Chapitre 18 : Ésa
« Tu as faim ?
- Non. »
Il souffla.
Trois jours étaient passés et depuis Yoongi ne m'avait pas lâché d'une semelle. Pourtant ce n'était pas faute d'avoir essayé de me retrouver seul, mais qu'importe l'endroit de l'appartement où je me trouvais, il venait toujours se coller à moi.
Le vendredi, lendemain de cette fameuse nuit qui m'en avait fait voir de toutes les couleurs, j'étais resté au lit réduit à un état de légume par la douleur qui se nourrissait de mes muscles. J'avais refusé de manger et surtout d'ingurgiter une nouvelle pilule qu'il me tendait.
Il s'était alors installé sur l'autre place du double couchage avec son ordinateur portable sur les cuisses. Il parcourait des pages internet à la recherche d'adresses et de lieux dont je n'avais jamais entendu parler et encore moins visité. La plupart des endroits se trouvaient être à Osaka ou ses alentours. Je connaissais à peine Tokyo alors me repérer dans une autre préfecture était peine perdue.
Quand l'obscurité commença à prendre en otage la ville, je fus secoué par l'envie de me passer sous la douche. Le sang séché n'était pas la meilleure des sensations pour commencer une bonne nuit et aux nombres de tâches sur les draps, il fallait urgemment les changer. Cette lubie me passa bien vite lorsque je voulus me mettre en position assise. Je n'avais aucune force dans les jambes et mon abdomen semblait se déchirer de l'intérieur. La douleur était si présente que les larmes me montèrent.
« Qu'est-ce que tu cherches à faire, là ?
- Je veux prendre une douche, grinçai-je. »
J'étais coincé dans cette position, mi-allongé mi-assis, sans pouvoir effectuer un mouvement de plus. Tout mon poids reposait sur mon avant-bras gauche qui avait lui aussi subit sa part de traumatisme et dont la résistance me semblait peu solide sur le coup. Ma respiration commençait à s'hachurer quand le blond, que je n'avais pas senti quitter le matelas, se positionna devant moi.
« Et tu crois vraiment que t'es en état de t'occuper de toi tout seul ?
- Aide-moi au lieu de faire l'intéressant. »
Ses bras passèrent sous mes aisselles et, avec la sensation de me faire écraser la cage thoracique par un conteneur, il me mit sur pied. Je m'accrochai à sa nuque n'ayant aucune confiance en mon centre de gravité à cet instant. On resta ainsi quelques minutes avant qu'il ne me demande si je pensais avoir la force d'atteindre la salle de bain en marchant.
J'examinai la distance alors que je savais déjà qu'elle n'excédait pas les dix mètres. Cela me paraissait infaisable mais il était hors de question que je me laisse porter par lui, ce ne serait que lui donner satisfaction de m'avouer dépendant.
L'avancée fut bien périlleuse comme je l'avais prédit mais au moins je savais que je pouvais encore marcher – avec le soutien de Yoongi certes, mais au moins mes articulations n'étaient pas foutues. Mon visage n'était pas si amoché que ça, enfin ça allait, j'avais connu pire. La plupart des dégâts se trouvaient sur la portion basse de mon faciès avec une grosse partie de la mâchoire presque noir et les lèvres explosées mais mon nez et mon front ne semblaient pas trop mal.
« T'as fini de t'admirer, Quasimodo ? »
Je relevai mes yeux vers lui, à travers le miroir positionné au-dessus du lavabo. Son dos était appuyé contre la porte et il avait croisé les bras sur son torse. Son regard me transperçait et la situation ne m'enchantait guère. Ce fut pire quand mon esprit me rappela les évènements qui s'était produit la dernière fois que je m'étais retrouvé seul dans cette pièce avec lui. Je mis fin au contact visuel qui commençait à peser lourd dans la pièce en essayant d'enlever mon t-shirt, seul. Mauvaise idée, je me retrouvai coincé, les bras à demi relevés et le tissu à mi-visage.
« Besoin d'aide peut-être ? me nargua-t-il.
