Chapitre 35 : Nomos

Coucou 👋

Avant de vous laisser avec le chapitre, je voulais juste vous rappeler que fumer tue et nuit gravement à votre santé (un petit disclaimer que je n'ai jamais fait dans cette histoire alors que les personnages sont fumeurs).

Bonne lecture ~




Lorsque je refermai ma valise, la réalité me frappa de plein fouet et me figea sur place. Le départ précipité, le manque de temps, l'ébauche sommaire d'un plan pour contrer mon père... Car c'était de ça dont il était réellement question. Hoseok se croyait encore loin de tout danger, seulement, Songyoung était maître dans l'art de se tapir dans l'ombre. Un serpent à l'état sauvage ; il attendait dans son coin, observait les faits et gestes depuis sa cachette et attaquait sans prévenir au moment propice.

La pression sur mon meilleur ami n'était là que pour me toucher. J'étais persuadé que mon père savait depuis le départ que Hoseok était en contact avec moi, et qu'il savait où j'étais. Hobi n'était que le pion à jouer pour me faire revenir. Et ça marchait.

Bien sûr que ça marchait...

L'appartement était silencieux. Je soupirai et me relevai. D'un coup d'œil à la fenêtre, je vis que le ciel était couvert. Il était impossible de distinguer les étoiles à travers les nuages mais la Lune se dessinait faiblement derrière la masse. Les abords de Tokyo valsaient avec Hypnos sous le règne de Nyx une nouvelle fois. Je m'approchai de la vitre pour mieux observer les alentours. Quelques voitures roulaient au loin, les phares ressemblant à des lanternes volantes au-dessus du bitume, tandis que la rue en contrebas était déserte. Les nuits semblaient si calme, ici.

Avant, à Gwangju, elles étaient si agitées.

Il était rare que je ne mette pas un pied à l'extérieur dès que le crépuscule chantait. Une mélodie différente mais pourtant composée des mêmes instruments, comme si chaque jour possédait sa propre partition. La discrétion, l'adrénaline, la prudence. Le tout calqué en rythme sur la cadence de mon cœur qui fluctuait en fonction des évènements. Et parfois, lorsque l'envie me prenait ou que la situation s'y prêtait, les gémissements de Jungkook s'occupaient des chœurs.

Je tournai les talons et pris ma valise pour la déposer dans le salon. Yoongi était sur le canapé. L'ordinateur posé sur les cuisses, il pianotait sur son téléphone. Je m'avançai jusqu'à lui et m'assis à ses côtés, fatigué. Il verrouilla son smartphone et m'interrogea.

― T'as fini ?

J'acquiesçai silencieusement. Il attrapa son paquet de cigarette et m'en tendit une au passage, que j'acceptai. Il alluma d'un mouvement sec celle entre ses lèvres puis dirigea le briquet vers mon visage. La flamme dansait à côté de son pouce et couvrait sa peau d'un reflet orangé. Je penchai légèrement la tête et aspirai l'air pour enflammer l'extrémité de la mienne. Il déposa ensuite le briquet sur la table basse.

― Je vais devoir sortir demain soir, déclara-t-il simplement.

Il avait les yeux dans le vague.

― Pourquoi ?

― J'ai une mission à finir avant de partir. J'ai déjà perçu un acompte.

Toute sortie jusqu'à notre départ était à éviter. Il le savait, tout comme moi. Seokjin avait bien insisté sur ce point et pour une fois j'étais d'accord avec lui. Cependant, je serais de mauvaise foi si j'essayais d'en dissuader Yoongi. La confiance se perdait facilement dans ce milieu : un engagement était un engagement. Surtout qu'il ne savait pas quand il reviendrait. Et puis, à quelques heures de quitter définitivement cette ville, je ressentais l'envie de sortir marcher dans ses rues. Sans but précis ; juste une balade qui n'avait pas de trajectoire particulière.

La clope entre les doigts, je fixai son visage. Ses traits étaient tirés : il avait les joues creusées et les yeux rouges.

En me gardant avec lui, il pensait pouvoir se venger. Faire souffrir autant qu'il souffrait. Mais la réalité était toute autre. Une malédiction ne se brise pas si facilement. Yoongi pensait avoir trouvé la clef pour ouvrir le placard dans lequel il se sentait enfermé, mais il avait mis la main sur celle qui se bloquerait dans le mécanisme.

Il ne s'en rendait pas compte, mais il sombrait.

Il se pencha en avant pour récupérer l'ordinateur et un objet claqua contre la table. Mon regard partit alors dans la direction du bruit à la recherche d'un verre ou autre qui serait tombé. Mais rien n'avait bougé. Ce ne fut que quelques instants plus tard, en relevant les yeux, que je distinguai le collier pendre à son cou. Ce devait être lui qui dans son mouvement avait heurté le meuble.

La gemme finement taillée était toujours contre son torse. Je crois qu'il ne l'a jamais enlevé. Je l'avais choisie pour sa couleur. Elle me rappelait, à l'époque, la teinte de ses cheveux. Aujourd'hui, ils n'étaient plus en harmonie ; cette relique devenait un vestige du passé.

Hanae.

Son visage m'apparut sans prévenir. J'allais quitter Tokyo avec pour espoir de ne jamais y remettre les pieds, laissant cet épisode de ma vie derrière moi. Tourner la page, voire carrément commencer un autre livre.

Je devais en finir avec le Japon, c'était une évidence. Mais étais-je prêt à clôturer ce chapitre sans regretter certains passages ?

Mon cœur se serra.

