Chapitre 39: Alliés

Je n'arrivais pas à ouvrir mes yeux. Mes paupières refusaient de se détachées, comme collées à ma peau. J'entendais des voix. Indistinctes. Et pourtant toutes proches. Juste à côté.

— Emmenez-le.

Ce fut tout ce que je réussis à comprendre. Puis je sombrai à nouveau.

***

Je poussai un gémissement silencieux. Ma tête était lourde, une terrible migraine m'assaillait. Je sentis des secousses. On me transportait. Où ? Je n'en avais pas la moindre idée.

***

J'étais allongé sur un matelas. Il était mou, chaud, confortable. Mes paupières étaient toujours scellées. Mon corps me semblait étranger, je n'arrivais pas à le bouger, comme si c'était celui d'un autre.

— Quand va-t-il se réveiller ?

La voix laissait transparaître de l'inquiétude. Elle m'était familière, mais je n'aurais pu dire à qui elle appartenait.

J'étais fatigué. Tellement fatigué...

***

J'arrivai enfin à ouvrir les yeux. La lumière m'éblouit. Je les refermai. Je les maintins ainsi encore quelques minutes, le temps de m'habituer à cette soudaine luminosité.

Je me tournai de côté. Mes mouvements étaient affreusement lents. Tous mes membres me paraissaient engourdis, comme s'ils avaient été immobiles durant des jours. Mes mains fourmillèrent quand je les amenai jusqu'à mon visage.

Une porte s'ouvrit. Quelqu'un entra.

— Samuel ? T'es réveillé ?

Je cherchais la provenance de la voix. Ma vue était encore floue, je plissai les paupières.

— Charlotte ? demandai-je, peu sûr de moi.

Elle rigola et se rapprocha. Non, ce n'était pas Charlotte.

— Ça te réussit vraiment pas le coma, se moqua Kléa.

Je me frottai les yeux pour achever de me réveiller et me redressai, m'adossant contre la tête du lit. En regardant autour de moi, je m'aperçus que cette pièce m'était totalement inconnue. J'interrogeai Kléa du regard.

— Notre base a été attaquée, me rappela-t-elle. On a été transférés dans la base la plus proche de l'Association.

Il me fallut un moment pour me remémorer des derniers évènements dont j'avais été témoins. J'avais de vagues souvenirs, mais rien de précis. Des coups de feu, des flammes, la chaleur brûlante et la fumée étouffante.

J'avais cru que c'était la fin. Même après m'en être sorti, je pensais que c'en était fini de l'Association. Maintenant les explications de Kaede lors de mes premiers jours au sein de l'organisation me revenaient en mémoire. Elle avait mentionné d'autres bases éparpillées dans tout le pays. L'Association était loin de se limiter à une seule région.

— J'ai été inconscient combien de temps ?

— Quatre jours, répondit-elle. T'as pris ton temps.

Un demi-sourire fendit mon visage. Elle et ses remarques cyniques m'avaient manquées.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

Kléa soupira, puis s'assit sur le bord du lit.

— Le directeur de cette base n'a pas été très généreux sur les détails. D'après ce qu'ils ont découvert, l'attaque était planifiée depuis plusieurs semaines déjà.

Je faillis lui demander « pourquoi ? » mais la réponse s'imposa d'elle-même. Parce que pour eux, on était l'ennemi, les rebelles. L'Association représentait la principale résistance élémentaire du pays. Attaquer une de ses bases permettait de l'affaiblir pour un temps, peut-être même de l'ébranler.

De nouveaux fragments de souvenirs de l'assaut me firent tressaillir.

— Je me souviens de l'attaque, soufflai-je. C'était un massacre. Il y avait des corps partout... Combien ont survécu ?

Kléa se tordit les doigts, chez elle aussi, le souvenir était encore frais. Ou plutôt, vif et cuisant.

— Peu. Une vingtaine sur cent dix en tout.

Environ 15%, calculai-je rapidement. 20% si on était optimiste. Ce qui laissait 80% de morts.

Je ramenai mes genoux contre mon torse.

— Mon père ? demandai-je simplement.

— Personne ne l'a aperçu depuis.

Une autre façon de dire que je venais de le perdre. Encore. Et cette fois, définitivement.

— Et ma mère ?

Kléa secoua la tête avec tristesse. Je me mordis la joue avec violence, me forçant à ne pas pleurer.

— Les corps n'ont pas pu tous être identifiés à cause du feu. Il y a toujours une chance pour qu'elle s'en soit sortie... tenta-t-elle de me réconforter.

Mais ses paroles sonnaient faux. Elle n'y croyait pas elle-même. Au bout de quatre jours, elle aurait déjà donné des nouvelles si elle était encore vivante. Au minimum, elle serait partie à la recherche de sa fille.

