Chapitre 33 : Éros

Hey, ça fait très longtemps... on se retrouve en fin de chapitre pour une petite explication ?

Bonne lecture

Attention : je n'ai pas trouvé de vidéo "lyrics" de If I Had a Heart. Le MV contient des représentations de corps, du sang et peut-être d'autres triggers... Si vous êtes sensible, ne regardez pas la vidéo ou allez écouter la musique sur une plateforme de streaming.





La rage me guidait jusqu'à l'hôtel. Je rebroussais chemin tel un robot programmé sans prêter attention à ce qui m'entourait. Le ciel s'était couvert, la pluie menaçait de s'abattre sur Osaka. Mes humeurs et celles des cieux s'accordaient parfaitement, comme si le Divin cherchait à m'accompagner dans cette marche funeste.

Arrivé devant le bâtiment, je fis un détour par le parking. La berline était toujours là, garée à l'endroit même où je l'avais quittée quelques heures plus tôt. Je ne m'attendais à rien, mais constater qu'elle n'avait pas déserté son emplacement me mettait encore plus en rogne.

Il savait.

Il savait que je reviendrais ; que malgré toutes les révélations, je finirais par courir vers lui. Il s'en était assuré. Son plan était établi depuis le départ : il ne m'avait pas enfermé pour m'empêcher de fuir. Il l'avait fait pour que, le jour où je décide de le faire, je revienne sur ma décision et me raccroche à la seule chose qui me procurait un peu de stabilité dans ce monde bancal. En l'occurrence : lui.

Le pire dans tout ça, c'est que j'aurais fait pareil. Et c'était ce qui m'effrayait. Moi, j'avais reçu une éducation, on m'avait montré comment faire. Lui, ça venait de son propre chef, de sa façon de penser. J'en avais commis, des erreurs. Mais le sous-estimer en était une des plus grandes.

Maintenant, je m'en bouffais les doigts. J'avais envie de me frapper la tête contre un mur. De taper mon front sur le crépis jusqu'à ce que les ondes de choc m'engourdissent la cervelle. Comment avais-je pu être si con ? J'aurais dû m'en tenir au plan : partir loin, au nord, dans les montagnes près du lac Towada. Disparaître des radars. Ça m'aurait évité bien des emmerdes.

Qu'est-ce qui m'avais pris de vouloir me rattacher à un semblant de sécurité dans cette ville de malheur ?

Pourtant, si je creusais un peu plus loin que mon amertume, derrière cette épaisse couche de haine et de regrets, une infime partie de moi n'arrivait pas à lui en vouloir. Malgré ses intentions, il m'avait aidé. Pas simplement en m'offrant un toit et des repas. Sans lui, jamais je n'aurais su pour ma mère, jamais je n'aurais entendu parler des actions passées de mon père.

À défaut d'être en totale sécurité, je venais de découvrir une partie de ma vie jusque-là insoupçonnée.

C'était une relation à deux faces.

Deux tableaux qui se faisaient face, se défiant du regard depuis le premier jour.

Un grondement lointain me sortit de mes pensées. Un nuage noir avait englouti le soleil qui se levait et s'avançait férocement dans ma direction. Il était temps que je rentre, que j'en finisse avec cette nuit qui semblait sans fin.

L'homme derrière le guichet me salua d'un signe de tête que je rendis à peine. Dans ces moments-là, il était préférable de ne pas trop se faire remarquer. Je n'oubliais pas que l'on avait plus d'un homme à nos trousses.

Je gravis rapidement les marches et me retrouvai face à la chambre. Je tendis l'oreille, histoire de tâter le terrain et voir si Yoongi était encore éveillé, mais rien. Aucun son ne parvint à mes tympans. Je n'avais pas la clef alors je toquai. Rapidement, des frottements se firent entendre, comme si quelqu'un traînait des pieds sur le sol et se rapprochait. Je n'avais aucun doute sur leur provenance. Alors, lorsqu'ils s'arrêtèrent, je dis sans crainte :

— C'est Jimin.

