Chapitre 3


"Un poète disait: si tu arrives à saisir ce que les vagues racontent, tu marcheras sur l'eau. Je n'ai jamais cherché à marcher sur l'eau. Et puis, que peuvent bien raconter les vagues? Lorsque l'âge a remplacé le temps, tous les horizons du monde deviennent notre mémoire. Aujourd'hui, l'avenir est derrière moi. Devant il n'y a que le passé." 

Je repasse en boucle ce passage de mon film favori, Ce que le jour doit à la nuit. Les mots résonnent dans mon crâne et font écho à ma propre histoire. Jonas et Émilie dansent à l'écran, beaux comme des dieux. Ils dégagent une aura céleste, incandescente. Même à travers le poste de télé, elle me conquit, comme à chaque fois. Inévitablement, mon coeur se serre en les observant. Tout cela est désormais hors de portée pour moi. 

Ding.

Je déverrouille mon téléphone en plissant les yeux, aveuglée par la lumière blanche. C'est Hansa qui me propose de les rejoindre, Daniel et elle, dans un bar en centre-ville. Je sors un peu de ma torpeur. Je suis allongée sur le canapé, un plaid sur les jambes et Olympe qui ronfle à mes pieds. Le salon est éclairé par une lumière tamisée et une grande bouteille de menthe à l'eau me maintient hydratée. C'est certain, il n'y a rien qui puisse me faire bouger de là. Je repose le téléphone, bien décidée à passer la soirée ici à dévorer mes films préférés. 

Ariel, essaie de socialiser un peu. T'es venue là pour un nouveau départ, tu te souviens?

- Ta gueule toi, ordonné-je à la petite voix dans ma tête.

Je m'efforce de l'ignorer et de me replonger dans le film mais rien à faire, même Jonas et Émilie ne parviennent pas à m'aider.

- Su-per.

Je pousse un long soupir en m'extirpant de la chaleur du plaid. Au revoir, tranquillité bien-aimée. 

Plantée devant mes valises pas encore défaites, j'observe d'un air dubitatif mes habits. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir me mettre? Question classique. Sans trop de conviction, j'attrape une jupe noire et un t-shirt de la même couleur. Je passe 10 minutes dans la salle de bain en essayant tant bien que mal de me donner un air frais. Échec cuisant. Bon. C'est pas un gala non plus, ça passera.

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- Ariel ! Par ici !

Hansa et Daniel me font des signes de main à l'autre bout du bar. Je les rejoins et me force à adopter un air enjoué en les saluant. 

- Qu'est-ce que tu veux boire? Les bières pressions sont la spécialité ici, me conseille mon collègue.

J'ai un instant d'hésitation. Je ne suis pas censée boire. Mais bon, j'ai bien dormi la nuit dernière et je suis plutôt en forme, je devrais tenir le coup. Et puis je ne veux pas que Daniel et Hansa se posent des questions. Jusque-là j'ai réussi à leur faire croire que je ne voulais pas laisser mon chien seul à la maison mais ils sont intelligents, je ne suis pas à l'abri d'un éclair de lucidité de leur part.

- Une rouge de 50cl s'il te plaît. 

- La même chose pour moi Daniel, annonce Hansa.

- Ça marche, je vous rapporte ça.

- T'es un amour, lui lance Hansa en posant un bisou sur sa joue. 

- Aah, on est bien là, hein? Lance-t-elle à mon attention.

Je hoche la tête poliment, forcée de reconnaître que le cadre est plutôt agréable. Nous sommes sur une terrasse montée sur pilotis au-dessus du lac Candelwood. Le soir tombe et l'air se rafraîchit, habillé par le chant des grillons. Bon, c'est vrai, c'est même très agréable.

Je remarque le jeune homme de la dernière fois, au garage. Il est assis au bar avec un ami. Il me regarde et m'adresse un sourire charmeur. Bon sang c'est une manie ou quoi? Je détourne précipitamment la tête, fermement décidée à ne pas répondre à ses avances.

- Oh, il faut absolument que je te raconte ma soirée d'hier ! Commence Hansa, il y a cette vendeuse dans la pharmacie près de Tony's, tu sais, Jane. La grande blonde style mannequin Victoria's Secret. Elle me faisait de l'oeil depuis un bon bout de temps mais elle paraissait trop coincée pour céder à mes avances. Et hier soir, bam! la chasseuse Hansa a finalement capturé sa proie. On est allés diner mais mon Dieu qu'est-ce que c'était dur! Elle n'arrêtait pas de me lancer des regards aguicheurs et de me faire du pied. 

- Humpf, chi on n'était pas dans un restau che te l'aurais déshabillée direct, continua-t-elle en mâchonnant une chips.

Je souris. J'adore son côté cru et sans détour.

- Et la nuit qu'on a passé! Seigneur, je vais m'en souvenir pendant longtemps. Je peux te dire qu'elle était plus coincée du tout la Jane. Et ses baisers ! Je me rappelle encore de sa bouche entre mes jambes et-

- Hum hum.

Daniel nous avait rejointes avec nos bières dans les mains. Il avait visiblement entendu la fin de la conversation et le rose sur ses joues trahissait sa gêne.

J'éclate d'un rire franc, Hansa est vraiment insortable. Finalement, j'ai bien fait de quitter mon canapé.

- J'aimerais te dire qu'on s'habitue à elle, mais ce serait mentir, dit Daniel en me tendant mon verre.

