Chapitre 31 : Arès
Bonne lecture ~
Le temps s'était suspendu autour de nous. Yoongi avait baissé le regard et contemplait maintenant le tapis de sol sous mes pieds. Dehors, le climat semblait s'améliorer. Les nuages s'éloignaient et peu à peu la Lune pointait le bout de son nez. La tête appuyée contre la vitre, je regardais la route qui était déserte. Aucune voiture n'était passée, et je me sentis soudain vraiment seul.
J'essayai de paraître détendu, alors que c'était tout le contraire. Mais, même avec la meilleure volonté du monde, Yoongi ne se ferait pas avoir. Il était trop malin pour ça.
Comment je pouvais être serein alors qu'il ne répondait pas à ma question ? Surtout que je ne lui demandais pas s'il avait acheté du riz. S'il savait pour moi, s'il était au courant de qui j'étais, pourquoi ne m'avait-il rien dit ? Pourquoi m'avoir empêché de partir ?
Qu'est-ce que ma présence lui apportait ?
— J'ai été adopté, déclara-t-il sans prévenir.
Je me tournai alors vers lui et avant que je n'ouvre la bouche il m'arrêta d'un regard.
— Je t'ai laissé parler, maintenant c'est à toi de m'écouter.
Il expira fortement, avant de fixer le mur en face de nous.
— J'ai grandi à Daegu et je n'ai quitté la ville qu'à mes dix-neuf ans pour venir ici. Le couple qui m'a recueilli avait l'âge d'être mes grands-parents. Mon enfance a été banale et le début de mon adolescence s'est passé comme pour de nombreux coréens. Ils ne m'ont jamais caché que je n'étais pas un enfant de sang, ils m'en ont toujours parlé. Avec des mots différents selon mon âge, mais j'ai toujours su que mes géniteurs n'étaient pas ceux qui m'élevaient.
Il ferma les yeux puis attrapa son paquet de cigarette pour s'en allumer une. De mon côté, je restai attentif. Yoongi ne parlait pas souvent, pas de lui en tout cas. Et s'il commençait par me raconter sa vie depuis son enfance, c'était que certaines de mes questions devaient trouver leur réponse dedans.
— En grandissant j'ai commencé à douter de leur sincérité. Il y avait des regards qui me mettaient mal à l'aise ou des phrases qui restaient en suspens. Leur fille, ma soi-disant grande sœur, a vingt-trois ans de plus que moi et je n'ai jamais vécu avec elle. Quand je suis arrivé, elle avait déjà quitté le foyer. Quand elle venait rendre visite à ses parents, elle mettait une certaine distance entre nous. Au début, je pensais que c'était parce que j'étais adopté et qu'elle ne me connaissait pas dû à notre différence d'âge.
Un chat sauta sur le capot, nous faisant sursauter tous les deux. Le félin s'assit sur le devant de la voiture, comme s'il n'avait pas fait attention à nous, ou qu'il voulait aussi profiter de l'histoire de mon voisin.
Après un long moment de silence, Yoongi reprit :
— J'ai souffert de ce décalage. Mais son fils n'a que trois ans de moins que moi alors j'avais quelqu'un avec qui jouer lorsqu'ils venaient. En vrai, jusqu'à mes quinze ans je n'ai pas grand-chose à dire. Tout a basculé quand je suis rentré au lycée. Je me suis soudain mis à avoir besoin de réponse, savoir d'où je venais et pourquoi mes parents m'avaient abandonné. Dès que j'abordais le sujet, les explications étaient expéditives : « On sait juste que ta génitrice a accouché sous X » ; « On a aucune information qui les concerne » ; « Quand on t'a adopté, on a juste eu ton extrait de naissance ».
— Ils t'ont menti ? le coupai-je.
— Ils me l'ont montré, mon acte de naissance, reprit-il sans relever ma question. Effectivement il n'y a que mon prénom de noté dessus. La seule chose que j'appris grâce à ce bout de papier c'est que je suis né à Gwangju. J'aurais pu me contenter de ça, ça collait avec tout ce qu'ils m'avaient dit : le fait qu'ils n'avaient aucune photo de moi avant mes deux ans, que mes premiers papiers d'identités soient tamponnés par la préfecture de Gyeongsang et que je porte le nom de famille de mon père adoptif, Lee. Mais je ressentais au fond moi que je ne savais pas tout. Alors j'ai commencé à faire des recherches dans leur dos, en vain. Je ne trouvais rien.
