Chapitre 21 : Comus
J'avais fait la gueule toute la nuit.
Après notre engueulade, je m'étais enfermé dans la chambre jusqu'au moment où Yoongi vînt se coucher. Je n'en avais clairement rien à taper qu'il mange seul devant la télé et qu'il se cogne la fin des recherches sans mon aide. À la sensation de son corps qui plongeait dans les draps je me tournai de l'autre côté n'ayant pas envie de le voir, ni même de parler.
Il me prenait pour un con.
Je pensais bientôt obtenir ma liberté, mais je venais d'apprendre que la date de ma fuite était encore repoussée. Avec en prime un aller simple pour la mort, trajet Osaka terminus locaux des coupeurs de têtes.
Ce n'était pas compliqué à comprendre, ces mecs-là décapitaient littéralement toute personne qui se permettait d'interférer dans leurs affaires. Pourquoi fallait-il que cela soit à nous d'y aller ? Si Jin avait un problème avec eux, qu'il s'y rende lui-même avec son chien. Mettre ma vie en jeu, je l'avais déjà fait, mais pour moi, pour Hoseok, pour mon père. Pas pour un connard que je connaissais à peine et qui me prenait pour son larbin ! Je ne suis pas un sacrifice ou une brebis égarée que l'on abandonne devant le loup pour sauver le reste du troupeau.
Et Yoongi dans tout ça ? Il n'avait pas bronché une seule fois, comme si c'était normal pour lui d'obéir aux ordres de ce cher Kim. Aussi simple que de faire couler un café. Par moment je me demandais s'il était totalement con, ou bien naïf. La seule chose qui l'avait un tant soit peu perturbée c'était la vente.
Qu'est-ce que j'en avais à battre de leur marché ? Je n'y gagnais rien à part me foutre un peu plus dans la merde. Et si une connaissance de mon père se trouvait aussi à cette réception ? J'étais mort et rien qu'à cette idée je sentais mon corps se tendre sous un nouvel effluve d'angoisse. Malheureusement pour moi je ne pouvais en parler, je devais garder mes peurs pour moi et gérer la situation en solo.
Jouer sur deux tableaux devenait de plus en plus difficile. Je ne pouvais dire qui j'étais sans me mettre en danger et d'un autre côté me taire amenait à la même conclusion. J'étais foutu quoi que je fasse. Il ne me restait plus qu'à prier pour qu'une bonne étoile me prenne sous son aile.
Alors j'avais ruminé sous la couette, pendant une bonne demi-heure après son couché. Persuadé qu'il dormait, je m'étais même mis à l'insulter à voix haute.
« T'es vraiment qu'un connard, avais-je soufflé. »
Il fallait vraiment que j'apprenne à me la fermer par moment.
À peine eu-je fini ma phrase qu'il se retourna et me surplomba de tout son corps, me maintenant fermement contre le lit. Une de ses mains s'appuyait entre mes omoplates, plaquant mon ventre au matelas, tandis que l'autre empoignait ma chevelure pour me faire relever la tête. Un léger cri de panique, plus sous la surprise que la peur, me quitta.
« Tu peux répéter ? »
Je déglutis sur l'instant. Pourquoi quand je voulais être seul, et surtout loin de lui, il fallait qu'il se colle à moi ? D'un j'étais toujours en colère, de deux, la position dans laquelle nous étions m'excitait un peu trop malgré les circonstances.
« T'es qu'un connard. »
Sa poigne se serra un peu plus, me tirant davantage les cheveux en arrière ce qui eut pour effet de me faire mal au cou, qui se cambrait beaucoup trop à goût. Un de ses genoux vint se loger en bas de ma colonne vertébrale, maintenant encore plus le haut de mon corps contre le drap.
S'il pensait avoir une quelconque emprise sur moi ce n'était pas de cette manière qu'il fallait procéder. Le seul moyen de me faire perdre pied était de jouer avec mes sentiments, et même si je commençais à en éprouver pour sa personne – il me restait encore à déterminer s'ils étaient bons ou mauvais – il ne semblait pas le remarquer car il n'utilisait que la force physique pour me faire flancher.
