ces marques. Qu'est ce qui a pu lui faire ça? Il y a un silence et son regard se glace.
"Par accident."
Je lève mes yeux vers lui et j'attend qu'il en dise plus. Mais je vois dans son regard qu'il ne le fera pas.
"Tu ne vas pas m'en dire plus pas vrai?" Murmuré-je avec amertume.
Alain retire doucement ses mains des miennes et je regrette d'un seul coup la chaleur qu'il a donné à mes mains glacées malgré ma brûlure. Je n'ai pas remarqué qu'il les avaient refermés autour des miennes.
"Je vais te mettre la pommade."
Après un nouveau changement de sujet il prend le tube et met une noisette de crème dans les deux paumes de ses mains. Je lui donne mon bras blessé et il pose délicatement ses paumes dessus. Je tressaille. C'est froid.
Il commence à me masser, doucement, comme une caresse. Cela me fait du bien et j'ai d'un seul coup envie de dormir. Ses mains sont douces. C'est agréable.
"Tu as remarqué, tu m'as tutoyé." Marmonné-je d'un seul coup.
Je sens que la pression sur les bras ralentit un instant avant de revenir à sa vitesse initiale.
"Non je n'avais pas remarqué."
Peut-être qu'il ment. Peut-être dit-il la vérité. C'est dur de savoir avec lui. Je le regarde un instant et il y a quelque chose d'inhabituel sur son visage. Je plisse les yeux. Je n'ai jamais vu ça. Du moins sur des traits à lui.
C'est une petite teinte rosée sur le haut de ses pommettes.
Aurait-il rougi par hasard?
Non c'est sans doute le froid. Du moins c'est ce que j'essaye de me persuader.
Alain enlève des mains de mon bras puis les nettoie avec un mouchoir avant de remettre précipitamment des gants. Il n'aime peut être pas les laisser exposer. Ou alors il ne veut pas que je les vois plus longtemps.
"Ça devrait aller." déclare-t-il, "Je vais devoir te laisser, j'espère que tu as compris comment faire."
J'hoche la tête d'un air entendu mais suis néanmoins un peu déçue. J'aurais bien aimé qu'il reste. Pourtant tout ce que je peux dire est:
"Oui. Au revoir alors."
Alain me sourit doucement.
J'aurais pu l'inviter à déjeuner. Dire autre chose. Comme lui demander de rester. Mais je ne l'ai pas fait.
"Au revoir. Soigne toi bien."
Puis il s'en va me laissant seule Moi et ma tenue débraillée.
J'ai toujours mal.
Mais pas à mon bras.
*Je n'ai pas dis le nom des pommades pour ne pas faire à placement de produit.
J'espère que ce chapitre vous a plu!
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