Il s'arrêta un court instant pour tirer sur sa clope et regarder le félin, qui avait subitement disparu.
— Un soir mon neveu est venu dormir à la maison, il venait juste de fêter ses quinze ans. On a joué à play, on a mangé une pizza puis dans la soirée j'ai senti le besoin de me confier. De lui partager mes doutes et le sentiment qu'on me mentait depuis toujours. Il ne m'a pas jugé, il m'a simplement écouté et m'a finalement proposé de m'aider. Tae a toujours été passionné par le fait d'entrer là où il ne fallait pas. Une fois, il avait douze ans je crois, il a escaladé un grillage et est entré en pleine après-midi dans une réserve militaire. Autant dire qu'il s'est fait défoncer par ses parents et qu'il a bien compris que, physiquement, il ne pouvait plus se faufiler dans l'interdit.
Ses lèvres s'étirèrent en me l'expliquant.
— Alors il s'est mis à l'informatique. C'est un as, vraiment. Pour s'amuser il se lançait des défis : craquer les codes des fichiers du bureau de police, entrer dans le logiciel des notes de son collège, surfer sur le darkweb... En soi, c'est passer les barrières qui l'intéresse. Une fois qu'il a réussi, il fait machine arrière et ne fait jamais de connerie.
— Il ne fait que s'amuser, constatai-je.
— Juste une fois il a troqué sont vingt-quatre en maths contre un soixante-dix. M'enfin, il n'a jamais utilisé son talent d'hacker à de mauvaises fins. En tout cas, pas à cette époque. Du coup il m'a proposé de faire des recherches pour moi. Sur le moment, je me suis senti mal et je ne voulais pas accepter car il était jeune, mais même si je refusais sa proposition je savais que cette tête de nœud le ferait quand même. Alors on s'est lancé là-dedans à deux.
Je m'installai plus confortablement, et le fait qu'il écrase sa cigarette dans le cendrier et imite ma posture me conforta dans l'idée qu'il allait enfin passer la seconde.
— Au départ on ne trouvait rien. Je te passe les détails des heures qu'on a perdues à chercher sur différentes pistes qui se finissaient toujours par un mur. Mais un jour, une nouvelle voie s'est ouverte à nous. Une piste que je n'avais jusque là jamais soupçonnée et lui non plus.
D'un coup, je me raidis sur mon siège. J'avais une vague idée d'où pouvait venir ses parents.
— En mai mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze, il y a eu une exécution dans un réseau. Le chef et sa femme ont été retrouvés morts sur un terrain vague à une centaine de kilomètres de leur domicile, ça a fait la Une des journaux. La police a classé l'affaire en règlement de compte entre organisation et cette explication a apparemment convaincu tout le monde.
— À l'époque les flics ne devaient pas enquêter plus que ça, surtout dans ce milieux-là.
— Hm... Le truc c'est qu'en examinant de plus près cette affaire, on a trouvé des zones d'ombre. Déjà, un seul réseau était implanté à Gwangju même, et d'après les dires, personne n'osait venir se confronter à eux. Deuxièmement, les membres de l'organisation ont continué leurs vies sans vengeance. Toi qui vis dedans, si ton chef se prenait une balle, tu chercherais le coupable et lui ferais vivre un enfer, non ?
Gwangju ? Je ne connaissais qu'un seul réseau qui existait dans cette ville depuis plus de vingt-cinq ans...
— Puis le couple abattu avait un enfant. On n'a pas découvert ça sur le coup, c'est Tae qui m'a appelé un soir pour me dire qu'il avait du nouveau. Le bambin n'a jamais été retrouvé et la police a statué sur le cas de ce petit garçon : il a été déclaré mort sans qu'on ait retrouvé son corps. Et c'est là que j'ai commencé à faire le lien. Mon adoption, le vide de ma vie entre mes zéro et deux ans, la froideur de ma sœur, les messes basses... Je me suis persuadé que j'étais ce petit garçon, celui qu'on n'a jamais retrouvé.
— Pourquoi tu t'es persuadé de ça ? lui demandai-je, peu serein.
— J'ai bien fait de le faire.
Son ton me glaça le sang. Il venait de me répondre avec une froideur que je n'avais jamais vu chez lui.