Je ne pouvais pas fuir l'archipel sans la voir une dernière fois.

― Moi aussi j'ai un truc à faire, demain.

― Pardon ?

― Je dois sortir, dis-je plus fermement.

― Non. Toi tu restes ici.

Ce n'était pas étonnant ; en toute honnêteté, je m'y attendais. Une réponse positive de sa part m'aurait interloqué. Mais Yoongi n'avait plus d'autorité sur moi. Quoi qu'il en pensait, j'irai voir Hanae. Et je savais comment le faire flancher.

― J'irai la voir et tu m'accompagneras.

― Jimin, t'as écouté ce que je viens de dire ? J'ai un travail à finir, et toi tu ne quittes pas l'appartement.

Son ton était dur et son visage fermé. Il était inquiet ? Je me posai la question avant d'en venir à la conclusion que ça importait peu. Mais au lieu de m'énerver, qui ne servirait à rien, je restai calme. Au lieu de hausser le ton et de lui crier dessus comme je l'aurais jadis fait, je continuai de fumer et attendis que son regard se fasse plus doux pour répondre :

― Lorsqu'on était à Osaka, Jin a été clair : on ne sort qu'en cas d'extrême nécessité et jamais seul. Jamais seul, Yoongi.

Il resta figé et comprit où je voulais en venir.

― Donc demain soir, je viendrai avec toi. Après ta mission, on fera un détour par la boutique d'Hanae. Ce n'est pas négociable.

Il soupira. Je n'avais pas besoin d'une réponse claire car ce n'était ni une question, ni une suggestion. Les choses se dérouleraient comme je venais de les annoncer, que ça lui chante ou pas. Sans reprendre la discussion, j'écrasai ma cigarette dans le cendrier et me levai.

― J'vais me coucher, tu devrais en faire autant. Demain sera une longue journée.




Je fus réveillé par un énorme bruit. Assis sur le lit, le cœur au bord de l'explosion, j'attrapai mon téléphone. Mes mains tremblaient et ma respiration était haletante. Onze heures vingt-quatre. Je n'eus pas le temps de reposer l'appareil qu'une nouvelle série de coups, plus rapide et puissante que la précédente, retentit dans l'appartement. Mon regard se porta vers le couloir avant de venir chercher celui de Yoongi.

Il resta allongé sous la couverture et m'intima, l'index posé sur les lèvres, de garder le silence. Après quelques secondes à imiter des statues, les coups cessèrent comme la première fois.

― Qui c'est ? murmurai-je.

― La voisine ?

J'eus envie de lui écraser mon poing sur la tronche. Le moment était mal choisi pour se permettre un brin d'humour.

― Tu te fous de ma gueule ? Depuis quand la voisine tambourine à ta porte ?

― T'as pas tort...

― Yoongi !

Cette fois-ci, je ne pus retenir la paume de ma main qui fouetta son bras. Il ne trouva rien de mieux que de rire. Personnellement, je n'avais pas envie de plaisanter. Cela pouvait être n'importe qui derrière cette porte, et les récents évènements ne présageaient rien de bon. On nous cherchait, nos têtes valaient chères et son appartement ne possédait pas d'issue de secours.

Yoongi se calma et rapidement le silence redevint maître des lieux. Il était possible d'entendre une mouche voler tant nous contrôlions nos respirations à l'affût du moindre bruit.

― Tu vois, il n'y a pas besoin de s'inquiéter. Ça n'insiste pas, ça devait vraiment être la voisine.

La seconde d'après, son téléphone se mit à sonner.

― Et là, c'est ta voisine ? crachai-je.

Il leva les yeux au ciel avant d'attraper son smartphone et de prendre l'appel.

― Ouais ?

Je n'eus pas besoin de lui demander qui était son interlocuteur. À sa tête, son timbre de voix et son allure peu enthousiaste mais détendue, ce n'était nul autre qu'un des Kim. Le fait qu'il quitte le lit et se rende vers l'entrée , sans même prendre le temps d'enfiler un t-shirt, n'était qu'un indice supplémentaire.

Lorsque je mis un pied dans le salon, Seokjin et Namjoon étaient déjà assis sur le canapé. C'était bien la première fois que j'étais heureux de les voir. Je n'osais pas imaginer ce qu'il aurait pu se passer si les visiteurs avaient été autres qu'eux. Durant un instant, j'imaginai le visage d'Ishida, bouffi et rempli d'ecchymoses, accompagné de quelques hommes de main.

Yoongi attendait près de la cafetière, trois tasses devant lui sur le plan de travail. Je lui tendis un pull que j'avais ramassé avant de venir.

— J'ai pas le droit à du café ?

Ce n'était pas une question (je me servirais quoi qu'il arrive, qu'il m'ait préparé une tasse ou non), juste une remarque déguisée.

— Je ne savais pas si t'allais sortir du lit.

J'attrapai une tasse dans le placard et la rajoutai à côté des autres.

— Qu'est-ce qu'ils font là ?

— Je pense que c'est par rapport à notre départ.

— Tu leur as dit ?

— J'ai envoyé un message avant de me coucher.

J'acquiesçai silencieusement. Le café prêt, Yoongi remplit les quatre mugs puis nous rejoignîmes les invités dans le salon.

— Tu étais sérieux hier ? Vous envisagez sincèrement de partir ? commença Seokjin.

Yoongi but une gorgé avant de répondre :

— Oui.

— Pour quelle raison ?

Là, Yoongi resta muet et préféra se tourner vers moi. Étonné, je passai de ses yeux à ceux des Kim qui attendaient une réponse. Je me râclai la gorge avant de prendre la parole.

