Chapitre 28 : Aporie
J'allais devenir dingue.
Qu'est-ce que je foutais ? Pourquoi fallait-il toujours que je me retrouve à fuir ?
Adossé contre la table, je regardais ma valise, prête, sur le lit. Elle me faisait de l'œil, et ce serait faux de dire que je n'avais pas envie de l'attraper et de me casser avec. Cependant, si j'étais capable de me barrer et qu'une partie de moi n'attendait que ça (en quelque sorte), l'autre se voyait dans l'incapacité d'abandonner Yoongi.
C'était plus que le bordel dans ma tête. Une idée venait constamment en contredire une autre et, comme un con, j'attendais droit comme un piquet que la solution me tombe du ciel. Sauf que j'étais bien conscient que les cieux n'avaient rien à m'offrir. Si une quelconque entité peuplait l'infini, je n'avais aucune valeur à ses yeux. C'était bien la seule chose dont j'étais certain.
Mes options, je les avais toutes listées, et pas une ne se démarquait des autres.
Premier choix, faire comme me l'avait dit Hoseok : partir. J'avais de l'argent, une arme et une fin de nuit pour disparaitre dans la nature. La seconde, retourner à l'entrepôt, seul, et voir ce que je pouvais trouver comme indice. Me lancer dans la cage aux lions sans savoir combien ils étaient dedans. Et pour finir, celle qui me tentait le moins même si c'était la plus raisonnable, appeler Seokjin. Le prévenir et voir ce qu'il m'ordonnait de faire.
Mais, si mon choix était de retrouver Yoongi, la première devait être éliminée. S'il était de le revoir vivant, seule la deuxième était réaliste. Le temps que les Kim arrivent de Tokyo ou me dénichent des renforts, il pouvait mourir mille fois.
Je me sentais impuissant et pourtant je n'avais pas d'autre solution, il fallait que je me lance. Que je me mette un énorme coup de pied au cul et que je fonce en direction de ce hangar maudit. Je perdais du temps à rester ici. Un paramètre qui lui était vital.
Vital, c'était le mot. Ce fut d'ailleurs celui-ci qui me décida à enfin quitter la chambre. En une demie seconde je me précipitai vers mon sac (comme si je prenais enfin conscience de la réalité qui m'entourait) pour récupérer l'arme que j'avais planquée dedans.
Il me l'avait confiée car il pensait que j'étais celui qui en aurait eu le plus besoin. Mais, s'il l'avait gardée, ou que l'on ne s'était pas séparés, je ne serais pas là à stresser comme un malade sur son sort.
Ça n'avait aucun sens, d'ailleurs. Jamais je n'aurais filé mon propre flingue à quelqu'un. Une arme, c'était sacrée. On ne sait jamais quand on peut en avoir besoin ni même si dans les mains d'un autre elle ne se retournerait pas contre nous. Soit il était con comme un manche à balai, soir il me faisait suffisamment confiance pour me la laisser et me tourner le dos.
Dans les deux cas, son geste me paraissait fou, il me laissait perplexe.
Une goutte de sueur dévala ma tempe avant que je ne l'essuie d'un revers de manche. Pourquoi je stressais autant ? Je perdais les pédales depuis quelques temps. Tout ce que j'avais appris, tout ce que je m'étais donné du mal à contrôler durant de longues années se faisait la malle. Je n'arrivais plus à gérer la pression, l'angoisse. Mon sang froid aussi, ça faisait un bail que je ne l'avais pas vu.
Le plus flagrant, c'était ma main tremblante. Tendue dans le vide au-dessus du sac, je la voyais faire de petits à-coups remuant l'air environnant. Il fallait que je me détende, que je reprenne une respiration normale. Pour ce faire, je fermai les yeux et essayai de ne penser à rien. J'imaginais au loin un océan, bleu azur, venir caresser un banc de sables fins. Je n'étais pas vraiment là-bas, en tout cas, je ne m'y voyais pas, mais le tableau était magnifique.
Il n'y avait pas de bruit parasite, seuls quelques mouettes volaient au-dessus de l'eau qui frémissait par endroit. Comme dans un anime, le soleil brillait au zénith et ce coin perdu au milieu de mon imagination scintillait. Peu à peu, je sentis faiblement mes épaules se relâcher. Ça fonctionnait. Peut-être une minute supplémentaire et je pourrais rouvrir les yeux et reprendre le contrôle de mon corps.
Mais tout se dissipa soudainement quand le bip de la serrure magnétique retentit dans la pièce.