Il n'en fallut pas plus pour que le crochet de sécurité soit désactivé et que la porte s'ouvre. Yoongi me dévisagea de la tête aux pieds. Il paraissait sous le choc, comme s'il ne s'attendait pas à me voir revenir. Après un moment de silence, il murmura :

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Mes sourcils se froncèrent.

— Comment ça, qu'est-ce que je fais là ? Tu voulais que j'aille où ?

Sa bouche s'ouvrit et se referma instantanément. Il se décala légèrement pour libérer le passage. Je ne me fis pas prier et entrai dans la chambre.

Il n'avait touché à rien. Mon sac était encore au pied du lit tandis que le sien reposait contre le mur de la salle de bain. Son ordinateur était ouvert sur la table, accompagné d'un sachet de sandwich vide et d'un paquet de clopes.

— Pour être honnête, je ne pensais pas que tu reviendrais, expliqua-t-il dans mon dos.

— À d'autres. Tu le savais, t'as tout fait pour que je sois dépendant.

— Non.

Mon sang ne fit qu'un tour. Comment ne pouvait-il pas s'en douter ? Il y avait tout dans cette chambre. Mon téléphone, mes papiers, mes fringues et le peu de fric qui me restait. Sans même penser au fait que je ne voyais aucune porte de sortie, c'était fou de penser que je me débrouillerais dans la nature sans ne serait-ce qu'une fausse identité et quelques billets.

— Non ? Tu te fous de ma gueule ? Je n'ai qu'un seul repère dans ce putain de pays et c'est toi ! hurlai-je.

J'étais crevé. Épuisé par cette soirée et les mensonges dans lesquels je baignais depuis une vingtaine d'années. Exténué de fuir sans cesse, de devoir échapper à une mort qui passait son temps à me courir après.

Yoongi ne bougea pas lorsque je me tournai et lui fis face. Il resta appuyé contre le mur, le visage neutre et les bras croisés sur le torse.

— Comment peux-tu insinuer que tu ne le savais pas ? continuai-je. Hein ? T'oserais me le dire, les yeux dans les yeux ? Sérieusement ? Si c'est le cas, t'es vraiment le pire des enfoirés !

Il n'eut aucune réaction et c'était la pire de toutes. Ça m'énervait. Ça me rendait fou.

— Même devant le fait accompli t'es pas capable d'assumer !

La façon dont il prétextait n'être à l'origine de rien, de n'être à l'investiture d'aucune de mes actions, alors que je faisais tout en fonction de lui me donnait juste envie de lui enfoncer mon poing dans la gueule.

— Je...

— Tu ? Tu quoi, Yoongi ? Vas-y, dis-le !

Mais toujours rien. Il détourna juste le regard et se concentra sur le fond de la pièce. Je ris amèrement face à son comportement qui me dépassait. Même lui ne croyait pas à ses mensonges.

— Tu vois, tu peux pas. Venant d'un mec qui cherche à me buter depuis des lustres, à quoi pouvais-je m'attendre de toute manière ?

— Je ne veux pas te tuer, me coupa-t-il.

— Oh... Excuse-moi, c'est vrai, dis-je sarcastiquement. Tu veux juste me donner en pâture aux Yakuzas. C'est très aimable de ta part, mais je refuse ta proposition. Tu m'en veux pas, j'espère ?

— Jimin, je-

— Non ! Tu la fermes. Tu sais très bien qu'ils ne vont pas me proposer de jouer aux cartes.

Il me l'avait dit lui-même. Comment pouvait-il le nier maintenant ? Des parents contre un fils, c'étaient ses propres mots.

— Des parents contre un fils, murmurai-je.

— Quoi ?

J'avais juste soif de vengeance.

— Soif de vengeance...

— Jimin, qu'est-ce que tu baragoui-

— Rendre la pareille.

Quand tu m'as dit ton nom, j'ai vu une opportunité de le faire souffrir.

Et soudain, ça fit tilt dans ma tête. Pris d'un coup de folie, je me dirigeai vers son sac que je renversai sur le lit.

— Qu'est-ce... Qu'est-ce tu fais ?

J'attrapai tout ce qui me passait sous la main et envoyai les objets un par un dans un coin de la pièce, jusqu'à enfin trouver celui qui m'intéressait.

