Chapitre 40: Espoir
A la radio, ils parlaient enfin des Caijis. Depuis quelques jours, le gouvernement avait décidé de révéler au peuple l'approche de ces élémentaires venus d'un monde lointain.
Le premier jour, la population avait paniqué, persuadé qu'ils venaient sur Terre à des fins offensives. Mais le président les avait rassurés. Selon ses dires, ils avaient réussi à entrer en contact avec les arrivants.
« Ils viennent seulement récupérer les élémentaires qui vivent chez nous », avait assuré le chef d'État.
Depuis le début de la semaine, le sujet occupait tous les débats, toute la presse, tous les journaux télévisés. Chacun voulait donner son avis, croyant que ça importait quelqu'un.
Parmi les humains, j'avais repéré deux camps principaux. Ceux qui se méfiaient des Caijis et qui souhaitaient se préparer à une éventuelle attaque, et ceux qui les voyaient comme l'opportunité de pouvoir enfin se débarrasser des élémentaires.
— Il y a quelque chose que je ne comprends pas, dis-je en tournant le bouton de la radio pour l'éteindre.
Je me tournai vers Charlotte qui était en train de feuilleter un journal en face de moi, les pieds posés sur une chaise à côté d'elle.
— Quoi donc ? demanda-t-elle sans relever la tête.
Je m'accoudais sur la table.
— Lorsque j'étais au centre de recherches avec Emile, ton cousin. Il m'a dit que le gouvernement avait commencé à vouloir restreindre nos pouvoirs pour ne pas attirer les Caijis. A cette époque, les humains et les élémentaires s'entendaient bien alors le gouvernement avait tout intérêt à nous garder.
Charlotte plia le journal.
— Mais à force de nous restreindre, continuai-je. ils ont fini par installer un climat de peur entre les deux espèces. Il y a eu des révoltes, des massacres, et de nouvelles restrictions. Au bout du compte, l'entente entre humains et élémentaires avait totalement disparut.
— Et ?
— Et donc, le gouvernement avait tout intérêt à ce que les Caijis viennent nous extraire de Terre pour que les humains soient de nouveau la seule espèce dominante de la planète, non ?
La jeune fille enleva ses pieds de la chaise et se redressa en déposant son journal sur la table. Le nombre de tatouages sur ses bras avait quasiment doublé, sa peau était noircie par tant d'encre.
— Le truc c'est que leur politique de restriction n'a pas du tout fonctionné, m'apprit-elle. Elle n'a pas empêché les Caijis de repérer l'emplacement de la Terre et de se diriger vers elle. Dès lors, les lois ont perdus leur but initial.
— Pourquoi ils les ont laissés dans ce cas ?
— Parce-ce qu'ils ne pouvaient pas les retirer du jour au lendemain. Les humains craignaient les élémentaires et plus le temps passait, plus les tensions s'accroissaient, et plus le nombre de restrictions augmentait.
C'était un cercle vicieux, compris-je.
Je ne pus m'empêcher de rire devant l'ironie de la situation. Les lois n'avaient servis à rien. L'harmonie entre les deux espèces avait été détruite à cause d'elles, alors qu'au début, elles visaient à faire en sorte que les élémentaires terriens ne soient pas récupérés.
Un profond sentiment de dégoût me gagna. Et dire qu'on aurait pu arriver au même point sans que personne n'ai eu à s'entretuer. Le gouvernement avait vraiment merdé sur ce coup-là. Et le pire dans tout ça, c'est qu'ils faisaient croire à la population qu'ils n'avaient découvert les Caijis qu'il n'y a quelques mois alors qu'en réalité, ils étaient au courant depuis des années.
Ils ne parlaient pas des lois, ils continuaient à les maintenir, par principe.
Je nouai mes mains derrière ma nuque et m'adossai au dossier de la chaise.
— J'ai hâte de me barrer de cette planète, lâchai-je.
Charlotte sourit.
— Tu seras bien là-bas, avec ta sœur.
Clara n'avait pas été longtemps en colère après moi. L'offensive des soldats et la mort de nos parents y étaient pour beaucoup. Elle ne parlait plus beaucoup depuis ce jour. J'essayai de ne pas trop m'inquiéter pour elle. Elle était encore jeune, elle finirait par s'en remettre avec le temps. Quitter de la Terre aiderait sûrement beaucoup à son rétablissement. Du moins c'était ce que je me répétais pour me sentir mieux.
Mon portable vibra dans ma poche. J'arquai un sourcil d'étonnement. C'était le mobile qu'on m'avait donné lorsque j'étais rentré à l'Association, seul les élémentaires vivants à la base connaissaient mon numéro.
Je sortis le portable pour voir qui m'appelait.
Les élémentaires de la base et Eliott, corrigeai-je mentalement.