- Je sais que tu ne peux pas te passer de moi, mon chéri.

La soirée s'écoule tranquillement. Au fur et à mesure, j'enchaîne les verres d'alcool sans y faire vraiment attention. Rapidement, la boisson me monte à la tête et je me retrouve à rire à gorge déployée à chacune des blagues de Hansa.

- J'adore cette chanson! S'écrie Hansa en se levant de sa chaise, vous venez danser?

- Je marche, annonce Daniel.

- Non... désolée. Il faut que je prenne un peu l'air. 

Hansa fait la moue et j'esquisse un petit sourire d'excuse. Je les regarde s'élancer vers la piste puis me dirige vers la  balustrade de la terrasse. Je ferme les yeux quelques instants pour me remettre des idées en place.

Un coup de vent fait voleter quelques mèches de mes cheveux, je sens la brise à travers mes vêtements et je me sens automatiquement mieux. 

- Jolie, la culotte. De la dentelle noire, très bon choix.

Eh merde.

Je me retourne précipitamment, les joues en feu. Monsieur-je-mate-les-filles-à-longueur-de-journée est là, ses lèvres s'étirant dans un sourire énigmatique. Les mains dans les poches, il vient s'accouder à côté de moi. 

-  T'as rien de mieux à faire que du voyeurisme? Crachai-je, furieuse.

- Non. 

Je fronce les sourcils, déconcertée. Il éclate de rire devant ma réaction et me fait un clin d'oeil. Énervée qu'il arrive à me prendre au dépourvu, je tourne la tête, le regard résolument planté sur le lac. Il ne dit rien et tapote la balustrade distraitement. Son parfum, porté par la brise, me chatouille le nez. Je ferme les yeux. C'est un mélange frais, de gel douche et de notes boisées. C'est puissant, déstabilisant. Lorsque je rouvre les yeux, je croise son regard sur la surface de l'eau. Nous restons quelques secondes immobiles, puis je secoue la tête en me redressant.

- Qu'est-ce que tu veux? demandé-je, à la fois troublée et agacée.

S'il me répond "toi" je lui met une tarte.

- Je regarde le paysage. Et puis j'ai une certaine passion pour les dessous.

- Va te faire foutre.


Tiens, je suis vulgaire. Premier indice qui montre que je suis ivre.


Encore un rire. Bon sang, il peut arrêter d'être si agaçant? Je veux juste être seule, ça fait déjà trop de socialisation pour la soirée. En plus l'alcool commence sérieusement à me monter à la tête. 

Du coin de l'oeil, j'aperçois mes deux collègues se diriger vers nous.

Daniel salue et donne une accolade à mon suiveur. 

- Salut Soren! Comment ça va vieux?

Soren. C'est donc son prénom. Quel beau prénom, ne puis-je m'empêcher de penser. On dirait qu'il a été inventé pour lui. 

- J'ai récupéré une boîte de fléchettes ! Vous venez jouer avec nous? demande Hansa, surexcitée.

Je comptais inventer un mal de tête et m'éclipser en douce - mes Cinnabons m'attendent sur le comptoir de la cuisine - , mais je sentais le regard de Soren sur moi. 

Allez Ariel, tu vas quand même pas te dégonfler pour si peu! Depuis quand tu te laisse impressionner par n'importe qui?  Fais pas ta flipette et vas-y!


Ah. Deuxième indice qui montre que je suis ivre: j'utilise des expressions d'enfant de CE2.


J'attrape la boite de fléchettes et trottine vers la cible en liège,

- Les filles contre les garçons! m'écrié-je, viens Hansa, on va les laminer.

Et c'est ce qu'on fait. Une à une, nos fléchettes se plantent tout près du centre. Je sautille à chaque lancer, grisée par le jeu et l'alcool. Nous gagnons 25 points à 12. Je hurle comme une petite fille à l'annonce de notre victoire et exécute une petite danse de victoire. Ravie d'avoir battu Soren, je lui adresse un regard espiègle. Les bras croisés sur sa poitrine, il secoue la tête en souriant. 


🎵 Do you remember

The 21st night of September?

Love was changing the mind of pretenders

While chasing the clouds away 🎵


Je crois que j'ai hurlé - encore une fois - et je me suis élancée sur la piste en entrainant Hansa. 

- C'est ma super chanson préférée du monde entier !

Je ferme les yeux et bouge mon corps en rythme de la musique.


Troisième indice: j'agis comme si j'étais seule au monde. 


Ma collègue m'abandonne à la fin de la chanson et va rejoindre les garçons. Elle leur dit quelque chose à l'oreille mais je suis trop loin pour l'entendre. De toute façon, je suis bien trop occupée à me déhancher au milieu de la salle. Ils viennent me chercher et veulent que je rentre. Hors de question. Vous m'avez traînée ici, j'y reste. 

Soren m'attrape par le bras et m'amène vers la sortie. Je proteste vivement mais ça n'a pas l'air de l'impressionner. Avant que j'aie pu faire quoi que ce soit, je me retrouve en sac à patate sur son épaule. Je me souviens de l'avoir insulté et de l'avoir pincé et puis après, plus rien. 

Trou noir.


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Eh voici le troisième chapitre ! Les personnages commencent à se dessiner peu à peu, j'espère qu'ils vous plaisent! 

Pleins de bisous,

Ambre.







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