I Only Know A Love That Looks At You From Behind
Quelques mois plus tôt, à l'instant-même où Hoseok a prononcé les mots « c'est à Jeon de t'expliquer », Taehyung était sûr qu'il ne donnerait pas à Jungkook l'occasion de lui expliquer quoi que ce soit. Il ne voulait même pas le revoir pour qu'il lui fournisse ces putains d'explications. A l'époque, tout ce que voulait le châtain, c'était de s'éloigner de l'environnement toxique que représentait Séoul. Tout ce qui lui occupait l'esprit, c'était le fait d'avoir été trahi par les deux personnes les plus importantes de sa vie.
Alors, Taehyung est sorti de la chambre de Hoseok, il a écrasé sa puce, changé de numéro, a déserté son appartement et est retourné vivre avec ses grands-parents à Daegu. Il y a vécu pendant longtemps, il a enchaîné quelques petits jobs à gauche et à droite, avant d'apprendre que ses dettes lui ont été payées par une personne anonyme, et a aidé sa grand-mère à cultiver les pommes dans leur champ.
Ainsi, pendant des mois, la vie de Taehyung a été paisible, tout ce qu'il y a de plus ordinaire, vide de journaliste voulant détruire la vie des autres, vide d'une certaine idole voulait s'autodétruire, vide de tout sens, en fait. Puis, Taehyung a été appelé par son grand-père, puis, Taehyung a entendu Jungkook chanter depuis des mois, puis, Taehyung a pris la décision d'appeler Jungkook, alors qu'il s'est promis de ne pas le faire à chaque fois qu'il s'apprêtait à composer son numéro.
« Allô ? »
Puis, Taehyung est en train de l'appeler, là, maintenant, il l'appelle.
Son souffle se coince dans sa gorge, le timbre de voix familier, tout en étant inconnu, de Jungkook vibre dans ses tympans. Un drôle de sentiment s'installe dans son torse, comme la chaleur d'être revenu chez-soi après des mois de vacances, comme la panique qui nous bloque les entrailles lorsqu'on se rend compte qu'on ignore ce qu'on est censé faire, dire, après une décision spontanée.
« Allô ? C'est qui ? »
Taehyung soupire discrètement, les oreilles toujours sifflantes.
« C'est moi, finit-il par marmonner dans le combiné. »
Un hoquet de surprise se fait entendre à l'autre bout du fil.
« Taehyung...? hasarde Jungkook, l'air de ne pas trop y croire, le châtain le comprend, cet appel est si inattendu. Hyung, c'est vraiment toi...? »
Taehyung serre les dents. Jungkook n'a pas le droit de parler ainsi, parler comme s'il attend ça depuis longtemps, comme s'il est stupéfait par cette surprise, parler comme si c'est lui la victime, parler comme il l'a fait durant cette maudite chanson, cette chanson qu'il a chanté et dédié à Taehyung, devant tous ses spectateurs.
« Pourquoi t'as fait ça, hein ?
- Taehyung, comment tu vas ? Où es-tu ? Comment—
- Pourquoi tu m'as dédié cette chanson, Jungkook ? l'interrompt le châtain d'une voix fermée. »
Silence.
« Si tu comptes pas répondre, je vais couper, l'avertit-il.
- Non ! Attends, je, j'arrive pas à croire que tu m'appelles. Ça fait six mois que j'essaie de te contac—
- Je vais couper.
- Non ! C'est bon, je vais te dire ! Euh, parce que je devais trouver un moyen de te faire passer le message...
- Le message ? »
Taehyung lâche un rire dérisoire, l'air de ne pas croire aux conneries que raconte le noiraud.
« Le message ? Après ce que toi et Hoseok avez fait ? Le message est passé, t'inquiète, j'ai compris. Je me suis fait avoir et—
- Non, un autre message. »
Le châtain contracte la mâchoire, ne voulant pas, non, refusant de se laisser avoir par le ton doucereux de l'idole. Il ne se laissera pas berner, pas encore, pas alors que la plaie est encore fraîche, pas encore close.
« Tu peux pas juste me foutre la paix ? Tu l'as eu ton scandale, hein ? Tu as quitté BigHit, tu n'es plus enchaîné au contrat, tu fais ce que tu veux, non ?