— Clara... Elle n'était pas là pendant l'attaque, elle va bien ?

— Oui. Eliott et Charlotte sont ici aussi. Ils sont venus te voir pendant que tu étais inconscient.

Nouveaux fragments de souvenirs.

Je me souvenus de la porte à la poignée brûlante et de Yoann qui se trouvait juste derrière. Blessé. Mourant.

— Yoann était à côté de moi, vous avez pu le soigner ?

— Son état était très grave. Il a été touché à plusieurs endroits, des hémorragies internes se sont déclarées un peu partout et...

— Est-ce qu'il est vivant ? la coupai-je.

Kléa déglutit.

— Il respire encore, mais il ne s'est pas réveillé. Et il n'a pas montré de signes de rétablissement comme toi, les infirmiers ont peu d'espoir.

Ça lui faisait mal de devoir être celle qui me remettait à jour. Elle ne voulait pas me donner faux espoirs et s'efforçait de me raconter les faits tels quels, malgré son envie de me préserver.

Personne n'aimait être porteur de mauvaises nouvelles.

Je rabattus les draps blancs du lit et posai mes pieds sur le sol froid. Mes vêtements avaient été remplacés par une robe d'hôpital bleue. Kléa se leva.

— Je vais aller te chercher des affaires, m'informa-t-elle. Vas-y doucement.

Elle sortit en refermant la porte derrière elle, m'abandonnant à ma solitude. Je me mis debout et titubai jusqu'à la fenêtre. Je tournai la poignée et fit coulisser la vitre. L'air frais du matin s'engouffra dans la pièce.

Quatre jours s'étaient écoulés. Ce jour-là, c'était donc le 12 juillet. Autrement dit, mon dix-septième anniversaire. Un sourire triste étira mes lèvres. Quelle journée de merde qui s'annonçait. Je ne savais même pas comment j'allais réussir à y survivre. Plus le temps passait, plus j'avais l'impression que mon monde s'écroulait, tombait en ruine.

Pourtant, pendant un moment, j'avais cru avoir enfin trouvé ma place. Lors des quelques semaines qui précédaient notre infiltration au centre de recherches. J'avais beau être angoissé, je me sentais bien. J'avais l'illusion de servir à quelque chose, d'avoir des gens sur qui compter.

Entre les matinées passées à m'entrainer avec Yoann, les après-midi à travailler sur la mission avec Kléa, Eliott et Charlotte, et les soirées à me reposer dans ma chambre, je pensais enfin avoir quelque chose de durable. La vision d'un futur possible, où je ne serais pas seul et terrorisé par un gouvernement qui m'empêchait d'utiliser mon don, s'était imposée à moi.

Mais apparemment, ce n'était qu'un mirage. Il s'était estompé alors que je pensais enfin l'atteindre.

Lorsque Kléa revint avec des affaires, je lui demandai de m'emmener voir Yoann. Elle sembla hésiter un instant, mais à force d'insister, elle finit par céder. Je terminai d'enfiler la tenue trop grande pour moi – qui se souciait encore de l'apparence, de tout façon ? – et intimai la jeune fille de me montrer le chemin.

Charlotte était assise au chevet de Yoann. Elle releva la tête en m'entendant entrer.

— Tu es réveillé, constata-t-elle.

J'hochai la tête comme unique réponse. Elle avait changée, en quatre jours. Quelques brûlures encore récentes parcouraient son corps, surtout son bras droit et une partie de son cou. Elle s'était coupé les cheveux aussi. Très courts. Plus courts que les miens.

Mais à part ça, elle ne semblait pas si différente. Seulement quelques cicatrices en plus, en souvenir sûrement de la énième bataille à laquelle elle avait participé.

Mon regard tomba finalement sur Yoann. Lui, ne semblait pas aussi en forme. Un tube à oxygène s'enfonçait dans sa gorge. Des marques violacées coloraient son visage mat, il était brûlé à quelques endroits aussi. Le drap cachait tout son corps à partir du cou, mais je n'eus pas besoin de beaucoup d'imagination pour deviner que le reste se trouvait dans le même état, si ce n'était pire.

Kléa avait mentionné plusieurs blessures par balle. Je n'en avais aperçu qu'une seule assez grave à l'épaule lors de l'incendie, mais il était fortement possible qu'il est été blessé à d'autres endroits. Mes souvenirs visuels restaient assez vagues dans mon esprit. Dans le chaos et la panique, je n'avais pas prêté attention aux détails.

Je me rappelais seulement de la souffrance qu'il ressentait et que je percevais aussi par notre lien.

