Chapitre XIV : Fuite et Désespoir

 Fuir ses responsabilités, c'est embrasser d'autres problèmes encore plus gros.

Cela devait faire plusieurs minutes qu'il courrait à toute vitesse, mais cela avait l'air d'être des heures. Il courrait aussi vite qu'il le pouvait. Il n'était sûrement pas poursuivi puisqu'il n'entendait personne courir, mais il voulait s'éloigner autant que possible. C'était sûrement la meilleure chose à faire.

L'angoisse le prenait au tripe. Son cœur battait si fort qu'Armin avait l'impression qu'il allait s'arrêter net.

Il ne savait pas où il était. Il était probablement perdu quelque part, mais ça l'importait peu. S'il allait loin de ces horreurs, c'était le principal.

Tout commençait à s'emmêler dans sa tête, dans son esprit.

Son corps lui faisait tellement mal. Mais il ne pouvait pas s'arrêter. Il ne devait pas s'arrêter. Il devait continuer de courir autant qu'il le pouvait.

Il ne savait pas combien de temps il avait couru, mais il savait qu'il ne tiendrait plus très longtemps s'il ne faisait pas de pause pour soulager un minimum ses blessures.

Malheureusement, où il se trouvait actuellement, il n'y avait aucun endroit pour se cacher.

C'était une magnifique plaine qui donnait sur un champ. Le ciel était bleu. Ce que c'était beau. Le temps d'un instant, il avait cru que c'était la dernière fois qu'il voyait un tel paysage. Il en profita donc quelques instants, gravant ces images dans son esprit.

Après avoir soufflé une dernière fois, il reprit sa course. Cette dernière était moins intense que lorsqu'il avait fui le champ de bataille.

Il aurait aimé courir plus vite. Mais c'était de plus en plus compliqué.

Son œil le faisait souffrir le martyre. Son corps ne voulait plus suivre ses mouvements.

Il fut contraint de ralentir.

Finalement, il s'écroula au sol, meurtri.

Sur le dos, il observa le ciel. Peut-être allait-il mourir ici, alors autant admirer la beauté des cieux le plus de temps possible.

Il espérait qu'il n'oublierait jamais à quel point le ciel était d'une beauté sublime.

Tout comme elle.

*

Le désespoir est une défaite anticipée.

Les jours suivants furent atroces pour Annie. Elle était incapable de réfléchir convenablement. Elle ne faisait que penser à cette bataille qu'elle avait été contrainte de fuir. C'était la chose à faire, elle en avait bien pris conscience. Mais c'était plus fort qu'elle.

L'espoir de revoir son père était presque désespéré. Tout comme le Prince de Norvège, d'ailleurs. Tout le monde la considérait déjà comme souveraine. Cela la rendait malade. Elle se rendait tellement malade qu'elle n'avait fait que vomir tous ses repas.

Et puis pauvre Armin... Ce jeune homme qui avait été si charmant avec elle se sera battu pour son pays. Rare aurait été un autre homme qui aurait fait la même chose pour elle. C'était sûrement le bon. C'était le bon, mais il était déjà trop tard. Le mal était fait.

Elle aurait dû lui dire qu'elle finirait par se prendre d'affection pour lui, car c'était déjà le cas. Elle aurait dû lui dire qu'elle aurait fini par l'admirer, par l'aimer. Que se serait-il passé si elle lui avait dit toutes ces choses avant qu'ils ne se quittent pour partir chacun de leur côté ? L'aurait-il suivi ? Serait-il allé se battre quand même ?

Avec des si, Annie pouvait refaire le monde.

Elle avait même de la peine pour les frères et sœurs d'Armin. Ce dernier lui avait dit qu'ils l'aimaient beaucoup, surtout son petit frère Falco. Au fond, peut-être que c'était mieux qu'ils ne soient jamais au courant. Mais malheureusement, lorsqu'ils verront que personne ne revient du Japon, les enfants du Roi ne se laisseront sûrement pas faire. Probablement même qu'ils n'hésiteraient pas à envahir le Japon.

Peut-être devait-elle les avertir. Les avertir du danger qui menaçait son pays. Les avertir que leur Roi et père ne reviendraient peut-être pas, et que leur frère non plus.

Pendant les deux prochains jours, elle avait perdu espoir et avait longuement réfléchi à écrire une lettre pour les enfants du Roi Torstein. Mikasa lui avait dit de ne rien envoyer tant qu'elle n'était pas certaine de ce qu'elle pensait. Car si elle leur disait qu'ils étaient morts alors que non, cela pouvait sonner comme un acte de guerre. Et ce n'était évidemment pas le but recherché. Alors, elle se promit d'attendre la certification de ses pensées pour rédiger une lettre.