« Depuis le début tu me fous dans la merde sans aucun scrupule. Tu n'as même pas cherché à savoir ce que je voulais, si j'étais consentant ou non. Tu ne m'as pas une fois demandé si ça allait, si je savais dans quoi tu m'entraînais. T'es qu'un connard, Yoongi. Si jamais je crève, t'auras ma mort sur la conscience. »
Je ne lui demandais pas lune, juste qu'il comprenne que son petit jeu de l'hôte et du prisonnier m'agaçait de plus en plus et qu'au stade où nous en étions il m'était impossible de faire machine arrière et de l'abandonner. Je voulais qu'il arrête de me manipuler comme il le faisait car de toute façon je le suivrais quoi qu'il me demande.
Tout en gardant son emprise sur mon corps, il se courba et vint me murmurer à l'oreille une phrase. Une seule et unique phrase. Juste quelques mots qui me glacèrent le sang et qui aurait peut-être dû me mettre la puce à l'oreille.
« Ce n'est pas moi qui causerais notre mort, et ça tu le sais très bien, Jimin. »
Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'il ne finisse par me lâcher et reprendre sa place de son côté du lit. Je n'avais plus bougé, essayant de comprendre à quoi il faisait allusion.
Si les Kim semblaient impatients d'être à ce soir, moi c'était tout le contraire. Je ne la sentais pas cette soirée. Mais bien évidement Yoongi n'était pas d'accord pour que je reste bien sagement à l'appartement aujourd'hui. Presque deux mois que je voulais m'extirper de son taudis sans en avoir la possibilité et maintenant que je ne voulais pas le quitter, il me foutait à la porte.
C'est sans grande motivation de ma part qu'il m'embarqua dans une folle après-midi shopping. Même lui ne paraissait pas emballé par l'activité mais les festivités où nous étions conviés possédaient un code vestimentaire qui n'acceptait ni les jeans ni les pulls. Costume et robe étaient donc de mise, on était loin de mes incontournables slims troués et boots en cuirs.
On avait quitté l'immeuble vers quinze heures pour se rendre en centre-ville à la recherche d'une tenue sophistiqué pour chacun d'entre nous. Je m'attendais à devoir choisir entre trois smokings de basse qualité dans un magasin abordable pour la majorité de la population, mais semblerait-il que mon colocataire me surprendrait toujours.
Il avait évité les arrondissements populaires pour se rendre directement à Ginza, haut quartier des galeries d'Art et marques de Luxe. On déambulait dans les rues, passant devant des enseignes qui faisaient rêver la plupart des habitants du monde : Cartier, Burberry, Prada et j'en passe.
Je n'étais pas familiarisé avec ce genre de prestation et rien que les vitrines me semblaient irréelles, comme si je n'avais pas le droit d'y entrer. Yoongi s'arrêtait devant chacune d'entre-elles, examinant les produits exposés tandis que les vigiles nous observaient d'un mauvais œil. Il fallait admettre qu'on s'était habillé de manière habituelle, hoodies noirs et rangers, ce qui n'était pas vraiment à l'image de la clientèle habituelle des lieux. M'enfin, personnellement j'avais déjà rencontré des médecins vêtus comme des clochards et des aides-soignantes portant des rivières de perles. L'habit ne fait pas le moine comme on dit.
Mais il fallait croire qu'aucune des boutiques ne trouvait gloire à ses yeux. Il s'arrêtait quelques secondes, observait puis reprenait sa marche. On perdit presque une heure et demi comme ça à vagabonder de rue en rue sans entrer une seule fois dans un bâtiment.
Malgré le budget qu'il fallait avoir pour s'offrir ne serait-ce qu'une chemise dans l'une des enseignes présentes, la rue était pleine à craquer. Il était difficile de circuler, surtout quand les couloirs de marche n'étaient pas respectés. Ce n'était pourtant pas compliqué, quand on remonte la rue on marche à droite et quand on la descend on se fout à gauche ! C'est la règle de base, mais un bon nombre de japonais semblaient l'ignorer apparemment.
Je traînais des pieds derrière lui, je commençais à en avoir assez de trottiner sans but. Le plus rageant dans tout ça c'était qu'il ne faisait pas attention à moi. Il ne jetait pas même un regard par-dessus son épaule pour s'assurer que je suivais le rythme. Je pouvais m'arrêter, changer de rue ou carrément faire demi-tour qu'il ne s'en rendrait pas compte. Mais il était loin d'être idiot, il savait que je le suivrais comme un bon toutou, uniquement par crainte de me retrouver de nouveau face à un Namjoon enragé.