Je n'avais pas revu Eliott depuis l'attaque de la base. Il était rentré chez lui avant que je reprenne conscience. Charlotte m'avait raconté qu'il avait dû batailler pour obtenir le droit de partir. L'Association avait longuement hésité à le relâcher, et d'après ce que j'avais compris, Kléa avait sa part de mérite dans sa libération.
Je me levai et m'éloignai de quelques pas avant de décrocher.
— Allô ?
— Samuel ? C'est toi ?
Il semblait étonné. Sûrement me croyait-il encore dans le coma.
— Oui, c'est bien moi, confirmai-je. Pourquoi tu appelles ?
Il venait à peine de réussir à sortir du système, je ne pensais pas qu'il allait revenir s'y frotter de sitôt.
— J'ai appris pour les Caijis, dit-il.
Il marqua une pause, avant de reprendre :
— Tu vas partir avec eux ?
Je perçus une pointe de tristesse dans sa voix. Eliott était humain, il ne pouvait pas embarquer avec les élémentaires. Non pas qu'il ait en envie de toute façon. Il avait retrouvé sa vie, ses parents. Son frère avait été relâché quelques jours avant l'attaque, Charlotte avait effacé sa mémoire et l'avait libéré, comme l'Association faisait toujours avec ses prisonniers.
Ils n'avaient aucune raison de vouloir quitter la Terre.
Bientôt, des milliards de kilomètres me sépareraient d'Eliott. Je ne pourrais plus jamais le voir, plus jamais le contacter. Il me manquerait. Malgré les différents que nous avions eus, il restait l'un de mes amis les plus proches.
Puis soudain, je me rendis compte que je ne pouvais pas partir sans lui dire au revoir. Ce n'était pas envisageable.
— Tu te souviens du parc où on allait tout le temps ?
Il opina.
— Retrouve-moi là-bas ce soir, à vingt-et-une heure.
***
J'avais l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis la dernière fois que j'avais mis les pieds dans ma ville. Rien n'avait changé, et pourtant plus rien ne m'était familier.
Les rues que je parcourais chaque jour, les boutiques devant lesquelles je passais sans cesse, les terrains vagues et les bâtiments désaffectés où j'avais pris l'habitude de venir pour m'exercer. Tout me paraissait affreusement lointain.
Je n'avais jamais revenu Axel et Clément, les deux élémentaires avec qui je m'entraînais avant de rejoindre l'Association. Ils me semblaient dater d'une autre époque. Je me demandais ce qu'ils étaient devenus. Je n'avais jamais pris la peine d'appeler pour avoir des nouvelles, eux non plus d'ailleurs.
Je soupirai, avant de prendre la direction du parc. Le soleil finissait de disparaître l'horizon, oblitérant ses derniers rayons. Le monde plongeait dans les ténèbres.
J'aperçus les structures de jeu pour enfants avant d'atteindre la barrière du parc. Je l'enjambai d'un bond.
La lumière de la lune se reflétait sur les surfaces argentées des toboggans. Le sol en terre, mal entretenu, était jonché de branches, de feuilles et de graviers. Plus grand monde ne venait s'amuser aussi, c'était pour cette raison que la ville avait arrêté de financer un agent d'entretien. Je me souvenais lorsque que je m'étais foulé la cheville quelques années auparavant en mettant par inadvertance le pied dans un trou. Que de bons souvenirs.
Je m'approchai de la haute tour en bois qui dominait les lieux. M'aidant de échelons en métal, je me hissais jusqu'en haut, à environ trois mètres au-dessus du sol.
Eliott était déjà assis dans l'habitat, les jambes croisées en tailleur. Je ne fus pas surpris, je l'avais entendu de loin.
Il releva la tête vers moi. Contrairement à une grande majorité des rescapés, il n'avait pas l'air d'avoir de brûlures sur le corps. Ou du moins, pas de brûlures importantes. La luminosité ne me permettait pas de voir grand-chose.
— Tu étais au courant, toi ? Pour les Caijis ? m'interrogea-t-il.
— Vaguement. Charlotte m'en avait parlé une fois, mais je n'avais pas compris. C'est Emile qui m'a expliqué.
Lorsque je prononçai ce nom, je me rappelai que c'était là-bas que j'avais vu Eliott pour la dernière fois. Au centre de recherches, lorsque j'avais été attrapé. Eliott et Kléa avait réussi à s'enfuir. Moi pas.
Mon ami se contenta de hocher la tête. Il avait honte de m'avoir abandonné, je pouvais le lire dans ses yeux. Mais je ne lui en voulais pas, je savais qu'il n'aurait pas pu faire autrement.
— Tu avais raison, au fait.
Je fronçai les sourcils.
— A propos de quoi ?
— Des élémentaires. Ils ne sont pas comme je le pensais.