- Ta gueule et viens. »
J'imaginai très bien le sourire narquois qui devait fendre son visage. Quel con. J'étais sûr que de me voir à ce point démuni de mon indépendance gonflait son égo déjà bien présent dans son esprit. J'en faisais aussi peut-être trop, à vouloir absolument lui tenir tête en toute circonstance mais son comportement pouvait me toucher comme m'exaspérer. Il était une personne très complexe à cerner, voir même quasi incompréhensible ou alors ce n'était que moi qui n'arrivais pas à déchiffrer son mode d'emploi.
Le fait qu'il travaille en solitaire mais aussi en partenariat avec d'autres coréens était quelque peu étrange. Si monsieur préférait se la jouer perso, d'autres ni voyaient pas d'inconvénient et surtout ne se gênaient pas pour l'embaucher à mi-temps. Ce qui était le plus surprenant dans tout ça, c'était qu'une personne comme Seokjin fasse appel à lui. Soit Yoongi était un As dans son domaine soit le Kim et lui possédaient une relation qui m'était jusqu'alors inconnue. Et c'était sur ce point que j'avais un doute.
Yoongi était un personnage bien complexe et ses relations relevaient d'un mystère digne d'une des plus grandes enquêtes de la CIA. Mais comme partout il y avait un hic, une faille que je n'avais pas encore trouvée mais qui m'aiderait à comprendre le fonctionnement même de sa personne. Qui était-il au fond ? D'où venait-il et que faisait-il seul à Tokyo ? Il parlait couramment coréen et ne semblait entretenir des relations qu'avec des personnes de même racine. J'avais beau vivre avec lui depuis plus de deux semaines il restait un parfait étranger à mes yeux.
« Lâche je vais le faire. »
Perdu dans mes pensées je ne l'avais pas senti se rapprocher. Il m'ôta en premier mon t-shirt avant de rapidement me défaire de mon jogging, qui en réalité était le sien. J'étais à bout de force, ma fierté en prenait un coup mais mon bien être passait avant tout. Je baissai les armes une fois de plus devant lui et pourtant je n'étais pas celui qui se tenait à genoux devant l'autre. Sa main remonta ma cuisse avant de s'arrêter sur l'élastique de mon boxer.
« Qu'est-ce que tu fous ?
- Je ne sais pas, j'hésite.
- Touche moi et je te jure que je te casse la mâchoire. »
Il rit jaune un instant avant de se redresser et de me toiser de son regard noir que je fuis en fermant les yeux. Ses mains se positionnèrent sur mes hanches avant de lentement faire descendre mon sous vêtement le long de mes cuisses, l'abandonnant à sa chute au milieu de celles-ci tandis que ses doigts ne se privèrent pas de pendre le chemin inverse jusqu'à leur place initiale.
« Ose me dire que tu n'y as pas pensé, murmura-t-il. »
Je pris une grande inspiration avant de souffler bruyamment devant sa tronche. Bien sûr que j'y avais pensé, et dire que l'image ne me plaisait pas serait un mensonge. Mais si la proposition éveillait mon désir, sa finalité ne me procurait que l'envie de lui foutre mon pied dans les burnes.
Je le poussai sur le côté pour attraper la porte de la cabine et prendre place à l'intérieur. Il m'aida à trouver une position stable avant d'ouvrir la pression. Les premières coulées d'eau étaient gelées et seul mes pieds furent en contact avec – je gardais encore un très mauvais souvenir de ma dernière douche glacée. Une fois la température plus agréable Yoongi commença à me mouiller partout avant de reposer la poire de douche sur son support.
« Je t'aide pour les jambes et le dos, par contre tu te démerdes pour le reste.
- Merci de le préciser, grognai-je. »
Je commençai par mes cheveux qui paraissaient plus gras qu'un burger et dont l'odeur me titillait les narines. Entre la pluie, la poussière de l'entrepôt et le sang séché ce n'était pas du luxe de s'en occuper. Pendant ce temps, ses mains frottaient mes mollets avant de venir s'atteler à mon dos tandis que je me lavais le torse.
« Il serait peut-être utile d'aller à l'hôpital, pensa-t-il à haute voix.
- À l'hôpital ? Non. »
Ses mains se baladaient sur ma peau, reliant les différentes marques qu'il m'était impossible de voir. Dans un sens il n'avait pas tort et je ne serais pas surpris d'apprendre que certains de mes os soient fracturés ou cassés, mais me retrouver dans un hôpital était l'une des choses les plus dangereuse qui pouvait m'arriver. Je devais absolument éviter tout lieux publics et d'autant plus en journée.