— Alors j'ai décidé de confronter mes parents. Un soir je leur ai posé sur la table tous les articles, toutes les photos et les pièces de la police que Taehyung avait réussi à récupérer. Ils sont restés muets avant de baisser la tête. C'était un aveu. Mais ça ne me suffisait pas. Je voulais la vérité, l'histoire entière. Alors je me suis assis en face d'eux et j'ai attendu. Et c'est mon soi-disant père qui a pris la parole.
Pour la première fois depuis le début de son presque monologue, il planta son regard dans le mien et ne lâcha pas. Je n'avais pas d'autre possibilité que de le soutenir et d'encaisser peu importe ce qu'il allait dire.
— Ma mère, ma vraie mère, était en fait leur fille ainée. Lorsqu'elle est partie en voyage avec des copines pour fêter sa majorité elle a rencontré mon père. Il était jeune, beau, séduisant. Apparemment elle est tombée raide dingue de lui et le fait qu'il soit à la tête d'un réseau ne l'a pas effrayé. Elle l'a rejoint dès qu'elle a pu, contre l'interdiction de mes grands-parents. Ils ont essayé de la raisonner mais elle n'a rien voulu savoir. Elle est partie et a coupé les ponts avec eux et sa petite sœur. Ils n'ont jamais eu de nouvelle jusqu'au jour où la tuerie est passée au journal.
Je me sentis comme percuté par une énorme masse. Le puzzle venait de se reformer dans ma tête.
Une exécution, la tête d'un réseau.
— Le lendemain, un homme a sonné chez eux. Ils ne le connaissaient pas et mon grand-père l'a envoyé chier avant qu'il ne leur dise qu'il travaillait pour Min Hyunwoo, mon père. C'est ma grand-mère qui a finalement ouvert la porte et c'est là qu'ils ont appris pour mon existence et qu'ils m'ont recueilli.
— Un homme ? Quel homme ? voulus-je savoir.
— Tu n'imagines pas à quel point j'étais sonné. J'avais certes des doutes, mais au fond de moi je crois que j'espérais sincèrement me tromper. Parce que clairement, c'est plus facile de vivre avec l'idée que tes géniteurs n'ont jamais voulue de toi plutôt que de savoir que la vie ne leur à pas donné la chance de te voir grandir.
Je restai pendu à ses lèvres. Il parlait mais restait vague. Aucun nom ne sortait de sa bouche, pourtant c'était la seule chose que je voulais entendre.
— Le gars n'est pas resté longtemps. Il a présenté ses condoléances pour la mort de ma mère et a bien insisté sur le fait qu'on ne devait pas faire de lien entre moi et la tuerie. Il leur a aussi donné un contact qui leur a procuré de faux papiers d'adoption qui sont passés pour des vrais aux yeux de l'État.
— Yoongi, ce n'est pas que ta vie ne m'intéresse pas mais tu ne réponds pas à ma question en m'expliquant tout ça, le coupai-je une nouvelle fois.
Dès qu'il avait mentionné Gwangju, je savais pourquoi il m'expliquait en détail sa vie. Cependant, je sentais aussi qu'il s'amusait à faire traîner ses explications. Qu'il prenait bien son temps, examinant mon visage pour voir s'il trahissait une quelconque angoisse.
J'étais angoissé, oui. Mais bizarrement, j'arrivais plutôt bien à gérer. La seule chose que je voulais savoir, c'était pourquoi il m'avait gardé avec lui tout ce temps. Qu'est-ce que je lui apportais ? À quoi je lui servais ?
Même si je me faisais déjà une petite idée, j'avais besoin de l'entendre de sa bouche.
— J'y viens, enchaîna-t-il. D'après eux, mes parents, les vrais, ont été assassinés sous la demande d'un de leur ami et les recherches de Taehyung ont confirmé ça. C'est même pire, ça serait le meilleur ami de mon père qui a donné l'ordre. J'aurais dû mourir ce jour-là aussi.
— Qui, Yoongi ? Arrête de tourner autour du pot et dis-moi qui a fait exécuter tes parents.
Il ne m'écouta pas.
— Toute ma vie est partie en fumée. Tout ce que je croyais n'était que fabulation et mon existence entière était basée sur un mensonge. Alors j'ai tout quitté. Je suis venu au Japon pour m'éloigner de ma famille et de la Corée. J'ai rencontré les Kim en cherchant du travail et je crois que ma nature m'a rattrapé au galop. Lorsque l'on né fils de mafieux, on est mafieux.
Cette pensée lui décrocha un rire, un rire qui personnellement m'énerva.
