Chapitre 35: Amplifié

— Samuel ?

   Elle se leva et fit un pas en avant.

— C'est bien toi ?

   Je ris nerveusement.

— Qui veux-tu que ce soit ?

   Elle resta coi, incapable de prononcer le moindre mot. Sa bouche entrouverte laissait échapper un souffle chaud et rapide. Mes pensées défilaient à toute vitesse, seuls ses yeux m'ancraient dans un semblant de réalité.

— Où étais-tu ? J'ai cru que tu avais été arrêté par la police. J'ai cru que...

   Elle étouffa un sanglot.

— J'ai cru qu'ils allaient t'exécuter comme Papa, hoqueta-t-elle.

   Je m'approchai et refermai mes bras autour d'elle. Je pouvais sentir son corps trembler sous moi, secoué par ses pleurs.

— Je suis tellement désolé, soufflai-je si bas que je ne suis pas sûr qu'elle l'entendit.

— A chaque fois que quelqu'un sonnait à la porte j'avais... peur que ce soit un policier...

   Son visage était enfoui sur mon torse, à tel point que sans mon don je n'aurais jamais perçu ses paroles.

— Et maman elle... Elle m'interdisait de parler de toi à la maison. Elle voulait qu'on déménage, elle avait commencé à faire les cartons.

   Son étreinte se resserra, ses ongles s'enfonçaient dans mon dos tant elle m'agrippait.

— Je ne voulais pas partir, continua-t-elle. Je ne voulais pas t'abandonner.

   J'eus mal au cœur en entendant ces mots. C'était moi qui l'avais abandonnée, certainement pas le contraire.

   Je la décollai de moi, sans la lâcher.

   Je voulais lui dire qu'elle n'avait rien à se reprocher, que tout était de ma faute, que je n'aurais jamais dû partir comme cela. Mais j'en fus incapable. Ma gorge était trop serrée pour laisser le moindre son passer.

   Clara tenta de me sourire. Elle ferma les paupières, faisant jaillir de nouvelles larmes qui roulèrent silencieusement le long de ses joues.

— C'est tellement étrange, lâcha-t-elle d'une voix cassée. Tout a changé, je suis perdue, je ne comprends rien. Pourquoi le monde est-il figé ? Les gens qui nous ont accueillis ne veuillent rien me dire. Je crois que ce sont les rebelles qui étaient responsables de tous ces meurtres et ces enlèvements.

   Aie.

   Elle n'était pas au courant pour mon appartenance à l'Association. Devrais-je lui dire maintenant ? Comment allait-elle réagir ?

— Tu penses que c'est eux qui ont pétrifiés tout le monde ? Comment c'est possible ?

   Elle enchaînait les interrogations sans me laisser le temps de réfléchir.

— C'est bien plus compliqué que ça, Clara.

— Tu en sais plus ?

   Oui. Des élémentaires extraterrestres vont débarquer sur terre pour venir nous chercher.

   C'est ce que je lui expliquai, à quelques mots près.

   Elle resta muette. Elle avait l'air d'hésiter entre me croire et éclater de rire.

— Tu te fiches de moi ? m'interrogea-t-elle finalement, après un long moment de silence.

— J'ai pas le moral à faire des blagues.

   Un rire jaune s'échappa de ses lèvres.

— C'est la vérité, je te le promets.

— Ce que tu dis n'a aucun sens.... Sam, écoute-toi ! Des extraterrestres ! Des extraterrestres, putain !

— Je sais que c'est dur à croire. Mais je ne suis pas en train de devenir fou et tu n'es pas en train de rêver.

   Elle passa ses mains dans les cheveux et les agrippa, se détournant de moi.

— Ecoute, je sais que tu es totalement désorientée et que tu ne comprends pas ce qui se passe, mais... fais-moi confiance, d'accord ?

   Même si je suis aussi paumé que toi....

   Elle regardait la fenêtre encastrée en haut du mur, n'osant pas me faire face.

— Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'ils viennent sur Terre après tout ce temps ?

— Je ne sais pas exactement.

— Ils viennent nous chercher ?

— Je ne sais pas. C'est ce que pense Yoann.

— Qui est Yoann ?

   Je me mordis la joue.

— Un... ami.

   Elle me jette un coup d'œil par-dessus l'épaule.

— Tu les suivras ? S'ils te proposent de venir avec eux pour partir loin d'ici, tu iras ?

— Je ne sais pas.

   Je n'y avais même pas réfléchi. Je n'avais plus le temps de penser au futur, il me semblait tellement incertain. Je préférais me concentrer sur le présent. C'était là que tout se jouait, c'était là que je jouais ma vie, pas ailleurs.

   Elle soupira.

