Chapitre 17 : Hypnos

J'étais secoué de droite à gauche par les chocs entre les roues de la voiture et le bitume crevassé de la route qu'empruntait Namjoon. Je m'étais réveillé quelques minutes auparavant, sonné et complètement désorienté. Mon corps me lançait de toute part et je ne pouvais exprimer ma douleur car ma mâchoire refusait de s'ouvrir. Yoongi remarqua mon retour parmi eux et m'avertit de feindre encore l'évanouissement et me passant sa main sur les yeux.

J'étais allongé sur la banquette arrière, la tête reposant sur ses genoux. J'avais du mal à respirer, mes poumons et mes côtes me faisaient vivre un véritable supplice à chaque inspiration. Je ne savais pas combien de temps j'étais resté dans le monde des songes, mais ce retour à la réalité était le plus brutal que j'avais vécu.

J'étais dans un état léthargique. Mon corps se battait à chaque seconde pour ne pas flancher. Chaque parcelle de ce dernier me lançait et garder le silence devenait de plus en plus compliqué. J'avais du mal à déglutir et pourtant ma bouche ne cessait de se remplir d'un visqueux mélange de salive et de sang, tapissant mon palais et ma langue d'un goût acre de fer.

Jin avait le regard absorbé par l'écran de son téléphone, faisant défiler les informations à une vitesse déroutante. Yoongi lui, me caressait la joue de sa main droite qui se perdait par moment dans mes cheveux. Je ne comprenais vraiment pas son comportement, il changeait en un claquement doigt, me surprenant à chaque fois.

Il m'avait en tout premier lieu ignoré puis sauvé d'un passage à tabac, séquestré, amusé, embrassé le cou, fait travailler avec lui pour finalement me rendre dingue dans son taudis. Il s'était ensuite montré beaucoup plus doux, limite attendrissant, m'avait branlé consciemment dans sa salle de bain, emmené dehors pour boire un verre puis violenté dans sa cuisine avant de me chercher à travers tout Tokyo pour me menacer. Il s'était ensuite totalement effacé, laissant les Kim me mettre dans un état catastrophique et maintenant il me choyait comme un enfant.

J'étais perdu.

Dans le genre bipolaire, il pouvait prétendre au podium sans aucun problème.

« Tu comptes en faire quoi quand on en aura fini avec Riyō et Ayame, Yoongi ? »

Mon sang ne fit qu'un tour lorsque je sentis ses ongles s'enfoncer dans ma peau. La question de son aîné le prenait de court et maintenant il réfléchissait.

Trop.

Trop longtemps pour que ce ne soit anodin. Il cherchait ses mots, la tournure de sa phrase. L'angle à adopter, le chemin sur lequel il voulait s'engager, mais pourquoi c'était si long ? Pourquoi prendre autant de précaution pour une simple réponse ?

Jin releva son regard pour l'observer à travers le miroir du pare-soleil. Je fus assez rapide pour fermer mes paupières car il ne sembla pas remarquer que je ne dormais plus. Par contre, Yoongi le savait et ce fut à cet instant que je compris la latence, la réflexion du blond. Il allait mentir.

Mais à qui ?

Aux Kim ou à moi ?

Je devenais impatient. Je voulais entendre ses mots, les décortiquer, les changer de place, comprendre leur sens pour lire entre les lignes. Répond. Ses doigts se mirent à nouveau en route sur mon crâne et il se réinstalla sur son siège.

« Il aura ce qu'il mérite.

- Et que mérite-t-il d'après toi ? »

Un frisson parcourut mon corps lorsque sa main se positionna sur ma gorge. Il y exerça une légère pression sans pour autant me faire mal ou m'empêcher de respirer. Les micros réactions de mon corps devaient l'amuser pour qu'il m'accorde autant d'attention. Ne recevant aucune réponse, Jin se racla la gorge avant d'enchaîner.

« J'ai contacté Taehyung hier.

- Pourquoi ?

- Pour savoir si le nom de Park Jimin lui était familier. »

Yoongi stoppa ses « caresses » dans mon cou pendant un instant puis ses doigts retracèrent la ligne de ma jugulaire.

« Et qu'a-t-il répondu ? S'enquit-il.

- Qu'il n'avait jamais entendu parler d'un quelconque Park.

- Bien, te voilà rassuré alors.