Mon rythme cardiaque s'accéléra, me paralysant instantanément sur place. Mon bras se remis à trembler, ma tête était figée et la peur se déversait à nouveau en flux continu dans mes veines. La bouche ouverte, j'avais de mal à respirer. Je ressentais beaucoup trop de choses, comme si mes poumons se remplissaient d'humidité jusqu'à manquer cruellement d'oxygène pour me maintenir en vie.
C'était fort, oppressant, et je me voyais déjà m'étaler au sol, comprimé sous l'air de la chambre. Puis, j'eus un déclic, un instinct de survie, et je réussis à tourner la tête vers l'entrée.
Durant un instant, je crus que j'hallucinais.
Il était ici, devant moi.
Si c'était là l'œuvre de mon imagination, ce n'était pas drôle et encore moins rassurant.
La silhouette restait silencieuse, immobile. Ses yeux fixaient ma main (celle qui attendait dans le vide depuis son irruption) sans ciller. Son teint était pâle, encore plus que dans mes souvenirs alors que ça ne faisait même pas quatre heures que l'on s'était séparés.
Il était statique, impassible. À tour de rôle, son regard passa de mon sac à mon visage plusieurs fois avant de se stopper sur mon bras. On resta ainsi quelques secondes, comme un tableau éphémère qui reprit vie quand la porte claqua.
Je n'avais même pas remarqué qu'il la tenait en main avant qu'elle ne lui échappe des doigts.
— Yoon...
Sans prononcer un mot, il s'avança dans la pièce alors que beaucoup de question me brûlaient les lèvres : comment était-il rentré ? Qui étaient ces japonais ? Comment s'était-il enfui ? Pourquoi n'avait-il pas crié pour m'avertir que l'on s'était fait cramer ?
J'avais besoin de réponses, de savoir si nous devions quitter rapidement l'hôtel ou si, au contraire, on était en sécurité ici. Mais il ne m'en laissa pas le temps. Il me passa devant, me bousculant légèrement (sans s'excuser), récupéra une serviette dans l'armoire avant de partir s'enfermer dans la salle de bain.
Je restai sans voix.
Ce ne fut que quarante-cinq longues minutes plus tard qu'il en sortit, la serviette nouée autour des hanches. Toujours avec le visage fermé et sans faire à attention à moi, il se dirigea vers son baguage. Je remarquai que quelques bleus parsemaient sa peau. Mais, vu leurs couleurs, ils dataient de plusieurs jours. Mis à part son arcade un peu éraflée et sa joue gonflée, il n'y avait aucune trace de coup récent sur son corps.
Il n'avait pas non plus l'attitude de quelqu'un que l'on avait torturé, donc il s'était forcément échappé de leur prise. Comment ?
Dos à moi, il attrapa un t-shirt puis un jogging et s'en vêtit. Ses cheveux mouillés goutaient sur le tissu gris de son haut, tachant ce dernier de part et d'autre.
— Tu comptais aller quelque part ?
Je sursautai. Sa soudaine prise de parole me surpris et il le remarqua. Son regard agrippa le mien avant qu'il ne me jeter mon sac au pied.
— N-non. Plus maintenant.
— Ah... Ne change pas tes plans pour moi, m'annonça-t-il avec amertume.
À quoi il jouait ? Il se foutait de ma gueule ?
Il se laissa tomber sur le matelas, face à moi, sans me quitter des yeux.
— Vas-y, casse-toi. T'as la clef de la porte, des fringues, du fric. Qu'est-ce que tu attends ?
— J-je...
— Hm ?
Ses sourcils se haussèrent. Il attendait une réponse, un geste. Mais je n'en avais pas. Je n'avais pas d'explication à lui donner. Ça serait suicidaire de lui parler de Hoseok. Il faudrait que je reprenne tout depuis le début, que je lui explique toute ma vie depuis le départ et pourquoi j'étais ici aujourd'hui.
— Comment tu leur as échappé ? changeai-je de sujet.
— Pourquoi t'as fait ton sac ? cracha-t-il.
Je soufflai en me pinçant l'arrête du nez. Il n'allait pas me lâcher avec cette histoire.
— Je ne savais pas quoi faire. J'hésitais entre revenir seul ou appeler les Kim, je... Je me suis préparé à toutes les éventualités, mentis-je à moitié.
J'étais incapable de dire s'il m'avait cru ou non, mais en tout cas, il ne me demanda pas plus d'explication. Celle-ci semblait lui convenir. Il se leva et vint vers moi. Il récupéra sur la table son paquet de cigarette et s'en alluma une avant de s'asseoir sur le fauteuil.
— T'as fait diversion, reprit-il plus calmement. Quand ils t'ont entendu, ils m'ont lâché des yeux et j'me suis cassé par une porte de secours qui était au fond de la salle. J'ai pas su rejoindre le grillage par où l'on est passés en arrivant alors j'me suis réfugié sous un pont. J'ai attendu puis je suis rentré.