« Jimin... souffla-t-il d'exaspération. Ce ne sont pas de simples bleus que tu as sur le corps. Certes tu marches encore mais Namjoon n'a pas tapé sans provoquer des lésions internes.
- Je ne veux pas, un point c'est tout. Et puis me sors pas l'excuse des blessures internes, ça fait presque vingt-quatre heures. Si vraiment mon état t'inquiétait, on y serait déjà allé. »
On était samedi aux alentours de midi et Yoongi avait réussi à me traîner je ne sais comment aux urgences. À notre arrivée il s'était dirigé vers le bureau d'accueil après m'avoir indiqué de m'installer dans la salle d'attente. En face de moi se tenait un homme au bord de l'agonie selon lui, la grande blague. Le cher petit monsieur c'était tordu le genou. L'entendre geindre à chaque mouvement de sa jambe me donnait l'inévitable envie de lui trancher la carotide pour lui donner une bonne raison d'hurler comme une truie à l'abattoir. Heureusement pour lui que je n'avais pas de couteau sur moi.
C'est fou à quel point la majorité des hommes n'a aucune résistance à la douleur, il n'aurait pas tenu une journée dans ma peau celui-là. De l'autre côté, une famille patientait avec un enfant qui lui semblait vraiment au bord de l'évanouissement.
Devoir attendre au milieu de la cour des miracles me titillait les nerfs et j'en venais à me demander si j'avais la force nécessaire pour me barrer avant que le blond ne se ramène. La réponse était non et pourtant je rêvais de me faire la malle. J'aurais pu essayer, ne serait-ce que de me rapprocher de la porte de sortie mais quand je me décidai à enfin bouger Yoongi prit place à côté de moi.
« Tu leurs a sorti quoi comme connerie pour justifier mon état ? »
Pour la fuite c'était foutu, je noyais le poisson comme je pouvais mais je voyais bien qu'il avait compris ce que j'avais en tête. Son sourire pouvait paraître affectif et innocent aux yeux des autres mais il n'en était rien en vérité.
« J'ai dit que tu étais mon coloc, reprit-il, et que je t'ai trouvé comme ça se matin en rentrant de chez mes parents.
- Quelle imagination, me moquai-je.
- En tout cas, ils ont eu l'air de me croire.
- Encore heureux. T'as donné quel nom pour le dossier ?
- Choi. Jin m'a filé tes faux papiers quand ils nous ont déposé jeudi. »
Je me tournai vivement vers lui. Il avait mes papiers ? Et il comptait m'en informer à quel moment exactement ? Éventuellement c'était l'une des raisons qui faisait que je ne pouvais me déplacer librement dans le pays, en d'autres termes c'était ce qui me bloquait avec lui.
J'étais sonné. Il ne m'accorda pas un regard, se murant dans le silence en observant les japonais qui attendaient leur tour. Plus le temps passait, plus l'idée de m'être fait piéger germait dans mon esprit. Il y avait trop d'incohérence, que cela soit dans ses actions ou ses paroles, des choses qui montraient que je n'étais pas simplement un mec qu'il avait embarqué au hasard dans une affaire entre Mafia et Yakuza.
« Monsieur Choi ? »
Je mis quelques temps à comprendre que l'homme en blouse blanche m'appelait. Il répéta deux fois ce nom, qui maintenant était mien, avant que je ne me manifeste en m'excusant de mon manque de réaction. Yoongi m'aida à avancer jusqu'au brancard où l'infirmier m'installa avant de me traîner dans un couloir interdit d'accès au public.
« Alors, les résultats ? »
Je le fusillais littéralement du regard. Sept heures... Sept putains d'heures pour une auscultation, une radio et un scanner. Il fallait rajouter à ça mon visage découvert et mes faux papiers entre les mains d'un médecin, j'avais littéralement angoissé durant tout l'examen.
Et comme si ça ne suffisait pas, il avait fallu que des flics viennent se balader dans les couloirs pour s'assurer qu'il n'y avait aucun débordement. Certains patients réagissaient mal aux médocs tandis que d'autres arrivaient déjà bien imbibés. La cour des miracles. Je déteste l'hôpital.
