C H A P I T R E 39 (1) - Aroha

Partie 1 : Adieu

Les joues d'Aroha n'avaient jamais été autant mouillées. Même enfant, elle ne pleurait que rarement. Mais ce jour-là, il lui était impossible de se vêtir de sa carapace. On la lui avait arraché en même temps qu'on lui avait arraché sa famille. Elle n'aurait jamais imaginé avoir aussi mal. Le deuil était la pire souffrance qu'elle ait pu expérimenter dans sa vie.

Cela faisait plusieurs jours qu'elle, Ivoa et Moana veillaient sur le corps de leur père dans le marae, leur maison communautaire. Selon la tradition, ils ne devaient pas laisser le corps du défunt seul jusqu'à la mise sous terre. Les trois frères et sœurs sentaient l'esprit toujours présent en lui et voulaient l'accompagner jusqu'à ce qu'il rejoigne ses ancêtres à Hawaiiki.

Natai avait été abattu par plusieurs balles de fusil tirées par les Néerlandais. Aroha ne connaissait pas cette arme mais elle ne s'était jamais sentie aussi coupable. Elle avait envoyé sa famille et son peuple à la mort, ne faisant même pas attention au fait qu'ils n'avaient peut-être pas la supériorité.

Depuis son plus jeune âge, elle se laissait conduire par ses émotions. Elle agissait en fonction de ses sentiments et de son cœur et ne faisait jamais appel à sa sagesse. Elle doutait même être dotée de cette faculté. Pourtant, son père l'était. À cette pensée, une larme fit son chemin sur le visage de la jeune femme. Désormais habituée à pleurer, la jeune maorie ne prit pas la peine de l'essuyer, la laissant s'écraser sur le sol.

Josef entra dans le marae où régnait un silence assourdissant. Il avait confié Rakauni à Poeti pour venir voir sa femme. Elle n'avait pas quitté l'endroit depuis qu'elle avait vu le cadavre de son père. Le jeune homme ne comprenait pas toutes les traditions funéraires du peuple, mais il ne disait rien, respectant la culture d'Aroha.

Posant une main sur l'épaule de sa femme, Josef lui signifia sa présence. Elle releva la tête vers lui. Le Néerlandais fut choqué par l'absence de vie dans le regard d'Aroha. Inquiet, il l'attira vers lui et l'entoura de ses bras. S'abandonnant à l'étreinte, la jeune femme soupira.

— Il est temps de l'enterrer, murmura le jeune homme à l'oreille de la cheffe. 

Cette dernière hocha la tête, à la fois attristée par la séparation avec son père et soulagée que cette épreuve se termine. Deux hommes maoris entrèrent dans le marae et soulevèrent le brancard improvisé. Sous les yeux d'Ivoa et Moana, ils sortirent lentement. Aroha, le visage enfoui contre le torse de son mari, frissonna. Elle ne ressentait plus l'esprit de son père.

La famille sortit de la maison communautaire à son tour, Josef et Aroha se tenant la main. Rejoints par le village entier, ils suivirent les deux hommes en direction du cimetierre qui se situait sur une petite colline à environ une demi-heure de marche de leurs habitations. La marche jusqu'au lieu se fit dans un silence pesant, chacun pensant au chef qu'ils venaient de perdre.

Quand ils arrivèrent au sommet de la colline, Poeti rendit Rakauni à Josef qui lâcha la main de sa femme. Cette dernière, se sentant envahie par la panique de ce soudain abandon, releva des yeux écarquillés vers son mari. Le visage doux et le regard rassurant du Néerlandais la calmèrent. Elle rejoignit Ivoa et Moana et observa les deux hommes mettre leur père en terre dans une tombe préalablement creusée.

Comme le voulait la tradition, toutes les personnes proches du défunt firent un discours lui étant directement adressé. Aroha n'écoutait qu'à moitié les sanglots des amis de son père, fixant son corps au fond du trou. La jeune femme tiqua quand elle reconnut la voix d'Eimeo. À peine remis de sa blessure, il avait tenu à grimper la colline avec tout le monde pour payer ses respects à Natai. Une main posée sur son bandage, il parlait en fixant lui aussi le corps du chef.

— Ne t'en fais pas, Natai, Aroha saura être une bonne cheffe pour notre tribu, termina Eimeo en relevant les yeux vers la concernée. 

