Chapitre 4 : Athéna
Enfin dehors ! Mine de rien, ne pas prendre l'air pendant plus de trente-six heures ça fout un coup au moral.
Arrivé à l'entrée de l'immeuble, j'inspirai longuement la brise fraîche de début de soirée. Mon corps se détendit instantanément, et mes pensées aussi. J'allais vraiment finir par le tuer à force.
Par contre, je ne savais pas où j'étais. D'un autre côté, ce n'était pas comme si j'avais vraiment un but à atteindre. Mes yeux regardèrent à droite, puis à gauche. Et sans vraiment savoir par où partir, je me mis en route pour l'exploration des ruelles sombres de cette ville.
Le décor n'était pas si différent de celui que Séoul offrait. Dans le centre, les buildings s'enchaînaient à perte de vue – offrant une luminosité constante aux passants tardifs –, la circulation sur les routes était dense et les gens bruyants. En s'écartant un peu de ce mélange nauséeux d'humanité, on pouvait voguer au milieu d'étroites voies abritant de petits commerces ouverts presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Au coin d'une impasse, je fus attiré par le jeu de lumière entre les différents néons des boutiques, imprégnant la cour d'un étrange mélange de bleu et de vert. Cela rendait le lieu magique, presque irréel. J'avais l'impression qu'un nuage de pigment flottait au-dessus du temps et de l'espace, un peu comme si une partie de la voie lactée s'était décrochée de l'univers pour venir embellir cet endroit bien précis.
Plus je m'engouffrais, plus la sensation de féerie que me procurait ce lieu s'intensifiait.
Il n'y avait plus de cavale, plus de fuite, plus de Park Jimin. Il y avait ces murs en pierres illuminés, ce lierre qui grimpait aux toits en brique des bâtisses et ces vitrines remplies d'objets anciens. J'étais là sans y être, perdu dans la beauté de cet environnement peu fréquenté.
Le froid me sortit de ma contemplation. Il m'était impossible de savoir combien de temps j'avais décroché de la réalité, admirant juste le spectacle qui s'offrait à moi. Dans la boutique à ma droite, une femme d'un certain âge me regardait. Elle m'intima d'entrer dans son commerce.
Je poussai la porte en bois vieilli, la chaleur confinée dans la petite échoppe me percuta de plein fouet. Le contraste entre les températures était violent, mais dans cet ordre, il faisait du bien. Mon nez et mes joues devaient être rosés par le gel qui couvrait désormais les carrosseries des voitures.
— Bonsoir, jeune homme, me sourit-elle. Voulez-vous une tasse de thé pour vous réchauffer ?
Son visage marqué par les années était rayonnant. Elle était beaucoup plus petite que moi, et pourtant, je n'étais pas une montagne. Ses cheveux bruns étaient ramenés à l'arrière de son crâne en un joli chignon tiré, et elle portait une longue robe en laine noire.
— Avec plaisir. Merci, madame, dis-je en m'inclinant avec respect.
Tandis que mon aînée partit à l'arrière de la boutique – qui devait aussi être sa maison – je me permis d'observer les étals de son échoppe. On y trouvait de tout ; cela ressemblait à un mélange d'antiquités et de jouets pour enfants.
Je parcourais rapidement du regard les lieux, ne cherchant pas vraiment à acheter un bibelot qui m'encombrerait plus qu'autre chose. Mes yeux défilaient sur les étagères quand une petite boîte ouverte attira mon attention. En jetant un coup d'œil derrière moi, je m'approchai de cette dernière. Cinq pendentifs possédants chacun une pierre précieuse y étaient présentés sur un linge de soie. L'une d'entre elle attisa ma curiosité plus que les autres, comme si elle possédait une étrange force qui me poussait à ne voir qu'elle. C'était une chaîne en argent avec à son bout une pierre verte oblongue. Je la détaillai sous tous ses traits quand les pas de la vieille femme résonnèrent sur le parquet.
— C'est une Chrysoprase. Cette pierre apporte la protection à celui qui la porte.
— Elle est sublime... murmurai-je. Je n'y connais rien en pierre, mais celle-ci me fait penser à quelqu'un.
— Je vois, quelqu'un d'important à vos yeux.
- Non, absolument pas, rigolai-je. C'est plutôt une rencontre inattendue qui me laisse un peu perplexe.
Je lui fis ma tête d'ange accompagné d'un sourire des plus sincères quand elle me tendit la tasse fumante. Puis, elle reprit la parole :
— La blanche est une Jade. Elle est très résistante et représente la fidélité et la clairvoyance, mais sa principale fonction est de guérir les chagrins d'amour. L'Howlite, qui ressemble un peu au marbre, aide à gérer les crises d'angoisses et la peur. La pierre de lune, elle, représente l'amour et la créativité.
Je bus une gorgée tandis qu'elle attrapa une des pierres pour la faire briller sous les lampions.
— Et la dernière, c'est un Onyx. Cette pierre a de forts pouvoirs apaisants, mais c'est surtout l'énergie qu'elle dégage qui est intéressante. Elle est très utilisée pour aider les personnes en deuil.
— C'est très beau tout ce que vous racontez. C'est comme si vous les comprenez, mais j'ai du mal à croire qu'une simple pierre peut aider.