— Pose ça, il est chargé !

— Tant mieux. Ça m'aurait cassé les couilles de devoir chercher les balles, déclarai-je.

Son flingue en main, je revins me poster devant lui. Ses yeux étaient écarquillés. Je distinguais de la peur et de l'incompréhension dans son regard. Pour la première fois depuis notre rencontre, j'avais le dessus.

Et putain, qu'est-ce que ça faisait du bien.

J'étais le maître du jeu et aucun de nous ne sortirait de cette pièce tant que je n'aurais pas déclaré la partie terminée. C'était bien beau d'être le premier durant toute la course, fallait-il encore le rester sur la ligne d'arrivée.

— Tu veux ma mort, Yoongi ? Regarde, le narguai-je. Je te l'offre sur un plateau d'argent.

— Mais qu'est-ce que... arrête !

Il fit un pas dans ma direction mais je lui déconseillai d'en faire un autre avec ma main libre. La seconde tenait fermement son arme, le canon dirigé vers ma tempe et l'index à quelque centimètres de la détente.

C'était jouissif de pouvoir l'observer comme ça, de voir sa peur se déverser dans la pièce. Je pouvais presque la sentir tant elle était lourde. Il ressemblait à un gamin perdu qui cherchait désespérément ses parents à la sortie de l'école. C'était une situation qu'il devait bien connaître.

— Si ton château de cartes s'effondre au premier coup de vent, c'est que les fondations sont à refaire, Yoongi.

— Pose ce flingue.

— T'imagines même pas à quel point c'est drôle de voir dans ton regard la crainte de tout perdre en une seconde.

— Jimin, s'il te plaît...

— Mais tu vois, si tu veux que ta vengeance soit à la hauteur de la souffrance que tu ressens, il faut un équilibre. Un peu comme une équation chimique.

Il tenta un nouveau pas. Cette fois-ci, je ne lui dis rien.

— Je doute que mon père ait tourné la tête lorsqu'il les a achevés. À toi d'en faire de même.

Je descendis alors mon bras et lui tendis son revolver. Il m'observa faire, ne quittant jamais son arme des yeux, dans l'incompréhension.

— Tue-moi.

Son regard remonta sur mon visage.

— Je... Je ne veux pas te tuer, murmura-t-il.

Son refus m'agaça. Pourquoi reculait-il ? Des semaines qu'il planifiait ma fin alors que je dormais dans son lit. Qu'il m'entendait respirer. Qu'il me baisait.

C'était la goutte de trop.

— Prends ce putain de flingue ou c'est moi qui le fais ! criai-je, à cran.

— Ok ! Ok !

Il le récupéra d'une main tremblante. Une fois en sa possession, il le détailla longuement. Il eut un mouvement de tête. Léger, presque imperceptible. Le genre de geste que l'on ne contrôle pas, qui trahit nos pensées et nos émotions sans même que l'on s'en aperçoive.

Les secondes se démultipliaient, laissant presque le temps en suspens. Dehors, la pluie s'abattait contre la fenêtre. Le nuage avait fini par gagner la ville et se déversait maintenant sur elle. L'impact des gouttes raisonnait comme un décompte malsain. Chacune d'entre elles me rapprochait un peu plus de la fin, annonçant de façon morbide les derniers instants de ma vie.

Un violent coup de vent fit trembler la vitre. Je restai stoïque, sans le moindre mouvement. En revanche, cela sortit Yoongi de ses divagations.

Lentement et sans aucune conviction apparente, il tendit son bras et pointa enfin l'arme dans ma direction.

— Regarde-moi.

Ses paupières se fermèrent et sa mâchoire se contracta. Lorsqu'il les rouvrit, son regard s'accrocha au mien. Dès lors, il ne le quitta plus.

— Maintenant, tire.

Je m'avançai vers lui. Étrangement, j'étais serein. Presque comme si, finalement, j'étais celui qui rêvait de ce moment depuis le début. Aucun regret, aucune peur. Juste l'attente de ce bruit sourd, du noir complet et du silence. Le dénouement de ce cauchemar vivant suivi du repos éternel.