Maintenant, je n'arrivais plus à percevoir quoi que ce soit. Le lien était toujours là, seulement Yoann ne ressentait rien. Il ne pensait à rien non plus. C'était presque comme s'il était déjà mort.

J'avais qu'une seule envie, c'était de fondre en larmes. Mais je ne le fis pas. Charlotte ne pleurait pas, elle. Et Yoann ne pleurait jamais non plus. Alors je ravalais mes sanglots et pris sur moi. Comme tous les élémentaires de l'Association. Ils prenaient sur eux.

Je restai silencieux de longues minutes, le regard figé sur Yoann. Plusieurs fois, je crus qu'il allait ouvrir les yeux, je pouvais presque le voir battre des paupières, se mettre à tousser à cause du tube qui entravait sa trachée, se redresser sur ses avant-bras.

Mais dès que le clignai des yeux, Yoann reprenait sa position initiale. Allongé sur le dos, inerte.

Ce n'était que mon esprit qui me jouait des tours.

Lorsque je décrétai que je m'étais fait assez de mal, je sortis de la pièce. Charlotte me rejoignit quelques secondes plus tard. Elle posa une main sur mon épaule.

Ses tentacules immatérielles frôlèrent ma peau, propagèrent en moi une vague d'apaisement.

— Merci, murmurai-je.

Sa main glissa et vint saisir la mienne. Je serrais ses doigts. Elle se pencha vers moi.

— Suis-moi.

Sans un mot, j'obéis. Elle me fit traverser le long couloir et descendre un large escalier. On croisa plusieurs personnes dans le hall, malgré l'heure matinale. Charlotte s'arrêta devant une porte, toqua deux fois, et abaissa la poignée.

La salle dans laquelle on déboucha était un salon de tatouage. Je pensais que c'était une tradition propre à notre base, mais apparemment j'avais tort. Une femme et deux hommes régissaient les lieux. L'un d'eux étaient déjà penché au-dessus d'une élémentaire de la base dont je provenais. Alice. Je n'avais pas eu beaucoup d'occasions d'échanger avec elle durant mon court séjour, mais je savais que c'était quelqu'un de bien. J'étais content qu'elle s'en soit sortie.

— Kléa a déjà tatouée les nouveaux noms, annonça Charlotte. Je t'attendais pour faire de même.

— C'est obligatoire ?

— Non. Mais je sens que tu en as envie.

Elle avait raison. J'avais besoin de faire quelque chose, n'importe quoi. Si je le pouvais, je taperais dans quelqu'un mais c'était malheureusement impossible.

Inscrire le nom de ceux que j'avais perdus. Ceux à qui je n'avais pas pu dire au revoir. Ceux avec qui je n'avais pas eu le temps de m'expliquer. Ceux auprès de qui je ne m'étais pas excusé assez tôt. Ceux que je ne reverrais jamais car désormais, c'était trop tard. Je ne pouvais plus revenir en arrière.

Inscrire leur nom permettait d'une certaine façon d'accepter leur mort. De faire son deuil.

La femme aux cheveux violets me fit prendre place sur un fauteuil et me demanda les prénoms que je voulais tatouer, et à quel endroit du corps. L'épaule m'apparut comme une évidence.

Je notais sur la feuille les noms de mes deux parents.

Christophe et Nathalie

— J'aimerais qu'ils soient écrits côte-à-côte, indiquai-je à la tatoueuse.

Mon stylo resta suspendu au-dessus de la feuille pendant un long moment. Je ne savais pas qui inscrire. J'avais rencontré des dizaines et des dizaines de personnes à l'Association. Aucune d'entre elles ne méritait de mourir, aucune ne méritait d'être oubliée. Mais pouvais-je écrire leur nom alors que je les connaissais à peine ?

Je reposais le stylo.

— Juste ces deux noms ? me demanda la femme.

Ma gorge se noua. Je sentis les larmes me monter aux yeux. Mon cœur me faisait mal. Affreusement mal.

Je repris le crayon et traçai les lettres d'un troisième et dernier nom.

Yoann

Une larme vint s'écraser sur la feuille, faisant baver l'encre du stylo. J'essuyai ma joue d'un revers de la main et m'allongeai sur le fauteuil, le cœur en miettes.


Merci d'avoir lu !

Je vous avoue que j'ai eu très mal au coeur en écrivant ce chapitre, j'avais la gorge serrées et tout, je me sentais pas très bien ^^' J'étais trop triste pour Yoann, mais c'est pas mal faute 🙄  Vous savez bien que mes personnages ne m'obeissent pluz depuis le deuxième chapitre... Ne me tuez pas please 🙏

Sur ce, à bientôt pour la suite ! ❤ (si je suis encore vivante)

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