- Taehyung, je—
- De quel droit ? siffle Taehyung rageusement dans le combiné. Comment tu peux continuer à m'utiliser alors que je t'ai clairement fait comprendre que je ne voulais plus rien à faire avec toi ? Comment tu peux te montrer aussi cruel, putain ? Six mois sont passés, Jungkook, six putains de mois !
- Tae, hyung, je ne t'utilise pas crois-moi, je—
- Comment je peux te croire ? Vous avez tout planifié dans mon dos. Tout était prévu depuis longtemps, je n'étais que votre putain de marionnette et...et non seulement je suis tombé dans le piège mais j'ai été assez con pour avoir des sentiments. »
La voix de Taehyung se casse, se fracasse contre les octaves qui montent et redescendent. Il a honte, honte de laisser sa vulnérabilité glisser entre ses mots ainsi, devant la personne qui le mérite le moins.
« Alors, merde, laisse-moi tranquille, c'est si difficile à comprendre ? Laisse-moi. Putain. De. Tranquille.
- Je ne peux pas, souffle Jungkook, presque inaudible, presque un fragment de l'imagination du châtain. »
Ce dernier s'arrête de respirer, se demande si, finalement, c'est comme ça qu'il va mourir.
« ...Hein ?
- Je ne peux pas te laisser tranquille, répète le noiraud, avec un peu plus de confiance dans sa voix. Pas quand je n'arrive pas à ne pas penser à toi, pas quand je passe mes journées à penser à comment me racheter auprès de toi, pas quand moi aussi j'ai des sentiments, pour toi. »
Taehyung resserre sa prise sur le téléphone. Il jurerait pouvoir le casser, le réduire en morceaux, si seulement ses mains ne tremblaient pas autant, si seulement son corps ne tremblait pas autant.
« Arrête de mentir, c'est bon, je veux plus écouter tes conneries.
- Je ne mens pas, putain, hyung, si je n'avais vraiment pas de sentiments pour toi, je n'aurais jamais demandé à Hoseok de me laisser du temps, de retarder la sortie du scandale. Si je n'avais pas de sentiments pour toi, tu ne penses pas que j'aurais été heureux de m'être enfin débarrassé de toi au lieu de te chercher partout comme un fou ? »
Silence. Le châtain ne se démonte pas, il n'abandonne pas l'expression dure qu'il arbore.
« Tu m'as ouvert les yeux, Taehyung, bordel, c'est grâce à ta façon de voir les choses, grâce au fait que je te plaise, moi, le mec qui se fait dicter tout ce qu'il fait par son agence, que j'ai pu aimer la musique de nouveau. Ça faisait deux ans que j'en faisais par pure obligation, mais avec toi, j'ai...c'est pas un truc de téléphone, Tae, il faut qu'on se parle. Face à face. »
Taehyung se redresse, secouant la tête comme si l'idole peut le voir.
« Non.
- Si, Tae, je t'en supplie, il...il faut que je te vois. »
Le cœur du châtain rate un battement, ou deux, ou plusieurs, et il se maudit d'être toujours aussi affecté par Jeon Jungkook.
« Pourquoi on se reverrait ? On n'a plus rien à se dire.
- Pour que je t'explique tout.
- Je sais déjà tout.
- Non hyung, je vais tout te dire. De A à Z. Et si ensuite tu continues de penser que je te fais perdre ton temps...je te laisserai tranquille. Et puis, tu m'as promis hyung, quand on s'est embrassés, tu as accepté de m'exaucer une faveur, tu t'en souviens ? »
+
A la minute où Taehyung descend dans la station de trains à Séoul, il se sent frappé par une bouffée de chaleur. Peut-être est-ce la cacophonie du lieu, le nombre de personnes qui ont décidé de prendre le train aujourd'hui, à cette heure bien précise, mais il n'empêche que Taehyung a envie de faire marche arrière, de retourner à Daegu avec sa queue entre les jambes.
Il ne veut pas revoir Jungkook, il ne veut pas replonger son regard dans ses yeux, revoir la façon qu'il a de sourire, le revoir rougir pour de faux, sourire pour de faux, exister pour de faux. Il ne veut pas être confronté à la réalité, pas après avoir passé six mois à la fuir, à faire comme si elle n'existait pas. Peut-être qu'au final, c'est Taehyung qui est faux, qui rougissait pour de faux, souriait pour de faux, existait pour de faux.