— Allez, fais-le. C'est ce que t'as toujours voulu. Finissons-en, Yoongi.

Je réduisis considérablement la distance qui nous séparait.

— Des parents contre un fils. Ce sont tes propres mots.

J'amorçai un pas de plus. Le bout du canon frôlait maintenant ma poitrine lorsque j'inspirais.

J'attendais. J'étais prêt.

Pas lui.

— Tire, putain !

Mes poumons se gorgèrent d'air. C'était comme s'ils avaient leur propre conscience et qu'ils s'attendaient à bientôt cesser toute activité. Peut-être que je stressais, finalement. Il avait l'arme et j'étais devant lui. Je pouvais sombrer en une fraction de seconde et me retrouver de l'autre côté. Appartenir au passé. N'être plus que le nom d'un défunt, un visage qui s'efface dans les souvenirs. J'agissais à l'instinct. Pas une seconde je n'avais réfléchi à ce qu'il pourrait arriver une fois mon cœur froid et sans vie. Entre deux pensées nébuleuses, le visage de Hobi m'apparut.

Hoseok, mon seul ami. L'unique personne sur cette terre qui m'aimait réellement. La seule à connaître le vrai Park Jimin et à se soucier de lui. Deux jours étaient passés depuis notre dernier contact. Ils me paraissaient des années.

Ma respiration devint de plus en plus forte, de plus en plus lourde. De plus en plus douloureuse. Une larme s'échappa d'un de mes yeux. Je n'avais pas réussi à la contenir. Lorsque je reportai mon regard sur Yoongi, toute pensée pour mon ami d'enfance disparut en un claquement de doigt.

J'inspirai, prêt à disparaître avec pour seul regret celui de ne pas avoir pu dire adieu à celui qui jusqu'ici ne m'avait jamais trahi. Mais, au lieu de déclencher la détente, Yoongi ouvrit le barillet, le vida sur le sol et déposa l'arme sur la table.

— Je ne te tuerai pas, Jimin, répéta-t-il plus calmement.

— Il est hors de question que tu délègues. Bute-moi ou c'est moi qui le fais, l'avertis-je une seconde fois.

— Mais je veux pas que tu crèves !

Une violente rafale de vent ponctua sa phrase. Le jour avait beau vouloir se lever, la nuit n'avait pas fini son œuvre et semblait prête à se battre pour rester encore maîtresse des cieux.

— Tu comprends ça ? craqua-t-il, les yeux larmoyants.

Non, je ne comprenais pas. Je ne pouvais pas comprendre comment un type qui convoitait ma mort depuis des années pouvait autant la mépriser le moment venu. C'était illogique. La fatigue devait lui anesthésier le cerveau.

— T'es qu'un lâche, Yoongi, lui crachai-je au visage.

Il n'y avait pas d'autre mot pour le qualifier. Il manquait d'assurance, de volonté et de sang-froid. Pourtant, il semblait réellement désespéré. C'était pathétique.

— Je croyais que c'était ce que tu voulais, me buter, te venger. C'est pas ce pourquoi tu m'as gardé enfermé ?

— Si, mais...

— Pourquoi tu te défiles, dans ce cas ? Tout ce dont t'as rêvé, tu l'as entre les mains : moi, ma putain de vie et ton flingue. Alors, pourquoi ?

Il semblait chercher ses mots. Les yeux rivés au plafond, il commençait à mordiller ses lèvres. J'en avais marre d'attendre, de l'attendre. Ça avait toujours été comme ça entre nous. Mais aujourd'hui les cartes étaient redistribuées et je n'allais pas lui laisser le temps de préparer son prochain coup.

— Réponds-moi !

— Mais parce que je tiens plus à toi qu'à ma vengeance ! explosa-t-il.

Cette fois-ci, c'était à moi que les mots manquèrent. Sa révélation me cloua sur place. Tenir à moi. Comment pouvait-il dire ça ? Comment pouvait-il l'éprouver ? Avec toute la haine qu'il entretenait pour mon nom, pour mon seul fait d'exister. Avec tout ce qu'il m'avait caché, tous les mensonges qu'il m'avait servis depuis notre rencontre, aucune des phrases qu'il prononçait ne sonnait vrai.

