C H A P I T R E 10 - Aroha
L'intrus
Cela faisait maintenant plusieurs minutes qu'Aroha fixait le manche en coquillage de son poignard. Elle se souvenait parfaitement quand son père le lui avait offert. Elle avait alors quinze ans et s'entraînait depuis déjà plusieurs années à combattre avec une lance. Natai lui avait offert ce poignard, où une pierre de silex parfaitement taillée rencontrait des coquillages blancs à l'état brut. Son père lui avait dit que cette arme appartenait à son grand-père et qu'il le transmettait de génération en génération. Aroha ne l'avait jamais utilisé, jusqu'à ce jour-là.
Le blanc pur des coquillages était recouvert par le sang de cet intrus. La jeune femme avait ressenti une peur incommensurable quand elle avait vu cet être au physique étrange, surtout quand elle avait remarqué que ses yeux aussi bleus que l'océan la fixaient avec trop d'intensité. Alors, elle avait attaqué. S'il était si menu, comment faisait-il pour avoir le dessus sur son père ? Il devait forcément avoir un esprit malin. Et la jeune cheffe savait que ces esprits-là étaient beaucoup plus dangereux que les gros muscles, Ari en étant la preuve.
Elle sortit rapidement de sa maison et se dirigea vers la plage d'un pas pressé. Ne voulant pas affronter son père ni son frère, elle alla se réfugier sous une arche creusée par la mer il y a des milliers d'années. À l'ombre, elle laissa les vagues caresser ses pieds et rinça son arme, désireuse de retrouver la pureté des coquillages.
Elle soupira longuement. Natai était probablement en train d'emmener l'étranger à Amiria, la guérisseuse. Elle espérait secrètement que la vieille femme refuse de prendre soin de lui, mais elle savait qu'il était entre des mains bienveillantes.
Perdue dans ses pensées et n'écoutant que le bruit des vagues s'écraser contre les rochers, Aroha ne fit pas attention à Eimeo. Le grand soldat, plutôt discret, s'assit tranquillement à côté de sa cheffe et attendit qu'elle prenne la parole. Il savait que la jeune femme avait agi ainsi pour protéger sa tribu, mais il faisait confiance au jugement de Natai.
« Comment a-t-il pu ramener cet intrus chez nous ? Et s'ils étaient suivis par son peuple ? Ils n'attendent peut-être que son signal pour nous attaquer ! »
Les paroles d'Aroha fusaient en même temps que les pensées dans son esprit. Elle s'imaginait plusieurs scénarios à la fois, se demandant comment l'arrivée de cet étranger pouvait jouer en leur faveur. Parmi tout ce qu'elle imaginait, rien ne finissait bien. Dramatique, elle se prit le visage entre ses mains et laissa quelques larmes de peur couler.
« Mon père a ramené le danger dans notre camp. Je suis la cheffe de tribu... dois-je vraiment m'en prendre à mon propre père ? »
Voyant sa cheffe se détruire à petit feu, Eimeo décida de prendre les choses en main.
« On ne connaît pas toute l'histoire, Aroha. Ton frère t'a raconté sa version, mais tu n'as laissé aucune chance à ton père de le faire. Natai est un homme sage et je lui confirai ma vie sans hésitation. Donc je pense qu'il faut que tu l'écoutes, avant que tu prennes une décision. »
Déçue de son attitude défaitiste, Aroha releva la tête en écoutant attentivement le soldat. Bien évidemment, il avait raison. La jeune cheffe attrapa la main de cet homme qui lui servait de pilier et la caressa pour s'apaiser. Les deux promis restèrent ainsi plusieurs minutes, le temps que la jeune femme reprenne ses esprits. Elle se leva ensuite, attacha ses cheveux noirs en une longue tresse et se dirigea vers sa maison où elle espérait trouver son père.