Mon sang n'avait fait qu'un tour quand une patrouille s'arrêta en face de mon emplacement. Ils ne faisaient rien de mal, ils papotaient avec des infirmières qui semblaient dépassées par les évènements. Une heure plus tôt, trois mecs complètement drogués avaient été apporté par les pompiers. De ce que j'avais entendu, ils s'étaient mis sur la gueule pour une histoire de dose non payé. J'avais bien ri, si même les dealers se mettaient à consommer ce monde n'en mènerait pas large. Un p'tit rail de temps en temps je dis pas, mais si tu commences à prendre la cams que tu vends, c'est la fin de ton business.
« Je m'en sors bien apparemment. J'ai deux côtes fêlées, une vertèbre déplacée, une entorse au genou gauche et les os métacarpiens droits broyés.
- Et faut faire quoi pour tout ça ?
- Rien. Les côtes vont se soignées seules, un ostéo m'a replacé la vertèbre, pour le genou et la main il faut juste aller cherche des atèles. Y-a une ordonnance avec les antidouleurs en plus dans le dossier. »
Il acquiesça puis prit la route de l'appartement sans oublier de faire un détour par la pharmacie du quartier.
« Tu as faim ?
- Non. »
Il balança la casserole sur le plan de travail avant de venir se poster devant moi.
« Tu comptes me les briser longtemps avec ta mauvaise humeur ? s'emporta-t-il. »
Je ne répondis rien, j'étais épuisé. Entre le traitement que m'avait prescrit le médecin, le manque de sommeil et la douleur permanente je n'en menais pas large et je n'avais pas la force de lui tenir tête. Cependant je n'avais pas non plus envie de dire oui à tout ce qu'il me proposait par pur besoin d'avoir la paix.
« Bordel, Jimin ! Ça fait trois jours que tu ne bouffes rien, et avec ton traitement c'est pas conseillé d'avoir le ventre vide. Prends au moins du riz, non ? »
Comment j'en étais arrivé là ? Je ne parlais pas des actions qui m'avaient mené chez lui, je parlais de moi, ma personne. Comment, avec l'éducation que j'avais eu, je m'étais dit que crécher chez un mec solitaire serait une bonne solution ? Pourquoi j'étais revenu ? Pourquoi j'avais fui même ? Ça ne me ressemblait pas. Au contraire, ma fugue aggravait mon cas plus qu'autre chose, ça me rendait coupable.
« Jimin. »
Je relevai la tête vers la sienne et dans cette position il paraissait bien plus grand que moi. Je fis pivoter le tabouret de bar sur le côté – je ne voulais pas me déclencher un torticolis, j'avais mon lot de douleur pour le mois – me retrouvant face à lui. Est-ce que j'avais besoin de lui ? Dans un sens oui, il m'avait permis d'économiser mon argent et d'acquérir une nouvelle identité mais y avait-il plus ? Mes vieux démons refaisaient surface et j'en venais à me dire qu'ils n'avaient peut-être pas tort.
« Tu te sers moi, n'est-ce pas ?
- Comment ça ?
- T'as pas un gramme de bonté dans l'âme. Ma présence ici, ma personne... Tu dois forcément en tirer profit à un moment, non ? »
Sa bouche s'ouvrit sous le choc de ma question ou suite à la perspicacité de ma réflexion. Moi j'avais la tête qui commençait à tourner, je devais surement faire une crise d'hypoglycémie. On se toisa un long moment sans couper le lien qui unissait nos regards. Je devais faire peine à voir et lui semblait avoir était touché en plein cœur. Le miens se mis à battre anormalement vite et cela ne présageait rien de bon. Pour moi en tout cas.
Je voulais me tromper, réellement. Avoir fait fausse route dans mon empilement d'idées et sa réaction me donnait un petit espoir, mince mais bien présent, qui fus balayé par sa voix quelques secondes plus tard.
« Oui. Oui Jimin j'en tirerais profit. »
Les sentiments rendent faible, Jimin. Il faut savoir déshumaniser l'autre, il n'y a que comme cela que tu arriveras à tes fins.
Ésa : Personnification du sort et du destin.
⊱♛⊰
Et voici le dernier chapitre posté sur mon premier compte. Cela signifie que si vous êtes un ancien lecteur, le prochain chapitre sera donc inédit. En espérant que la suite vous plaise autant que jusqu'à maintenant.
Apophiis
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