Néanmoins, il est là, à quelques mètres du salon de thé dans lequel il est censé retrouver Jungkook et il...et bien, il a le trac. Il ignore à quoi s'attendre, ne sait pas quelle sera sa réaction en revoyant le noiraud après des mois à essayer d'effacer le moindre souvenir le concernant. Mais par-dessus tout, il a peur. Peur de ne pas respecter la décision qu'il a prise ce matin, celle de rejeter toutes les tentatives de Jungkook, de ne pas lui laisser de seconde chance.
« Hyung... »
Il pivote aussitôt la tête vers la voix qui vient de lui adresser la parole. Là, parmi le petit nombre de voyageurs, Jungkook est assis à une table assez recluse, son éternel masque noir sur le visage. Mais Taehyung le reconnaît, il reconnaîtrait ses pupilles étincelantes entre mille, reconnaîtrait sa posture, sa façon de se tenir, parmi mille.
A pas hésitants mais se voulant confiants, le châtain se dirige vers la table, tirant ensuite la chaise juste en face du noiraud, l'expression fermée.
« Tu as commandé ?
- Non, Tae-hyung, comment tu vas ? Tu as beaucoup maigri, tu—
- J'ai déjà mangé moi aussi, le coupe le châtain, ne me fais pas perdre mon temps, explique-toi. »
Une expression sombre, contrariée, s'affiche momentanément sur le visage de Jungkook, derrière son masque qui le cache du monde mais également de Taehyung. Toutefois, le noiraud ne se laisse pas faire, ne semble pas vouloir se permettre de laisser sa déception filtrer à travers son expression faciale. D'une certaine manière, Taehyung l'en est reconnaissant ; ça rendra toute cette rencontre bien moins douloureuse, plus tard.
« Qu'est-ce que tu veux savoir, hyung ?
- Hoseok a dit que vous vous connaissiez depuis longtemps. »
Jungkook hoche la tête, s'humidifiant les lèvres, l'air appréhensif.
« J'avais treize ans quand je me suis inscris à une école de danse accélérée, commence-t-il avec hésitation, peut-être de la timidité. Je crois que Hoseok était au lycée, à cette époque ? Il m'a dit que ses grands-parents l'ont envoyé à l'internat parce qu'il leur causait des problèmes... »
Taehyung fait oui de la tête, l'encourageant à continuer. Il s'en rappelle, de l'époque où les singeries de Hoseok étaient tellement insupportables que ses grands-parents ont décidé de l'envoyer à l'internat pour qu'il apprenne un peu de discipline.
« ...Hoseok m'a expliqué qu'ils lui ont donné un peu de fric pour qu'il s'achète des trucs que l'internat ne pouvait pas lui offrir. Il a utilisé ce fric pour se payer un mois de danse accélérée, et c'est là que je l'ai rencontré. On a fait connaissance, je crois qu'il avait dix-huit ou dix-neuf ans, les autres nous regardaient bizarrement, ils pensaient que la différence d'âge était trop grande. Mais Hoseok et moi, on se comprenait, on réfléchissait pas de la même façon, mais au fond, on était pareils, c'est juste que lui était plus mature que moi, moi, je n'avais pas encore tout vu dans le monde. »
Le châtain tente de ne pas flancher : c'est exactement ce que lui a dit son ancien meilleur ami, dans sa chambre, six mois plus tôt. Moi et Jeon, on est pareils.
« Je lui ai dit que je voulais devenir une idole, continue le noiraud, un air de nostalgie se dégageant de lui. Je lui ai dit que je voulais inspirer les gens à poursuivre leurs rêves, et Hoseok s'est foutu de ma gueule, il m'a traité de gros fragile. Il m'a dit que lui, il voulait faire réagir les gens, il voulait faire sortir le pire en eux, il voulait être un journaliste, paparazzi, même. On formait une équipe parfaite : l'idole et son paparazzi personnel. »
Jungkook fait descendre son masque, comme s'il se sent étouffé par sa présence, ou peut-être est-ce à cause des souvenirs qu'il relate, qui remontent lentement à la surface.
