Chapitre 19 : Philotès

Deux semaines venaient de s'écouler.

Quatorze jours à me traîner entre la chambre et le salon sans foutre un pied dehors. Yoongi n'était pas tant sorti que ça non plus. Il passait ses journées sur son ordinateur, à fouiller encore et encore dans les bases de données du pays pour trouver les locaux des Suraisuburēdo sur Osaka.

On avait pas mal avancé dans nos recherches. Lui s'était concentré sur les déplacements, les hangars et les lieux clés de leur organisation. Moi je devais établir une sorte d'arbre généalogique du réseau. Trouver les noms et les places de chaque membre, les reliant entre eux sans oublier les personnes tierces rattachées.

La nuit commençait à tomber et je me sentais vidé d'énergie. Rester des heures assis sur une chaise à confectionner des fiches succinctes sur la vie de plus d'une cinquantaine de personne n'était pas chose facile. Je devais faire attention aux informations que je notais, car elles étaient nos seules savoir. Si je me plantais sur une d'entre elles ou que j'en oubliais une assez importante, on pouvait se retrouver dans la merde.

J'accrochais une nouvelle fiche au mur, une vie de plus entièrement analysée. Tout ce que je fis de plus fut de la rattacher aux autres. J'avais créé un véritable damier de photos et de ficelles, un peu comme dans les films policiers, sauf que là on ne jouait pas.

Yoongi ferma son ordinateur avant de s'étirer. Il se leva, s'habilla de sa veste en cuir puis partis vers l'entrée.

« J'ai quelqu'un à voir, ne m'attend pas ce soir. »

Je le regardais, appuyé contre le bar. Je ne faisais plus de réflexion, je ne cherchais plus à sortir. Ces discussions nous épuisaient plus qu'elles nous servaient. Je n'avais pas mon mot à dire, je restais ici et lui pouvait partir quand il le désirait.

« Repose-toi, Jimin, t'es épuisé. »

Il attendit une réponse que je ne lui offris pas. Ma seule réaction fût de décroiser les bras avant de me tourner pour m'installer à nouveau devant mes fiches. Il souffla puis la porte claqua.


J'attendis environs une heure avant de me munir de mon cellulaire. J'avais longtemps hésité à passer ce coup de téléphone. J'avais peur d'arriver au mauvais moment, de ne pas tomber sur la bonne personne. J'avais peur aussi que le numéro ne soit plus le bon. J'avais tout simplement peur d'être déçu, d'être réellement seul.

Je me rendis dans les paramètres de l'appareil afin de cocher la mention « masquer le numéro ». Si jamais le correspondant n'était pas celui que j'espérais, il serait plus compliqué de me localiser en traçant l'appel. De plus si la ligne avait été réattribué à une personne honnête, elle ne chercherait pas à me recontacter et serait tenue loin de toute cette histoire.

Je quittai les réglages pour me rendre sur le pavé tactile de composition. J'inscris la suite de chiffre – que je connaissais par cœur – et après une grande inspiration, je lançai l'appel.

Ma ligne se connecta au réseau et quelque part en Corée, un téléphone sonnait. Les cinq bips sonores passèrent très lentement. J'attendais une réponse. J'avais besoin qu'il décroche. Le simple fait d'entendre sa voix me ferait du bien.

C'était mon seul point d'encrage, la seule personne qui reliait Choi Jimin à Park Jimin. Mon seul lien avec la Corée, avec les Dragons. Les battements de mon cœur se répercutaient dans mes tempes. J'étais stressé, bien plus que je ne l'aurais imaginé.

L'appel se termina par le fatidique « Le correspond demandé n'est pas joignable. Veuillez rappeler plus tard. ». Je regardai l'écran noir se fermer pour atterrir sur celui de l'accueil avec toutes mes applications. Sans réfléchir je repartis dans la section « téléphone » pour relancer le numéro.

Je repositionnai mon cellulaire à mon oreille encore plus angoissé qu'avant. Je me rongeais les ongles de la main gauche pour garder le contrôle, enfin j'essayais. Une sonnerie passa, suivie d'une deuxième. J'avais la sensation que ma vie ne reposait que sur cette conversation.