Cependant, si l'idée de me faire casser la gueule une seconde fois ne m'attirait pas, ce n'était pas la seule raison pour laquelle je restais bien sagement avec lui. Je crois qu'au fond je commençais à m'attacher à sa présence, un peu comme à un mirage. Je m'harponnais de plus en plus à l'image sachant pertinemment qu'elle était fausse et qu'elle ne causerait que ma perte. Je développais un vrai petit syndrome de Stockholm...
Il finit par entrer dans une enseigne à l'un des carrefours principaux du quartier. Je m'arrêtai un instant pour observer la devanture. Dior. C'est qu'il ne fait pas dans la demi-mesure le Min, je n'avais même pas les moyens de m'offrir une chaussure dans cette boutique. Mais si c'est ici qu'il voulait trouver son ensemble, je pouvais me permettre de jeter un coup d'œil aux produits. Lorsque je franchis les portes, un vigil referma l'entrée à clef.
Très rassurant comme ambiance...
Une douce musique raisonnait dans les lieux donnant un air encore plus noble, si cela était possible, à la marque. J'avais perdu le blond de vue, mais je ne m'inquiétais pas plus que ça. Il devait sûrement déambuler dans les allées à la va vite pour se faire une première idée sur la marchandise. Ici, les présentoirs ne comportaient pas un nombre infini de produit, c'est à peine si quatre cintres se battaient en duel sur une barre de fer d'un mètre de long.
Le rez-de-chaussée semblait être réservé aux femmes, sur la partie droite était présenté des robes d'une classe incomparable tandis qu'en face, à gauche, des paires d'escarpins et de bottines étaient exposées sur des étagères d'un bois lisse et clair. Je me rendis vers les escaliers pour rejoindre la section homme.
Petit problème, fallait-il monter ou descendre ?
La question pouvait paraître idiote, mais je n'étais jamais entré dans un magasin comme celui-ci, tout me paraissait nouveau. C'était même trop. Trop propre, trop rangé, trop sophistiqué et surtout beaucoup trop cher pour moi. Je restai figé devant les marches de marbre, ne sachant lesquelles emprunter. Un vendeur vînt à ma rencontre, surement pour m'aider. D'un autre côté il ne fallait pas être devint pour comprendre que j'étais perdu dans cet endroit, j'étais même étonné que les portiers nous laissent entrer sans nous demander nos cartes d'identités.
Il m'indiqua que le rayon homme se situait au niveau moins un, alors je m'y rendis après l'avoir remercié. En bas des marches, le décor était différent du précédent, mais toujours aussi classe. Les murs dépourvus de fenêtre étaient en pierre. Le plafond était fait de voutes et des lustres très vieille Europe diffusaient assez de lumière pour éclairer convenablement. Je fus scotché devant la sobriété de la pièce. Il n'y avait pas un cadre, ni même une statue en décoration.
Les vêtements étaient exposés par thème et je ne mis pas beaucoup de temps à trouver Yoongi qui se baladait au milieu des costumes. Il s'était planté au milieu de secteur et tournait sur lui-même examinant chaque détail. C'était bizarre de le voir ainsi, jamais je n'aurais imaginé qu'il puisse avoir l'habitude de ce genre de boutique, surtout qu'il ne possédait qu'un seul smoking dans son armoire.
« Qu'est-ce qu'on fout ici ? dis-je en le rejoignant.
- On cherche une tenue pour ce soir, ça me paraît logique.
- Chez Dior ? T'as les moyens ?
- L'argent n'est pas un problème, par contre on n'a pas le temps pour les retouches va falloir trouver un truc à notre taille dans l'heure. »
Il m'abandonna de nouveau avant de revenir vingt minutes plus tard accompagné d'un employé de la marque. En l'attendant, je m'étais installé sur l'un des sièges disponibles dans un coin de l'espace pour naviguer sur internet. Chose que je n'avais pas faite depuis ma fuite, j'avais tapé mon nom dans la barre de recherche et plusieurs articles étaient apparus en coréen et japonais. La plupart parlaient d'un avis de recherche déposé par mon père deux jours après ma disparition, c'était un bon moyen pour mettre la main sur moi. Surtout que j'étais majeur et que le numéro à contacter était celui de mon paternel. Mais lorsque je changeai mon nom contre celui des Dragons, une multitude de liens s'afficha sur mon écran. La descente policière dans nos locaux avait fait la une des quotidiens et des journaux télévisés, qui semblaient se réjouir de la mort de certains membres. Je scrollai pour lire les titres avant de tomber sur « L'héritier du réseau a disparu : mort ou fuite ? ». J'allais cliquer pour accéder à l'article quand Yoongi m'interpella.