La jeune femme, flattée, ne parvint pas à esquisser un sourire. Elle était soulagée que le soldat ait survécu, sa mort l'aurait achevée.

Comprenant que c'était à son tour de parler, la jeune femme s'avança vers la tombe pour apercevoir le visage de son père. La voix enrouée après de nombreux jours de silence, elle commença son discours.

— Je ne serai pas longue, Papa. Je ne veux pas te retenir plus longtemps parmi nous. Je suis désolée que tu ne sois plus, tout est de ma faute, dit-elle en retenant un sanglot. Mais je te promets que je te vengerai. Et je retrouverai Maman. 

Ces quelques phrases résonnèrent sur la colline et la jeune femme eut l'impression qu'un coup de vent les emporta en même temps que l'esprit de Natai vers Hawaiiki, la terre de leurs ancêtres. Libérée d'un certain poids, Aroha fit signe aux deux hommes de recouvrir le corps de terre.

N'attendant pas qu'il soit complètement recouvert, la jeune femme prit Rakauni des bras de Josef et descendit la colline avec hâte. Elle ne voulait plus s'attarder. Elle devait se venger.

Son mari la suivit jusqu'à leur cabane où il la retrouva en train d'allaiter leur enfant. Le regard déterminé de sa femme lui fit peur et il s'agenouilla près d'elle.

— À quoi tu penses ? demanda-t-il doucement, ne voulant pas déranger l'enfant qui tétait tranquillement.

— Ma vengeance, répondit-elle avec un calme incroyable. 

Josef souffla. Il la connaissait par cœur à présent. Il savait qu'elle avait quelque chose en tête et que rien ne l'arrêterait.

— Tu peux me donner quelques détails ? 

Aroha posa des yeux aimants sur Rakauni puis sur Josef.

— Notre famille, nous trois... C'est ce qui m'est arrivé de plus beau, Josef. Ne l'oublie pas. 

Son ton bouleversé retourna le blond qui ne comprenait pas où elle voulait en venir. Cela l'inquiéta même encore plus.

— À moi aussi, bien sûr, murmura-t-il, déboussolé.

— Je compte retourner voir Ari. Cette fois, je vais faire une alliance avec lui. 

Josef écarquilla les yeux. Ari ? La tribu ennemie ?

— Mais Aroha, il ne voudra pas faire d'alliance si tu ne lui offres pas Moana en échange, tu le sais. 

Pour toute réponse, la jeune mère afficha à nouveau un air déterminé. Elle n'allait tout de même pas faire ça à sa petite sœur ?

— Tu es bouleversée, tu ne penses pas clairement. Ne dis pas de bêtises comme ça ! s'exclama Josef, dérangeant Rakauni au passage.

— Je n'ai jamais eu de pensée aussi claire. Je ferai une alliance avec Ari sans avoir à vendre ma sœur, ne t'inquiète pas.

— Et après, quoi ? Tu attaqueras à nouveau Abel ? Tu n'as donc rien appris de la mort de ton père ? lâcha-t-il, énervé par l'attitude de sa femme. 

Cette dernière lui jeta un regard noir. Le décès de son père était toujours frais dans son cœur et son esprit.

— Avec la mort de mon père, je suis réellement devenue la cheffe de cette tribu. Pour de bon. Donc, je prends les décisions et tu n'as pas ton mot à dire. 

Ce rôle définitif pesait lourd sur ses épaules. Elle n'avait plus Natai pour l'aider dans ses choix. Mais elle ne devait pas se montrer faible, même si la personne en face d'elle n'était autre que sa moitié. Josef, vexé par l'attitude de sa femme, ne rajouta rien.

Après avoir nourri Rakauni, la jeune mère l'avait bercé jusqu'à ce qu'il s'endorme. Puis, le couple s'était couché dos à dos, sans un mot. 

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Bonjour ! 

Ce chapitre contient 3 parties et les chapitres 38, 39 et 40 ne seront pas découpés. La fin approche...  Je suis en train d'écrire le chapitre 39 mais j'ai de plus en plus de mal, je pense qu'au fond, je n'ai pas vraiment envie de finir cette histoire haha

Pour précision, je parle d'Hawaiiki ici. Dans la culture et la "religion" maorie, Hawaiiki est un peu l'équivalent du Paradis pour la religion chrétienne. 

N'hésitez pas à me donner vos avis ! Je suis curieuse de savoir ce que vous pensez de tout ça :)

Bisous, Clara <3

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