— J'ai un ami qui a besoin d'aide.

Mentir ne servait à rien. Dans le pire des cas, ils essayeraient de retenir Yoongi, me laissant partir seul. Dans le meilleur, ils deviendraient une aide en cas de besoin.

— Un ami ? demanda Namjoon.

— Oui, un ami.

— Une personne sait que tu es ici ? me questionna froidement Seokjin.

— Oui.

Son expression passa de l'étonnement à un regard sombre. Qu'est-ce que ça pouvait lui foutre que Hoseok sache que j'étais à Tokyo ? Je n'avais jamais dit que personne ne connaissait ma cachette. Seokjin allait continuer mais Yoongi le coupa avant même qu'il n'ait ouvert la bouche :

— À vrai dire, deux personnes savent qu'il est ici.

Les sourcils des Kim s'arquèrent simultanément.

— Taehyung, lâcha-t-il sans plus d'explication.

Le silence engloutit la pièce. Namjoon soupira ; son boss se réinstalla dans le canapé. De mon côté, j'étais incapable de faire quoi que ce soit.

Je ne leur devais rien, j'étais libre comme l'air. Mais pas Yoongi. Namjoon me l'avait décrit comme un mercenaire solitaire, travaillant à droite à gauche pour les uns et pour les autres afin de se faire du fric. Cependant, Yoongi semblait nouer un lien plus fort que ça avec eux. Était-il réellement capable de faire ses propres choix ?

Soudain, l'idée qu'il ne puisse pas m'accompagner me glaça le sang. C'était rassurant de le savoir avec moi. Malgré une longue période à me mentir (je n'avais pas été des plus sincère envers lui non plus), j'étais persuadé, qu'à ce jour, il se montrait totalement honnête. Partir seul serait beaucoup plus compliqué que ce que cela pouvait représenter. Voir quasiment impossible.

— Et c'est quoi votre plan ?

Je relevai la tête. Namjoon ne me regardait pas, tout comme Seokjin. Tous deux attendaient une réponse de mon voisin.

— On va d'abord descendre sur Daegu. Après, on verra.

— On verra ? répéta Namjoon avant de rire. C'est tout ? Et comment vous allez quitter le pays ? À la nage ?

— En avion.

— En avion ? Et vous pensez réussir à passer les postes de sécurité ?

— Il y a une chance que les faux papiers ne soient pas détectés.

— On ne prévoit pas un plan sur de la chance, Yoongi, rétorqua Seokjin. Ce que vous vous apprêtez à faire, c'est du suicide. Vous n'êtes même pas sûr de réussir à mettre un pied dans l'avion.

Je soupirai. On avait déjà pensé à tout ça, les Kim perdaient leur temps. C'était risqué, mais nous n'avions pas le choix.

Je n'avais pas le choix.

La vie de Hoseok en dépendait. Lui n'avait pas hésité une seule seconde à se mouiller pour sauver la mienne.

— On a déjà envisagé toutes les possibilités, tranchai-je. Nous partons demain, nos valises sont prêtes. Du moins, je pars demain.

Bien que partir en solitaire m'assurait au minimum un tête à tête avec les flics, je ne pouvais pas rester enfermé ici, avec un minimum de sécurité en sachant que Hoseok n'en possédait aucune. Mon regard ne s'était levé sur aucun d'entre eux ; je continuai de fixer la table basse et pourtant je sentais leurs yeux se poser sur moi. Un long silence s'installa entre nous. Je pouvais entendre mon cœur battre frénétiquement au creux de ma poitrine. Les échos de ses pulsations m'engourdissaient les oreilles. Puis, une tasse claqua contre la table et le bruit me sortit de ma léthargie. Seokjin se leva, suivit de Namjoon.

Un peu affolé, je me tournai vers Yoongi qui restait vissé à sa place. Qu'est-ce qu'il se passait ? J'étais pourtant sûr que personne n'avait ouvert la bouche après moi. Il m'accorda un simple regard avant de suivre les deux invités dans l'entrée.




Le soir venu, Yoongi nous mena jusqu'à Kabukicho. Ça n'avait rien d'étonnant, mais on devait redoubler de prudence. Le clan Ishida rodait dans ces rues, les affaires étant principalement florissantes dans les bars et boîtes nocturnes du quartier.

La musique commençait à me rendre sourd. Les sonorités se mélangeaient pour créer une symphonie dépourvue de logique et de rythme. Les basses se chevauchaient sans grand intérêt et les voix des malheureux chanteurs et chanteuses s'entrechoquaient à en inventer une nouvelle langue.

Le quartier se voulait touristique la journée, mais son vrai visage n'apparaissait qu'à la nuit tombée. Capuche sur la tête, j'osais à peine regarder les aventuriers dépravés. Si la plupart de ceux que j'avais pu observer en chemin semblaient bien japonais, d'autres visages appartenaient sans aucun doute à des étrangers. Occidentaux, pour la plupart. Savaient-ils seulement où ils mettaient les pieds ?

Les bars à putes ne se cachaient même pas. Les racoleuses se pavanaient dans les rues, alpaguant les êtres en recherche de perdition pour toucher leurs primes. Des hommes en costard-cravate se tenaient droit contre les murs des différents établissements. La surveillance était de mise, une fille, ça rapportait beaucoup. Tandis que les macs scrutaient la rue, une bagarre éclata sous nos yeux. Encore un qui allait finir jeté sur le pavé.

