Chapitre 14 : Coalémos

Je me tenais à la porte du réfrigérateur pour ne pas m'écrouler au sol. La scène qui venait de se produire m'avait clairement ébranlé et je n'arrivais pas à m'en remettre. Que Yoongi possédait une certaine violence en lui n'était pas une nouveauté, mais qu'il serait allé jusqu'à l'utiliser dans un acte sexuel n'avait pas une seule fois effleuré ma réflexion.

Mon esprit était encore brumeux et je peinais à reprendre mon souffle. Mes membres avaient arrêté de trembler mais je n'étais toujours pas stable sur mes appuis. Une claque monumentale s'était abattue sur ma joue. Je n'y croyais pas, je devais avoir rêvé mais la présence de mon pantalon ainsi que de mon sous-vêtement à mes chevilles me prouvait bien que tout cela était réel.

Je mis encore quelques minutes à retrouver l'usage complet de mon corps. Je me rhabillai le plus vite possible, comme si la honte se déversait sur moi. Il pouvait revenir d'un instant à l'autre et je n'avais certainement pas envie de le croiser, de revoir cette haine dans ses yeux et d'entendre le dégoût qui animait ses mots. Il fallait vite que je me couche, ce soir le canapé me servirait de lit et les nuits suivantes aussi...

Hors de question que je ne pionce à nouveau dans le même plumard que lui. S'il avait cherché à m'effrayer depuis notre rencontre, il venait de trouver le meilleur moyen de m'apeurer. Oui j'avais peur. Peur de lui. Peur de ses gestes. Peur du mal qu'il pourrait me faire.

Comment j'en étais arrivé là ? Comment avait-il fait pour m'amadouer ? Je n'aurais jamais dû accepter son offre. J'aurais dû m'en tenir à mon plan de départ, partir plus au Nord, me reclure dans un petit coin tranquille en attendant que la tempête ne passe.

Idiot comme j'étais il avait fallu que je l'accoste dans ce bar de merde, que j'attire son regard sur ma personne. Je n'étais pas digne. Il y avait cette part de moi qui cherchait constamment à être entourée, qui éprouvait le besoin de ressentir de l'affection et qui ne supportait pas la solitude. Je la détestais du plus profond de mon être, même si c'était grâce à elle que j'étais encore en vie.

En installant un coussin sur le fauteuil, j'aperçu cette chose qui dénotait avec l'environnement. Ce petit détail pourtant presque invisible et que personne n'aurait remarqué me sautait pourtant aux yeux. Pourquoi ? Car c'était cette chose que je convoitais depuis mon arrivée.

C'était la raison de toute cette mascarade. La justification de nos nerfs à vifs, le prétexte de ma présence dans ces lieux. C'était tout simplement l'objet de mon enfermement. Dans l'enchaînement des actions et des paroles Yoongi en avait oublié la clef sur la porte.

Elle était là, juste sous mes yeux, déjà enclenchée dans le mécanisme. Il ne me fallait qu'une dizaine de seconde pour l'atteindre et je serais libre. Quelques secondes...

Le blond ne s'était pas couché, j'entendais ses pas dans la pièce d'à côté, il allait forcément revenir d'ici peu de temps. Il fallait encore que je fasse un choix avec précipitation. Rester ou partir ?

Un bruit sec résonna dans l'habitacle et mes sens se mirent en alerte. J'attrapai à la vas vite mon ordinateur avec tous les dossiers de la japonaise, que je fourrai dans mon sac à dos à moitié vide, contenant malgré tout les choses les plus essentiels : mes papiers coréens, mon argent et deux paquets de clopes. Mes chaussures ne furent même pas lacées que je claquai la porte d'entrée.

Ce n'était qu'une fois arrivé dans une rue sombre et déserte que je m'assis au sol pour reprendre mon souffle. Je n'avais nulle part où aller et pourtant je sentais déjà qu'il ne fallait pas que je traîne. Je ne devais pas rester inactif, se prélasser plus d'une heure dans un périmètre restreint causerait ma perte, autrement dit ma mort.

Je n'étais pas de ces gens qui avait la possibilité de s'en sortir, qui pouvait compter sur une faille dans la matrice où dans le système pénal. Si je baissais ma garde où que l'on me choppait à une intersection, j'étais foutu.