— Vous savez, pour déchiffrer et ressentir leurs pouvoirs, il faut d'abord comprendre le sens des énergies.
— Le sens des énergies ? questionnai-je.
— Êtes-vous attendu quelque part ?
— Oh, non, du tout. Mais je ne veux pas vous prendre votre temps madame, il est tard.
Elle replaça le pendentif à sa place et me fit face.
— J'ai toute la mort pour dormir. Venez avec moi à l'arrière, j'ai des gâteaux riz et je ne les mangerai pas tous.
Elle ne me laissait pas vraiment le choix. Je la suivis donc jusque dans une petite cuisine fonctionnelle aux traits d'antan. Là, je pris place sur une chaise en bois qu'elle me désigna avant qu'elle ne dispose sur une assiette en porcelaine les pâtisseries dont je raffolais. Elle apporta le plat sur la table et je me mis subitement à saliver.
— Voulez-vous une autre tasse de thé ?
— Si vous m'accompagnez.
Le breuvage vert fumant servit, elle reprit :
— Comme vous avez dû l'apprendre, le monde est un mélange d'énergies. Tout est énergie, que cela se répercute physiquement ou psychiquement. Le vent est une énergie, la houle, le son, mais aussi les végétaux, les minéraux, la moindre goutte d'eau et même vous. Vous avez une énergie.
Je n'osais pas la couper, elle était captivante.
— Elles sont toutes différentes et sont ressenties différemment selon l'être humain que nous sommes. Mais certaines d'entre elles, accentua-t-elle, notamment celles des minéraux, sont ce que l'on appelle des énergies pures. C'est-à-dire que peu importe votre passé, votre présent, votre futur et même vos vies antérieures, elles auront le même effet sur votre personne. Auparavant, les pierres précieuses étaient très utilisées pour aider les vivants, dans la maladie comme dans les états d'âme. Aujourd'hui encore, dans certaines ethnies, elles sont très présentes...
Elle continua une bonne heure à me débiter un flot d'informations sur le sujet. Quand je finis de boire ma troisième tasse de thé, je m'apprêtai à la laisser se reposer, mais elle ajouta :
— Je ne vous connais pas, mais j'ai ressenti votre énergie à travers la vitre de ma boutique. Vous avez quelque chose de dangereux en vous, une chose qui est entretenue depuis votre enfance. Je ne sais pas ce que c'est, et je n'ai pas à le savoir, mais laissez-moi vous dire...
— Jimin.
— Jimin. Peu importe ce qui vous habite depuis tant d'années, il vous faudra l'affronter tôt ou tard. C'est fatidique, me mit-elle en garde. On ne peut échapper à son destin. Cependant, votre énergie n'est pas si mauvaise, même si sa couleur est très sombre. Personne n'est totalement abominable comme totalement innocent. Nous avons tous des démons, des craintes et des regrets comme des bons côtés. Ne laissez pas cette image que vous avez de votre personne influencer qui vous êtes vraiment. L'image que nous avons de nous-même est toujours plus noire que celle que les autres perçoivent. Un policier peut être véreux, comme un mafieux peut être aimant.
Elle sembla déconnecter du monde pendant un petit laps de temps avant d'enchaîner :
— Ce qu'il faut que vous sachiez, c'est que l'on ne décide pas toujours de qui nous sommes et surtout pas où nous naissons. Mais nous décidons toujours où nous allons, et avec qui. Vous observiez cette Chrysoprase car elle vous rappelait cette rencontre, ce n'est pas un hasard selon moi. Pourquoi vous êtes-vous dirigé vers ce pendentif et pourquoi c'est cette personne qui vous est venue à l'esprit ? Posez-vous les bonnes questions, Jimin, et votre avenir n'en sera que plus clair.
Sa sagesse me surprit. Je restai un moment planté au milieu de son magasin sans bouger, réfléchissant simplement à ses mots. Après l'avoir grandement remercié pour son temps, le thé et les gâteaux, j'allais sortir de la boutique quand elle m'interpella une dernière fois :
— Jimin, prenez un pendentif, je vous en prie. Je vous l'offre.
— Euh, d'accord... Mais je vais vous le payer.
— Vous l'avez déjà payé. Vous m'avez accordé du temps et vous avez réchauffé mon cœur pour la soirée, c'est bien assez. Prenez soin de vous, vous avez encore de belles années à vivre.
Après m'être incliné, je me dirigeai vers la boîte et choisis la pierre qu'il me fallait. Peut-être qu'effectivement, ce morceau de minéraux m'aiderait à l'avenir.
— Merci, merci infiniment. Vous aussi prenez soin de vous, il est vraiment très tard.
Elle acquiesça d'un mouvement de tête et je quittai sa boutique un sourire aux lèvres.
Arrivé au coin de la rue, je me mis à observer la pierre que j'avais prise sous les rayons lunaires. Elle était magnifique. Le pendentif maintenant ancré autour de mon cou, je serrai le bout d'Onyx entre mes doigts alors que je m'enfonçais dans un quartier au nord de la ville.
Il était temps que je fasse mon deuil de Park Jimin.
Athéna : Déesse de l'intelligence, de la stratégie guerrière et de la sagesse.
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Apophiis
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