— Simple comme bonjour.
— Je suis le roi pour disparaître. Depuis tout petit, tous ceux qui m'ont cherché ont eu du mal à me retrouver.
— J'en suis ravi pour toi, tu devais être imbattable à cache-cache.
Il rit, simplement.
— Content de voir que tu es en vie.
Son ton se fit plus doux, plus honnête.
— Heureux de savoir que tu l'es aussi.
Nos regards s'accrochèrent à nouveau, sans haine cette fois-ci. C'était reposant. D'un coup, toute l'agitation qui m'ébranlait depuis le début de la soirée disparut. J'inspirais à fond, me délectant du calme qui revenait peu à peu autour moi. Être sous tension, sans interruption, c'était épuisant. Je pouvais tenir encore quelques jours mais pas une semaine. Je me connaissais et au bout d'un moment, mon corps me ferait comprendre que j'avais besoin de repos, physique et mental.
Il jeta le briquet sur la table et attrapa son ordinateur.
— Qu'est-ce que tu fais ? demandai-je.
Il tapa frénétiquement sur son clavier avant de s'arrêter promptement.
— Viens voir.
Je quittai alors la table et vins me tenir debout à côté de lui.
— Assieds-toi.
Il écarta ses jambes et donna une petite tape sur la cuisse qu'il me tendait. Un peu étonné, je l'interrogeai avant de comprendre que c'était là qu'il voulait que je m'asseye.
— Lis le mail.
Ça ne me prit pas longtemps, il y avait à peine deux lignes.
— Un restaurant ? m'étonnai-je.
— Apparemment.
— Et tu penses qu'il va y aller avec elle ?
— Aucune idée. Mais si c'est le cas, c'est notre seule chance de les coincer ensemble.
— Ok. Et c'est quoi le plan, du coup ?
— T'as trouvé des trucs au hangar ?
Putain... j'avais complètement oublié. Je m'étais tellement focalisé sur lui que j'en avais délaissé le tableau. J'attrapai mon téléphone dans ma poche arrière et lui montrai le cliché que j'avais pris un peu plus tôt.
— Les enculés. C'est vraiment eux.
— Hm. Quand je suis revenu c'était pour te dire que j'avais mis la main dessus.
— Tu saurais expliquer où il est ?
— Dans la dernière salle.
Je sentis ses bras s'enrouler doucement autour de mon ventre et son menton se déposa sur mon épaule. Encore une fois, notre proximité me détendit. Je ne me faisais toujours pas à cette douce chaleur qui m'enveloppait dès qu'il touchait un bout de ma peau.
— Le plan, commença-t-il en chuchotant, c'est qu'on va appeler les Kim pour leur expliquer et leur envoyer la photo pour preuve. Après, ils se démerdent avec le tableau, c'est pas notre job de le ramener à Tokyo. Concernant Riyō et Ayame, on attend.
— On fout rien pendant deux jours en gros.
— T'as tout compris.
Et sur ces mots, il me claqua une bise sur la joue avant de m'éjecter de sa jambe et de partir s'allonger.
Deux jours plus tard, on y était. L'attente avait été longue, mais l'on pouvait enfin dire que notre excursion dans cette ville approchait de sa fin. Je me mettais même à espérer que Ayame n'ait pas menti et qu'elle soit réellement partie dans sa famille pour que l'on puisse rentrer le plus tôt possible. Je n'avais pas peur d'elle, ni de l'effacer de la Terre, contrairement à Riyō. Lui, moins je m'en approchais mieux je me portais.
Dans les faits, je ne le craignais pas plus qu'un autre. Cependant, je n'étais pas sur mon territoire et à deux contre une bonne centaine de yakuzas, nous étions condamnés. Les probabilités n'étaient pas de notre côté.
Yoongi prit un dernier virage à gauche avant de garer la voiture sur un parking. Devant nous, une haie et des arbres nous gâchaient la vue. Il avait stationné le véhicule dans un coin reculé, à l'ombre des regards et des lampadaires.
— Le restau est de l'autre côté de la route.
On sortit du véhicule et directement le froid me saisit. L'hiver approchait à grand pas, on le sentait. Je partis vers le coffre et récupérai un sweat que j'enfilai par-dessus mon pull déjà bien épais. Yoongi se couvrit aussi d'une couche supplémentaire avant de visser sa casquette sur son crâne. De mon côté, je rabattis ma capuche et nous nous mîmes en route.
L'enseigne regorgeait de client. Les tables, jusque devant les baies vitrées, étaient occupées. Seule la terrasse était déserte. Les serveurs donnaient l'impression de danser à travers les allées, et un véritable ballet de plats se déroulait sous nos yeux.