Et elle ne tarda pas à l'avoir.

Dans l'après-midi, alors qu'elle se rendait dans sa chambre, un messager était arrivé. C'était en fait un samouraï qui avait réussi à s'enfuir du champ de bataille. Ce dernier était blessé à la tête et au niveau des côtes. Il avait réussi à retrouver la chaumière où se cachait la jeune femme.

Après qu'il ait été soigné, lavé et nourri, il eut le droit à un entretien avec la Princesse. Cette dernière attendait beaucoup de cette entrevue, car elle espérait que les nouvelles soient bonnes. Ou du moins, elle espérait qu'elles ne soient pas trop mauvaises.

« Dis-moi ce que tu as vu. » Ordonna-t-elle.

« J'ai vu... l'horreur sur terre. » Finit-il par lâcher après un long silence. « J'ai vu... des hommes, des femmes et des enfants se faire battre, se faire torturer... Et tous ces hommes qui sont tombés au combat... »

« Selon toi, combien de victimes y a-t- il ? » Demanda Mikasa, les bras croisés sur sa poitrine.

« Plusieurs centaines. Plusieurs villageois et samouraïs ont réussi à s'échapper. »

« Est-ce que tu as vu l'empereur ? Et le Roi et le Prince ? »

« Oui... Oui je l'ai vu Votre Majesté. »

« Peux-tu m'informer sur eux ? »

Lorsqu'elle le vit prendre une grande inspiration, elle comprit.

« L'empereur est mort, c'est ça ? » Déduit-elle, les larmes aux yeux.

« J'ai vu... Le roi de Norvège assit contre un arbre, blessé. Son fils le soignait. Je n'ai pas entendu ce qu'ils se disaient, mais cela ressemblait à des adieux. Le prince a regardé l'empereur et est parti en courant après... après avoir entendu l'empereur mourir. » Expliqua l'homme d'une voix tremblante.

Annie resta impassible. Elle ne savait quoi dire, mis à part qu'elle avait eu raison de perdre espoir. La douleur de la mort de son père était moins forte, car elle se préparait à cette révélation. Elle avait mal. Son cœur se serrait violemment dans sa poitrine. Il semblait prêt à sortir.

« Le roi est mort, selon toi ? »

« Je pense qu'il va être torturé pour soutirer des informations sur vous, Votre Majesté. Mais le roi ne dira rien. Vous devriez partir d'ici, vous n'êtes plus en sécurité ici. Les Mongols progressent rapidement dans le pays. »

« J'en informerai mes conseillers. As-tu une famille ? Où sont-ils partis ? »

« Ils sont morts, Votre Altesse. »

Annie se sentit incroyablement mal à l'aise.

« Nous assurons une protection en indemnité et en remerciement pour ton courage et tes précieuses informations. »

« Merci, Votre Altesse. »

« Va te restaurer dans la cuisine. Demande à la cuisinière de te préparer un repas. Que les dieux te protègent. »

Il s'inclina devant sa nouvelle souveraine avant de partir en direction de la cuisine. La jeune femme s'installa au niveau de la table basse, avant de prendre sa plume et son parchemin.

« Tu vas le faire, alors ? »

« Prépare le meilleur oiseau du pays. J'en aurais besoin pour ce soir au maximum. »

Mikasa hocha la tête et sortit de la chambre de l'Impératrice.

Voilà. Maintenant, elle le savait. L'empereur du Japon était mort, le roi de Norvège était probablement retenu captif et le prince de Norvège et nouvel empereur du Japon était en fuite pour sa survie. Elle se devait d'en informer la Norvège. Elle devait informer la famille de son époux. Elle allait écrire une lettre à la reine de Norvège.

« Reine Sigrid de Norvège,

Je suis l'impératrice Annie du Japon. Comme vous pouvez le voir, je n'ai pas inscrit « Princesse », mais bien « Impératrice ». A l'heure où j'écris cette lettre, mon père, l'Empereur Shirakawa, est tombé au combat. Les Mongols nous ont attaqués il y a de cela moins d'une semaine. J'ignore pourquoi ces hommes nous ont attaqués.

Je ne demande pas d'aide de votre pays. Vous êtes bien trop loin de nous, vos soldats arriveraient probablement trop tard. J'ignore également le jour où vous prendrez possession de cette lettre. De toute façon, vous allez sûrement avoir mieux à faire avec ce que je m'apprête à vous annoncer.

