C H A P I T R E 5 - Josef Damste
Les Anglais
« Josef, va chercher mon carnet de notes sous la tente, s'il te plaît. »
Le jeune cartographe releva la tête vers son ami Andreas et acquiesça. Puis, il se dirigea vers la tente du linguiste afin de récupérer ce carnet. Cela faisait maintenant une semaine qu'Andreas répertoriait de nombreux mots et expressions de cette nouvelle langue. Chaque matin, il passait plusieurs heures avec Natai et Ivoa afin de les comprendre et de communiquer avec eux.
Grâce à l'intelligence très développée du polyglotte, les deux maoris réussissaient progressivement à se faire comprendre. Andreas était parvenu à créer un alphabet ainsi qu'une liste de mots basiques. Josef avait eu l'occasion d'apprendre ces bases avec l'aide de son ami, mais il n'osait pas encore communiquer avec ces deux montagnes de muscles.
Pendant cette semaine, le groupe n'avait pas bougé de la plage, à part pour aller chasser un peu et cueillir quelques fruits. Josef n'avait donc pas eu l'occasion de cartographier plus de terres. Cependant, il espérait pouvoir en parler rapidement avec les deux autochtones. Quels meilleurs guides que les habitants de ce continent ?
Alors que Josef revenait vers les deux maoris et Andreas, il entendit un de ses camarades crier. Assis sur la falaise de la plage, ce marin observait les horizons pour assurer la sécurité de la délégation néerlandaise.
« Bateau en vue ! »
Le cœur du jeune cartographe ne fit qu'un bond. Il accourut vers son ami Andreas qui était déjà en train d'essayer de traduire aux maoris.
« Les Anglais ! s'exclama à nouveau le marin. »
Josef fit les gros yeux. Tout sauf les Anglais ! Bien qu'ils ne soient pas la plus grande puissance coloniale, ils étaient les principaux rivaux des Provinces-Unies. Paniqué, le jeune homme décida d'aller trouver le capitaine, Andreas était visiblement trop occupé à communiquer avec ses deux nouveaux amis.
Abel était déjà dans une barque quand Josef l'intercepta. Aller à la rencontre des anglais était une chose, mais cacher les deux maoris en leur expliquant le danger qu'ils encourraient en était une autre.
« Je vais essayer de gagner du temps, déclara le capitaine. Cache-les mais fais en sorte qu'ils restent près du camp. Nous aurons bientôt besoin d'eux.
— Ne serait-il pas mieux de les renvoyer dans leur propre camp ? Ils seraient plus en sécurité ! »
Abasourdi, Abel sortit de la barque, faisant patienter tous les matelots. Il attrapa Josef par l'épaule et l'entraina à l'écart du groupe, puis il plongea ses yeux gris dans les siens.
« Josef, je sais que tu es jeune et plein de bonne volonté, mais ces autochtones ne sont pas nos amis, et ils ne le seront jamais ! Tu dois comprendre ça, et vite. Ils ne seront jamais plus que des alliés. Nous avons besoin des richesses de leur terre, et c'est tout. Est-ce que c'est clair ? »
Choqué, Josef s'empressa d'acquiescer. Le capitaine le relâcha et s'installa définitivement dans la barque pour rejoindre son bateau et rencontrer les Anglais. Le jeune homme s'assit dans le sable et se prit la tête entre les mains. Comment son capitaine pouvait-il agir ainsi ? Ces deux autochtones étaient des êtres humains, comme eux, et non des objets ! Ils avaient probablement une famille, un peuple. Voler leurs richesses n'était pas bien. C'était même immoral ! De quoi allaient-ils vivre après ?
Josef se releva brusquement, la colère s'insinuant en lui. Ses parents lui avaient inculqué des valeurs qu'il ne souhaitait pas oublier, même si son capitaine le lui ordonnait. Il rejoignit ses trois amis d'un pas décidé, faisant voler le sable derrière lui. Assis sur la plage, les autochtones et Andreas continuaient à parler dans cette langue que le jeune cartographe ne comprenait toujours pas.
« Andreas ! Il faut qu'on les aide à s'échapper. »
Le jeune homme sentait son cœur battre contre sa poitrine et il essayait de montrer de l'assurance à son ami, même si au fond, il avait vraiment peur des conséquences de ses actes.
« Qu'est-ce que tu racontes ? répondit le linguiste en se levant et en s'écartant de Natai et Ivoa.
— Le capitaine ne veut les utiliser que pour leurs richesses ! Nous risquons de détruire leur peuple ! Il faut que nous les aidions à s'enfuir, pour prévenir leurs familles ! »
Les yeux d'Andreas se plissèrent, puis il soupira longuement. Il se passa la main sur le visage, visiblement embêté par la situation.
« Écoute, Josef... Tu es mon ami et je respecte tes idées, ainsi que celles de tes parents, mais il y a un élément crucial que tu n'as pas compris ici, commença Andreas.
— Lequel ?