Un sourire se dessina sur mon visage. C'était amusant comme la situation s'était inversée. Il y a quelques mois il méprisait les élémentaires presque autant que je méprisais les humains maintenant. Eliott était le seul pour qui j'avais encore de l'estime.
— Le voyage va être long pour aller jusqu'à la planète Caij, dit Eliott pour essayer de combler le silence.
Je haussai les épaules.
— J'aurais le temps d'observer le paysage comme ça.
Pendant une décennie.
— C'est mieux ainsi, murmurai-je. C'est mieux que je parte. Durant un temps, j'ai cru qu'il était possible de réconcilier les humains et les élémentaires, mais plus maintenant.
Je m'adossai au mur face à lui et glissai jusqu'au sol, mes bras croisés sur mes genoux.
Le regard d'Eliott dévia sur mon bras et sur les tatouages récents qui y été imprimés.
— Je suis désolé pour tes parents, souffla-t-il.
Je tournai la tête en me mordant violemment la joue. Des larmes me piquèrent les yeux. J'essayais de ne pas y penser, j'occupais mon esprit à autre chose, comme les Caijis, ou encore ma sœur. Je n'avais pas assisté à la cérémonie commémorative qui avait été organisée en mémoire de ceux qui étaient morts durant l'attaque. C'était trop dur, je n'avais pas pu.
Je voulais passer à autre chose, faire comme si leur mort dataient d'il y a des mois, et pas de quelques jours. Sauf que ce mensonge, mon cœur refusait de l'accepter.
Un sanglot me secoua. Je levai une main, appuyant mon front contre la paume. Cachant à moitié mon visage.
Tous ses pleurs que je retenais depuis des jours, que je refoulais au fond de moi dans l'espoir qu'ils finissent par s'étouffer avec le temps, ils étaient affreusement douloureux. Ma poitrine se contracta.
Puis je craquai. Fondis en larme
Eliott posa une main sur mon bras. Il ne dit rien.
J'avais mal. J'avais mal, putain.
Les larmes brûlantes me dégoulinaient des yeux, traçant deux sillons jumeaux sur ma figure tordue par la douleur. Je me sentais pathétique. Je suffoquais. Mes ongles me rentraient dans la peau, je tremblais de tout mon corps torturé par une colère au goût de deuil et de désespoir.
Il me fallut quelques minutes avant de finalement me calmer. Les yeux rivés vers l'extérieur, je ne voyais plus les étoiles. Ma vue était brouillée.
Je reniflai, essuyai mes joues humides du bout des doigts, d'un geste rapide.
— Je dois y aller, indiquai-je, la voix rauque.
Je me relevai, m'approchai de l'échelle.
— Sam, attends.
Eliott me saisit par l'épaule et me fit me retourner. On se fixa un long moment. Incapable de se dire au revoir. De réaliser que jamais plus on ne pourrait se retrouver face à face.
Après tout ce qu'on avait vécu, après le temps passé ensemble, je n'arrivais pas à m'imaginer vivre sans ne plus jamais entendre ses blagues stupides et ses remarques pertinentes.
Je le serrai dans mes bras.
Il me manquerait. Je lui serais à jamais reconnaissant pour tout ce qu'il a fait pour moi. Sans lui, je sais que j'aurais perdu mon humanité depuis longtemps. S'il m'en restait ne serait-ce qu'un peu, c'est parce-qu'il avait été là.
— Merci, murmurai-je.
Il se détacha de moi, puis sortit quelque chose de sa poche. Il me mit l'objet dans les mains.
— Je ne joue plus de guitare, lui dis-je en baissant les yeux vers le médiator.
— Tu adorais ça avant.
Oui. Avant de m'engager dans cette guerre, j'aimais ça. Les vibrations des cordes, elles m'avaient toujours apaisées.
— N'arrête pas de vivre parce-que d'autres ont fini leur temps, Sam. Tu as encore des dizaines d'années devant toi, ne les condamne pas d'avance.
Il m'offrit un sourire réconfortant.
— Je sais que pour l'instant ton futur te semble noir et empli de désespoir. Mais je te promets que ça passera. Tu feras de nouvelles rencontres, tu auras de nouvelles expériences. Tu vas marcher sur une autre planète, c'est pas génial ça ?
Un sourire triste étira le coin de mes lèvres. Je fourrai le médiator dans la poche de mon jean.
— Bonne chance pour l'université, lui dis-je.
— Bonne chance pour ton voyage, répondit-il.
Je lui tournai le dos, puis commençai à descendre les échelons. Juste avant que ma tête passe le niveau du seuil de la cabane, je la relevai vers Eliott.
— Un jour, on se reverra.
Ce n'était pas un mensonge. C'était une promesse.
Merci d'avoir lu !
Ça sent la fin, vous trouvez pas ? ^^
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