- Du coup j'ai demandé à Jaehyo de mener quelques recherches. »

Son index marqua une pause au niveau de mon oreille avant de doucement longer la courbe de ma mâchoire pour finir sa course sur ma lèvre inférieure.

« Il a trouvé des choses intéressantes. »

Je sentais la pulpe de son index se déplacer de gauche à droite sur ma bouche. L'ambiance dans l'habitacle devenait oppressante. Plus les secondes passaient, plus je devenais tendu.

« Et qu'a-t-il découvert ?

- Notre cher ami ici présent n'a pas un passé tout rose. Je dirais même qu'il traîne une jolie brume noire derrière lui quand il marche. Jimin appartiendrait à un monde semblable au not- »

Je me mis brusquement à tousser à plein poumon pour reprendre mon souffle après cette intrusion. Yoongi venait d'enfoncer deux de ses doigts dans ma cavité buccale, appuyant longuement sur le fond de ma langue. J'ai cru que j'allais dégueuler sur le sol.

Le blond maintenait ma tête sur ses cuisses, m'empêchant ainsi de me relever. J'étais pourtant démangé par l'idée de lui demander ce qu'il foutait mais je n'en fis rien. Je voulais savoir ce que ce Jaehyo avait trouvé, car si les Kim en savaient plus que ce que j'imaginais sur moi, le peu de sécurité qui m'accompagnait depuis mon arrivée venait de s'envoler en un coup de vent.

« Notre cher ami vient de se réveiller, constata Jin.

- On est arrivé de toute façon, affirma Namjoon. »

Effectivement la voiture venait de se garer devant l'immeuble de Yoongi. Ce dernier ouvrit la portière et après avoir déclipsé son ceinturon de sécurité, il quitta le véhicule. L'air frais pénétra dans la bagnole, me déclenchant une crise de frissons. Il se retourna et m'attrapa par la taille, instinctivement je passai mes bras autour de sa nuque pour m'agripper comme je pouvais avec les maigres forces qui me restait.

Il me souleva et je me retrouvai tel un koala sur un arbre. Seokjin lui remit mon sac avant de repartir s'installer à l'avant. Yoongi attendit que les phares de la berline disparaissent au coin de la rue avant de regagner l'appartement. L'ascenseur était fonctionnel, pour mon plus grand bonheur. Il m'aurait fallu plus d'une heure pour monter les cinq étages et définitivement si le blond arrivait à porter mon poids en lignes droite, il n'aurait pas pu le supporter dans les escaliers.

Une fois dans l'appartement il me déposa sur le canapé et partit refermer la porte. À clef, bien entendu, avant de se rendre dans la cuisine. La douleur me prenait de partout, s'infiltrant dans mes blessures comme de l'eau dans une roche poreuse. C'était trop. Après les chocs venait le combat du corps pour soigner ses cellules meurtries. J'avais pris sur moi pendant le trajet mais là je ne tenais plus, et quelle était la réponse immédiate de l'être humain à la souffrance ? Les pleurs.

Je pleurais à cause de la torture que m'infligeait mes muscles. Je n'osais même pas regarder l'étendue physique des dégâts. Me voir balafré de toute part n'était pas vraiment réjouissant, alors je restai allongé sur le dos contre le cuir du canapé, ravagé par mes sanglots.

Yoongi se déplaçait dans l'appartement, il venait d'entrer dans la salle de bain. Il trifouilla dans les placards avant de revenir dans le salon et de déposer son butin sur la table basse. Si c'était un médoc je n'en voulais pas. Je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance ou pas. Si je devais me méfier ou non. Si je pouvais compter sur lui ou au contraire si je devais trouver un arrangement pour me casser d'ici.

« Enlève tes vêtements.

- Pardon ?

- Ton sweat et ton jean, tu les enlève, Jimin.

- Pourquoi ? Tu veux finir ce que tu n'as pas eu le temps de faire ? »

Je rouvris les yeux pour sonder son visage. Il me toisait, s'interrogeant sur le sens de ma question. Je n'étais pas idiot et j'avais sournoisement bien choisi mes mots.

« Je ne compte ni te branler, ni te casser les os. »

C'était une vérité ? Un mensonge ? Un mélange des deux ?

Qu'est-ce qu'il me voulait à la fin ?

