Chapitre 32 : Moros

Bonsoir, je vous souhaite une bonne lecture ~



Les feuilles des arbres sifflaient sous le vent. Elles dansaient telles les tentacules d'un octopus en mouvement, cherchant désespérément à échapper au piège d'un prédateur. Les voitures se faisaient rares, mais les phares illuminaient l'artère principale qui malgré l'heure connaissait quelques usagers. Un chien aboya au loin ; peut-être venait-il de surprendre un chat sur son terrain, ou une ombre qui éveillait sa garde. Des cris s'élevèrent dans la nuit, les bars et les boîtes fermaient peu à peu tandis que l'aurore devait se préparer à faire son apparition quotidienne. Les fenêtres des immeubles s'allumaient puis s'éteignaient, au gré des insomnies et des mauvais rêves. Mais tout ça était vivant. Osaka était vivante, je l'étais aussi.

Pour combien de temps ?

Mon compte à rebours était lancé et jamais je n'avais vu la fin d'aussi près. J'avais beau y penser, réfléchir à une nouvelle échappatoire, aucune porte de sortie ne se présentait à moi. J'étais là, au milieu de la nuit à marcher le long d'un fleuve, la respiration étonnement calme et les cheveux virevoltant sous les bourrasques qui me glaçaient la peau. Comme l'ultime salut d'un condamné à mort, je profitais d'une dernière balade libre et reposante. Une escale pour faire le bilan de mon existence, de mes choix, mes relations, mes actes. Une autobiographie silencieuse, un face à face avec ma conscience.

Je ne pouvais pas m'enfuir, pas avec les informations que je possédais. Disparaître dans la pénombre ne ferait qu'ajouter un énième nom sur la liste des personnes qui voulaient ma mort. Un bourreau suffisait, je n'avais pas besoin d'en cumuler des dizaines et pourtant je ne comptais plus leur nombre. Mais qui aurait ma peau ? Auquel voulais-je offrir mon dernier souffle, mon dernier regard ? Peut-être même mes dernières phrases.

J'avais tellement de choses à dire à chacun : des accusations, des regrets, des excuses et des doutes. Mais aucun d'entre eux ne méritait vraiment que je gaspille ma salive pour lui. Si on m'en laissait le choix, mes dernières paroles iraient à Hoseok et Jungkook. Eux au moins ils m'avaient aimé, chacun à leur façon, et j'espérai sincèrement leur avoir rendu, à ma manière. Mais finalement, une fois si proche de la fin, j'avais tant de mots à leur délivrer ; comme si la vie ne suffisait pas à montrer nos sentiments, que seule la rencontre avec la mort nous donnait le courage de tout avouer.

J'étais désolé. Désolé d'être qui j'étais. Désolé de les avoir traînés vers le fond dans mon sillon.

Jungkook était si innocent, un flic en devenir avec un potentiel immense. Il avait une morale, une éthique, et pour ce qui devait simplement être une erreur d'une nuit, je lui avais fait balayer tout ce qui représentait l'honneur à ses yeux d'un revers de main. Il s'était accroché malgré lui, j'en avais joué pour combler l'ennui. Comme un chat avec une souris. Je savais que ce n'était pas bien, que j'étais en train de ruiner sa vie. Le faire tremper à moitié dans l'illégal, quitte à ce qu'il perde pied et se noie avec ses principes. Qu'il suffoque avec ses souvenirs.

Un ennui bien trop présent qui me poussait souvent à utiliser les gens comme des passe-temps, de simples amusements pour remplir mes journées. Au fil du temps, plus rien ne heurtait ma sensibilité. Voir la peur dans le regard d'un homme me faisait sourire ; un coup de feu raisonnait et je levais à peine les yeux pour voir une âme rejoindre les cieux. La couleur du sang ne me faisait plus rien. C'était même normal d'observer ces rivières rouges former des lacs sur le sol. Ce n'était pas fréquent, mais assez régulier pour ne plus être ébranlé par la couleur de l'hémoglobine. Dans le « beau » monde, des hommes et des femmes se battaient pour entre le premier cri, le premier pleur ; dans le mien, il était courant d'en voler les derniers.

Hoseok était la personne la plus chère à mes yeux. Lui au moins il me comprenait. Il savait mes pires secrets, ceux inavouables que même la faucheuse en resterait pétrifiée si je lui contais. J'avais quand même quelques remords, un en particulier me hantait. Si je m'étais toujours posé des questions, si j'avais sans arrêt douté concernant la justesse des actes des Dragons, celui-ci m'avait littéralement fait basculer. Plus rien ne pouvait me paraître atroce et odieux après ça. Une journée sanglante, de son début à sa fin, qui marquait à jamais ma déchéance.