Capuche sur la tête et clope au bec je déambulais sur le pavé à la recherche d'un motel pas trop pourris dans le but d'éviter d'y croiser des semblables, mais pas trop cher non plus pour ne pas me ruiner.

Au détour du quartier voisin, presque à l'extérieur de la ville, une petite bâtisse présentait exactement ce que je cherchais mais en mieux. Le lieu était abandonné et inhabité depuis plusieurs années. Le panneau à l'entrée indiquait que la rénovation ne commencerait pas avant le mois prochain, c'était l'endroit idéal. Il fallait juste que je trouve comment entrer sans que les passants ne se doutent que je squattais à l'intérieur.

Ce ne fût pas bien compliqué. À l'arrière une fenêtre était bloquée à l'aide de deux bouts de bois abîmés par l'humidité et les différentes mousses et moisissures qui s'y développaient. Le quartier était l'un des plus pauvres de la périphérie, ici les habitants préféraient baisser la tête plutôt que d'appeler les flics.

La mafia avait une main mise sur ces pauvres gens. Tant qu'ils n'interféraient pas dans leurs affaires et qu'ils possédaient le champ libre dans ces rues, les riverains avaient la vie sauve. À quel prix...

Je connaissais bien ce système, j'en jouissais même à l'époque, et les Dieux savaient à quel point j'aimais cela. Marcher librement comme n'importe qui dans certains endroits car c'était nous la puissance et non l'état. Pouvoir regarder la police nous dévisager sachant pertinemment qu'ils ne feraient rien. Tenter de nous avoir au beau milieu de la journée dans nos districts était suicidaire.

La première planche céda en un coup de pied, il en fallu deux supplémentaires pour complètement me dégager le passage. À l'intérieur, la poussière dominait l'air et les meubles. Après une bonne quinte de toux et mes yeux enfin habitués à la pénombre je pris connaissance des lieux.

La maison n'était pas très grande, comportant seulement une pièce de vie annexée d'une petite chambre où siégeait un vieux matelas au sol. Pour ce soir ça ferait l'affaire. Je m'allongeai sur le lit en essayant de faire abstraction de tous les bruits parasites qui mettaient inutilement mon cerveau en alerte. Je m'endormis rapidement me sentant pour la première fois réellement en sécurité depuis mon arrivée au Japon.

Après deux cauchemars successifs j'avais réussi à m'assoupir la tête vide. J'ouvris les yeux aux alentours de treize heures. Je tournai en rond pendant presque quatre heures, entre réflexion et souvenir avant d'être ramené à la raison par la faim qui me motiva d'autant plus à sortir. En moins d'une demi-heure j'étais dans la rue, sac sur l'épaule à la recherche d'un snack où je pourrais me remplir la panse.

Je m'installai dans un petit café avant de commander un double americano ainsi qu'une assiette de gâteaux de riz. J'abaissai mon masque pour avaler mon repas avant de payer et de partir marcher en dégustant ma boisson maintenant tiède. Les rues commençaient à se vider avec l'arrivée de la nuit et je devais donc me dépêcher d'atteindre ma prochaine destination.

Je cherchais encore désespérément mon chemin, à croire que tout ce dont j'avais réellement besoin n'était jamais bien indiqué. Putain, je ne demandais pas la lune, juste la piscine municipale pour accéder aux douches bordel !

Ce n'était que quarante minutes plus tard que je sentis enfin l'eau chaude se déverser sur ma peau. Je n'étais pas vraiment sale mais je tenais malgré tout à mon hygiène et ma douche quotidienne m'était vitale. Cette piscine possédait des cabines individuelles mais le vestiaire était commun. Je savais que trois autres hommes s'activaient vivement comme moi à se frotter la peau de savon. Une fois le jeton inséré et la poignée baissée, je disposais de cinq minutes pour ma toilette, autant dire que je ne perdais pas de temps à rêvasser.

L'eau se coupa et je sortis une serviette autour des hanches. Alors que je me séchais le torse, je me sentis observé. Effectivement, deux mecs sur le banc d'en face ne déviaient pas leur regard de mon dos.

Cela me fit doucement rire. Les tatouages impressionnaient toujours. D'autant plus que les miens n'étaient pas japonais. Chez les Yakuzas, plus un tatouage paraissait féminin, plus la personne qui le portait était importante. Chez nous, plus tu étais tatoué, plus tu étais puissant. Contrairement à nos homologues, la place hiérarchique se montrait par la taille et le nombre et non par le style graphique.