— Il n'y a plus qu'à attendre, maintenant.
— Il n'a réservé que pour deux ?
— J'ai pas plus d'infos que toi, Jimin. On a lu le même mail. De toute façon, même s'il n'est pas avec elle, on le prendra en filature. Ce n'est pas parce qu'elle n'est pas suspendue à son bras qu'elle n'est pas ici.
Une question me titillait depuis que l'on était partis.
— Et s'ils sortent tous les deux, on fait comment ?
Il tourna la tête vers moi et ses yeux me scrutèrent.
— Comment ça ?
— Pour les chopper.
— Tu vois la bagnole, là-bas ?
Je me tournai vers la direction indiquée et aperçus une voiture aux vitres teintées stationnée sur le trottoir.
— Ouais.
— Ce sont des mecs de Hyeon dedans. Il y en a huit en tout dans le secteur. Si jamais nos charmants amants se montrent ensemble, ils se chargeront de nous les amenés au club.
— Au club ?
— Une vieille boîte de nuit qui ne sert plus. Notre mission est de donner l'alerte si on les voit, puis de se rendre là-bas. Ce qui se passe entre ne nous concerne pas.
— Ok.
Après un moment silencieux où nous fîmes que regarder la façade du restaurant il souffla :
— Ça risque d'être long.
Ce n'était pas un avertissement, juste une constatation qu'il faisait d'ailleurs plus pour lui que pour moi. Il se recula et prit place sur un banc non loin de nous. Je l'imitai, et m'assis à ses côtés. Histoire de ne pas paraître trop suspect, je sortis une cigarette de ma poche et l'allumai. De mon autre main, celle qui restait bien au chaud dans mon sweat, je serrai fortement le pendentif que j'avais pris avec moi.
Jusqu'à ce soir je l'avais laissé dans le double fond de mon sac sans jamais l'oublier. Pourquoi ce jour-là et pas un autre ? Je ne savais pas, mais je sentais que si quelque chose devait mal se passer, ça serait maintenant.
J'avais espoir qu'il le porte sans trop poser de question, mais connaissant le personnage, je le voyais déjà me rire au nez en se foutant de ma gueule parce que je croyais en ces choses-là. Est-ce que j'y croyais réellement ? Je ne pense pas. Seulement, dans l'idée, ça m'aidait. Et je me sentirais rassuré s'il acceptait de le garder autour du cou. J'étais prêts à prendre le risque.
— Yoon- Ah, putain !
Quand je voulus me lancer, un gros coup de vent me glaça le visage et des sirènes se mirent à sonner au bout de l'avenue. Des lumières scintillèrent et se rapprochèrent jusqu'à ce que quatre voitures de flics nous passent devant et s'arrêtent quelques mètres plus loin.
— Reste tranquille, Jimin.
Il avait dû sentir que mon stress était remonté en flèche. Je n'arrivais pas à regarder autres choses et pourtant il n'y avait pas plus suspect comme comportement. Trois hommes sortir de chaque auto mais avec l'obscurité je ne voyais pas leur visage.
— Tu voulais me dire un truc ?
Seulement, une silhouette me paraissait familière. C'était peut-être qu'une intuition, quelqu'un qui lui ressemblait.
— Jimin ?
Une personne qui avait la même démarche, la même coupe de cheveux.
— Eh oh, Park. Tu m'entends ?
Ils se dirigeaient en ligne vers le restaurant. Peu à peu, ils furent éclairés par les néons et les lumières des enseignes qui clignotaient au-dessus du pavé et je pus discerner leurs traits. Des japonais, des japonais, des japonais.
— Bon, Jimin ! Tu bugues ou quoi ?
Mais les trois derniers, eux, ne l'étaient pas. Sur leur veste, les inscriptions étaient en coréen. Ils entrèrent dans le bâtiment, et ce fut quand Yoongi claqua des mains pour trouver mon attention qu'il tourna la tête vers nous.
Ce n'était pas une intuition.
Il était là.
— Jung...
Aporie : esprit de la difficulté, de la perplexité, de l'impuissance.
⊱♛⊰
Bonsoir, bonsoir, comment allez-vous ?
Je vous avoue que moi c'est un peu compliqué... La charge de travail est juste terrible mais bon, j'arrive au bout de mes études (je pense).
En ce qui concerne la suite de l'histoire... Mon dieux j'ai des sueurs froides. Pas tant que ce qu'il s'y passe soit terrifiant mais je vois déjà les scènes que je vais avoir à taper et je suis à la fois impatiente et pas pressée du tout 😅
M'enfin, il va bien falloir que je m'y colle !
Je vous souhaite une bonne soirée et vous dis à la prochaine 😉
Apophiis
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