On avait trafiqué la mauvaise voiture, percé les mauvaises plaquettes de frein. La première barrière de sécurité avait sauté sous la vitesse, la deuxième avait résisté et la bagnole s'était faite détruire au passage du train. Elles avaient trois et vingt-neuf ans. Lorsqu'on s'en était rendus compte, on n'avait rien fait. On les avait laissées monter dans l'auto, figés sur place, dans l'attente du sort fatidique qu'on leur avait créé. En l'espace de quelques secondes, deux vies étaient parties sous nos yeux, à cause de nous. Celle du père et mari, celle qu'on devait prendre selon les ordres, fut amenée à sa fin dans la nuit qui suivie. Les nôtres étaient noircies. Depuis ce jour, Hoseok et moi avions décidé que la pitié et les regrets n'avaient plus leur place dans notre esprit. Pour survivre psychologiquement, pour ne pas devenir fou, il fallait qu'on se déshumanise. 

C'est ce qu'on a fait, ensemble.

On s'est promis d'enterrer ce mauvais souvenir, de ne jamais en reparler et surtout de ne plus jamais se laisser toucher par la culpabilité. À partir de ce jour, tout est devenu ennuyeux. L'amour, le sexe, l'alcool, les gens, littéralement tout ; alors on obéissait. On faisait le taf sans se plaindre ni râler. Du simple coup de pression à la pire des atrocités, on fonçait dessus sans rechigner avec nullement l'inquiétude de laisser en chemin un morceau de notre humanité. La seule chose que l'on pouvait perdre, c'était nous-même ; mais on s'était déjà perdu depuis longtemps.

Mon père avait réussi son pari. J'étais devenu qui il voulait que je sois. Une personne sans foi ni loi, le prédateur qui siégeait en haut de la chaîne alimentaire. Son plan était parfait, il avait évincé de ce monde tous les individus qui auraient pu me barrer la route, et il avait fait en sorte que je sois entouré de personnes légitimes et de confiance. Ce n'était pas pour rien que Hobi et moi avions été élevés ensemble. Ma destinée était toute tracée, je n'avais qu'à marcher dans ses pas et le sommet me serait offert sur un plateau d'argent. Mais c'était trop facile, trop beau pour que la voie reste droite et sans obstacle. On dit souvent que chaque homme possède une faiblesse. Pour certain cela peut être une femme, l'alcool, la drogue, une déviance, mais la mienne est les sentiments. Mes sentiments. Je l'ai toujours su et ne l'ai jamais caché, contrairement à eux que j'ai essayés d'enfouir au plus profond de mon être.

Ça a marché pendant des années, et ça aurait pu continuer si je n'avais pas laissé Jungkook entrer dans ma vie. Si au départ je maîtrisais la situation, si notre relation m'importait peu et que je n'en tirais qu'un bénéfice personnel, il avait su créer une faille dans le mur que j'avais construit. Le vent s'y était engouffré pour réduire à néant le château de carte que j'avais mis tant de temps à édifier. J'ai voulu jouer, goûter une bouchée de ce qui pouvait me faire mettre un genou à terre sans me préoccuper du fait que je pourrais y devenir accro en une prise. J'ai été trop gourmand, j'ai voulu connaître ce que cela faisait et j'ai perdu. Mon père m'en a voulu lorsqu'il l'a appris, et jamais il n'avait pensé que le seul obstacle sur mon chemin serait moi-même.

Park Jimin, l'ennemi de Park Jimin.

Je ne comptais plus le nombre d'avertissements qu'il m'avait donnés, ni même les reproches et les menaces à l'abri des regards. Jungkook faisait partie de sa liste noire ; son nom se retrouvait souillé par ma faute, gravé à l'encre au milieu de ceux des plus grands criminels du pays. Il ne pouvait plus vivre sereinement ; il devait constamment faire attention à ses arrières. Pourtant, son seul crime était de m'apprécier un peu trop au goût de mon paternel.

J'entraînais malgré moi les gens dans les abysses. Il suffisait que je touche une personne pour que son sort soit scellé au mien.

Jungkook m'aimait au point de mettre en danger sa vie et sa carrière.
Hoseok m'aimait au point de déshonorer les Dragons.
Ma mère m'aimait au point de trahir son clan.
Mon père m'aimait au point d'engager dans le secret une mutinerie et de liquider son chef.

Les sentiments étaient un crime.

J'étais un criminel car j'aimais Yoongi. Ça me paraissait si ridicule et pourtant c'était bien le cas. Il m'avait eu, il était plus fort que moi, et peut-être que ma condamnation était d'y laisser ma vie. De lui laisser ma vie.