Je vais aller droit au but : la colonie, qui avait été une réussite splendide, a été détruite. J'aime à croire que des hommes, des femmes et des enfants ont réussi à fuir. Si cela est le cas, ils seront très bien accueillis par mes sujets. De plus, votre mari, le roi Torstein Bjornsson de Norvège et votre fils, le prince Armin de Norvège, ont pris part à cette bataille. Votre mari a probablement été pris en otage, et votre fils a fui.

Je suis sincèrement navré de devoir vous annoncer cela. Je vais faire le nécessaire pour retrouver votre fils. Mes meilleurs soldats seront dès maintenant chargés de le chercher dans tout le pays si cela est nécessaire. Il est l'empereur du Japon, maintenant. Et il est surtout mon époux. Je ne peux me résoudre à le laisser seul dehors, surtout s'il est blessé.

Je vais également former une nouvelle armée afin de préparer un plan d'attaque dans le but de sauver votre mari. J'espère de tout cœur que j'y arriverai. Si votre fils était à mes côtés, votre mari serait déjà sauvé.

Je vous prie de me faire confiance. Informer vos enfants si vous le souhaitez, mais ne dites pas à Falco que son frère est porté disparu. Armin m'a dit qu'il était si sensible lorsqu'il s'agissait de lui... Je ne veux pas le perturber.

Dès que j'aurai de nouvelles, je vous écrirai.

Avec tout mon respect, Annie, Impératrice du Japon. »

Lorsque la lettre fut intégralement rédigée et parfaitement scellée, un oiseau était à sa disposition. Soigneusement, elle accrocha la lettre à la petite patte de l'oiseau. Elle espérait que l'oiseau arriverait à sa destination assez rapidement. Cet oiseau avait été entraîné pour faire de long courrier jusqu'à la Norvège, ils devraient y parvenir.

L'animal regarda la jeune femme avant que cette dernière ne lui fasse une petite caresse sur la tête. Il finit par s'envoler, s'éloignant jusqu'à ne plus le voir du tout dans le ciel.

Elle put voir un groupe de grues voler juste devant elle. Elle sourit, avant de fermer les yeux et de réciter son conte favori.

Imurinya n'était pas comme les autres enfants.

Sa peau brillait d'un éclat argenté comme la lune, et

ses cheveux brillaient à la lumière des étoiles,

si brillants que personne ne pouvait voir son chagrin.


Elle s'épanouit bientôt en une dame,

mélancolique et seule

sauf pour les lapins de la montagne,

qui ne craignaient pas son éclat.


Puis des rois et des princes arrivèrent,

des jambières pour sa main.

A chacun, elle demanda un simple cadeau :

un cadeau qui la rendrait heureuse.


Ils apportèrent des anneaux de jade et des couronnes de perles,

des soies somptueuses et des coffres d'or.


Son espoir commençait à s'estomper, jusqu'à ce que

le dernier prétendant rassemble son courage,

un humble chasseur avec un humble cadeau :

un peigne en bois sculpté d'une fleur de prunier.


Tous se moquaient de lui pour avoir osé une pièce aussi simple.

Mais Imurinya les fit taire d'une main douce.

et demanda : "Quand est-ce qu'un peigne devrait me rendre heureux ?"


Le chasseur répondit : "Les lapins m'ont dit qu'au-delà de la lumière que tu brilles,

tes yeux sont sombres de chagrin.

Je n'ai pas d'or, et je n'ai pas de royaume,

mais je donnerais ce peigne pour tenir tes cheveux en place.

pour que je puisse voir tes yeux et les illuminés de joie."


Et ainsi Imurinya l'aima et l'épousa.

Mais peu de temps après, les contes de sa lumière ont atteint les cieux,

et les grands dieux reconnurent leur sœur Emuri'en renaissante.


Ils envoyèrent des grues pour aller la chercher

avec une pêche d'immortalité pour lui rendre son statut de déesse,

mais Imurinya ne voulait pas revenir sans son mari mortel,

et il n'était pas le bienvenu parmi les dieux.


Intelligente comme elle était, elle a partagé le fruit,

en servant la moitié dans la soupe du chasseur et l'autre moitié dans la sienne.

Ensemble, ils s'envolèrent à mi-chemin vers le ciel,

réclamant la lune comme leur propriété.


Maintenant, une fois par an, en ce jour d'hiver,

ses mille grues la ramènent au ciel

et elle redevient Emrui'en,

déesse du destin et de l'amour.


Pour honorer sa lune la plus sombre,

nous allumons nos lanternes

pour qu'un peu de notre lumière touche le ciel,

tout comme elle touche notre terre.

( Traduction d'un extrait tiré du roman de Elizabeth Lim Six Crimson Cranes publié en 2021 )

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