Yoongi contourna les deux gladiateurs et prit une ruelle sur la gauche. Moins large et plus sombre que l'artère principale, elle n'en demeurait pas moins fréquentée. La pente me permettait de voir bon nombre de têtes agglutinées devant les entrées des bars collés les uns aux autres.

Yoongi slaloma entre les corps et se fraya un chemin vers la droite. Il s'arrêta devant un pub qui ne payait pas de mine. La devanture se cassait à moitié la gueule : le bois s'effritait — voire se décollait par endroit — tandis que les écritures étaient fortement effacées. Même en me rapprochant je n'arrivais pas à lire le nom de l'établissement.

— Vous ne trouverez pas de meilleures filles ailleurs, lança une jeune brune dans l'entrée.

— On n'est pas là pour consommer, déclara Yoongi.

La femme s'arrêta net et plissa les yeux. Yoongi ne lui offrit même pas un regard et se dirigea directement vers le fond de la boutique. Sans donner plus d'attention que lui à cette nana, je m'engouffrai à mon tour vers la porte derrière le bar. Quelques têtes se tournèrent sur notre passage, je baissai la mienne et continuai tout droit.

Si la salle principale ressemblait à n'importe quel pub, ce qu'il se passait derrière le comptoir n'avait plus rien à voir avec un commerce lambda. Un long couloir desservait plusieurs chambres, certaines étaient ouvertes, d'autres non. Devant nous, un homme partait en direction de l'une d'elles au bras d'une blonde à moitié nue.

— Approchez s'il vous pl-, héla une dame depuis un minuscule bureau positionné au milieu du corridor. Ah... Yoongi.

— Kinuyo, moi aussi je suis heureux de te voir.

À la tête que tirait la femme, je ne pus retenir un rire. La visite n'était pas prévue, et elle ne semblait pas l'apprécier. Son rictus disparut et ses yeux devinrent sombres lorsque l'on arriva à hauteur de son secrétaire.

— Qui c'est, lui ? dit-elle d'un air méfiant à mon égard.

— Un stagiaire.

— Prends-moi pour une conne.

Tout en ouvrant un tiroir, elle continua d'un ton froid :

— Tu diras à Takeshi que sa crise commence à m'exaspérer. Ça ne sert à rien de faire traîner les choses, un jour ou l'autre il devra bien revenir la queue entre les jambes et s'excuser auprès d'Haruo.

— Je ne suis pas assistant social. Donne le fric et on se casse.

Kinuyo soupira et lança une liasse de billets sur la table.

— Le compte est là. Et vu le prix que tu prends, tu peux largement lui faire passer le message.

— Je verrais selon mon humeur en sortant d'ici.

— Toujours aussi agréable.

— Je te retourne le compliment.

Yoongi s'empara de l'argent et nous fîmes demi-tour sans plus de cérémonie. Trois hommes quittèrent une pièce jusque-là fermée et nous précédèrent vers la sortie. D'un coup d'oeil, je vis une autre jeune femme au dos complètement rougi s'envelopper dans un kimono.

Dehors, l'air me sembla encore plus froid qu'à notre arrivée. Pourtant, nous n'avions pas passé plus de quinze minutes à l'intérieur.

— Cette Kinuyo semble très charmante, glissai-je à son oreille.

— C'est le cas, en général. Mais comme tu l'as compris, c'est un peu tendu entre elle et son fils.

— Son fils ?

— Takeshi.

— Les putes, c'est une entreprise familiale ?

Il me jeta un coup d'œil méprisant.

— Les Dragons ne font pas dans la prostitution, clarifiai-je.

— Peu importe ce dans quoi tu bosses. T'es bien placé pour savoir que le trafic c'est toujours une histoire de famille.

Sur ce point, je ne pouvais pas le contredire.

— Et Haruo ?

— Le beau-père. Ça a toujours été compliqué entre eux, ils en sont venu aux mains il y a quelques semaines. Depuis, Takeshi refuse de foutre un pied dans le bar.

— Et comme un bon petit toutou, tu vas lui chercher sa part.

Ma pique lui plut. Il en rigola presque, mais un simple sourire narquois se dessina sur son visage.

— Et comme un bon intermédiaire, je prends 10 pour cent sur la recette.

Takeshi nous attendait en contre-bas de la ruelle. L'entrevue fût brève ; Yoongi lui tendit la liasse sans faire la conversation. Après un bref aperçu de la somme, il se retrouva à nouveau avec quelques billets en main.




Une heure plus tard, nous nous trouvions face au magasin d'Hanae. La porte d'entrée était fermée et la pièce principale plongée dans le noir. J'hésitai à frapper jusqu'à ce que je me souvienne que c'était ma dernière chance de pouvoir la voir. Avec assurance, je me mis à taper du poing contre la porte.

L'attachement que j'éprouvais pour cette femme était inexplicable. Et pourtant, il était bien présent. Peut-être avait-elle croisé mon chemin lorsque j'en avais le plus besoin ? Ou peut-être qu'elle se manifestait comme une figure maternelle à mes yeux. Je n'en savais rien, et le moment ne me permettait pas de me pencher plus que ça sur la question. De toute manière, je n'étais pas sûr de vouloir connaître la réponse. Tout ce que je désirais, c'était qu'elle entende mes coups et qu'elle vienne m'ouvrir.