— T'es qu'un menteur. T'as vraiment aucun honneur...

Son regard se durcit.

— Tu ne me crois pas ?

— Comment le pourrais-je ? Depuis le début tu parles, mais c'est que du vent. Des mots, toujours des mots. Mais au final, t'agis pas. Tu fais rien. T'as même pas les couilles de m'éliminer ! Comment tu veux que je te c-

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase qu'il se jeta sur mes lèvres. Je le repoussai avant même de le réaliser.

— Qu'est-ce que tu fous ? hurlai-je.

— J'agis.

Je restai figé au milieu de la pièce. Sans me laisser le temps de comprendre quoi que ce soit, Yoongi se jeta de nouveau sur moi. Cette fois-ci, il s'assura que je ne puisse pas le repousser. Ses mains s'accrochèrent à mes hanches et ses lèvres aux miennes.

Ma tête se mit à tourner et mes pensées s'emballèrent comme si elles étaient propulsées dans une centrifugeuse. C'était impossible d'y voir clair. Un épais brouillard s'élevait en moi. Il était si opaque que ma vue s'en troublait presque. J'étais incapable de réfléchir ou d'agir. Les baisers successifs qu'il déposait sur ma bouche me sortaient constamment de mes réflexions.

Je cherchai désespérément à rester de marbre et ne pas perdre mon objectif de vue. Mais c'était compliqué. J'étais trop surpris. Était-ce une tentative de distraction de sa part ? Probablement, même si je n'en étais pas certain. Mais, si c'était le cas, ça marchait.

Ça marchait tellement bien que je dus plusieurs fois me concentrer pour garder les yeux ouverts et ne pas succomber. C'était plus facile à dire qu'à faire. La tentation était trop forte, trop bonne pour que je n'y cède pas. Je savais ce qui m'attendait si je baissais la garde et ça me rendait dingue.

Dingue, parce qu'encore une fois Yoongi me montrait clairement qu'il me connaissait. Tel un scientifique avec son cobaye, il m'avait étudié. Il avait jour après jour observé et noté dans un coin de sa tête mes agissements. J'étais prévisible à ses yeux, aussi transparent que de l'eau de source.

Mes faiblesses n'étaient plus un secret.

Il était devenu chef d'orchestre. Mes sentiments, ses instruments.

Et il jouait. Encore et encore jusqu'à user la corde d'une guitare ou effiler le crin d'un archet.

Je pouvais tenir bon, j'avais de la réserve. Mais sur la durée, il m'aurait. C'était une évidence et seul un fou soutiendrait le contraire. Je n'avais pas une victoire à mon actif depuis notre rencontre, en espérer une à cet instant était idiot. À quoi bon me battre pour me maintenir à flot si ma destinée était de sombrer ?

En y réfléchissant, il avait l'air si abattu lorsque je lui avais ordonné de tirer. Peut-être disait-il vrai ? Peut-être tenait-il à moi, comme il l'affirmait. Ne serait-ce qu'un peu.

Un mince espoir fit battre mon cœur plus fort. C'était petit, presque imperceptible. Mais, comme la première goutte de pluie d'une averse, je ne pouvais pas l'ignorer.

Alors, mes mains se posèrent sur ses joues pour maintenir fermement sa tête contre la mienne. Je lui répondais enfin et cela semblait lui plaire. Il soupira entre deux baisers. Les yeux fermés, je nous guidais jusqu'au lit avant de me laisser tomber dessus. Yoongi ne suivit pas le mouvement. Je me sentis soudain seul, comme s'il venait de disparaître à la manière d'un mirage en plein désert. Ses mots se mirent à résonner en boucle dans mon esprit. Je crus les avoir imaginés tant ça me paraissait invraisemblable.

Tenir à moi plus qu'à sa vengeance. Je nageais en plein délire. Comment pouvais-je croire à ça ? À peine cinq minutes plus tard, il me laissait à l'abandon sur le lit. Je baissais ma garde trop facilement. Cette erreur récurrente était la cause de ma défaillance.