À mes vingt-deux ans, l'entièreté de mon dos, de mes bras ainsi que mes hanches et le côté droit de mon cou étaient recouverts d'encre noir ou rouge par endroit. Je les voyais tous jours, comme un rappel permanent de qui j'étais, ou plutôt, de qui j'avais été. Je ne pouvais pas oublier, c'était impossible. Ces deux pauvres japonais, eux, en ignoraient surement la signification.

Je ne fis pas plus attention à eux voulant quitter cet endroit au plus vite. Déjà que j'étais coursé par les Dragons et les flics de toutes l'Asie du Sud-Est, je venais en toute connaissance de cause de rajouter une autre tribu à mes trousses. Avais-je fait le bon choix ?

J'avais besoin de parler, et surtout de me cacher. Un seul lieu dans cette ville réunissait mes deux envies. Je me souvenais vaguement du quartier, mais les rues se ressemblant toutes, il ne m'était pas impossible de repasser deux fois au même carrefour. Un petit snack vendait de la soupe de nouilles au poulet. J'en achetai deux pots avant de m'engouffrer encore dans la pénombre du quartier, m'éloignant une bonne fois pour toute de la lumière des lampadaires. J'allais finir par devenir parano avec toute cette histoire. Depuis mon réveil je me sentais épié de partout comme si chaque regard m'était destiné.

Je trouvai enfin cette petite ruelle perdue au milieu de ce Tokyo ancien. Comme la première fois les néons verts et bleus faisaient danser leurs éclats au milieu de la cour. Le lierre grimpait toujours au niveau des toitures, embrassant le ciel dans l'obscurité en un secret partagé seulement avec les esprits les plus observateurs.

La porte en bois était fermée, par vraiment étonnant par l'heure tardive. Je m'assis sur la marche et m'allumai une cigarette. Je tirai fortement sur le filtre de ma clope sentant la crise d'angoisse monter. Mon talon tapotait le sol à rythme régulier alors que mes mains commençaient à trembler.

Est-ce que j'aurais vraiment dû partir ? Ce soir-là j'aurais très bien pu prendre la décision de me cacher quelques jours non loin de chez moi. J'aurais surement pu voir mon père et tenter de lui expliquer, de lui prouver mon innocence. Bordel je n'étais pas au courant ! Pas au début en tout cas...

J'aurais pu le quitter, j'aurais dû le quitter et rejoindre les miens avant le chaos. Mais l'humain est égoïste et je n'avais pensé qu'à moi et à ma vie sur le coup. Il me l'avait intimé par son regard suppliant et désespéré, j'étais resté comme un lâche. On ne m'en aurait pas voulu si seulement j'avais prévenu, mais je ne l'avais pas fait. Pourtant mon téléphone était bien là à cet instant, juste dans la poche arrière de mon jeans. Pourquoi je n'avais pas ne serait-ce qu'envoyer un message « Cassez-vous ils arrivent ». Pourquoi ?

« Pourquoi putain ! »

Je jetai mon mégot au sol en me relevant et c'est là que j'aperçu deux ombres au bout de la rue. Deux silhouettes noires qui ne bougeaient pas mais qui semblaient bien m'analyser. Ma respiration s'accéléra brutalement. Qui étaient-ils ? Que voulaient-ils ?

Ce n'était pas le moment de me faire prendre j'avais encore tous les dossiers d'Ayame dans mon sac et si quiconque apprenait que je possédais ces informations ma tête se retrouverait tranchée avant l'aube.

« Jimin ? quémanda une petite voix derrière moi.

- Hanae, c'est moi. Je me tournai vers elle, oubliant un instant les deux inconnus présents de l'autre côté. Je peux entrer ?

- Oui bien sûr, ne traîne pas dehors par ce temps et aussi tard. »

Je m'empressai de passer la porte non sans donner un dernier coup d'œil à l'intersection. Ils avaient disparu. Je la suivis jusque dans la cuisine, où je m'installai sur la même chaise que la dernière fois.

« Donne-moi ça, je vais te le réchauffer. »

Elle renversa les tambouilles dans une casserole avant la mettre sur le feu.

« J'en ai pris deux, si vous en voulez, servez-vous.