« Tu le sais déjà, hyung, mais mon contrat est renouvelé une fois tous les sept ans. Je l'ai renouvelé il y a environ deux ans et demi, quand j'étais au top de ma forme, surfant sur des vagues de gloire. J'étais euphorique, m'étant jamais attendu à faire un tel succès. Mais dès que je l'ai renouvelé, les choses ont commencé peu à peu à changer. Ayant à présent plus d'impact, ayant la fanbase la plus dédiée du moment, BigHit a instauré de nouvelles lois. Je n'avais plus le droit à l'erreur, maintenant que j'ai de plus en plus de fans, surtout de très, très jeunes, et maintenant qu'on parle que de moi sur SNS, l'agence m'a dit qu'il fallait que je sois plus irréprochable qu'auparavant, il fallait que je devienne encore plus...parfait. »
Un rictus acerbe lui étire le coin des lèvres, Taehyung se redresse sur sa chaise, les coudes sur la table. Sa grand-mère l'aurait frappé à l'aide d'une spatule si elle était là, avec eux.
« Au départ, leurs "propositions" pour que je reste au top étaient assez subtiles, poursuit Jungkook d'une voix lointaine, comme s'il se perd lui-même dans les raccourcis de sa mémoire. Des ordres cachés derrière de faux sourires rassurants. Puis, ils m'ont envoyé mon staff préféré pour me faire signer d'autres contrats. Des trucs du genre, interdiction d'avoir une relation amoureuse, interdiction d'avoir mon permis de conduire, interdiction de boire en public, parmi tant d'autres. Parfois, quand je voulais sortir, je ne pouvais plus le faire sans avoir l'accord de Bang Sihyuk lui-même. Et bon, au début, c'était pas si mal mais parfois, il n'était pas là pendant une journée, ou quand il faisait une petite sortie avec sa famille durant le week-end et ne répondait pas aux messages, je me retrouvais coincé entre quatre murs, sans personne avec qui causer parce que, déjà, il n'y a pas de filles à BigHit et on a interdit aux mecs de me causer par peur qu'il y ait une 'taupe' dans l'agence qui risque de vendre un scandale sur moi en échange d'un peu d'fric. »
Taehyung fronce les sourcils, les informations que lui livre le noiraud lui envoie des frissons de dégoût.
« Arrivé à ce stade, je frôlais la dépression, j'avais même atteint un point où j'avais développé ce qu'on appelle une anxiété sociale. Mais le pire, c'était quand mon come-back arrivait et que toutes les chansons que j'avais donné à la production ont été refusées. J'avoue que les paroles n'étaient pas aussi débordantes de vie que mes chansons précédentes, mais c'était parce que ça faisait des mois que je me sentais mal dans ma peau, comme si je n'étais réduit qu'à une vulgaire marionnette, une putain de poupée qu'on habillait et qu'on faisait jouer un rôle, et je devais extérioriser ça. Et le seul moyen pour moi de faire ça, c'était la musique. Mais même ça, ils ont réussi à me l'enlever. Ils disaient que mes paroles étaient bien trop "déprimantes" qu'elles n'avaient plus ce côté "Jungkook" d'avant, qu'on aurait dit que ce n'était pas moi qui les avais écrites. Je m'étais énervé, je leur ai dit que s'ils ne m'avaient pas privé de tout ce que j'aimais faire, je n'aurais pas écrit ces paroles, mais ils ne m'écoutaient pas. Ils me disaient juste "OK, OK, on les prendra en considération et on te rendra notre verdict dès qu'on aura décidé", alors, j'ai attendu. »
Il s'arrête, Taehyung a envie de lui proposer de lui commander de l'eau, mais le noiraud reprend aussitôt, happé par son propre conte :
« Mon come-back est arrivé et j'ai enregistré toutes les chansons qu'ils voulaient, sauf qu'il n'y avait pas une seule parole venant de moi. J'avais écrit quatre chansons, faisant facilement entre 2'50 et 3'00 minutes chacune, mais aucune n'a été validée par la production. J'étais énervé, non, je crois que j'ai jamais été aussi énervé de ma vie. Je me suis plaint mais ils m'ont dit que c'était dans le contrat, que techniquement, c'était le cas depuis des années et que le choix des chansons revenait à la production. Et c'est vrai, cette clause a toujours figuré dans le contrat, sauf qu'avant, avant le renouvellement, la production validait mes chansons, pas toutes, mais beaucoup d'entre elles. Cette fois-ci, non, et bientôt, ils ne me laissaient même plus donner mon avis sur les trucs que je chantais. On m'a filé le meilleur compositeur de l'agence, RM, mais même s'il est le meilleur parolier que j'ai connu, j'ai parfois du mal à chanter ses paroles, parce que certains sentiments, je ne les ressens tout simplement pas, et il n'y a aucun moyen pour que je le dise. »
Une expression coupable domine à présent le visage de Jungkook alors qu'il repose son regard sur le châtain en face de lui.