J'avais besoin de le savoir en vie et en bonne santé. J'avais besoin de savoir comment allaient les autres, ce que prévoyait mon père. Connaître les informations qu'ils avaient me concernant. J'avais besoin de réponses.

La troisième sonnerie puis la quatrième tintèrent dans le combiné. Je ne rappellerais pas une tierce fois, c'était trop suspect et surtout démotivant. Et alors que je crus que tout espoir était perdu, une voix remplaça le dernier bip.

« Allô ? »

Je m'étais figé. Ma main libre avait rejoint mon cœur comme pour le retenir. Le supplier de ne pas flancher et de rester bien en place.

« Allô ? répéta-t-il.

- Ho... Hoseok ?

- Jimin ?! »

Sa voix... J'avais presque oublié son côté éraillé en à peine un mois.

« Oui c'est moi... Tu... Bordel Hobi t'es vivant !

- Oui je le suis... Et je vois que toi aussi ! Putain mais Chim, j'ai essayé de te contacter au moins dix fois, j'peux savoir pourquoi tu m'as pas rappelé avant ?! »

Son timbre se trouvait mélangé de joie et de colère. Depuis mon départ j'avais complètement disparu des radars et les évènements ne m'avaient pas permis de le joindre avant. Il m'en voulait pour ce si long silence, je le percevais d'ici.

« J'ai jeté mon tel dans l'Ara-kawa quand je suis arrivé. J'pouvais pas prendre le risque d'être traqué.

- Et il t'a fallu plus d'un mois pour en racheter un ?

- C'est un peu compliqué Hobi... J'suis pas tout seul ici et j'peux pas faire ce que je veux... »

J'avais baissé la voix par peur d'être entendu. Yoongi n'était toujours pas rentré et il y avait peu de chance que les murs lui répètent. Cependant, je n'étais pas à l'abri que Jin ou le Min lui-même ait eu l'idée de placer des enregistreurs dans l'appartement.

« Comment ça t'es pas tout seul ? T'es encore à Tokyo ?!

- Oui... Je n'ai pas réellement pu quitter la ville. C'est compliqué comme j'te l'ai dit, je me suis retrouvé embrigadé dans une histoire avec les Suraisuburēdo et-

- Les Suraisu... Non mais Jimin, t'es malade ?! me coupa-t-il.

- J'te dis que j'ai pas choisi ! Ça m'est tombé dessus sans que je ne puisse faire quoi que ce soit ! »

Je l'entendis expirer, probablement parce qu'il était rassuré. Rien que sa respiration me détendait. Je n'aurais jamais pensé qu'un simple coup de téléphone pouvait être bénéfique à ce point.

« J'suis tout seul chez moi. Explique-moi, j'ai cinq minutes.

- Il se peut qu'on soit coupé. Je... Si jamais je raccroche subitement, tu ne t'inquiète pas mais c'est qu'il sera rentré.

- Qui ça il ?

- Yoongi. Je vais t'expliquer, t'inquiète pas.

- Ok, je t'écoute. »

Je devais tout lui dire. J'avais une confiance aveugle en lui et si jamais je la perdais, autant sauter d'un pont car plus jamais je ne pourrais avoir foi en quelqu'un.

« Quand je suis arrivé je suis tombé sur un gars qui était au tel et qui disait ne pas avoir besoin de frics, or moi il m'en fallait. En gros je lui ai demandé de me filer le contact pour faire le taf. Il a refusé et j'me suis cassé. Ce soir là quatre gars mon suivis dans la rue. Comme d'hab j'ai fait le mariolle et j'ai pris branlé. Je me suis réveillé le lendemain dans un appartement sans savoir qui m'avait pris chez lui. Je te passe les détails mais c'est ce Yoongi. C'est aussi lui le mec du bar. Bref le soir quand il est rentré il n'a pas voulu que je parte car j'étais trop blessé. Je suis donc parti le lundi et je me suis retrouvé dans un squat de camé pendant cinq jours avant de retourner chez lui.

- Pourquoi tu es reparti chez lui ?

