C H A P I T R E 33 - Josef Damste
Distance
Les feuilles de l'automne s'accrochaient aux vêtements de Josef tandis que lui et Ivoa se dirigeaient vers la cabane d'Amiria, la guérisseuse. En ayant assez d'entendre les bruissements de cette végétation morte, le jeune Néerlandais épousseta rageusement son pantalon et donna un coup de pied dans un tas de feuilles.
Ivoa se retourna, entendant son beau-frère marmonner ce qui lui semblait être des injures dans sa langue maternelle. Il s'arrêta alors et fit face à Josef.
— Je ne t'ai jamais beaucoup aimé, pakeha, mais j'ai toujours admiré ton calme et ton habilité à comprendre les erreurs et à les pardonner. Ne deviens pas l'opposé de toi-même.
Surpris, le jeune Néerlandais se figea. Il observa son beau-frère et ne lut que de la bonne intention dans ses yeux, ce qui était très inhabituel. Avait-il trop dérapé ? Le jeune homme avait accumulé tellement de sentiments au fond de lui-même qu'il était devenu insupportable de penser à sa femme et à Eimeo sans s'énerver.
Comment Ivoa pouvait-il comprendre ce qu'il ressentait ? Avait-il une seule idée de tout ce qu'il avait enduré ces derniers mois ? Le grand blond pinça les lèvres et serra les dents. Il n'allait pas décolérer aussi facilement.
Son beau-frère haussa les épaules. Au moins, il avait essayé d'apaiser les tensions. Il n'avait pas l'habitude d'avoir le rôle du médiateur mais la détresse apparente d'Aroha l'avait touché en plein cœur. Même s'il n'approuvait pas tous ses choix, il aimait profondément sa sœur et il ne supportait pas qu'elle souffre à ce point.
Lorsqu'ils arrivèrent devant la cabane d'Amiria, Josef n'avait toujours pas décoléré. Il en voulait à la Terre entière de le faire souffrir ainsi. Il avait la certitude que le sort s'acharnait sur lui et pensait qu'il ne sortirait jamais de ce cercle vicieux qu'était sa relation avec Aroha. Son amour pour elle le détruisait petit à petit. À chaque nouveau coup dur, son cœur se fragilisait et la joie de devenir un parent avait rapidement été assombrie par l'incertitude de sa paternité. Qu'avait-il fait pour mériter cela ?
La vieille guérisseuse sortit de son habitation, ayant entendu les pas des deux hommes dans les feuilles mortes. Elle aperçut la main rougie du jeune blond et sans un mot, l'invita à entrer chez elle. Ivoa la suivit, décidé à rétablir une bonne relation entre son beau-frère et sa sœur.
Dans un silence de mort, Amiria fit un bandage appliqué à Josef. Ce dernier fixait le vide, perdu dans ses pensées dévastatrices. Ivoa, quant à lui, ne quittait pas le néerlandais des yeux. Il ne comprenait toujours pas comment un homme pouvait autant changer en une fraction de seconde. Josef était devenu une autre personne et il ne savait pas si c'était pour le mieux.
Les deux jeunes hommes sortirent au bout de dix minutes de chez la guérisseuse. Le futur marié accompagna son beau-frère jusqu'à sa cabane et lui tendit ses vêtements de cérémonie. Josef saisit le léger pagne en lin et la cape en plumes avant de passer silencieusement la porte. Il savait qu'Aroha ne serait pas là, s'étant réfugiée auprès de sa mère. Enfin débarrassé d'Ivoa, le jeune blond se laissa tomber sur sa paillasse après avoir jeté sa tenue sur un coffre en bois sombre.
Réalisant qu'il était à présent seul, Josef quitta sa carapace et inspira un grand coup. Il sentit alors toutes les émotions qu'il avait mises de côté revenir au galop. Son cœur se serra et sa respiration se fit plus difficile. Il n'en pouvait plus. L'amour qu'il ressentait pour cette femme le rongeait de l'intérieur, tel un poison. Il avait renoncé à sa patrie pour elle. Sa gorge se serra d'un coup.