« C'est là que j'ai revu Jung Hoseok, après des années. Un soir, j'étais tellement déprimé et fatigué par mon come-back qui a fait un carton sans que je n'y joue un rôle important, que j'ai supplié Bang Sihyuk de me laisser aller à un bar pour décompresser. Il n'a pas trop aimé, mais je lui ai dit qu'il avait le droit de me coller autant de gardes du corps qu'il voulait et il a fini par accepter. Je me suis bourré la gueule, puis, je sais pas comment il a fait pour rentrer, mais Jung Hoseok s'est installé à côté de moi. On n'a échangé que de simples mots au début, parce qu'il y avait quatre gardes avec moi, puis, quand je suis allé aux chiottes et que j'ai ordonné aux gardes de rester devant la porte et ne pas rentrer, il m'a parlé. »
Taehyung sent sa gorge se nouer au fur et à mesure qu'ils se rapprochent de la raison qui a fait qu'ils soient ici, aujourd'hui, dans ce salon de thé.
« La première chose qu'il m'a dit, c'était ''gamin, t'as l'air au bout de ta vie, tu veux un joint ?'' j'étais pas con, j'ai dit non. Mais il a haussé les épaules et s'est installé sur le sol. J'me suis installé à côté de lui et il s'est mis à me parler d'à quel point son job ne payait pas bien, en plus d'être ennuyeux ces derniers temps. J'ai répondu que le mien payait très bien mais n'en restait pas moins ennuyeux non plus. J'ai dit que ça ne me suffisait pas que mon job paye bien, et j'ai gaffé, avec l'alcool, j'ai dit que je préférais chanter dans les rues et gagner 2000 won par jour plutôt que de monter sur scène encore une fois. Il a haussé un sourcil et m'a dit ''alors pourquoi tu ne le fais pas ?'' et j'ai répondu ''je suis menotté à un contrat de sept ans'' »
Le châtain imagine très bien la scène et il s'en veut de la comprendre.
« Il a rigolé, après un moment, il m'a dit, d'une voix nonchalante ''tu veux savoir comment on brise un contrat de sept ans tout en évitant de perdre son fric ?'' Et là, j'étais intéressé. Il a affiché ce rictus et a ajouté ''tu crées un scandale, à condition qu'on ne sache pas que c'est toi qui l'a créé en premier lieu.'' J'avais pas trop compris, mais là, je suppose que toi tu commences un peu à comprendre comment on en est arrivé là, n'est-ce pas, hyung ? »
Taehyung retrousse les lèvres.
« Hoseok t'a proposé de créer un gay scandal, ce qui causera une chute phénoménale de ta popularité, comme ça l'agence n'aura plus d'autre choix que de te laisser tomber et se concentrer sur une autre idole. »
Un sourire amer, loin d'être heureux, étire les lèvres de Jungkook alors qu'il opine du chef.
« Bingo. Aucune idole, même la plus innocente, la plus gentille et la plus aimée, ne peut regagner sa position en haut de l'échelle après un gay scandal.
- Mais je comprends pas, l'interrompt Taehyung d'une voix pensive, arquant les sourcils. Pourquoi ne pas tout simplement me faire part de ce que vous comptiez faire ? Pourquoi me laisser penser que moi et Hoseok sommes les seuls à savoir ? »
Encore une fois, Jungkook adopte cette expression coupable en se mordillant la lèvre inférieure.
« Je ne te connaissais pas à l'époque, et toi non plus. Je ne savais rien de Kim Taehyung, je ne pouvais pas savoir si je pouvais te faire confiance. Hoseok m'a expliqué ta situation, m'a dit à quel point t'étais désespéré de trouver du fric, m'a dit que tu étais facilement convaincu par l'argent, je ne pouvais pas risquer que t'ailles tout déballer à l'agence pour un peu de fric.
- Et Hoseok, comment tu lui faisais confiance ? Vous veniez tout juste de vous revoir après des années, et même avant ça, vous ne vous connaissiez pas si bien. Vous étiez jeunes. »
Jungkook regarde ses doigts qu'il tortille sur la table, pensif.
