Arrêt de bus: 14

Mercredi 8 février

Il y a une bonne odeur champêtre dehors. Les fleurs éclosent une par une, diffusant leur parfum vigoureux et suave, les belles couleurs du printemps se faisant voir un peu partout. Il fait frais mais juste assez chaud pour pouvoir sortir avec une simple veste. L'herbe est d'un beau vert, humide à cause de la rosée du matin. J'ai mis ma veste en jean rouge avec de petits boutons noirs. Je frissonne à peine.
J'ai hâte de voir Alain. J'aime tellement lui parler. Et puis nous nous sommes rapprochés, ce qui rend sa compagnie d'autant plus agréable. Je suis venue plus tôt exprès. Pour que l'on reste un peu plus longtemps ensemble.
Mais lorsque j'arrive à l'arrêt, il y a déjà quelqu'un. Une personne qui n'est pas Alain. Ce n'est pas souvent... Je fronce les sourcils mais m'assois tout de même. C'est un homme, d'environ une trentaine d'années, aux cheveux courts noirs légèrement grisonnants sur la nuque, portant une chemise violette sous un costume de travail gris foncé. On dirait un homme d'affaire. Il me regarde m'asseoir et je vois un de ses sourcils se hausser avec intérêt. Je décide de l'ignorer et regarde droit devant moi, m'étant mise à une distance respectable de lui. Quelques minutes passent. Je suis immédiatement mal à l'aise. Je le sens me reluquer de haut en bas de manière indécente, pensant que je ne le remarque pas. J'ai un frisson de dégoût et la chair de poule me pousse sur les avant-bras. Je déteste ce genre d'hommes. J'en rencontre déjà beaucoup trop dans mon métier de serveuse. J'ai envie de m'enfuir. D'être partout sauf dans son champ de vision. J'ai l'impression qu'il s'est rapproché.

"Excuse-moi, tu n'aurais pas du feu?" Demande-t-il soudain.

Je n'y crois pas. Il ne va tout de même pas...Il n'a même pas de cigarette. Il me drague et de manière évidente. C'est absolument impoli. Et puis de quel droit il me tutoie? Je tourne la tête et le regarde. Il a une sorte de sourire charmeur qui m'horripile. Je répond non de manière abrupte. Il prend cela pour de la timidité et sourit davantage.

"Tu viens souvent par ici?"

Il me reluque une nouvelle fois avec son regard libidineux. J'ai l'impression d'être un morceau de viande. Je me recroqueville inconsciemment pour cacher les courbes de mon corps qu'il semble tant apprécier à faire glisser ses yeux dessus. Je répond oui pour ne pas être impolie. Mais j'aimerai sincèrement qu'Alain soit là. Il pourrait m'aider et le plus vite sera le mieux.

"Tu t'appelles comment?"

Je fais comme si je n'ai pas entendu, espérant qu'il lâche l'affaire. Mais il continue de me parler en mêlant compliments inutiles et machos du genre "une si superbe jeune femme ne devrait pas être seule si tôt le matin" et recherche de points communs inexistants. J'essaye de répondre le moins possible et de lui faire comprendre que je ne souhaite pas continuer cette discussion. Mais il ne s'en rend pas compte. Il se rapproche tellement que nos cuisses se touchent presque. Il est imbu de lui-même et semble convaincu que je sois intéressé par lui. Son regard me dégoûte.

"...Ah tu ne prends pas mon bus? Bah les arrêts ne sont pas très loin, on pourra toujours se voir. Ça te dirait de boire un verre un de ces quatre?"

Je ne répond rien et essaye de m'écarter mais je suis au bout du banc. Combien de temps vais-je devoir le supporter? Je pense sérieusement à m'en aller, tant pis pour mon boulot.
Mais finalement Alain arrive et voyant que je ne suis pas seule, il jette sa cigarette et me fait un salut silencieux. Soulagée, j'essaye de lui faire des signaux "help" du regard mais il ne comprend pas et se contente de plisser les yeux avec incompréhension. Il doit penser que c'est un ami et reste debout à l'écart pour ne pas me déranger. Mais ce n'est pas ce que je veux! S'il vous plaît, ne soyez pas distant aujourd'hui!
L'homme à la chemise violette ne s'est même pas aperçu de sa présence, trop concentré sur ma poitrine. Il met sa main sur le dos du banc juste derrière mon dos. Son pouce me touche. Un puissant frisson me parcourt l'échine.

"...Je ne connais pas trop le coin , vous pourriez m'aider au fait? Passez moi votre numéro, comme ça on pourra se revoir et je vous inviterai chez moi."

Je crois que tous les poils de mon corps sont dressés. C'est visiblement du rentre-dedans des plus indélicat. Je me maudis d'être aussi gênée, je n'arrive pas à me défendre.

"Je...hm...non, désolée."

Il a un rire gras.

"Allé! On pourra faire connaissance."

"Non." Fais-je plus fermement.

Mais il continue d'argumenter et je sens son doigt toucher ma cuisse. Je sursaute. Je baisse les yeux et essaye de cacher ma colère. Quel horrible personnage. Ne comprend-t-il pas que je ne veux pas? J'allais me lever et lui dire à quel point j'étais outrée quand Alain s'approche.