— Tout était tellement plus simple avant...

   Elle avait les yeux dans le vide.

— Avant ça, avant ton départ, avant les nouvelles lois, avant la mort de papa...

   Et ça risquait d'être encore plus compliqué avec le retour de papa.

   Je passai cette information sous silence, de peur de la bouleverser encore plus qu'elle ne l'était déjà.

— Et les gens qui nous ont accueillis alors ? embraya-t-elle. Tu penses qu'on peut leur faire confiance à eux, malgré le fait que ce soient des rebelles ?

— Rien ne prouve que ce sont les rebelles dont ils parlaient à la radio.

— Ils ont des armes, Sammy. Et ils vivent dans un centre commercial reconverti en une sorte de... base militaire. Quelle preuve te faut-il de plus ?

   C'était tellement étrange de l'entendre m'appeler par ce surnom. Ça faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas employé...

— Je n'en ai aucune idée. Je ne les connais pas.

   Ce mensonge glissa sur ma langue aussi aisément que de la soie. En voyant qu'elle me crut sans hésitation, je pris conscience à quel point j'avais changé. Autrefois, elle aurait remis ma parole en doute, ou m'aurait au moins jeté un regard suspicieux. Mais pas cette fois.

   Non. Cette fois, j'avais menti comme si j'avais fait ça toute ma vie, comme si ce mensonge était réel. Je ne savais pas ce qui était le pire entre ne pas lui avoir dit la vérité, ou bien ne pas culpabiliser pour ça.

   Peut-être que j'en avais juste marre que tout le monde me cache des informations et que je sois le seul à me faire chier à être sincère. Le temps n'était plus à l'honnêteté. J'étais fatigué, j'avais juste hâte que tout se termine, peu importe comment, peu importe qui gagnait. Les gentils, les méchants... Honnêtement, je m'en foutais.

   On dit que les gentils gagnent toujours. Facile quand c'est au vainqueur que revient le droit de raconter l'histoire.

— Samuel, ça va ?

Non.

— Oui, répondis-je.

— Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

   Elle me détaillait de haut en bas, l'air inquiet.

— Rien, pourquoi ?

— Tes vêtements sont à moitié déchirés, tu as de la terre partout, des marques de griffures sur les paumes, des éraflures sur le visage et on dirait que tu veux tuer quelqu'un. Alors je sais pas, à toi de me le dire.

— Ces dernières semaines n'ont pas été de tout repos, c'est tout.

   Une pensée me traversa soudainement l'esprit. Qu'en était-il de Charlotte ? Où était-elle ? Je ne l'avais pas croisée en arrivant.

   Je détournai le regard, tentant de repérer les ondes si particulières qu'elle dégageait. Je fus surpris de la facilité avec laquelle je sondais la base entière, tout me semblait si clair... Les ondes étaient distinctes, comme si mon don était amplifié. La Figeation avait-elle un rapport avec cela ?

— Samuel ?

   Je continuai mon analyse en dehors des murs de la base, m'aventurant plus loin que je n'avais jamais pu aller. A mesure que je m'éloignais de mon corps, une sensation de légèreté me gagnait. J'avais l'impression de glisser sur les vibrations, c'était enivrant.

— Eh ! Sam, tu m'entends ?

   Mon nom frôla les frontières de ma conscience, avant s'estomper.

   Je ralentis mon exploration en percevant enfin les ondes émanant de Charlotte. Elle était à presque deux kilomètres au nord de ma position, dans un quartier en construction. Que faisait-elle là-bas ?

   Je voulus m'approcher davantage, mais une douleur à la joue me ramena brutalement à la réalité. En ouvrant les yeux, je me rendis compte que j'étais à terre. Clara était penchée au-dessus de moi, l'air terrorisé. Je pris une grande inspiration qui me brûla la trachée et les poumons. Je me tournai sur le côté alors qu'une quinte de toux me prit.

— Sam ? Tu vas bien ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu m'as fait super peur, tu avais arrêté de respirer !

Quoi ?

— J'ai dû poussé mon don trop loin... articulai-je quand j'eus repris mon souffle.

   D'habitude je sentais quand j'atteignais la limite de mon pouvoir, pourquoi pas cette fois ? L'excitation provoquée par le renforcement de mon don laissa vite place à l'inquiétude. Mes parents ne m'avaient que trop de fois répété le nombre d'élémentaires morts en voulant dépasser leurs limites.

   Je me remis sur pied et lui tournai le dos.

— Eh ! Attends, tu vas où ? m'arrêta ma sœur.

— Je dois trouver quelqu'un.

— Qui ?

— Une personne qui me doit des explications.