« Hoseok est un vrai journaliste, hyung, c'est pas juste l'argent qu'il veut. Il veut l'argent et la gloire. Il veut pouvoir récolter un chèque avec beaucoup de zéros et être félicité pour avoir fait tomber la plus grande star du moment. Toi, par contre, si ce scandale te vaut 20.000 dollars et que BigHit t'en offre 40.000 en échange de ton silence, tu me laisseras tomber sans aucune hésitation. Pourquoi ? Parce que tu t'en fous de la gloire, tu veux juste du fric. Et moi, moi je pouvais pas te laisser foirer mes plans. »
Taehyung le scrute intensément, une étrange fascination dansant dans ses prunelles.
« J'aurais très bien pu foutre en l'air vos plans, réplique-t-il d'une voix contemplative, j'aurais pu faire semblant d'être avec vous alors que j'ai tout raconté à l'agence.
- Jamais tu n'aurais osé trahir Hoseok. Tu lui faisais trop confiance, si on t'avait dit le véritable plan, oui, je suis sûr que tu aurais compris que l'agence te donnerait un paquet de fric en échange de cette info, et tu n'aurais probablement hésité avant de tout révéler et partager le fric avec Hoseok, mais vu que tu ignorais tout, tu n'as même pas pensé à faire quoi que ce soit pour saboter nos plans. »
Jungkook scelle de nouveau ses lèvres, les pince en regardant Taehyung avec les yeux pleins d'appréhension. Il s'attend sûrement à ce que Taehyung explose de nouveau, mais six mois se sont écoulés.
« Je dois admettre que c'est ingénieux, finit par avouer le châtain après un silence prolongé. Aller jusqu'à faire un truc aussi compliqué, juste pour briser un contrat que tu as volontairement signé...
- Un contrat qui a tourné au cauchemar, le corrige le noiraud. Je n'ai pas signé pour devenir le pantin de l'industrie musicale, hyung, j'ai signé pour être traité avec respect, pour être traité comme un artiste, un individu ayant du talent et voulant en faire profiter son audience. À la place, on a essayé de me transformer en une sorte de bête de foire qui fait, dit et pense ce qu'un groupe de mecs cachés dans leurs bureaux veulent que je fasse, dise et pense. »
Taehyung lisse ses lèvres dans un trait droit, hochant la tête alors qu'il pense à quoi ajouter :
« Il y a une chose que je comprends pas, comment ça se fait que Dispatch ait une photo de toi sortant d'un club ?
- Tu parles de la fois où j'étais dans la salle BDSM ? C'était monté de toutes pièces. Hoseok devait trouver un moyen de te convaincre que je méritais mon scandale, sinon, tu te serais demandé pourquoi il voulait à ce point faire un article sur moi. »
Le châtain hoche de nouveau la tête, il observe Jungkook l'observer, essaie de ne pas se laisser influencer par la façon qu'il a de le supplier des yeux. Taehyung finit par ne plus le supporter, alors, il se lève dans un bond assez brusque, lâchant :
« Bon, maintenant, je sais ce que je voulais, j'ai plus rien à faire ici... »
Il tourne les talons, prêt à partir, prêt à quitter ce salon de thé et le laisser dans sa mémoire.
« C'était tout ce que tu voulais savoir, hyung ? retentit la voix de Jungkook dans son dos. »
Taehyung se fige alors que le noiraud, toujours assis à sa place, renchérit :
« Je ne pense pas que tu aies accepté de venir jusqu'ici pour savoir des choses que tu aurais pu deviner tout seul, Tae-hyung... »
Le châtain se retourne vers le plus jeune, un rictus faussement amusé en coin.
« Non, t'as raison, j'ai encore une question : pourquoi tu ne m'as rien dit ? »
Jungkook écarquille les yeux, ses lèvres s'entrouvrant comme un poisson hors de l'eau.
« Tu disais ne pas me faire confiance au début, continue Taehyung en retournant s'asseoir, les yeux calculateurs. Mais quand tu as commencé à me faire confiance, pourquoi ne pas m'avoir tout expliqué, tout simplement ? J'étais prêt à tout t'expliquer, j'étais venu tout arrêter, mais toi tu fais quoi ? Tu couches avec moi, tu me mens, tu me fais croire que—»
Le noiraud baisse les yeux vers ses mains serrées sur la table.