Il jouait encore avec moi. Ça se voyait dans la façon dont il évitait de me répondre. Il continuait son cirque sous mes yeux, et comme un enfant qui attendait le tour suivant, je restais devant lui, muet. Sauf que je n'avais jamais voulu assister à son numéro. Il m'avait piégé, et ce depuis le départ.
Monsieur Loyal était fort. Il m'avait appâté devant les barrières, puis les avait fermées dès que j'étais entrée sous son chapiteau.
Je bouillais littéralement de l'intérieur, j'allais explosé.
— Je n'ai pas réussi à avancer. Je suis resté bloqué sur cette histoire et un sentiment étrange que je n'arrivais pas à définir me bouffait de l'intérieur. J'ai fini par comprendre que j'avais juste soif de vengeance. C'est Seokjin qui me l'a montré. Il m'a demandé clairement ce que je voulais et ma réponse a été rapide et honnête : rendre la pareille à ce connard qui m'a volé ma famille.
— Arrête de jouer avec mes nerfs, et dis-moi son foutu nom ! craquai-je.
— T'as vraiment besoin que je te le dise ? me défia-t-il.
Bien sûr que je voulais qu'il crache son nom. Je le connaissais par cœur, c'était celui que je notais sur toutes mes fiches de renseignement à l'école. La personne à appeler en cas de problème, celle chez qui j'étais domicilié. Mais sans savoir pourquoi, j'avais ce besoin de l'entendre de sa propre bouche.
S'il ne le disait pas, ce n'était pas réel. Ce n'était qu'une interprétation que je faisais. Mais s'il le disait, si elles sortaient de sa bouche, alors tout exploserait. Tout, littéralement. À commencer par moi, puis nous. Notre relation, notre pacte, la cohabitation.
Tout était un mensonge. Une fabuleuse mise en scène dont j'avais le rôle principal sans même le savoir.
Je devais faire de la peine à voir. Le sang de Riyō colorait encore ma peau par endroit, mes yeux devaient être injectés de sang, le sentait ma sueur perler au bord de mon front et tout mon corps était sous tension. Une vraie boule de nerf.
— Mon père était à la tête des Dragons, Jimin, finit-il par lâcher. L'homme qui m'a sauvé s'est présenté comme un certain Kyun, et celui qui a tué mes parents n'est nul autre que Park Songyoung.
Je pris ma tête entre main, les coudes posés sur mes cuisses.
Hoseok m'avait prévenu, Namjoon y avait fait allusion, Seokjin s'en était délecté. Même Yoongi, je pense, avait déjà essayé de me glisser deux-trois indices. Et malgré tout ça, malgré toutes les pièces que j'avais eu en main, j'avais été incapable de recréer le tableau.
Je voulais fuir, partir, dormir ou n'importe quoi d'autre, mais je voulais arrêter de penser. Sauf que, j'avais beau être épuisé, à la limite de la rupture avec un nœud énorme au ventre et une boule qui compressait ma poitrine, il y avait une dernière chose que je voulais savoir :
— T'as pas répondu à ma question. Pourquoi tu m'as gardé avec toi ?
— Quand tu m'as dit ton nom, j'ai vu une opportunité de le faire souffrir comme moi je souffre. Je savais que ta mère était la tante de Riyō, que ton existence est une insulte à leur sang. Alors ça a fait tilt dans ma tête. Si je t'ai gardé au départ, c'était pour te donner aux Suraisuburēdo. Ils l'ont butée, alors pourquoi ne le feraient-ils pas avec toi ? Des parents contre un fils, ça me semblait juste.
Arès : Dieu de la guerre, de la brutalité et de la vengeance.
⊱♛⊰
Alors, hm... Comment vous dire que je suis en stress total ? Oui, oui je stress de ouf... Le mystère n'est plus et vous savez enfin qui est Yoongi... et pourquoi garder Jimin à ses côtés et si important pour lui.
Qu'est-ce que je peux vous dire d'autres... Que l'histoire n'est pas encore terminée ? :)
En vrai, vous imaginez la suite comment vous ? (je précise que mon plan est bouclé depuis un moment et que je ne changerai rien, c'est juste pour avoir une petite idée de ce que vous imaginez)
Avec tout ça, j'ai oublié de vous demander si vous allez bien (quelle auteure en carton je suis) !
Prenez soin de vous, et à très vite pour la suite,
Apophiis
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