Il était conscient depuis le début qu'Aroha ne l'aimerait peut-être jamais. Il avait connaissance de sa relation avec Eimeo depuis longtemps. Il avait été averti. Pourtant, il avait gardé espoir.
Des larmes s'aventurèrent sur ses joues désormais dorées par le soleil. Il souhaitait cet enfant plus que tout au monde. Il en rêvait tellement que ça lui faisait un mal de chien de penser qu'il n'était peut-être pas le père. Durant de nombreux mois, il allait être emprisonné entre l'impatience et l'angoisse. Il ne serait sûr de sa paternité que quand il verrait le bébé.
Allongé seul sur sa paillasse, il prit une décision qu'il avait peur de regretter. Il savait qu'Aroha était aussi perdue que lui dans cette situation. Il se résigna donc à prendre ses distances avec elle. Il lui avait prouvé maintes fois son amour. À présent, il devait penser à lui et essayer de guérir en attendant la venue de l'enfant. Il devait se préparer à être parent, peu importe si l'enfant était de lui ou non.
Josef laissa ses quelques larmes sécher sur ses joues avant de se relever et d'enfiler sa tenue cérémonielle. Il sortit alors de la cabane, l'esprit ailleurs, à l'abri de cette situation. Il rejoignit la tribu au centre du village pour célébrer le mariage d'Ivoa et Poeti.
Il aperçut Eimeo aux côtés de sa sœur, la joue légèrement bleutée. Il ne regardait que Poeti, faisant abstraction de la dispute qui avait éclaté entre lui et Josef une heure plus tôt. Aroha, elle, était aux côtés d'Ivoa, les yeux baissés sur son ventre. Le jeune homme la contempla, fixant son abdomen très légèrement bombé. Si son Dieu existait, il était temps pour lui de faire ses preuves en lui offrant la paternité de cet enfant.
Sa femme leva les yeux vers lui et tenta d'établir un contact visuel. Pour une fois, Josef n'était pas celui qui était gêné. Il était déterminé. Il plongea donc son regard dans celui d'Aroha. Un regard froid et triste que la jeune femme ne put soutenir.
Le mariage se déroula comme en second plan dans l'esprit de Josef. Il ne quittait pas sa femme des yeux tandis qu'elle faisait de son mieux pour éviter son regard dévastateur. À la fin des nombreux rituels et du haka, Aroha rejoignit son mari timidement. Leur contact visuel se brisa. Josef saisit le bras de sa femme et se pencha vers elle.
— Je vais dormir dans une autre cabane jusqu'à la naissance de l'enfant. Il est mieux pour nous de prendre nos distances.
Sa femme releva la tête vers lui, surprise. Elle voulut lui répondre quelque chose mais Josef ne lui en laissa pas le temps, s'éloignant d'elle pour rejoindre Natai sans un mot. Ce dernier le fixa, surpris. Il aperçut sa fille, blessée, s'éclipser du mariage pour se diriger vers la plage. Le chef du village était tiraillé. Il comprenait son gendre qui essayait de se protéger de la souffrance que cette situation provoquait. Mais il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter en voyant sa fille se retrouver seule pour les prochains mois.
Il avait l'impression que les rôles s'étaient inversés dans le couple. Aroha était devenue la personne qui ne demandait qu'à aimer Josef, alors que son mari était devenu celui qui préférait ignorer cet amour.
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Bonjour !
ça fait un moment que je ne vous ai rien posté... mais je suis de retour avec 5 chapitres d'avance, comme ça je ne serai pas prise de court ! ;)
Ce chapitre est assez spécial car il ne s'y passe aucune action et aucun dialogue. On est juste dans la tête de Josef. Mais, il est important pour la suite.
Je sais que certaines d'entre vous ne vont peut-être pas comprendre la décision de Josef mais, personnellement, c'est ce qui m'a paru le plus logique. Quand y'en a marre, ba.. y'en a marre quoi !
Je posterai la suite mardi prochain je pense :)
Bonne soirée et profitez de vos vacances (pour ceux qui en ont encore) !
Bisous, Clara <3
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