Je me sentais comme une proie perdue au milieu de la jungle. Vulnérable.

Puis j'avais froid. Un frisson traversa tout mon corps. Il me fallut une force herculéenne pour oser ouvrir les yeux.  Je constatai, surpris, qu'il se débarrassait de son t-shirt. Sans réfléchir, je me mis à l'imiter sans parler. Il me regarda faire et attendit que mon haut soit au sol pour s'installer entre mes jambes. Je venais de passer en mode automatique et mes gestes se callaient sur les siens.

Ses lèvres vinrent épouser les miennes une nouvelle fois. Elles ne restèrent pas longtemps sur mon visage. Rapidement, il descendit son regard sur mon torse et ses mains s'attelèrent à défaire mon jean. Je me sentais étrangement stressé. Pourquoi avais-je l'impression de me dévoiler pour la première fois ?

Lui aussi paraissait différent. Il me regardait, l'air hésitant, comme si c'était notre premier rapport. Cette soirée ne tournait pas rond et nous avec.

Yoongi finit par reprendre le contrôle et me dévêtit. Il se leva et fit glisser ses habits le long de ses jambes avant de revenir sur le matelas, le tube de lubrifiant en main.

Il prit une grande inspiration puis attrapa mes jambes. Avec une douceur qui lui était étrangère, il caressa la peau intérieure de mes cuisses avant de les écarter un peu et de se placer entre elles.

De mon côté, je le regardais. Pas lui à proprement parler, mais ses mains. Jamais je n'avais été hypnotisé de la sorte par des gestes. Pourtant, quand bien même mon cerveau tournait à mille à l'heure sous les interrogations incessantes qui ne s'éloignaient jamais bien loin, mon regard restait fixé.

La vétuste lampe de la chambre éclairait la pièce d'un orangé presque crépusculaire. La peau de Yoongi paraissait alors plus hâlée qu'elle ne l'était réellement. Ses doigts continuaient de dériver sur l'arrière de mes jambes jusqu'à s'arrêter à la lisière de mes fesses. Là, il lâcha prise et attrapa le lubrifiant qu'il dévissa rapidement.

Après s'en être versé sur les doigts, il inséra doucement son index. Automatiquement, je fermai les yeux. Ça me paraissait plus simple comme ça. J'avais l'impression que si nos regards se croisaient à cet instant, tout exploserait. Ses mouvements étaient lents, j'allais finir par m'ennuyer s'il persistait à tenir ce rythme.

Il accéléra légèrement quand il en ajouta un second. Ne pas penser à lui. Ne pas penser à lui. C'était ce que je n'arrêtais pas de me répéter. Mais je n'y arrivais pas. La douceur qu'il mettait dans ses mouvements n'arrêtait pas de venir monopoliser mes pensées.

Parce que ça ne lui ressemblait pas.

Rien ne lui ressemblait, en fait.

Il finit par ajouter un troisième doigt. Simultanément, il déposa un baiser sur l'intérieur de ma cuisse. Je gémis puis me détestai sur le champ.

Pour quelle raison ?

Jamais je n'avais été aussi sensible, ma réaction était toute sauf normale. Je mis alors ma main sur ma bouche pour étouffer ma voix si cela venait à se reproduire.

Que j'eus raison.

Tout en continuant de me doigter, il déposa au grès de ses envies ses lèvres sur mon épiderme. Mon bas-ventre, mes hanches, mes pectoraux, mon cou. Des frissons parcouraient mon corps à chaque contact, m'arrachant des sons de plaisir que je ne n'arrivais pas à contenir.

Ça me rendait plus que perplexe. Jusque-là, jamais il n'avait fait passer mon plaisir avant le sien. Jamais il n'avait pris le temps de me préparer si consciencieusement. Étais-je en train de vivre ce que l'on nomme « le calme avant la tempête » ?

Ma mâchoire avait droit à un traitement particulier. Il s'y laissa dériver, retraçant parfaitement sa courbe du bout de sa langue. Puis, il m'embrassa timidement la pointe du nez. Son souffle sur mon visage me fit ouvrir les yeux.