- Il m'avait posé un ultimatum. En gros si avant le vendredi à minuit j'étais chez lui, il m'aiderait mais pas dans le cas contraire. Donc j'y suis retourné, il est coréen lui aussi. Sauf que je me suis retrouvé un peu séquestré. Quand il partait, il fermait la porte à clef et quand il était là aussi. Il gardait ce foutu bout métal autour du cou, même pour dormir !

- Non mais déjà d'où t'as accepté l'ultimatum d'un inconnu, toi ?

- Je ne sais pas, j'étais perdu Hobi... Mais c'est pas ça le plus inquiétant. Le gars qui avait besoin de lui tu sais pour le boulot à faire dont je t'ai parlé ? Bah il travaille pour d'autres coréens qui sont en liens avec Yoongi, Seokjin et Namjoon. En gros le boulot c'est d'enquêter sur sa copine qui éventuellement aurait un amant.

- Et donc ?

- Bah c'est le cas. Enfin pour l'instant on suppose, mais elle est liée aux Suraisuburēdo et notamment à Riyō Ishida et-

- Ishida ?! Mais Chim bordel, t'es con ou t'es con ?! Barre-toi de là tout de suite !

- J'peux pas Hoseok ! Si j'me casse ils me retrouveront et me feront la peau. J'ai pas d'autre choix que de finir cette putain de corvée !

- Et ça va prendre combien de temps ?

- Je ne sais pas. Je suis pas en ligne directe avec Jin et Namjoon, c'est Yoongi qui fait l'intermédiaire et qui me donne les infos. Enfin, les infos qu'il a envie que je sache quoi. Bref pour l'instant je suis bloqué sur Tokyo avec lui. »

Je fermai les yeux, attendant sa réponse. S'il y avait une personne que je ne pouvais concevoir de décevoir, c'était bien lui. J'étais perdu ici. Je ne maîtrisais rien et j'avais l'impression de faire faux pas sur faux. Connerie sur connerie...

« D'un côté c'est pas plus mal. Ton père sait que t'es parti au Japon et il te cherche. Il a mis une vingtaine d'homme sur ta piste. Mais aux dernières nouvelles il ne te cherche pas à Tokyo, il pense que t'es parti au Nord.

- Il veut ma mort ?

- Je sais pas Chim... Il pense que tu es responsable tout ce merdier. Ce soir-là, dix-sept gars sont morts, dont Jisung et Jaewook...

- Putain...

- Le réseau tient debout parce qu'on a une bonne trésorerie mais faut quand même qu'on le remette vite sur pieds, surtout que les Jumok commencent à démarcher avec nos vendeurs. On a tout perdu tu sais. Les armes, les hangars, le QG, tout y est passé.

- Les femmes et les enfants ?

- Ils n'étaient pas là. Kihyun les a envoyés à Hwasun dans sa maison secondaire, pour l'instant ils sont protégés là-bas. Nous on reste sur Gwangju. La maison de tes parents a été prise par les flics du coup celle de Joheon sert de bureau.

- Ok... »

J'encaissai les informations. La chute du clan, la mort des hommes que je connaissais, la mise à prix de ma tête par mon propre géniteur. On n'avait pas beaucoup de temps, autant lui que moi. Même si l'on pouvait rester encore un moment en conversation, nous ne le devions pas. Les puces pouvaient être piratées, les appartements piégés et nos vies en danger.

Après un long silence, une dernière question me vint en tête.

« Tu l'as revu ? J'veux dire, il bosse encore sur le dossier ? 

- Jungkook ? Je l'ai croisé une ou deux fois, et oui il est encore sur le dossier. Tu sais ton père n'est pas le seul à vouloir ta peau, la police aussi te cherche. Mais il semblerait que tu aies une bonne étoile dans les deux camps.

- Hm... Toi je sais que tu brouilles les pistes, mais lui j'en suis pas sûr...

- Il sait que tu es au Japon, les flics te cherchent sur Séoul. Il fait de son mieux pour les embrouiller. Je te rappelle que ce soir-là, s'ils ne t'ont pas choppé c'est parce que t'étais dans son lit. Si ses supérieurs l'apprennent, il est bon pour la taule le p'tit agent.

- Il ne mérite pas... Il a essayé de m'avertir mais c'était trop tard...

