Peur

Le garçon armé arbore un sourire satisfait. Je relève le menton et redresse ma posture qui inconsciemment s'est soumise à la silhouette obscure, tel un animal craintif face à son prédateur.

— T'es qu'une petite victime en fait, crache-t-il, en essayant de me déstabiliser.

— Tu peux me menacer, m'effrayer, mais je ne plierai pas.

Je garde mes yeux dans les siens, le menton relevé.

— T'es beaucoup trop impulsive, on t'a jamais dit que ça te perdrait ? lâche-t-il.

Son doigt tapote la gâchette.

— T'es pas très éloquente.

Le garçon aux yeux de glace approche brusquement son visage du mien, je reste calme. Ne pas montrer ma peur. Son souffle se mélange au mien et continuer de le fixer commence à devenir difficile. Je lutte, pas question qu'il gagne cette partie, le garçon me dépasse peut-être d'une tête, mais j'ai le sang-froid de mon côté.

Un mot, une phrase, il me faut quelque chose. Ma respiration s'arrête jusqu'à ce que ça apparaisse devant moi comme une évidence. Mon expression confuse se recentre et mon regard prend une nouvelle lueur, perdue entre le soulagement et la compassion.

— T'as perdu qui ? soufflé-je.

Surpris, l'homme me dévisage quelques secondes, sa main tremble. J'expire plus longuement et tente de calmer mon cœur qui a recommencé son sprint infernal.

— Qu'est-ce que tu racontes ? dit-il en secouant la tête, perdu.

— Tout ça, dis-je en faisant des cercles avec ma tête. C'est désespéré, tellement que je ne vois pas trente-six mille causes. La perte d'un être cher étant la plus évidente.

Quelques secondes passent, laissant le temps comme suspendu. Le garçon ne cesse de cligner des yeux, comme s'il était en train de vérifier que j'étais bien réelle, que je venais bien de dire ce que j'avais dit et qu'il était toujours là, une arme à la main, en face de moi. Puis dans un souffle, il desserre les dents.

— Ma sœur, lâche-t-il, d'une voix teintée d'une tristesse cachée.

Je pince mes lèvres sèches et craquelées, la pluie a cessé de tremper mes cheveux et ma veste imbibée d'eau.

— Il lui est arrivé quoi ? demandé-je, un peu perdue.

— Une balle perdue entre un échange de gang et de policier, souffle-t-il, les mâchoires serrées.

Je remarque que les gens aux fenêtres nous observent, certains sont au téléphone, peut-être avec les autorités. Le silence régne dans la rue, les magasins fermés contiennent les passants effrayés. L'horloge de l'église sonne la demi-heure d'un coup de glas qui me fait trembler. Combien de temps vais-je rester là ? Est-ce ma dernière journée ? Mes dernières minutes ?

Je secoue la tête et chasse ces pensées dévastatrices de mon esprit. Le garçon est toujours là devant moi, muré dans le silence, encore confus par la révélation qu'il vient de me faire.

— C'est pour te venger que t'es là ? demandé-je, sur un ton neutre.

C'est à son tour de réfléchir, il mordille nerveusement ses lèvres. Le garçon cherche ses mots, j'ai tapé là où il fallait. Ses yeux bleus glacés sont recouverts d'une vitre humide.

— Et si je plaidais ta cause ? dis-je, soudainement.

L'homme recapte mon regard, interloqué.

— Pourquoi tu ferais ça ? questionne-t-il, méfiant.

Son ton est plein de surprise, il me fixe, les yeux plissés. Un souvenir violent reprend place dans mon esprit et emporte ma pudeur près des cumulonimbus qui nous surplombent.

— Je sais ce que c'est d'être au fond du gouffre.

— On a tué ta sœur à toi aussi ? dit-il mesquin.

Je garde une expression figée, sans un rire ou une déviation de regard.

Puis lâche dans un ton prêt à se lever pour partir à la guerre :

— Non, mon amie.

Sa respiration se stoppe net, arrêtant la buée qui rend presque flou son visage, puis le garçon se ressaisit.

— Et à elle, il lui est arrivé quoi ?

Le galop de mes souvenirs ont repris, pas suffisamment enfouis au fond de mon âme. Maintenant que j'ai commencé à les lâcher, je ne peux plus faire marche arrière. Une image s'incruste sur ma cornée, puis une deuxième. Un aboiement me permet de reprendre contact avec mon environnement, en l'occurrence l'arme et son propriétaire.

— On a été tabassées. Toutes les deux.

L'homme cagoulé me regarde, interloqué. Une douleur sourde remonte dans mon corps, une douleur que je pensais ou plutôt que j'espérais, passée.

— C'était y a combien de temps ? demande-t-il.

— Quatre ans.

Des sirènes nous pétrifient, des hommes armés assis dans des véhicules nous observent à quelques centaines de mètres. Une voix résonne dans un mégaphone. Je sens l'arme tressaillir contre mon sternum. Le garçon qui me fait face m'attrape violemment par les épaules et colle mon dos contre son torse. Son arme est collée contre mon crâne, tandis que ses bras maintiennent mon thorax contre lui.

— Je vous déconseille de faire un pas, rugit-il. 

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