Un Coup De Fil
Le téléphone sonne, Sam hésite quelques secondes, puis finit par décrocher.
— Je m'appelle Dimitri, je suis médiateur, dit la voix au bout du fil. Écoutez, vous n'avez pas besoin d'otage pour vous faire entendre.
— Si justement, c'est la seule et unique raison pour laquelle je suis encore vivant.
La tension augmente, Sam a dû mal à tenir en place.
— Sa sœur a été tuée, intervins-je.
Sam coupe l'appel, je sens son regard fixer mon front.
— Je t'interdis de parler d'elle !
Surprise, je déglutis et me tais. Une sonnerie retentit de nouveau, l'homme armé décroche rapidement.
— Vous avez interrompu notre ligne, dit l'interlocuteur.
— Oui.
— Écoutez, je comprends votre colère.
— Vous comprenez que dalle, c'est vous qui avez l'avez tuée ! Avec une putain de balle dans la tête, lâche Sam, les dents serrées.
Mon angoisse face à ces révélations grandit.
— Ah vous n'avez plus rien à dire là, hein ! continue de crier l'homme derrière moi, les balles perdues par vos collègues doivent être un sujet tabou, enterré comme leurs victimes et la colère de leurs familles !
— Je suis désolée de ce qui est arrivé à votre soeur. Les accidents peuvent arriver...
— La ferme ! hurle le détenteur de l'arme, à bout.
Voyant que la conversation ne mène nulle part, je décide de désobéir.
— Comment s'appelait ta sœur, Sam ? les interromps-je, de nouveau.
Il me fusille du regard, j'ai subtilement donné une ligne de conduite à la négociation et placé le prénom de mon agresseur pour le médiateur. Un rire de mouette recouvre l'épais silence qui s'est installé. Puis après de longues secondes, le jeune homme souffle.
— Maud, Maud Morris, énonce-t-il, triste.
Mettre un prénom sur sa défunte sœur me fait un drôle d'effet. Les traits que je lui prêtais s'affinent. J'imagine une jeune fille aux yeux aussi bleu que son frère, mais avec une lueur ensoleillée et non endeuillée, comme ceux de Sam.
— La police a dû faire une enquête sur sa mort, tu peux demander à voir le dossier, savoir qui est en cause.
— Nous ne pouvons pas faire ça, me contredit le négociateur.
Mauvaise réponse, pensé-je en mon for intérieur. Une jeune fille aux yeux bleus et aux cheveux de soleil passe comme un mirage devant moi.
— Et pourquoi ? s'énerve Sam.
— Ce serait mettre en danger un de nos policiers.
Le négociateur est en train de le perdre. Le visage du mirage se crispe, elle a peur, son teint pâle trahit son appréhension.
— Donc vous avouez que c'est la faute d'un de vos collègues, s'agace l'homme cagoulé.
— Non, mais les dossiers sont confidentiels.
Je sens que le garçon dans mon dos n'apprécie pas la non-coopération du médiateur. La jeune fille cache son minois grisonnant derrière ses mains aux doigts allongés et secoue la tête, elle ne veut pas voir ça.
— Très bien, alors je vais lui foutre une putain de balle dans la tête, moi aussi ! hurle le garçon armé.
La haine dans sa voix me fait trembler. Je respire longuement et tente de garder un tant soit peu de sang-froid. La jeune fille a relevé la tête, elle me fixe, les yeux pleins d'effroi et disparait dans un coup de vent. À nouveau, le glas de la cloche me fait sursauter. Le soleil est si bas qu'il se cache derrière les immeubles, comme s'il ne voulait pas assister à la scène.
— Sam, essayez de garder votre calme. Je vais parler de votre cas avec mon chef, histoire de savoir ce qu'on peut faire.
— Vous avez intérêt !
La conversation se stoppe. Je garde le contrôle sur ma respiration et réfléchis à mille à l'heure. Foutue petite voix dans ma tête, pourquoi m'as-tu amenée jusqu'ici ? qu'est-ce que j'ai bien pu te faire ?
Le pistolet est toujours vissé sur mon crâne, j'ai perdu Sam. Le garçon s'est réfugié dans l'amertume de la perte de sa sœur, bouffé par la haine.
Il veut comprendre, savoir comment et pourquoi elle est morte. Dans un sens, je partage son sentiment. Lorsque Katia a été tuée, j'ai cherché sans relâche notre agresseur, aidé de mon père. Nous l'avons retrouvé l'année dernière. Après l'avoir identifié, j'ai croisé son regard derrière la vitre de Santin. Je me rappelle de la rage qui bouillonnait en moi.
Si j'avais eu une arme sur moi ce jour-là, je lui aurais pété les dents avec, sans aucune hésitation. Avant de le faire souffrir, agoniser et de le laisser pour mort, comme il l'avait fait pour nous.
— Je comprends, dis-je, doucement.
— Quoi ?
La voix de Sam est perdue et cherche un sens à ma phrase sortie de nulle part.
— J'ai dit que je comprenais ton geste. Même s'il est totalement fou, injuste, dégueulasse et tout ce qu'on veut... je comprends.
— Ne mens pas, j'aime pas les menteurs.
Je ferme les yeux un instant et reprends mon souffle, le stress prend en otage mon cœur.
— Je ne mens pas. Je sais ce que c'est, cette haine qui vous empêche de dormir, de respirer, de vivre. Elle te hante jour et matin, sans jamais te laisser une seule seconde de répit.
Sam flanche, mes mots l'ont percuté, encore une fois, j'ai visé juste. Mon esprit peut se calmer un instant.
— Tu sais pas ce que c'est, de voir sa petite sœur à la morgue, une balle enfoncée au milieu du crâne, dit-il, les dents serrées.
[TW- Sang]
La jeune fille réapparaît à mes pieds, le visage livide et d'un blanc de porcelaine. Ses yeux bleus sont cachés à jamais derrière ses paupières closes. Son front est percé par un trou, dont on ne peut pas se douter de la profondeur. Un liquide rouge et dense s'échappe derrière sa chevelure dorée et recouvre le béton, imprégnant le lin de mes souliers.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top