J'avais beau chercher entre, fouiller au travers, remplacer ou analyser ses paroles je ne comprenais jamais où il voulait en venir. C'était comme ça depuis le début, limpide comme de l'eau de source et opaque comme un étang vaseux. Mon cerveau surchauffait et définitivement mes dernières forces m'abandonnaient peu à peu. Le manque de sommeil, de nourriture et l'angoisse permanente me pompaient toute ma présence d'esprit et ma vitalité.

Dans ces conditions, quand il me mit en position assise et qu'il s'agenouilla devant moi, je ne fis rien d'autre qu'observer ses mains agripper les pans de mon pull et de doucement me le retirer. L'action mit plus d'une trentaine de secondes à se faire. Il m'enleva les manches en premier, le plus délicatement possible, faisant bien attention aux angles qu'il faisait prendre à mes bras. Une fois fait, il me retira le tout en prenant bien le temps de faire passer ma tête par l'ouverture.

J'étais à présent torse nu devant lui, encore une fois. Je fus surpris de déjà voir les hématomes prendre place sous ma peau. J'avais beau être tatoué on distinguait pleinement les flaques de sang en coagulations qui parsemaient mon buste. Il les détailla un long moment de son regard neutre, passant à certain endroit, là où les coups avec la barre en métal m'avaient touché, l'extrémité de son index.

Puis il s'attaqua au bouton et à la braguette de mon bas. Je réussis à soulever légèrement mon bassin pour l'aider à me l'ôter. La zone autour de mes genoux ressemblait à une palette de peintre mais le plus inquiétant était l'arrière de mon mollet droit qui, dans ma chute, s'était ouvert avec le pied rouillé de la chaise. Une entaille de dix bons centimètres en longueur commençait à sécher. Mon ravisseur me tendit un t-shirt blanc.

« Met le dans ta bouche. Si tu hurles ça atténuera le bruit, j'ai pas envie que les voisins rameutent les flics. »

Je pris le linge et en fis ce qu'il me disait. Il attrapa un flacon contenant un fluide jaune vitreux et ce fut quand laissa le liquide se rependre dans mes plaies que je compris. Je poussai un hurlement entre la douleur et l'appréhension. Je vous mets au défi de plonger ne serait-ce qu'une entaille dans de l'alcool purifié.

Il désinfecta une à une mes blessures et chacun de ses gestes, pourtant doux et lent, fut accompagné par un grognement ou un gémissement de ma part. Quand il eut fini avec mon visage, il souffla un faible « désolé ». Je n'eus pas longtemps à réfléchir pour comprendre.

« Aïe ! Putain Yoongi ! hurlai-je.

- Je t'avais prévenu.

- Mais connard c'est ouvert sur un décimètre là ! Tu peux pas y aller par étape ?! »

Cet enfoiré venait de littéralement me vider la moitié du flacon sur l'entaille qui tranchait ma jambe. Je pris sur moi pour ne pas insulter toute sa famille où lui coller une droite avant de m'effondrer car cela me demanderait de l'énergie que je ne possédais point. Je souffris en silence deux minutes supplémentaire avant qu'il ne décide que la plaie avait été suffisamment nettoyé. Il la protégea d'un pansement, puis m'intima de m'agripper une nouvelle fois à lui.

Il me déposa dans son lit avant de revenir quelques secondes plus tard avec un verre d'eau et deux comprimés qu'il me présenta dans la paume de sa main. Il pensait sérieusement que j'allais accepter quoi que ce soit à ingérer venant de lui ? Devant mon refus flagrant d'accepter ses présents, il but la moitié du verre avant de me le tendre. Bon l'eau je pouvais l'ingurgiter sans problème, mais les cachets...

« Y-a un antidouleur et un demi anxiolytique, ça t'aidera à t'endormir. »

À bout de force et rêvant depuis bien longtemps à une douce et longue nuit réparatrice, je capitulai et pris les médocs qu'il me proposait.

« Je ne me couche pas de suite. Si tu as besoin je suis à côté. »

Il remonta la couette sur mon buste et après m'avoir calé avec deux coussins, il quitta la pièce qui plongea dans le noir. J'observais le ciel étoilé par la fenêtre, cette vue me détendit. L'immensité perdu dans la pénombre pourtant parsemée de lumière.


Hypnos : Dieu du sommeil.

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Apophiis

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