Contrairement à ce que je pensais, Yoongi ne dit pas un mot. Il restait silencieux en arrière plan et ne m'avertit d'aucune limite de temps. Après dix minutes d'attente, je commençai à m'inquiéter. Il était tard, certes. Nous avions attendu que le ciel soit aussi sombre que possible pour quitter l'appartement même si Shibuya était un quartier pleinement lumineux au beau milieu de la nuit. Mais, à ma connaissance, Hanae ne fermait jamais boutique. Ce n'était pas la première fois que je me pointais devant sa porte à presque minuit, et chaque fois je trouvai refuge dans sa cuisine. Je jetai un nouveau coup d'œil à l'intérieur ; rien n'avait changé. Le rez-de-chaussée restait étrangement sans vie.

— Elle doit dormir.

— Elle n'est pas sourde, pestai-je.

— Elle est vieille, Jimin.

Je lui jetai un regard noir. Je n'avais pas l'intention de me prendre la tête, ni de lui cracher à la gueule. J'étais sous pression. Le temps me manquait. Ç'avait toujours été un ennemi, une chose contre laquelle je luttais. Et là, encore une fois, j'avais le sentiment que le sablier s'était brisé au creux de ma main ; que les grains de sable se faisaient la malle entre mes doigts.

Yoongi soupira. Lentement, il se tourna et partit s'asseoir sur la marche la plus proche. Il allait patienter. Et même s'il paraissait peu enclin à rester ici une bonne partie de la nuit, il le ferait. Une cigarette se logea entre ses lèvres et son téléphone s'alluma dans sa main. J'expirai fortement, uniquement pour chasser cette sensation désagréable d'anxiété qui me picotait les membres.

— Hanae ! criai-je.

Pour rester le plus discret possible, je m'étais retenu de héler son nom. Mais donner de la voix était la dernière option qui se présentait à moi si je voulais avoir la chance de la prendre une ultime fois dans mes bras.

Après avoir crié son nom une troisième fois, je vis tous mes espoirs s'évaporer par dessus les toits.

Et soudain, comme une torche au loin dans les ténèbres, le premier étage s'éclaira. Un sourire prit place sur mon visage et mon corps se colla à la porte sans que je ne m'en rende compte.

Je l'aperçus descendre la dernière marche. Sa démarche était hésitante. Enveloppée dans une robe de chambre, elle se stoppa face à la porte, plissa les yeux, puis ouvrit d'un geste assuré.

— Jimin ?

Je me jetai dans ses bras et elle se tendit immédiatement. L'accolade la prenait de court ; moi aussi. C'était un besoin primaire, une envie qui submergeait tout ce que je pouvais ressentir et qui altérait ma réflexion. Et pourtant, même après m'en être rendu compte, je ne la lâchai pas. Au contraire, je raffermis ma prise et son corps frêle se retrouva plaqué contre le mien.

— Jimin... murmura-t-elle.

— Je n'ai pas beaucoup de temps.

— Comme toujours.

Sa main se déposa sur ma joue, faisant reculer mon visage. Je sentais toute ma mâchoire se crisper tandis que ses lèvres s'étiraient légèrement.

— Je vais partir... définitivement

Sa respiration se bloqua, son sourire disparut aussi vite qu'il était apparu. Une seconde, ou deux.

— Il est temps que tu retrouves les tiens, déclara-t-elle simplement.

Oui.

En quelque sorte.

Il fallait surtout que je protège la personne qui m'était le plus cher. La seule mort dont je ne pourrais faire le deuil.

Elle regarda à l'extérieur.

— Je vois qu'il est toujours à tes côtés.

Je me tournai vers Yoongi. Il avait la tête penchée sur son écran et la cigarette se consumait d'elle-même entre ses doigts.

— Oui. Je n'aurais pas parié sur notre duo.

— Je savais qu'il en serait digne, un jour. Combien de temps avons-nous ?

— Quelques minutes.

Elle se rendit dans la cuisine ; je la suivis sans tarder.

Ce fut rapide, à peine dix minutes. Elle m'offrit quelques gâteaux de riz qui restaient dans un bol. Elle s'excusa même de ne pas en avoir plus à me donner. Ça ne ressemblait pas à des adieux. Sauf que ça en était. Je ne reviendrais pas.

Jamais.

Jamais à temps pour la revoir.

Elle me conta sa journée, du petit garçon reparti avec un train en bois au jeune couple de touristes nouveau propriétaire de deux maneki-neko en porcelaine. Ses yeux avaient du mal à rester ouvert, et dans les moments creux, elle piquait du nez. Sa volonté à rester éveillée me toucha mais je me devais de la laisser partir se recoucher. Alors, je me levai.

Sur le pas de la porte, je me permis un geste plus osé. Une simple caresse sur la joue, et une bise sur l'autre. Elle sursauta légèrement au contact de ma peau, sans pour autant me repousser.

Je m'écartai légèrement et regardai son visage. J'avais la sensation que d'ici quelque temps mes souvenirs s'estomperaient, et ses traits seraient si déformés que je n'arriverais plus à me la remémorer.

Cette pensée me brisait le cœur. Et pourtant, je n'avais pas d'autre choix que de la laisser ici, au milieu de tous ces objets qu'elle avait dû chiner au cours de sa vie. Une fois dehors, je ne me retournerais pas. Je quitterais cette ruelle sans savoir si cette échoppe résisterait à l'hiver prochain.

— Merci pour tout, Hanae.

C'était la phrase la plus honnête que j'avais dite dans ce pays. Elle attrapa ma main et la serra fort dans les siennes. Lorsqu'elle la relâcha, je saisis la poignée et sortis sans me retourner.

Lorsque la clochette retentit, signal que la porte s'était refermée, je sentis mon cœur se briser.