Assis au milieu de l'abris, Natai jouait avec Moana. La petite sœur d'Aroha était heureuse de retrouver son père et le faisait savoir en partageant son rire si singulier. La jeune cheffe se planta donc devant son père, lui faisant comprendre qu'ils devaient parler. Elle avait l'impression que leurs rôles s'étaient inversés et qu'elle avait le dessus sur lui. Cette sensation la fit grimacer et elle essaya de se détendre en regardant l'expression de douceur que le visage de Natai affichait.
Les deux chefs sortirent de leur maison et se dirigèrent vers la plage. L'étendue de sable blanc était le lieu de prédilection d'Aroha, l'endroit où elle se sentait le plus calme. Ils s'assirent tous les deux sur un gros rocher qui surplombait la mer. La jeune femme écouta les vagues caresser ce bloc de pierre et inspira longuement, appréciant l'odeur du sel et des algues. Apaisée, Aroha prit enfin la parole.
« Tu es mon père et je t'ai toujours voué une confiance aveugle. Mais je ne comprends pas comment tu as pu ramener cet intrus dans notre camp. Il y a des enfants ici. Il y a Moana ! On ne peut pas se permettre de mettre notre peuple en danger. »
Natai, aussi calme que sa fille, regardait l'horizon, les yeux plissés. Le soleil commençait tout juste à se coucher et il adorait regarder la boule de feu se faire dévorer par l'océan.
« J'ai passé beaucoup de temps avec cet homme, Aroha. Je l'ai vu évoluer parmi son peuple. Il est différent. Il ne partage qu'un physique avec eux. Josef n'a pas la même façon de penser et je suis convaincu qu'il veut nous aider.
— Nous aider à quoi ? Il fait partie de ceux qui sont venus sur notre terre avec de mauvaises intentions ! On ne peut pas lui faire confiance. »
Natai ne répondit pas, réfléchissant aux paroles de sa fille. Il était vrai qu'il avait pris un gros risque en ramenant le cartographe ici, mais il était persuadé qu'il pouvait lui apporter de nombreuses richesses et connaissances. Pourtant, il laissa la nouvelle cheffe reprendre la parole.
« Il y a quelque chose que tu ne sais pas. »
Il était temps pour Aroha d'annoncer la proposition d'Ari à son père. Elle ne savait pas comment il allait réagir et avait honte d'avoir laissé leur ennemi entrer sans encombre dans leur camp, mais elle devait le faire.
« Ari est venu il y a quelques jours. Il m'a proposé d'épouser son fils, Anaru. »
Les mots de sa fille paralysèrent Natai. Ses poils se dressèrent de colère et il regarda enfin son enfant dans les yeux.
« Ari ? marmonna-t-il, serrant les dents. »
Aroha acquiesça et reprit la parole.
« Il s'est allié aux Rakau. Si je n'accepte pas, ils nous attaqueront. »
Natai poussa un grognement de colère et se leva d'un bond.
« Comment a-t-il pu ? Cet idiot ! S'en prendre à ma propre fille ? marmonnait-il en faisant les cent pas à côté du rocher. »
Aroha le regardait faire, sachant qu'il ne fallait pas lui parler dans ce genre de situation. Après quelques minutes d'énervement, Natai se calma. La lueur qu'Aroha aperçut dans ses yeux lui prouva qu'il venait d'avoir une idée. Son père se tourna donc rapidement vers elle et lui fit un grand sourire.
« Tu vas te marier à Josef ! »
La jeune femme écarquilla les yeux et se leva à son tour, toisant son père d'un air mauvais.
« Hors de question que je termine avec cette vermine ! »
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N D A :
Aïe... Toujours pas de chance notre petite Aroha, décidément...
J'ai mis du temps à publier ce petit chapitre, j'en suis désolée... Mes excuses sont toujours les mêmes : j'ai beaucoup de boulot :/
Mais sachez que cette histoire me tient énormément à coeur et que je ne la laisserai pas tomber, donc même si les chapitres mettent du temps à arriver, ils arriveront toujours ;)
J'espère quand même que ce chapitre vous a plu et je voulais en profiter pour vous remercier du nombre de vues ! Je n'ai mis aucun chapitre mais ça a énormément augmenté donc merci, merci, merci !
Bisous, Clara <3
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