- Je ne le porte pas dans mon cœur mais il n'a pas l'air mauvais. Il fait juste son taf. »

Il se protégeait, il risquait gros avec cette histoire. Si la vérité explosait, son corps serait retrouvé avant qu'il ne soit jugé pour avoir enfreint le règlement des forces de polices.

« Bon j'vais devoir te laisser, Chim. On a une réunion pour la suite... Passe-moi ton num que je puisse t'appeler.

- J'vais t'envoyer un message mais jamais tu ne m'appelles sans que je te donne mon accord. J'sais pas si j'peux faire confiance à Yoongi. Par message, utilise le code qu'on avait avant.

- Ok. Prends soin de toi et casse-toi le plus rapidement possible de chez lui.

- Je ne compte pas rester à son crochet encore bien longtemps, on a pas mal avancé sur le dossier. »

Alors que j'allais raccrocher, sa voix m'appela.

« Jimin ?

- Hm ?

- Tu l'aimes ? Enfin... tu l'as aimé ?

- Jungkook ?

- Oui.

- J'sais pas... Sûrement, sinon je n'y serais pas retourné. Mais si ta question est de savoir s'il en valait la peine, la réponse est non. Ça ne valait pas dix-sept hommes...

- Fais attention à toi Chim, je t'aime.

- Je t'aime aussi mon frère. »

Après avoir enregistré le numéro et envoyé le message je partis dans la cuisine me servir un verre d'eau. J'étais soulagé. Je retrouvais une partie de moi que j'avais laissé en Corée. Hoseok allait bien, il était en vie. Cette simple information m'en donnait d'autres comme le fait que personne ne se doutait qu'il m'avait aidé à fuir.

Dans cette histoire je n'étais pas le seul à mettre ma vie en jeu. Hoseok et Jungkook marchaient aussi sur un fil, en espérant ne pas tomber. Je ne pouvais m'empêcher de croire que ce n'était que part ma faute qu'ils se retrouvaient là. Si je ne l'avais jamais rencontré, tout ceci ne serait jamais arrivé. Remarque, je ne serais peut-être plus de ce monde...


J'expirai la fumée par la fenêtre du salon. La nuit était magnifique. Le ciel complètement dégagé offrait une vue imprenable de la voie lactée. J'étais assis sur le rebord, les jambes recroquevillées sur mon torse et l'appartement complètement dans le noir.

Yoongi fût surpris de me trouver là lorsqu'il rentra. Le calme et l'obscurité lui avait fait penser que je dormais, mais ce soir-là je n'y arrivais pas. Malgré le soulagement que la conversation m'avait offert, je n'en restais pas moins inquiet. Qu'allais-je devenir ?

Il se rapprocha de moi avant de lui aussi enjamber l'ouverture pour s'asseoir les jambes dans le vide.

« Je peux t'en prendre une ? »

Il était fatigué aujourd'hui. En même temps, il ne se reposait pas beaucoup. Il dormait moins que moi et pourtant je ne cumulais pas grand nombre d'heures de sommeil.

« Oui vas-y. »

Il fuma sa cigarette sans un bruit. On appréciait tous les deux l'aspect reposant du moment. Il en avait besoin autant que moi. Je me mis à détailler ses traits tracés par l'éclat de la lune.

« À quoi tu penses ? »

J'encerclai mes jambes de mes bras, les ramenant au plus proche de mon torse pour déposer mon menton sur mes genoux.

« À l'après.

- L'après ? s'étonna-t-il en se tournant dans ma direction. »

Son regard se perdit dans le mien. Ou alors c'était l'inverse. Je voguais dans ses iris comme sur une mer agitée. J'avais une dernière question à poser aujourd'hui, et celle-ci était pour lui.

« Est-ce qu'un jour tu me laissera partir ? »


Philotès : Dieu de l'amitié et de l'affection (ainsi que du rapport sexuel).

⊱♛⊰


Et voilà chers lecteurs, la suite tant attendu depuis plus d'un mois et demi ! J'ai écris le chapitre hier, d'une traite ! Pour vous dire à quel point cette fiction m'avait manquée...

J'espère qu'il est à la hauteur de votre longue attente...

Prenez soin de vous, comme toujours !


Apophiis

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