- Ne t'ai-je pas déjà dit de me tutoyer, Jimin ? me reprit-elle avec un grand sourire.

- Pardon Hanae. Je lui rendis son sourire comme un petit diable alors qu'elle me regardait comme si j'étais la personne la plus importante à ses yeux.

- Que t'arrive-t-il, Jimin ? »

Elle n'était pas dupe et lisait en moi comme dans un livre ouvert. Ou alors c'était juste moi qui ne savais pas cacher mes émotions.

« Je... Euh... baragouinai-je. »

Elle me servit d'un bol de soupe avant de s'asseoir face à moi, les mains liées sur la table. Je regardais mon repas sans vraiment en avoir envie mais je devais manger. La nuit serait longue et la commencer le ventre vide n'était pas une très bonne idée.

« Tu l'as retrouvé ? »

Je relevai la tête, intrigué. De quoi parlait-elle exactement ? De mon identité ? De mon chemin ? De Yoongi ?

« Le garçon qui tourmentait tes pensées, annonça-t-elle clairement.

- Comment... ?

- Oh tu sais Jimin je- »

La clochette de l'entrée nous avertit qu'un client se présentait. Elle avait dû oublier de la refermer dans la précipitation de me mettre à l'abris. Des bruits de pas résonnaient dans la pièce et Hanae me fit signe de me taire, comme si elle sentait le danger à travers les murs. Je ne comprenais pas exactement pourquoi mais je lui obéis.

Elle quitta la cuisine pour se rendre dans la partie magasin de sa petite échoppe. Je me levai et mon corps se colla contre la paroi en bois du couloir. Je distinguais des ombres danser au sol sans pour autant apercevoir à qui elles appartenaient.

« Bonsoir messieurs, puis-je vous aider ? demanda-t-elle d'un ton étonnamment calme.

- Effectivement vous pouvez, mais je ne pense pas que vous en ayez l'envie. »

Je connaissais cette voix. Bordel non. Je devais prendre sur moi et faire comme si je n'étais pas présent mais laisser la vieille femme seule face à lui me tordait les tripes.

« Vous savez on ne vous touchera pas si vous nous le donnez. »

Là c'était la merde si lui aussi était présent. Mais fait chier à la fin, comment m'avaient-ils retrouvé ? J'avais fait attention pourtant, je m'étais changé trois fois en moins de vingt-quatre heures, j'avais brouillé les pistes en prenant plusieurs fois des rues piétonnes tantôt noires de monde tantôt quasi désertes.

« Je ne vois pas de quoi vous parlez messieurs, tout ce que j'ai à vendre est dans cette pièce. Je vous laisse détailler les articles. »

De brefs ricanement vinrent faire vibrer mes tympans.

« Sauf que ce que nous voulons se trouve à l'arrière, alors soyez aimable et laissez-nous passer. »

Merde ! Mon portable !

« Non. »

Je courus jusqu'à mon sac dans l'espoir de confirmer mes doutes. Il avait piégé mon satané téléphone ! Après l'avoir cherché dans toutes les poches possibles je le pris en main farfouillant désespérément dans les paramètres pour trouver le logiciel qui m'espionnait mais rien, je ne trouvai rien. Toutes les applications présentes, c'était moi-même qui les avais installées. Je tremblais et le stress grimpait en flèche dans mon organisme.

« Ne lui faite pas de mal ! »

Lorsque j'entendis Hanae hurler cette phrase mon sang ne fit qu'un tour mais je ne pus rien faire sentant déjà deux bras m'encercler. La prise autour de moi se resserra à tel point que je ne parvenais plus à respirer normalement. J'avais été stupide de penser qu'une fois la porte ouverte je disparaîtrais si facilement de leurs radars.

« Tu croyais pouvoir m'échapper encore longtemps ? chuchota-t-il au creux de mon oreille.

Son souffle s'échouait dans mon cou, sa voix rocailleuse et légèrement plus basse que d'habitude témoignait de son manque de sommeil évident à me chercher partout.

« La puce est directement intégrée dans la carte sim Trésor, il déposa un baiser sur ma tempe tremblante alors que sa main droite prenait mon cou en otage. Maintenant tu vas être gentil et tu vas me suivre sans faire de scandale sinon les Kim trancheront la gorge de ta chère et tendre Hanae. »


Coalémos : Esprit de la stupidité.

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Apophiis

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