Je quittai le parking des yeux et fixai Namjoon. Il regarda son téléphone puis finit par nous avertir :

— L'enregistrement ferme dans vingt minutes.

Yoongi se réinstalla au fond de la banquette sans dire un mot. Depuis notre réveil, l'ambiance était bizarre. Pesante. Nous nous étions à peine adressé la parole et l'arrivée des Kim n'avait rien changé à ça. Même eux semblaient préoccupés.

À juste titre.

J'avais beau être sûr de vouloir rentrer, pour la sécurité de Hoseok ainsi que pour mettre fin à cette cavale que je ne supportais plus, ça restait la chose la plus périlleuse que je pouvais faire. Nous pouvions nous faire démasquer à chaque étape, chaque geste. Ça ne relevait pas uniquement de notre propre chef, il y avait tant de paramètres qui nous étaient incontrôlables que nous ne pouvions rien y faire.

À part prier, éventuellement.

Notre destin appartenait au hasard. Et à la chance, aussi. Une histoire de trajectoire, de seconde, de circonstance.

— Vous pouvez encore changer d'avis.

Mon regard se braqua sur Namjoon. Si Yoongi et Seokjin restèrent silencieux, je ne pus en faire autant :

— Il n'en est pas question, déclarai-je froidement.

Un brin agacé, j'ouvris la portière et sortis de la voiture. Yoongi m'imita, tout comme les Kim peu de temps après.

— C'est pas la peine de tirer ces gueules d'enterrement, je ne reviendrai pas en arrière, me sentis-je obligé d'ajouter en les voyant se poster devant moi.

— On avait bien compris.

Seokjin me frôla sur son passage puis tendit une enveloppe à Yoongi, qui récupérait nos bagages dans le coffre.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Une prime exceptionnelle, pour toutes tes années de service. Puis, si l'envie de rentrer s'immisce en toi, tu auras largement de quoi te payer un vol.

Un peu perplexe, Yoongi accepta l'argent. Il jeta quand même un œil aux billets.

— J'ai pris la liberté de changer de devise. Deux amis qui partent vadrouiller en Corée, ce n'est pas suspect qu'ils aient un grand nombre de coupures au fond du sac.

— Merci.

Je ne distinguais Seokjin que de dos, mais l'expression de Yoongi en disait long sur leur séparation. Huit ans. Huit années s'étaient passées depuis qu'il était venu s'exiler au Japon avec l'espoir de comprendre qui il était. Malgré le peu d'affection que j'éprouvais pour les Kim, j'étais conscient qu'ils représentaient beaucoup à ses yeux. Et bien entendu, dans chacun de leur esprit, j'étais le connard qui allait y mettre fin.

— Quinze minutes, Yoongi. 'Faut qu'on se bouge.

J'attrapai ma valise et me dirigeai vers l'entrée sans l'attendre ; il ne tarderait pas à me rejoindre. Il m'avait laissé du temps avec Hanae, je pouvais bien lui en accorder à mon tour.

Le brouhaha du hall fit siffler mes tympans. Je ne m'étais pas retrouvé dans un lieu public en pleine journée depuis belle lurette. Voir des mecs à la gueule cassée, des corps entièrement tatoués, des putes, des armes, de la drogue, c'était mon quotidien. Mais des hommes d'affaires, des femmes tirées à quatre épingles, des touristes, des enfants... beaucoup moins.

Ce qui me troublait le plus, c'était de paraître invisible à leurs yeux. Ils me passaient devant sans même remarquer ma présence. Ils ne me lançaient pas de regard en coin, je n'avais pas une ombre qui n'était pas la mienne... J'étais un humain de plus dans cette fourmilière.

C'était ce que je cherchais ; être le plus transparent possible. Cependant, je n'arrivais pas à me détendre. J'étais à l'affût, constamment.

Une main se déposa sur mon épaule. Je sursautai et me tournai à vive allure avant de comprendre que c'était lui.

— Je t'ai fait peur ?

Ma réaction l'amusait.

Moi, pas du tout.

— À ton avis, connard ?

— Détends-toi, ça va le faire.

— Si elle capte que ce sont de faux papiers, je suis foutu.

Il lança un regard par dessus mon épaule, en direction des guichets, puis reporta son attention sur moi.

— Il y a pas mal de monde dans la file. Avec l'heure de fermeture qui approche, elle ne sera pas très attentive.

Il me tendit mes papiers ainsi que mon billet et nous nous dirigeâmes vers la queue. Lui, moi et mon envie de vomir qui ne me quittait pas depuis que j'avais ouvert les yeux.

L'embarquement se passa sans soucis. La femme de l'acceuil ne remarqua pas la fausseté de mes papiers, elle scanna simplement la carte d'identité ainsi que le billet. Les informations concordaient, elle ne poussa pas la réflexion plus loin.

Débarrassés de nos valises, nous quittâmes la file et partîmes vers le grand hall d'attente. Pris de vertiges, je me rattrapai à son épaule avant de fermer les yeux.

— Ça va pas ?

— Il faut que j'aille me passer de l'eau sur le visage.

— Vas-y, je t'attends là.

Je lui laissai mes affaires avant de courir vers les toilettes les plus proches en abaissant mon masque pour mieux respirer. Heureusement pour moi, elles étaient vides. Je me postai devant l'un des robinets et et l'activai. L'eau glacée me fit autant de bien que de mal. Ma peau était sèche, craquelée par endroit par le froid hivernal. Dans mon reflet, je vis que mes joues et mon front se peignaient de rouge. J'avais maigri aussi. Je paraissais bien différent qu'à mon arrivée. C'était à se demander si j'avais encore besoin de me grimer avec cette couleur de cheveux beaucoup trop claire pour moi.