"Bonjour Ruby!"

Je lève les yeux avec espoir, criant intérieurement son aide.
Aidez-moi.
L'homme le regarde de haut en bas de mauvaise grâce, énervé qu'on lui gâche son moment.

"Je ne vous dérange pas j'espère. Vous êtes un ami de Ruby?"

Alain demande cela en le regardant droit dans les yeux comme s'il venait d'arriver, avec un grand sourire qui me paraît...terrifiant. Je ne l'ai jamais vu. On dirait une autre personne. C'est un sourire des plus factice pour la simple et bonne raison qu'il paraît incroyablement sincère alors que ses yeux sont d'une froideur presque haineuse. Il a enfin compris.

"Ouais, on vient de faire connaissance." Répond l'homme avec désinvolture.

Le sourire d'Alain s'élargit et j'ai un frisson de terreur. Était-ce possible d'être aussi faux? L'homme ne l'a même pas remarqué, j'en suis sûre. Alain se tourne vers moi et mîme un sourire tendre.

"Hé bien tu ne me dis pas bonjour?"

À ma grande surprise il écarte les bras et me regarde avec insistance comme pour m'accueillir dans ses bras. Qu'est ce qu'il fait? Il veut que je...? Attend.
Je me lève, échappant à la griffe de monsieur dragueur avec soulagement. Sans plus attendre Alain me prend par la taille et je pousse un petit cri de surprise tandis qu'il me colle contre lui. L'homme grogne et plisse les yeux.

"T'es qui?"

Il sourit.

"Son fiancé."

Je fais semblant de rien mais à l'intérieur je pousse un énorme "hein?". Mon fiancé? Il n'est pas sérieux? Bon c'est vrai, il me sauve la mise au moins. Mais... Alain fait ça...pour moi?
L'impoli ouvre des yeux surpris et paraît d'un seul coup mal à l'aise. Il se rend enfin compte de son regard glacial qui le transperce, celui qu'il cache derrière son sourire.
Il se rend compte qu'il a un adversaire en face de lui. Un adversaire en colère.

Le bus arrive et après un rapide salut l'étranger monte dedans sans se retourner, dégouté et honteux. Étonnement, Alain lui, reste là, toujours sa main sur ma hanche. Le bus s'en va. Lui, reste toujours. Son sourire factice s'éteint pour faire place à un rictus de dégoût.

"Quel immonde personnage." Marmonne-t-il entre ses dents serrés.

Ah nous avions pensé la même chose.

"Merci Alain, je n'en pouvais plus. Je suis désolée pour votre bus." Soupiré-je.

Il hoche la tête.

"J'ai enfin compris en remarquant son regard lubrique et vos regards désespérés. C'est moi qui suis désolé, j'ai mis du temps à comprendre. Vous n'auriez pas dû rester un seul instant avec lui."

Il marmonne "un immonde personnage, vraiment" avant de se souvenir qu'il me tient par la taille et me relâche.

"Désolé aussi d'avoir été si brutal mais c'est souvent le meilleur moyen pour les faire fuir."

"Ce n'est rien." Réponde-je en remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille.

A l'entendre on dirait qu'il a déjà eu à faire avec d'autres personnes comme cet homme.

Sa proximité me rassure et je sens chacun de mes nerfs, devenus douloureux par la tension, se détendre enfin. Son odeur de myrrhe m'enivre et je dois me retenir pour ne pas m'endormir sur son épaule. Heureusement qu'il était là...

Nous restons silencieux quelques secondes puis nous apercevons mon bus au loin. Nous ne disons toujours rien. Il n'y a de toute façon rien à ajouter. Le bus s'arrête et après avoir remercié une nouvelle fois Alain je monte dedans. Le bus part et je disparaîs.

Alain la regarde partir au loin. Lorsque le bus sort de son champ de vision, Il baisse la tête et observe sa main gantée qui tenait sa hanche encore quelques instants plus tôt. Il ne pensait pas pouvoir oser le faire. Mais Ruby lui donne une confiance et un bien-être qu'il n'a pas ressenti depuis longtemps. Cet homme était un rustre et toucher une jeune femme aussi attentionnée et sensible lorsque l'on a des pensées aussi impures aurait été presque un sacrilège. Il s'en veut un peu de n'être pas intervenu plus tôt. Mais finalement l'homme s'en était allé et c'est ce qui était important.
Il se retourne pour s'assoir et ce mouvement soulève le parfum de Ruby qui s'est déposé sur son manteau lorsqu'il l'a prise. Il le sent, il ne l'a jamais vraiment senti. Elle sent bon.

"Hm." Murmure-t-il, "Du lilas."

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Bonjour, bonsoir, oui il est tard à l'heure où je poste et il n'y a qu'une seule journée mais de toute façon vous ne pouvez rien y faire hehe
Bref désolée pour le retard, je ne voulais pas poster ce chapitre (j'ai donc hésité) à l'origine mais comme les idées me manquaient je me suis dit pourquoi pas! Je tiens à préciser que à partir de maintenant nous allons en apprendre plus sur notre petit Alain!
Voilà, merci de m'avoir lu!
#Jabberwobbly

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