   A propos de la vision de sa mort, de sa connaissance des extraterrestres et de son cousin. Elle n'allait pas y échapper cette fois.

   Je sortis de la chambre, Clara me suivit. Je m'arrêtai brusquement pour lui faire face.

— Reste ici. Tu seras en sécurité.

   Elle me regarda avec cet air résolu dont elle seule avait le secret.

— Hors de question. Je viens à peine de te retrouver, je ne veux pas te perdre de vue encore une fois.

— Clara... soupirai-je.

— Tu as dit que tu étais désolé de m'avoir abandonnée, et maintenant tu veux le refaire ?

   Je serrai la mâchoire. Elle n'avait pas entièrement tort.

— Tout le monde est figé dehors, qu'est-ce que tu veux qu'il m'arrive ? plaisanta-t-elle.

   Oui, mais pour combien de temps encore ? Quelques heures ?

   Je la fixai un long moment, hésitant. Elle ne m'obéirait probablement pas si je lui ordonnais de ne pas quitter la base. Après tout, je n'étais pas son père.

— D'accord, cédai-je.

   Je me remis à marcher en jurant intérieurement. J'allais le regretter, j'en étais persuadé.

   Je choisis de sortir par une des issues de secours, plutôt que par l'entrée principale. Je n'avais pas envie de croiser Yoann, encore moins ma mère. Ma sœur me suivit sans poser de questions. Lorsque j'aperçus l'élémentaire qui gardait la porte, j'eus peur qu'il nous empêche de passer, mais il ne broncha pas quand j'approchai.

   Quand la porte se referma derrière nous, le silence s'abattit. Un frisson me parcourut l'échine. J'avais déjà oublié à quel point l'atmosphère était morbide dehors.

   Nous nous mîmes à marcher en direction des nouveaux quartiers où se trouvait Charlotte. Pendant la traversée de la forêt, j'aperçus quelques animaux, immobiles comme tout le reste. J'avais l'impression d'être dans un de ces musées d'histoire naturelle avec des bêtes empaillées. Sauf que cette fois elles étaient bien vivantes, juste pétrifiées le temps de quelques jours.

   Je jetais régulièrement des coups d'œil à Clara pour m'assurer qu'elle me suivait toujours. Elle semblait encore plus mal à l'aise que moi dans cet environnement, et ce fut pire lorsqu'on atteignit la ville et donc les humains. On aurait dit qu'ils nous fixaient et qu'ils allaient nous sauter dessus sans prévenir. Plusieurs fois, j'eus un sursaut en croyant que l'un d'eux avait bougé. On accéléra le pas pour quitter les quartiers fréquentés et rejoindre ceux en construction.

   Lorsque j'estimai être assez proche pour ne pas me mettre en danger, je me concentrai pour repérer les ondes de Charlotte. Je n'eus pas à m'aventurer très loin, elle se trouvait à seulement une centaine de mètres de notre position.

   Je me tournai vers Clara.

— Attends là, je reviens vite.

   Je fis volte-face avant de lui laisser le temps de protester.

   Charlotte se trouvait derrière les fondations d'une maison. Elle était assise en tailleur sur le sol, le dos appuyé sur un des seuls mur déjà construit.

   Face à elle, le policier qui avait failli nous tuer se tenait debout, la tête tournée, l'air aux aguets. Immobilisé en pleine action.

   Que faisait-il ici, tout seul ? Il était probablement tombé dans un piège de l'élémentaire.

— C'est la deuxième fois que tu te pointes pendant un de mes règlements de compte, lâcha Charlotte sans me regarder.

   Je gardai le silence de longues secondes, le regard rivé sur l'élémentaire.

— Tu comptes le tuer ? demandai-je finalement.

— Oui. Et celui-ci tu ne m'en empêcheras pas.

   Elle tourna la tête dans ma direction. Ses yeux verts se plantèrent dans les miens. Mes mains se mirent à trembler, mes muscles se raidirent. Je voulus détourner le regard, mais c'était déjà trop tard. Je n'arrivais plus à bouger.

***
Heyy ! Deux mois pour écrire un chapitre, je progresse, non ? X)

Plus sérieusement, je suis affreusement désolée pour le temps que j'ai mis à poster ce chapitre, mais j'ai eu quelques problèmes durant les vacances qui font que je n'avais pas vraiment la tête à écrire.

Et bien sûr, comme tout écrivain qui se respecte, c'est quand les cours reprennent et que j'ai plus le temps d'écrire que ma motivation revient xD

Pour l'instant on a pas encore trop de devoirs, je vais essayer d'en profiter pour écrire les prochains chapitres un peu plus rapidement que celui là ^^

Encore désolé :/

Kiss ! ❤

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