« Jimin, aux cabines d'essayages. »
Finalement, j'étais rentré avec un ensemble de la marque de haute couture. Après m'avoir fait essayer plusieurs ensemble, Yoongi avait décidé de ma tenue avec le vendeur qui l'accompagnait. Je ne savais pas trop si cela m'allait réellement, je n'avais jamais vêtu ce genre d'habit. Cependant j'admets que mon reflet dans le miroir me plaisait. C'était juste très différent.
Il avait opté pour une chemise noire en soie avec quelques détails de dentelle au niveau du col et un pantalon en coton cintré à la taille de la même couleur. Des chaussures en cuir ciré d'un rouge bordeaux finissaient la tenue. C'était sobre et classe. Lui s'était prit un smoking des plus banal. Veste et pantalon à pince noir avec un chemise blanche. Il avait payé pour nous deux et nous étions rentrés à l'appartement.
Je finissais de m'habiller quand il entra dans la chambre après avoir pris sa douche. Ses cheveux encore humides gouttaient sur ses épaules nues et seule une serviette était noué autour de sa taille. Je boutonnais le dernier bouton de ma chemise en me rendant vers la porte pour le laisser s'habiller.
« Ça te va vraiment bien. »
Je m'arrêtai pour le fixer un instant. Il avait l'air sincère pour une fois.
« Sur ce coup je te fais confiance, je suis très mal placé pour donner mon avis. La serviette te va bien aussi, tu devrais venir fringuer comme ça, tu ferais un carton.
- Je n'en doute pas, rigola-t-il, mais je ne veux pas abattre tous les prétendants dès mon arrivée, alors je vais quand même m'habiller. »
J'admirais le paysage par le rétroviseur et la ville de Tokyo disparaissait derrière nous, laissant l'obscurité prendre place autour de la berline. On n'avait pas beaucoup de temps de trajet, une petite demi-heure selon Yoongi qui connaissait déjà le chemin. Il était calme et décontracté, cette soirée devait être une banalité pour lui.
« Ils vendent quoi, les Kim ? »
Il déporta sa tête vers moi avant de la ramener sur la route.
« Tu verras quand on y sera. Mais si ça te rassure, ils ne font pas dans le trafic d'humain. »
C'était un bon point, mais cela ne calmait pas mon stress. Ma jambe tressautait sur le sol sans que je ne puisse l'arrêter et mes mains cherchaient constamment à s'occuper. Si j'avais été à Gwangju, j'aurais appelé Jungkook pour penser à autre chose. Je me serais rendu chez lui, on aurait baisé et mes angoisses auraient disparu. Le sexe était mon anxiolytique, chose qui me manquait le plus depuis que j'étais au Japon.
La voiture prit un virage que je n'avais vu venir, s'engouffrant sur un petit sentier perpendiculaire à la nationale. Sincèrement, si on ne savait qu'il était là, on ne le voyait pas. La route était bordée d'arbre obstruant totalement ma vision qui se dégagea lorsqu'on arriva devant un grand portail en fer forgé.
Derrière se dressait un énorme manoir de style occidental. C'était peut-être une architecture baroque ou gothique, je ne savais pas trop, mais c'était bien la première fois que je voyais ce genre de bâtisse en Asie. La propriété était encerclée par un mur d'enceinte d'au moins deux mètres de haut et lorsque la grille s'ouvrit, je pu constater que le jardin s'était transformé en parking de grosses cylindrés.
Cette soirée allait dérailler, je le sentais.
Comus : Dieu des fêtes et des festivités.
⊱♛⊰
Salut !
Je sais cela fait un mois que ne n'ai pas posté mais j'étais en grande remise en question avec le chapitre que vous venez de lire car en vérité, c'est le début d'un très long chapitre que j'avais en tête. Je l'ai donc scindé et vous aurez la suite au prochain (celui-ci fait déjà 2800 mots).
J'espère qu'il vous a plu,
Prenez soin de vous
Apophiis
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