Mon téléphone vibra dans ma poche. Je me regardai une dernière fois avant de quitter la pièce. Yoongi n'avait pas bougé d'un pouce.

— On est à quelle porte ?

— Hall C, porte 12.

Il se mit en route, je me lançai à sa suite en trottinant.

On passa le poste de sécurité sans soucis. Nos sacs ne contenaient que le strict nécessaire si nos valises venaient à se perdre d'ici l'atterrissage. L'embarquement prenait fin dans moins de dix minutes. Une voix robotique venait de nous l'annoncer au micro. On pressa encore le pas pour arriver juste avant la fermeture. Au détour d'un énième couloir, mon corps buta contre celui de Yoongi juste devant moi. Je dû me retenir au mur pour ne pas perdre l'équilibre et finir au sol.

— Qu'est-ce que tu fous ? pestai-je.

Sa réponse se fit attendre et je compris en regardant dans la même direction que lui qu'elle ne viendrait jamais.

Devant nous, une dizaine d'hommes en uniforme bloquaient le passage. Des flics. Coréens. Leur dossard jaune se différenciait des noirs japonais. Je me tenais toujours au mur, non plus pour reprendre mon équilibre après la collision mais pour éviter de le perdre sous le choc.

Tout se brouilla autour de moi. Plus rien ni personne n'avait de contour, de forme ou de couleur. C'était comme si tout ce qui m'entourait finissait par se mélanger pour former un nuage de fumée.

Je voulus attraper le poignet de Yoongi pour lui parler mais ma main ne rencontra que le vide. Comme s'il n'avait jamais été là. En réalité, il se trouvait déjà devant un policier qui examinait ses papiers. Une fois fait, il se tourna vers moi. Il était trop loin pour que je puisse clairement distinguer son visage, mais je crus apercevoir une expression qui voulait dire "Soit ça passe, soit ça casse".

Et c'était le cas.

Je ne pouvais pas faire marche arrière. J'étais à une vingtaine de pas de rentrer dans mon pays. À quelques heures de retrouver Hoseok.

Si près du but.

Et pourtant si près de finir entre quatre murs.

— Monsieur, vos papiers s'il vous plaît, s'exprima (dans un japonais à peine maîtrisé) un homme à ma gauche.

Il me prit de court, je ne l'avais pas vu s'approcher. J'eus un moment d'hésitation, où mon regard se figea sur lui sans que je n'initiai un geste.

— Monsieur ?

— P-pardon... bégayai-je en coréen. J'ai eu une absence.

À la limite de m'évanouir, je fouillai difficilement dans mes poches. Mon téléphone m'échappa et tomba au sol. Au bruit de l'impact, je compris que la vitre s'était brisée.

— Il y a un problème ?

— Non, non, aucun ! Je suis juste maladroit.

Je jetai un rapide coup d'œil au policier. Il me regardait, suspicieux. Ses sourcils étaient froncés et ses lèvres serrées. Je devais me reprendre, et vite. Les événements n'étaient pas en ma faveur, je n'avais pas le droit de me planter. Un faux pas et c'était un aller simple pour la prison. Pourtant, je n'arrivais pas à contrôler la peur qui se déversait en flot continu dans mon organisme.

C'était la première fois que je perdais mes moyens. Je détestais cette sensation, et je me serais bien passé de la connaître

Je récupérai rapidement mon portable et saisis mes papiers dans l'autre poche. Au même moment, un second homme héla :

— Son ! Le capitaine veut te parler.

Celui en face de moi dévisagea son collègue qui agitait un talkie walkie dans sa direction.

— Restez ici, m'ordonna-t-il.

Un bourdonnement incessant emplit ma tête. J'avais la soudaine impression de me retrouver au milieu d'une ruche. Les derniers passagers se dépêchaient de passer le contrôle pour accéder à l'avion tandis que je restais vissé à ma place, comme figé par une force extérieure.

Ce bref répit me permit de chercher Yoongi une nouvelle fois. Il ne pouvait pas m'aider, mais sa présence ressemblait à celle d'une bouée ou d'un phare au loin en pleine tempête. Son regard se baladait de gauche à droite sans fixer un point en particulier. L'angoisse que trahissait son comportement me percuta de plein fouet, comme le vent au bord de l'océan, ce qui n'eut pour effet que d'aggraver mon état.

On n'attendait pas d'une ancre quelle voltige sur le fond sans jamais s'agripper au plancher.

Puis soudain, une main se déposa sur mon épaule.

— Monsieur, entendis-je tandis que je réprimais un nouveau sursaut. Votre billet et votre passeport, s'il vous plaît.

La simple présence de cette main sur mon corps m'immobilisa. La poigne était ferme mais ne procurait aucune douleur ou contrainte. Je pouvais rapidement me dégager si j'en avais envie. Cependant, je n'en fis rien. Ce n'était pas tant le geste qui me glaçait le sang, c'était l'auteur de ce dernier.

La chaleur émanant de sa peau quitta mon dos lorsqu'il vint se poster devant moi. J'eus à peine le temps de détailler son uniforme que je croisai son regard.

La main tremblante, je lui tandis du mieux que je pus les documents qu'il souhaitait. Il ne prit même pas le soin de les ouvrir, ou de vérifier ne serait-ce qu'une seule information.

— Baisse ton masque.

L'ordre avait été soufflé si faiblement que je crus l'avoir rêvé.