Les jointures de ses doigts virent au jaune, presque au blanc.
« J'avais peur, murmure Jungkook. »
Taehyung serre la mâchoire, attendant une suite qu'il n'est pas sûr de vouloir entendre.
« Quand je t'ai vu, ce jour-là, devant ma porte, je savais que tu allais tout me dire, souffle l'idole, refusant de croiser le regard du châtain. Je savais qu'à la minute où les mots sortiront de ta bouche, ce serait trop tard pour moi. Tu ne m'aurais jamais pardonné, alors, je me suis accordé une dernière fois, une première fois avec toi. Je ne t'ai pas menti sur mes sentiments, hyung, je n'ai jamais menti de ce côté-là. Quand je t'ai dit que j'étais...que j'étais puceau, c'était vrai, quand je t'ai promis d'être ton ancre, c'était vrai aussi. Tu me plaisais, hyung, tu me plais toujours, et c'était insupportable pour moi que tu me détestes. J'ai demandé à Hoseok de retarder l'article, mais il a quand même posté les photos sans m'avertir. Je comptais tout t'expliquer, Tae-hyung, mais lorsque je voulais le faire, lorsque j'étais enfin prêt à te perdre, je t'avais déjà perdu, tu étais déjà parti. »
Le châtain ouvre la bouche, prêt à répliquer quelque chose, quoi que ce soit, mais sa voix ne lui permet pas une telle possibilité : elle refuse de coopérer, refuse d'émettre le moindre son. Profitant du silence du plus vieux, Jungkook lève enfin les yeux vers lui, un doux sourire abattu sur le visage.
« Je te l'ai déjà dit, si je n'avais pas de sentiments pour toi, je n'aurais jamais cherché à te recontacter... »
Son sourire se fait plus amer, plus coupable.
« ...mais me voici, prêt à te supplier de me reprendre, de m'accorder une seconde chance, hyung. »
Taehyung détourne les yeux, s'humidifiant les lèvres.
« Même si je voulais t'accorder une seconde chance, je ne me vois pas te demander de m'attendre trois ans, Jungkook. »
Le sourire du noiraud se fige dans le temps, il restera probablement à jamais gravé dans la mémoire du châtain. Ses traits se crispent alors qu'il semble assimiler le sens des paroles du plus vieux.
« Je vais commencer mon service militaire, Jungkook. »
+
Le jour où Taehyung s'apprête à monter à bord du bus qui le conduira à la base militaire, l'éternel indécis qu'il est se demande si c'était une bonne décision de faire son service militaire à quelques mois avant ses vingt-six ans. Il se demande si laisser Jungkook penser qu'il pourrait lui accorder une seconde chance dès son retour était une bonne décision. Il se demande si, dans trois ans, Jungkook reviendra vers lui pour lui déclarer sa flamme, s'il le regardera avec ses yeux pleins de constellations, s'il lui dira mais me voici, prêt à te supplier de me reprendre, de m'accorder une seconde chance, hyung.
Puis, Taehyung voit, reconnaît, une silhouette sur le trottoir d'en face. La silhouette porte du noir de la tête aux pieds, elle lui rappelle le premier jour où il a rencontré Jungkook, probablement parce que c'est Jungkook, avec sa casquette noire, son masque noir, sa veste noire, son pantalon noir, ses chaussures noires, son cœur qui est tout sauf noir.
Puis, Taehyung traverse la route, il se poste devant la silhouette de Jungkook, dont la peau forme deux traits au coin de ses yeux.
« Vous venez des States ? résonne la voix de Taehyung dans le silence de la ruelle. »
Jungkook esquisse un sourire, suivi d'un faux :
« Pardon ? »
Le châtain a une lueur taquine dans les yeux lorsqu'il répond :
« Je vous ai demandé, est-ce que vous venez des States ? Parce que dans ce cas-là je comprendrai votre impolitesse même si je ne la cautionne pas. »
Et alors que le sourire de Jungkook s'élargit, alors que Jungkook fait semblant de s'incliner poliment, Taehyung se dit qu'il aura le temps de se demander si tout ce qu'il a fait jusqu'à présent était une bonne décision, ou pas.
+
Lisez le segment suivant pour quelques explications et des remerciements. 💙
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