— Ces deux autochtones appartiennent aux Provinces-Unies. Si nous découvrons leur village, il nous appartiendra aussi. Tout ce que nous pouvons trouver ici peut rendre notre pays encore plus riche ! Nous aurons alors un statut confirmé au sein de l'Europe. Nous n'avons pas le temps de nous poser des questions morales, Josef. »
Le jeune homme fut encore plus choqué. Il ne reconnaissait pas son ami. Comment pouvait-il dire cela alors qu'il avait passé sa vie à découvrir de nouveaux peuples et les aider à s'intégrer parmi eux ?
Andreas comprit ce à quoi pensait son jeune ami et reprit la parole d'un ton désolé.
« À chaque fois que nous avons découvert un peuple, nous avons profité de leur richesse et de leur main d'œuvre. Ils ne sont pas comme nous, ils ne connaissent pas nos coutumes et notre savoir-vivre ! Nous ne pouvons pas les considérer comme amis puisqu'il n'y a pas matière à l'être. »
Les yeux de Josef se remplirent de larmes. Il se rendit compte qu'il s'était trompé sur son ami depuis le début. Il voyait Andreas comme un explorateur humaniste qui aimait aider les nouveaux peuples à s'intégrer. Mais, il avait visiblement été trop naïf. Il savait que ses parents lui avaient donné une éducation considérée comme originale dans la bourgeoisie. Les Damste lui avaient appris que tous les hommes se valaient, quelles que soient leurs origines. Cette pensée moderne et jugée inappropriée avait poussé la société à les mettre de côté. Pourtant, il ne se découragea pas. Josef ne voulait pas être comme ses compagnons. Il avait vu de la bonté chez ces deux autochtones et il allait tout faire pour les sauver.
« Je comprends, mentit-il. Je pense que tu devrais rejoindre le capitaine sur le bateau pour discuter du meilleur endroit où les cacher. »
Andreas fronça les sourcils, peu convaincu. Pourtant, il faisait confiance à son ami et il savait qu'il allait prendre la bonne décision. Il partit donc sur une barque rejoindre le capitaine comme lui avait conseillé Josef.
Le jeune cartographe s'empressa d'aller voir Natai et Ivoa après s'être assuré qu'Andreas était trop loin pour le voir. Les deux autochtones étaient en grande discussion et Josef put sentir une certaine tension entre les deux hommes. Ils se turent quand ils aperçurent le Néerlandais qui tenait le carnet de mots d'Andreas. Il l'ouvrit précipitamment, arrachant un bout de page sans s'en rendre compte. Josef releva ensuite la tête vers les deux visages de marbre devant lui et tenta, pour la première fois, de communiquer avec eux.
« Kino ! Kino ! »
Tandis qu'il criait ce mot, Josef pointait du doigt le bateau néerlandais, ainsi que le britannique. Natai fixa longuement ce petit blond, se demandant ce qui lui passait par la tête. Inconsciemment, il lui faisait confiance. Il avait été le premier Néerlandais qu'il avait rencontré et même s'il ne les comprenait toujours pas, il affectionnait ce jeune homme.
« Mākoha ! Kino ! »
Josef se pointa du doigt en disant le premier mot, puis désigna à nouveau les deux bateaux au loin en insistant sur le second. Ivoa comprit rapidement ce que voulait dire Josef. Depuis une semaine, il observait ces hommes avec méfiance, essayant d'assimiler leur culture et leurs coutumes. Le jeune maori comprit qu'un nouveau groupe d'hommes arrivait et que lui et son père étaient en danger. Il se tourna donc vers Natai et lui expliqua ce que Josef criait depuis cinq minutes. Les yeux du chef maori s'assombrirent au fur et à mesure qu'Ivoa parlait.
« Il faut vous cacher ! Je vais vous aider ! »
À cours de vocabulaire, Josef se mit à agiter les bras et montra la forêt en haut de la falaise d'où ils étaient venus une semaine auparavant. Les deux maoris comprirent aussitôt et décidèrent de faire confiance au jeune cartographe. D'un pas décidé, ils se dirigèrent tous les trois vers la forêt. Avec l'aide des deux maoris, Josef parvint à grimper au sommet de la falaise en un rien de temps. Tandis qu'ils s'enfonçaient dans la noirceur de la jungle, le Néerlandais se demanda s'il avait pris la bonne décision, guidé par son cœur et sa conscience.
___
L E X I Q U E :
Kino : Méchant
Mākoha : Gentil
N D A :
Bonjour !
Nous revoilà du côté de Josef avec ce nouveau chapitre. J'espère honnêtement qu'il vous a plu parce que j'ai vraiment essayé de faire passer un message. Cette histoire n'est pas faite que pour vous distraire, c'est aussi pour vous apprendre certaines choses sur la Nouvelle Zélande et les maoris (j'en ai déjà parlé) mais c'est surtout pour parler du colonialisme. Et donc, dans les premiers chapitres... je vous ai laissé pensé qu'on était sur une histoire plutôt "pacifiste" de ce côté-là, mais ce n'est pas le cas. Je tiens quand même à rester un minimum proche de la réalité sur ce sujet-là !
Donc voilà, dîtes-moi ce que vous en pensez ! :)
Clara
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