Malgré le plaisir qui voilait mon regard, je l'interrogeai. Pourquoi adoptait-il ce comportement ? Se délectait-il de mes réactions à son jeu malsain ? Je le connaissais suffisamment pour savoir que tout ce manège n'était qu'illusion. Cependant, je ne lui demandai pas d'arrêter. Je voulais voir jusqu'où il était prêt à se grimer pour me prendre pour un con.

Alors, lorsqu'il m'embrassa à pleine bouche, je répondis à ses avances. Lorsqu'il se redressa pour attraper le lubrifiant, j'attendis qu'il le repose. Lorsqu'il agrippa mes jambes pour se replacer entre elles, je les écartai de moi-même. Lorsqu'il posa ses mains sur mes hanches et qu'il commença à insérer son sexe, je fermai à nouveau les yeux.

Je m'attendais à ce que son masque tombe une fois qu'il m'aurait pénétré. Que sa vraie nature prenne l'ascendant sur le rôle qu'il persistait à jouer depuis mon retour. À la façon d'un charlatan, qui, une fois votre argent en poche, s'éclipse dans la nuit. Mais ça n'arriva pas.

Il n'attendit pas d'être pleinement en moi pour commencer à bouger. Ses allers-retours étaient lents, me laissant m'habituer peu à peu à la pénétration.

— J'te jure, Jimin. J'veux pas te tuer, murmura-t-il à mon oreille.

Mon souffle se coupa et les battements de mon cœur résonnèrent dans mes oreilles.

— Ta gueule.

Pourquoi s'obstinait-il à me tourmenter comme ça ?

Il avait tout entre ses mains. Ma vie. Mon corps. Qu'est-ce que ça lui apportait de continuer à me prendre pour un con ?

Pourquoi s'obstinait-il à parler ? Il était si calculateur que ça ? Arrivait-il à lire en moi ? Quelles réflexions tournaient en boucle dans ma tête ?

C'était à devenir fou. À perdre le peu de raison qu'il me restait. À ne plus savoir différencier la vérité des spéculations.

S'il disait vrai, avait-il le droit ? Pouvait-il se permettre de tenir à moi après tout ce qu'il avait manigancé ? Toute la haine qui l'avait habité ?

Je n'étais plus sûr de rien. Qui était-il, finalement ? Le tortionnaire imbu de lui-même à nos débuts ou le pauvre personnage apeuré et sentimental qu'il me servait depuis mon retour ? Et moi dans tout ça, qu'est-ce que j'étais ? Que représentais-je à ses yeux ? Un allié ? Un trophée ? Une monnaie d'échange ?

L'humain est roi pour se poser des questions mais définitivement nul pour trouver les réponses.

— Je ne te crois pas.

Il soupira contre mon oreille.

— Qu'est-ce que je dois faire pour que tu le fasses ?

— Rien.

C'était à demi vrai. Au fond, j'avais envie d'y croire. De le croire. En revanche, il ne pouvait rien faire sur l'instant pour faire pencher la balance. S'il était encore à mes côtés lorsque je me réveillerais, peut-être que j'y réfléchirais. S'il me ramenait sain et sauf à Tokyo, peut-être que mes doutes s'estomperaient.

Sa main se posa doucement sur ma joue. Toujours avec une tendresse étrangère, il y fit une légère pression. Je n'opposai aucune résistance et laissai mon visage revenir en face du sien. Ses lèvres se posèrent délicatement sur les miennes. Il se montrait encore affectueux.

— Arrête de penser, murmura-t-il.

J'ouvris les yeux. Comme un électrochoc, sa demande fit disparaître tout le brouillard qui m'engourdissait l'esprit. Je ne pensais plus à rien. Seul son regard accaparait mon attention.

Sans attendre, ma main partit chercher sa nuque. Mon baiser était beaucoup plus sauvage que tous ceux qu'il m'avait donné durant cette soirée. L'envie était là. On se concentra alors tous les deux dans cet échange, plus fou et plus ardent que jamais.