Une vie avec un bilan gangréné par mes actes, balafré par mon passé. Rien de ce que j'avais fait ne pouvait être considéré comme un accomplissement. Devais-je être fier d'avoir déjà tué ? D'avoir suivi les pas de mon père contre la société et les dictats ? Je venais de réussir une fuite face à mon clan, mais pouvais-je être satisfait du titre de « meilleur déserteur de Corée » ?

Peut-être que ma seule victoire était d'avoir cru aux sentiments. D'avoir su passer au-dessus de tout ce que l'on m'avait rabâché. D'avoir cru que j'étais capable d'aimer sans conséquence. 

De douces espérances qui auraient dû rester à l'état de rêverie, comme les songes appartenaient à la nuit.

Je m'arrêtai dans ma marche et observai la rive. Au loin, je discernai le début, aussi infime soit-il, de l'aurore qui colorait la ligne d'horizon d'un léger orangé. Je voulus le voir de plus haut, me sentir son égal comme si chaque matin j'allais me lever, peu importe les fléaux qui ravageaient cette terre. Un lampadaire était coulé dans le béton et je l'empoignai pour me hisser sur le sommet du mur de sécurité.

Finalement, ma plus grande réussite ne serait-elle pas de disparaître ? Disparaître sans qu'aucune vie n'en soit impactée, dans l'ignorance la plus totale ? Je fermai les yeux et y réfléchis. Me volatiliser, tout laisser en suspens et m'éclipser à l'autre bout de la planète pour recommencer à zéro était une option. La plus complexe des deux que j'avais. C'était aussi une manière de les punir, de les laisser finir leur route avec des doutes pendant que je tenterais de trouver la mienne.

Et peut-être que je pourrais enfin aimer sans avoir peur de condamner une vie.

Je me laissai pendre au-dessus du fleuve, la main toujours bien accrochée au poteau du luminaire, avec pour seule compagnie le faible bruit de l'eau qui claquait sous mes pieds. À cet instant, j'eu l'impression d'être vide. De comprendre ce que cela faisait de ne rien ressentir ; d'être aussi proche du précipice qu'un oisillon le jour de son premier vol, et autant mort qu'une feuille à la fin de l'automne.

Pour l'unique fois de ma vie, la facilité me semblait être une bonne option. Et peut-être qu'elle était là ma plus grande prouesse. Mettre fin à cette vie qui n'existait que par les morts successives qu'elle provoquait.


Une voiture passa derrière moi et klaxonna longuement à ma hauteur, me sortant de mes pensées. Je me remis droit sur le muret et quand je regardai derrière moi, l'automobile avait déjà filée le long de la route. Je reportai mes yeux en contrebas, et soudain une boule se forma dans mon ventre. C'était fort, ça me bouffait littéralement de l'intérieur, me donnant presque l'envie de vomir. Je descendis alors sur le bitume et mis ma capuche sur la tête avant de reprendre ma marche.

Je n'étais pas vide, j'avais la rage. Une haine si forte qu'il m'était impossible de sauter dans l'eau gelée ou de me pendre à un crochet. Depuis toujours j'étais l'initiateur, celui qui faisait naître le jeu, mais ici j'étais tombé dans la partie de plus calculateur que moi. Et malgré ma connaissance des codes et des principes, à l'instar de Jungkook, j'avais foncé tête baissée dans la toile d'une araignée qui m'attendait depuis des années.

Yoongi voulait ma mort ? Il l'aurait, mais selon mes règles. Il en ferait des cauchemars, il en deviendrait fou. Et c'est lui qui finirait par se jeter dans le vide.

Il me suffisait d'aimer pour condamner à l'Enfer. C'était le destin, il n'épargnait personne.


Moros : esprit de la fatalité.

⊱♛⊰


Hehe, c'est enfin le grand retour d'Arès meets Hadès. Hm, alors quoi dire... Vous avez aimé le chapitre ? 

On entre dans la troisième "partie" de l'histoire, celle qui la clôturera. Je dois dire que plus j'avance et plus ça me fait bizarre de me rapprocher du petit mot "fin". Cependant pas d'inquiétude, il reste encore quelques chapitres avant tout ça :)

Jimin a des mots durs et maintenant que vous savez qui il est, je ne censure plus vraiment ses pensées. Ce sont les siennes, pas les miennes. Il en va de même pour tous les personnages de l'histoire (cf la nda du début).

J'espère revenir ici bientôt (et ne pas vous laisser sans update comme je viens de le faire) 😖

J'espère sincèrement que vous allez bien. Si vous n'êtes pas déjà en vacances, vous n'avez plus que quelques jours à tenir avant qu'elles n'arrivent ♡

Apophiis



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