— Baisse ton masque, répéta-t-il plus fermement comme si lui aussi n'était pas certain d'avoir parler suffisamment fort la première fois.

Je déglutis lentement avant d'obéir. Une dizaine de flics m'encerclaient, sans compter la sécurité propre à l'aéroport. Je ne pouvais pas fuir. Si une altercation naissait entre nous, ses collègues viendraient en renfort. Ma seule chance de passer se résumait à abaisser mon masque.

Un geste si simple pour le commun des mortels, mais si dur pour moi.

Ses pupilles se dilatèrent une fois le bout tissu positionné sous mon menton. Les miennes ne réussirent pas à regarder autre chose que son visage. Un visage fermé, malgré la surprise. Une expression qui passa de l'étonnement à une forme de haine. Ses lèvres fines se pincèrent jusqu'à ne former plus qu'un trait droit sous son nez.

Il ne semblait pas vouloir parler. Droit dans ses rangers, il ne faisait rien d'autre que me fixer, mon passeport encore fermé dans sa main. S'il ne prenait pas les devants, je devais le faire. Rester stoïque l'un en face de l'autre n'était pas un comportement naturel dans cette situation et cela ne ferait qu'alerter ses supérieurs.

— Laisse-moi passer, Jungkook, articulai-je difficilement.

Il rit. Amèrement. Puis sa joue gonfla lorsqu'il détourna le regard. C'était un mauvais tic qu'il ne semblait pas avoir perdu. Dès qu'une situation lui échappait, sa langue le trompait.

— Je ne peux pas te laisser passer.

Je sentis le sol s'écrouler sous mes pieds.

— Pourquoi ?

— Je suis promu, Jimin. J'ai un code à respecter.

Ce fut à mon tour de rire jaune.

— Un code ? Tu te fous de moi ? T'en avais aussi un quand t'étais apprenti, ça ne t'as pas empêché de l'enfreindre.

Il me fusilla du regard. Étrangement, sa présence m'apaisait. S'il y avait bien une personne qui pouvait me sauver la mise à cet instant, c'était lui. Mais il pouvait aussi réduire mes espoirs à néant. Il avait toutes les cartes en main, et la seule que je pouvais jouer restait les sentiments, s'il y en avait encore.

Il prit son temps pour répondre tandis que mon regard se baladait sur les autres hommes de l'unité.

— Je t'ai sauvé la vie, finit-il par lâcher.

Ce fut à mon tour de le dévisager.

— À quel prix, Jungkook ? Mon père veut me buter.

— Pourquoi rentrer dans ce cas ?

— Parce que Hob... Parce que j'en ai marre de fuir.

Jungkook était loin d'être con. Il savait que ce n'était pas le cas. Fuir, j'aurais pu le faire toute ma vie si rien ne me ramenait à Gwangju. Et la seule chose qui me raccrochait à cette ville, c'était Hoseok.

Pas lui. Je vis l'espoir dans son regard se faire balayer par la déception.

— Si tu te rends et que tu coopères, dans vingt ans max t'es dehors. Tu auras encore de belles années devant toi.

Il se foutait de ma gueule. Et il savait qu'ici je ne pouvais pas l'envoyer se faire foutre sans finir avec les menottes aux poignets.

— C'est la chose la plus absurde que tu aies jamais dite.

— Ça ne l'est pas tant que ça.

Il soutint mon regard mais il comprit que je ne flancherai pas. Froidement, il ouvrit le passeport et le regarda rapidement.

— On n'a aucun avenir ensemble, Jungkook. Aucun sans que l'un de nous ne subisse un sort tragique.

Il se figea, la bouche entrouverte.

Jeon ! Un problème ?

Jungkook se tourna légèrement pour apercevoir un de ses collègue puis me fixa à nouveau. L'homme, qui semblait bien plus gradé que lui, se mit à marcher dans notre direction. Je n'avais plus de temps. C'était maintenant que se jouait mon avenir, celui de Yoongi, de Hoseok et de bien d'autres personnes qui malgré elles se retrouvaient liées à toute cette histoire. Mais il me restait une dernière carte à abattre.

— Ce soir-là, tu as choisi à ma place. Aujourd'hui, laisse-moi le faire à la tienne.

Il me regarda, stupéfait. Son supérieur n'était plus qu'à quelques pas de nous.

— Jungkook ! le pressai-je.

Il ferma les yeux si fort que sa peau rida en divers endroits. Dans un mouvement brusque, il plaqua mes papiers contre ma poitrine.

— Bon vol, Monsieur Choi.

Il ne m'adressa pas un mot de plus en rejoignant l'homme derrière lui. De mon côté, je remontai mon masque et m'empressai de retrouver Yoongi. Je n'avais pas réfléchi et j'avais foncé tout droit vers lui. Ce ne fut qu'une fois de l'autre côté que je réalisai ce qu'il venait de se passer.

Ce que Jungkook venait de faire.

Les portes allaient se fermer, mais je pris quand même le temps de regarder derrière moi.

Jamais je n'aurais cru qu'il me laisserait fuir à nouveau. 


Nomos : esprit de la loi.

⊱♛⊰


Hey... ça fait si longtemps. Je ne sais pas quoi vous dire. J'espère que vous allez bien, que vous avez de bonnes vacances et que la rentrée n'a pas été trop mauvaise.

J'espère que le chapitre, bien qu'il soit une transition dans l'histoire, vous a plu.

Merci d'être encore là malgré mon irrégularité. 

Merci de lire cette histoire que j'aime tant.

Prenez soin de vous,

Apophiis

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