Petit à petit, il se cambra jusqu'à ce que son torse soit plaqué contre le mien.

Il abandonna peu à peu ma bouche et se mit à se mouvoir plus rapidement en moi. Ses coups de bassin étaient plus francs, plus rudes, et chaque va-et-vient faisait inévitablement frotter son bas ventre contre mon sexe. Je gémissais contre ses lèvres. J'avais perdu le fil. Je n'étais plus qu'une boule de nerfs sans cesse titillée, à deux doigts de l'implosion.

Mes mains longèrent son dos et finirent pas se loger dans le bas de celui-ci, à la lisière de ses fesses, pour accompagner chacun de ses mouvements et le décourager à ralentir.

— Crois-moi, Jimin.

Ses mots n'étaient que des supplications envoyées entre deux bouffées d'air. La tête légèrement inclinée sur la droite, les lèvres pincées, je ne pus lui répondre qu'avec un faible gémissement.

Il chercha à m'embrasser, encore, mais je n'étais plus sûr de pouvoir tenir la cadence. Mon souffle était chaotique, je ressentais le besoin de happer la moindre molécule d'oxygène qui se présentait dans l'air.

Je finis tout de même par répondre à ses attentes. Parce que j'en avais envie. Parce que, de toute façon, j'étais dans un tel état qu'un obstacle en plus dans ma respiration n'était pas un problème.

J'agrippai alors ses cheveux d'une main, pour avoir l'impression de garder un minimum de contrôle. La réalité était toute autre. Je ne gérais rien. Mon corps se transformait peu à peu en un brasier. Je brûlais de l'intérieur, j'avais l'impression de crépiter à chaque frottement entre nos bassins.

Je sentais les muscles de son dos se contracter sous mes doigts. Très vite, nous n'étions plus que deux corps en action, oubliant presque ce pour quoi nous étions là. Ce pour quoi nous en étions là.

Je finis par jouir assez rapidement. Lui vint peu de temps après moi.





Une légère brise m'effleura la peau. Je bougeai un peu pour me replacer plus confortablement mais je sentis un obstacle dans mon dos. Au même moment, la couverture vint recouvrir mon épaule dénudée. J'ouvris subitement les yeux et mon regard tomba sur le mur de la chambre.

— T'as bien dormi ?

Je restai silencieux.

— Je sais que t'es réveillé, Jimin, continua-t-il la voix encore rauque.

Son bras encercla ma taille. Il me ramena contre lui grâce à sa main posée sur mon torse.

— T'es encore là ? dis-je faiblement.

Il embrassa mon omoplate puis vint caler son menton sur mon épaule. Il rit brièvement avant de répondre :

— Tu voulais que j'aille où ?


Éros : Dieu de l'amour et de l'acte sexuel.

⊱♛⊰

Re ! Comme annoncé en début de chapitre, on se retrouve ici pour une petite explication... Mais tout d'abord, comment allez-vous ?

En ce qui concerne cette longue attente, je ne vais pas trop m'épancher sur les différentes raisons qui en sont responsables. En revanche, je m'excuse sincèrement. Dix mois, c'est vraiment trop. À partir du moment où mes soucis personnels se sont réglés, j'ai commencé à stresser et à avoir peur d'écrire sur l'histoire. Plus temps passait et plus j'étais angoissé à l'idée de revenir dessus (typiquement un serpent qui se mord la queue). Mais ça y est, le bébé est là ! Normalement, cela ne devrait plus se reproduire 😊

Je remercie sincèrement Astelya0o1 pour m'avoir épaulée tout au long de l'écriture de ce chapitre (d'ailleurs, quelques lignes ont été directement écrites par elle) qui ne serait sûrement pas là aujourd'hui si elle ne l'avait pas été.

Je remercie aussi taemots et Forlasass pour m'avoir raccordée leur temps afin de relire et me donner un avis objectif sur le chapitre.

On finit sur une note un peu moins joyeuse (ou pas mdrrr), mais il nous reste 5 chapitres avant la fin de cette histoire. Merci à vous d'être là, de me lire et d'affectionner ce petit bébé que je chérie tant.


Apophiis

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top